RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 6
ARRÊT DU 28 Juin 2017
(n° , 6 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : S 14/05552
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 17 Mars 2014 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS RG n° 13/00800
APPELANT
Monsieur [D] [L] [Y]
[Adresse 1]
[Localité 1]
représenté par Me Grégory SAINT MICHEL, avocat au barreau de PARIS, toque : C1829
INTIMEE
Société CREDIT SUISSE
[Adresse 2]
[Localité 2]
représentée par Me Marianne FRANJOU, avocat au barreau de PARIS, toque : R021
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 22 Mai 2017, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Séverine TECHER, Vice-présidente placée , chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Madame Marie-Luce GRANDEMANGE, Présidente
Madame Elisabeth MEHL-JUNGBLUTH, Conseillère
Madame Séverine TECHER, Vice-présidente placée
Greffier : Mme Eva TACNET, lors des débats
ARRET :
- contradictoire
- mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.
- signé par Madame Marie-Luce GRANDEMANGE, présidente et par Madame Eva TACNET, greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
RAPPEL DES FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
M. [D] [L] [Y] a été engagé par la société Crédit suisse suivant contrat de travail à durée indéterminée à compter du 5 février 2007, en qualité de chargé d'études dans le département marketing support au sein de la direction commerciale.
Entre le 1er août 2011 et le 13 janvier 2013, M. [L] [Y] a suivi une formation en Espagne et son contrat de travail a donc été suspendu.
Du 14 au 16 janvier 2013, il a été en arrêt de travail pour cause de maladie.
Le 22 janvier 2013, il a pris acte de la rupture de son contrat de travail.
La relation contractuelle était soumise à la convention collective nationale de la banque du 10 janvier 2000.
Considérant cette rupture imputable à son employeur, M. [L] [Y] a saisi le conseil de prud'hommes de [Localité 3] qui, par jugement rendu le 17 mars 2014, auquel la cour se réfère pour l'exposé de la procédure antérieure et des prétentions initiales des parties, l'a débouté de toutes ses demandes et condamné à payer à la société Crédit suisse les sommes de 11 640 euros au titre du dédit-formation, avec intérêts légaux à compter du 31 janvier 2013, 12 498 euros à titre de dommages et intérêts pour inexécution du préavis, avec intérêts au taux légal à compter du jugement, et 200 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens, l'employeur ayant été débouté du surplus de ses demandes.
Le 20 mai 2014, M. [L] [Y] a régulièrement interjeté appel de ce jugement.
Par conclusions déposées le 22 mai 2017, développées oralement et auxquelles il est expressément fait référence, M. [L] [Y] demande à la cour de dire que sa prise d'acte produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse et de condamner la société Crédit suisse à lui payer les sommes suivantes :
- 15 000 euros à titre de rappel de salaire sur bonus pour l'année 2011 et 1 500 euros au titre des congés payés y afférents,
- 5 680 euros à titre d'indemnité pour violation de l'obligation de réintégration,
- 56 800 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- 17 040 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis et 1 704 euros au titre des congés payés y afférents,
- 5 680 euros à titre d'indemnité légale de licenciement,
- et 3 000 euros au titre de ses frais irrépétibles,
ainsi qu'aux intérêts légaux et aux dépens.
Par conclusions déposées le 22 mai 2017, développées oralement et auxquelles il est expressément fait référence, la société Crédit suisse conclut à la confirmation du jugement sauf sur le quantum de la somme allouée au titre de l'article 700 du code de procédure civile et sur le rejet de sa demande de dommages et intérêts. Elle sollicite, sur ces chefs de demandes, respectivement, les sommes de 5 000 euros et 10 000 euros. Y ajoutant, elle réclame la condamnation de M. [L] [Y] au paiement d'une amende civile d'un montant de 10 000 euros, au remboursement de ses frais irrépétibles en cause d'appel pour la somme de 5 000 euros et aux dépens.
MOTIFS
Sur le bonus
M. [L] [Y] expose qu'il était expressément convenu avec son employeur que celui-ci lui verserait un bonus d'un montant de 15 000 euros pour son travail accompli en 2011 et règlerait 20 % de ses frais de scolarité pour sa formation prévue en Espagne. Il soutient que la société Crédit suisse n'a pas respecté ses obligations.
En ce qui concerne le règlement, par l'employeur, de la part lui revenant sur les frais de scolarité, expressément prévue par l'accord signé le 25 juillet 2011 par les parties, les pièces produites font apparaître qu'il a été effectué et que M. [L] [Y] a pu obtenir son diplôme, le retard accusé à cet égard, au demeurant non imputable exclusivement à la société Crédit suisse, n'ayant ainsi eu aucune incidence.
S'agissant de l'engagement de verser un bonus d'un montant de 15 000 euros pour le travail accompli par le salarié en 2011, M. [L] [Y] invoque des échanges oraux sur ce point qui sont corroborés par un courriel de la responsable du service des ressources humaines, Mme [G] [A], daté du 7 juillet 2011, ainsi que par les déclarations de deux de ses supérieurs hiérarchiques N+1, MM. [S] [M] et [U] [N].
Néanmoins, le courriel de Mme [A] est formulé sous forme interrogative et aucun élément ne permet d'établir, faute de précision des intéressés, les circonstances dans lesquelles MM. [K] et [N] auraient été témoins de l'engagement allégué, au demeurant contredit par M. [R] [C], supérieur hiérarchique N+2 de M. [L] [Y].
Ces échanges démontrent tout au plus l'existence de discussions préparatoires entre les parties mais nullement celle d'un engagement exprès et non équivoque de l'employeur qui, in fine, par écrit signé par le salarié lui-même, a proposé un bonus à sa seule discrétion.
En effet, l'accord signé le 25 juillet 2011 stipule :
'Votre contrat de travail sera suspendu du 1er août 2011 au 13 janvier 2013, et vous ne percevrez aucune rémunération pendant cette période, hormis un éventuel bonus discrétionnaire pour la période travaillée en 2011 qui serait payé en février 2012, au moment du versement du bonus à l'ensemble des collaborateurs'.
Dans ces conditions, M. [L] [Y] est mal fondé à réclamer un rappel de bonus au titre du travail accompli en 2011, qui ne lui était pas acquis même si, depuis son embauche, il a bénéficié chaque année d'un bonus dont le montant a varié.
C'est donc à bon droit que le jugement de première instance a rejeté sa demande en ce sens.
Sur la prise d'acte
M. [L] [Y] fait valoir que sa prise d'acte doit produire les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse dès lors qu'il n'a pas été payé de son bonus pour l'année 2011 et que l'employeur n'a pas respecté son obligation de réintégration sur son poste de travail.
En cas de prise d'acte de la rupture du contrat de travail par le salarié, cette rupture produit, soit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, si les faits invoqués empêchaient la poursuite du contrat de travail, soit, dans le cas contraire, les effets d'une démission.
Il appartient au salarié d'établir les faits qu'il allègue à l'encontre de l'employeur.
Compte tenu des développements qui précèdent sur le non-paiement du bonus au titre de l'année 2011, ce moyen ne peut fonder une requalification de la prise d'acte en faveur du salarié.
En ce qui concerne l'obligation de réintégration invoquée, la cour observe que M. [L] [Y] n'était, dans le cadre de la suspension de son contrat de travail, ni expatrié, ni, s'agissant des situations de congés non rémunérés pouvant lui être appliquées, en congé sabbatique que l'article L. 3142-91 du code du travail fixe à une durée maximale de onze mois.
Les obligations incombant à l'employeur dans ces hypothèses ne s'appliquent pas au cas d'espèce contrairement à ce que soutient M. [L] [Y].
Il devait uniquement à tout le moins retrouver son poste de travail à l'issue de la suspension de son contrat de travail.
Des échanges ont eu lieu entre les parties à la fin de l'année 2012, pour savoir si M. [L] [Y] souhaitait évoluer dans le groupe, mais n'ont pas abouti en ce sens.
Aucune conséquence ne peut en être tirée, étant relevé qu'aucun élément du dossier n'établit objectivement que le seul poste proposé dans le cadre de ces échanges n'était pas au niveau de compétences et de responsabilités de M. [L] [Y].
Par lettre du 10 janvier 2013, la société Crédit suisse a précisé, sur demande de l'intéressé et de son conseil, qu'il était attendu le 14 janvier suivant 'dans le département qui (l')employait avant (son) départ'.
M. [L] [Y] ne s'est jamais présenté dans ledit département ni, a fortiori, sur le poste de travail qu'il occupait avant la suspension de son contrat de travail puisqu'il a été en arrêt de travail entre les 14 et 16 janvier 2013 et a pris acte de la rupture de son contrat de travail par lettre du 22 janvier 2013 alors que, par lettre datée du même jour, son employeur lui indiquait s'étonner de son absence sans justificatif depuis le 17 janvier.
Bien que le poste qu'il occupait avant la suspension de son contrat de travail ait été occupé, pendant et au-delà de ladite suspension, par une autre salariée, Mme [X] [I], la cour constate que, ne s'étant pas présenté sur son lieu de travail, il ne s'est physiquement à aucun moment trouvé dans l'impossibilité de reprendre ledit poste ou un poste équivalent, rien n'interdisant à la société Crédit suisse de créer un second poste pour tenir compte de la situation.
Dans ces conditions, il ne rapporte pas la preuve qui lui incombe d'un manquement de son employeur qui aurait empêché la poursuite du contrat de travail.
Sa prise d'acte produisant les effets d'une démission et non ceux d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, le jugement entrepris est donc confirmé en son rejet de toutes les demandes présentées par le salarié.
Sur les demandes reconventionnelles
Au titre de la clause de dédit-formation
La société Crédit suisse sollicite l'application de la clause de dédit-formation acceptée par le salarié lors de son départ en formation.
L'accord signé par les parties le 25 juillet 2011 stipule notamment :
'Suite à nos différents échanges, nous avons convenu que Crédit Suisse financerait 20 % du coût de cette formation, soit 11 640 €.
Compte tenu du coût élevé de cette formation pour la Société, des frais qu'elle entraîne et de sa durée (13 mois) qui excèdent largement les obligations mises à la charge de la société par la loi, la mise en 'uvre de cette clause n'est justifiée que par votre maintien dans la société de manière durable.
Vous vous engagez donc à demeurer au sein de la Société pendant une durée de deux ans à compter du 14 janvier 2013.
Au cas où vous seriez amené à quitter la Société pendant cette période de votre propre initiative, vous serez tenu de rembourser à la société les frais engagés pour votre formation, selon les modalités suivantes :
- 100 % de la somme totale si vous quittiez l'entreprise avant le 30 juin 2013 (...)'.
La prise d'acte ayant été requalifiée en démission, M. [L] [Y], qui a quitté l'entreprise le 22 janvier 2013, est donc tenu de rembourser à la société Crédit suisse la somme totale de 11 640 euros en application de la clause de dédit-formation.
Au titre du préavis non effectué
La convention collective applicable prévoit un préavis de trois mois pour les cadres.
La rémunération mensuelle brute moyenne de M. [L] [Y] était, sur les douze derniers mois travaillés, de 5 680,39 euros, sur les trois derniers mois travaillés, de 5 862,32 euros.
M. [L] [Y] n'ayant pas effectué de préavis avant de quitter la société Crédit suisse, il y a lieu de le condamner à payer à cette dernière la somme de 12 498 euros de ce chef, la condamnation prononcée par le conseil de prud'hommes, dans la limite des prétentions émises, étant ainsi confirmée.
Au titre des dommages et intérêts pour préjudice moral
La société Crédit suisse invoque une atteinte à son image et à la confidentialité de ses données du fait des agissements de M. [L] [Y].
Néanmoins, elle ne verse au débat aucune pièce sur le préjudice subi.
Elle est donc déboutée de sa demande d'indemnisation de ces chefs, comme l'ont fait à juste titre les premiers juges.
Au titre d'une amende civile
La société Crédit suisse soutient que M. [L] [Y] a introduit la présente procédure, qui ne repose sur aucun élément sérieux mais sur des allégations mensongères ou gratuites, à seule fin de se soustraire à ses obligations.
Aux termes de l'article 32-1 du code de procédure civile, celui qui agit en justice de manière dilatoire ou abusive peut être condamné à une amende civile d'un maximum de 10 000 euros, sans préjudice des dommages et intérêts qui seraient réclamés.
En l'espèce, la société Crédit suisse se borne à soutenir que la procédure est abusive, sans établir que l'appelant a agi de mauvaise foi.
Aucune amende civile n'est donc due par ce dernier.
La demande nouvelle en cause d'appel de ce chef est rejetée.
Sur les autres demandes
M. [L] [Y], partie appelante, succombant principalement à l'instance, il est justifié de le condamner aux dépens d'appel et de le condamner à payer à la société Crédit suisse, en cause d'appel, la somme de 1 000 euros au titre des frais irrépétibles dont il serait inéquitable de lui laisser la charge, la somme allouée en première instance de ce chef étant confirmée.
M. [L] [Y] est pour sa part débouté de sa demande d'indemnisation en application de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
LA COUR,
CONFIRME le jugement déféré en toutes ses dispositions,
Ajoutant,
CONDAMNE M. [L] [Y] à payer à la société Crédit suisse, en cause d'appel, la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
REJETTE toute autre demande,
CONDAMNE M. [L] [Y] aux dépens d'appel.
LE GREFFIER LA PRÉSIDENTE