RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 10
ARRÊT DU 28 Juin 2017
(n° , 06 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : S 15/10319, 15/10407, 15/10488 et 15/10492
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 30 Septembre 2015 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS RG n° 14/07154
APPELANT PRINCIPAL - INTIMÉ INCIDENT
FONDATION NATIONALE DES SCIENCES POLITIQUES
[Adresse 1]
[Localité 1]
représentée par Me Stéphanie GUEDES DA COSTA, avocat au barreau de PARIS, toque : P0461
INTIMÉ PRINCIPAL - APPELANT INCIDENT
Etablissement Public INSTITUT D'ETUDES POLITIQUES (I.E.P.)
[Adresse 1]
[Localité 1]
représentée par Me Isabelle DAVEZIES, avocat au barreau de PARIS, toque : C0267
INTIMÉE
Madame [U] [F]
[Adresse 2]
[Adresse 2]
[Localité 2]
représentée par Me Michel HENRY, avocat au barreau de PARIS, toque : P0099
INTERVENANTS
MINISTERE PUBLIC
[Adresse 3]
[Localité 3]
L'affaire a été communiquée au ministère public, qui a fait connaître son avis
PREFET DE LA REGION D'ILE DE FRANCE
[Adresse 4]
[Localité 4]
Qui a adressé à la cour, un déclinatoire de compétence
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 30 Mai 2017, en audience publique, devant la Cour composée de :
Madame Sylvie HYLAIRE, Président de chambre
Madame Marie-Antoinette COLAS, président de chambre
Madame Françoise AYMES-BELLADINA, conseiller
qui en ont délibéré
Greffier : Mme Caroline CHAKELIAN, lors des débats
ARRET :
- réputé contradictoire
- prononcé par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Madame Sylvie HYLAIRE, président de chambre et par Madame Caroline CHAKELIAN, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
EXPOSÉ DU LITIGE
Depuis le 1er octobre 1987, Madame [U] [F] exerçait les fonctions de chargé d'enseignement vacataire en anglais à l'Institut d'Etudes Politiques de Paris (IEP), à raison de deux semestres par an, selon un horaire hebdomadaire passé de 6 à 4 heures à partir du deuxième semestre 2013-2014 et moyennant une rémunération variable selon le niveau de l'enseignement dispensé.
Le paiement de la rémunération s'effectuait par semestre, soit deux fois par an et émanait de la Fondation Nationale des Sciences politiques (FNSP) qui établissait les bulletins de paye et acquittait les cotisations sociales.
A partir de la rentrée 2015-2016, il n'a plus été fait appel aux services de Madame [F].
Estimant être salariés de droit privé de la FNSP, Madame [F] et deux autres chargés d'enseignement en langues, Madame [X] et Monsieur [R], ont saisi le bureau de jugement du conseil de prud'hommes de Paris le 26 mai 2014, sollicitant la requalification de leur contrat en contrat de travail à durée indéterminée, le paiement de l'indemnité de requalification, la mensualisation de leur rémunération, la régularisation des cotisations de retraite ainsi qu'une indemnité pour travail dissimulé.
L'IEP est intervenu volontairement à l'instance, exposant que la FNSP n'a pas la qualité d'employeur, n'étant désignée par la loi n°84-52 du 26 janvier 1984 sur l'enseignement supérieur, que pour assurer la gestion de l'IEP sur le plan administratif et financier.
L'IEP, comme la FNSP, ont conclu à l'incompétence de la juridiction prud'homale au profit du tribunal administratif.
Par jugement rendu le 30 septembre 2015, le conseil de prud'hommes de Paris s'est déclaré compétent pour connaître du litige et a dit que l'intervention volontaire de l'IEP était recevable.
La FNSP et l'IEP ont relevé appel de la décision par déclarations enregistrées les 20 et 22 octobre 2015 et par lettres recommandées avec avis de réception adressées le 23 octobre 2015, les procédures étant enrôlées sous les n° RG 15/10319, 15/10407, 15/10488 et 15/10492.
Le 26 mai 2016, le Préfet de Paris a adressé un déclinatoire de compétence aux termes duquel, il conclut à l'incompétence de la cour au profit de la juridiction administrative, et, en cas de rejet du déclinatoire de compétence, demande à la cour de surseoir à statuer en application des articles 22 et 26 du décret n° 2015-233 du 27 février 2015.
A l'audience du 2 juin 2016, le déclinatoire de compétence a été remis aux représentants des parties ainsi qu'au Ministère Public, l'affaire étant renvoyée au 30 mai 2017.
La FNSP et l'IEP demandent à la cour d'ordonner la jonction des procédures, d'infirmer le jugement entrepris, sauf en ce qu'il a déclaré recevable l'intervention volontaire de l'IEP, de se déclarer incompétente au profit du tribunal administratif, de renvoyer Madame [F] à mieux se pourvoir et, subsidiairement, de la débouter de l'ensemble de ses demandes.
La FNSP sollicite la condamnation de Madame [F] à lui payer la somme de 1.500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Madame [F] sollicite la confirmation du jugement entrepris en ce que la compétence de la juridiction prud'homale a été retenue et demande à la cour d'ordonner l'évocation de l'affaire, de fixer la date des débats sur le fond ainsi que de condamner la FNSP à lui payer la somme de 2.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Concernant l'IEP, Madame [F] conclut à l'irrecevabilité de son intervention volontaire à l'instance au motif qu'aucune demande n'est formulée à son encontre, que l'IEP ne peut pas tout à la fois conclure à l'incompétence de la juridiction prud'homale tout en lui demandant de lui reconnaître la qualité d'employeur et que son éventuelle qualité de co-employeur, qui n'est pas dans le débat, n'a aucune incidence sur la solution du litige initié à l'encontre de la FNSP.
Madame [F] sollicite donc l'infirmation du jugement sur ce point et demande à la cour de déclarer irrecevable l'intervention de l'IEP ainsi que de condamner celui-ci à lui payer la somme de 2.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Le Ministère Public conclut à l'incompétence de la juridiction judiciaire.
La jonction des procédures enrôlées sous les n° RG 15/10319, 15/10407, 15/10488 et 15/10492 qui porteront désormais le n° RG 15/10319 a été ordonnée par mention au dossier à l'audience du 30 mai 2017.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens et des prétentions des parties, la cour se réfère à leurs conclusions visées par le greffier et développées lors de l'audience des débats.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur les demandes formées par Madame [F]
L'article L. 1411-1 du code du travail donne compétence à la juridiction prud'homale pour connaître des différends qui peuvent s'élever à l'occasion de tout contrat de travail de droit privé qui lie un employeur à un salarié, l'article L. 1411-2 précisant que le conseil de prud'hommes règle les différends et litiges des personnels des services publics lorsqu'ils sont employés dans les conditions du droit privé.
Le contrat de travail de droit privé se définit comme le contrat par lequel une personne accomplit, moyennant rémunération, une prestation pour le compte et sous l'autorité d'une autre personne qui exerce à son égard un pouvoir de direction.
Il sera relevé à titre liminaire que dans l'appréciation du litige opposant les parties, la présente juridiction n'est pas liée par les éléments figurant dans le site Internet de 'Sciences Po' pas plus que par les observations figurant au rapport de la Cour des comptes sur cette institution, établi en novembre 2012.
Ce rapport de la Cour des comptes ne s'est au demeurant pas prononcé sur le statut des 'enseignants vacataires' (cf. page 75 du rapport) même s'il est relevé qu'en raison de l'organisation découlant des dispositions légales, l'IEP échappe aux règles des plafonds d'emplois et de masse salariale que doivent respecter la plupart des établissements publics d'enseignement supérieur, considération extérieure au débat judiciaire.
L'appellation 'Sciences Po' regroupe deux entités :
- d'une part, l'IEP qui, aux termes des dispositions légales est un établissement public à caractère scientifique, culturel et professionnel investi d'une mission de service public d'enseignement supérieur,
- d'autre part, la FNSP, fondation de droit privée dotée de la personnalité juridique.
Madame [F] revendique l'existence d'un contrat de travail l'ayant liée à la FNSP au motif que celle-ci assure la gestion du personnel qu'elle met, selon lui, à la disposition de l'IEP et assure les obligations incombant à l'employeur notamment en termes de rémunération et de cotisations sociales.
Il est seulement établi par les pièces et explications fournies que la FNSP a assuré le paiement des salaires dus à Madame [F], des cotisations sociales pour son compte, leur versement à l'URSSAF ainsi que l'affiliation à un régime de retraite des salariés de droit privé et lui a délivré une attestation Pôle Emploi.
Ces seuls éléments ne sont pas suffisants à caractériser l'existence d'un lien de subordination entre Madame [F] et la FNSP, non plus que le fait que celle-ci est propriétaire des locaux dans lesquels Madame [F] accomplit sa mission.
En effet, la gestion par la FNSP d'une partie des obligations incombant normalement à l'employeur, qui lui est dévolue en application des dispositions légales (article L. 758-1 du Code de l'éducation et article 11 du décret n° 85-497 du 10 mai 1985 relatif à l'IEP), ne peut suffire à démontrer l'existence d'un contrat de travail conclu avec Madame [F].
Or, d'une part, il résulte des pièces produites que si, initialement, Madame [F] avait fait l'objet d'un engagement verbal, le directeur de l'IEP a ensuite établi un engagement écrit des chargés d'enseignement vacataires au visa des dispositions du décret n° 87-889 du 29 octobre 1987, relatif aux conditions de recrutement et d'emploi des vacataires de l'enseignement supérieur, un exemplaire de cet engagement étant d'ailleurs versé aux débats par la salariée elle-même pour le 2ème semestre de l'année 2009.
D'autre part, il est également établi que l'activité d'enseignement de langues confiée depuis plusieurs années à Madame [F] par l'IEP était dispensée auprès des étudiants de cet institut, l'acte d'engagement prévoyant d'ailleurs que le chargé d'enseignement vacataire doit participer aux réunions pédagogiques, à la correction des examens et à la rédaction des fiches d'évaluation des élèves. Par ailleurs, la répartition des horaires ainsi que le nombre d'heures de vacation étaient définis par l'IEP.
Le rapport de la Cour des comptes, s'il souligne la particularité de l'IEP qui ne dispose pas de moyens propres pour exercer sa mission, son budget n'étant qu'une subdivision du budget de la FNSP, relève que l'IEP a néanmoins une existence propre et possède des instances de gouvernance qui se prononcent sur les modalités de sélection des étudiants, l'organisation et le contenu des enseignements, la pédagogie et la vie des étudiants, l'existence de ces instances découlant des dispositions du décret n° 85-497 précité.
C'est donc bien au sein de l'IEP et par celui-ci que sont définies les conditions d'exercice de la prestation de travail confiée aux enseignants, quel que soit leur statut, ces éléments démontrant que le pouvoir de direction à l'égard de Madame [F] n'était pas exercé par la FNSP.
Enfin, il n'est ni justifié ni même allégué que Madame [F] a exercé une activité quelconque pour le compte de la FNSP, qui, aux termes des dispositions légales (article L. 621-2 du code de l'éducation), n'est pas chargée de missions d'enseignement mais a pour objet de favoriser le progrès et la diffusion en France et à l'étranger des sciences économiques et sociales.
Il ne peut donc être considéré que la FNSP a été l'employeur de Madame [F].
Madame [F], qui échoue dans la démonstration de l'existence d'un contrat de travail conclu avec la FNSP, doit être déboutée de l'ensemble de ses prétentions en ce qu'elles sont formulées à l'encontre de celle-ci.
La décision déférée sera en conséquence infirmée.
Sur l'intervention volontaire de l'IEP à l'instance engagée par Madame [F] à l'encontre de la FNSP
Aux termes des dispositions des articles 325 et suivants du code de procédure civile, l'intervention volontaire qui s'appuie sur les prétentions d'une partie est recevable si son auteur a intérêt, pour la conservation de ses droits, à soutenir cette partie.
En l'espèce, si Madame [F] soutient à juste titre n'avoir formulé aucune demande à l'encontre de l'IEP, celui-ci avait néanmoins tout intérêt, pour la conservation de ses droits, à soutenir l'argumentation de la FNSP : en effet, les condamnations de la FNSP sollicitées par Madame [F] auraient des conséquences financières sur l'IEP dont le budget est intégré à celui de la FNSP.
Dès lors, même si la présente juridiction n'a pas compétence pour reconnaître la qualité d'employeur de l'IEP, qui ne formule pas de demande incidente au sens de l'article 51 du code de procédure civile, l'intervention volontaire de l'IEP doit être déclarée recevable, étant ajouté que l'IEP, contrairement à ce que prétend Madame [F], ne demande pas à la juridiction judiciaire de lui reconnaître la qualité d'employeur.
Sur les autres demandes
Madame [F], qui succombe à l'instance, sera condamnée aux dépens mais il n'apparaît pas inéquitable de laisser à chacune des parties la charge des frais irrépétibles par elle exposés.
PAR CES MOTIFS
LA COUR,
Vu le déclinatoire de compétence adressé par le Préfet de Paris,
Vu les conclusions du Ministère Public,
Confirme le jugement déféré en ce qu'il a déclaré recevable l'intervention de l'Institut d'Etudes Politiques de Paris,
L'infirme pour le surplus,
Statuant à nouveau,
Dit que la Fondation Nationale des Sciences Politiques n'a pas la qualité d'employeur de Madame [F],
Déboute en conséquence Madame [F] de l'ensemble de ses prétentions formulées à l'encontre de la Fondation Nationale des Sciences Politiques,
Dit n'y avoir lieu à l'application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
Rappelle que copie de la présente décision sera adressée par les soins du greffe au Préfet de Paris ainsi qu'au Ministère Public,
Condamne Madame [F] aux dépens.
LE GREFFIER LE PRESIDENT