RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 12
ARRÊT DU 15 Juin 2017
(n° , pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : S 15/12099
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 05 Novembre 2015 par le Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale d'EVRY RG n° 14-00517
APPELANT
Monsieur [E] [P]
Né le [Date naissance 1]
[Adresse 1]
[Adresse 2]
comparant en personne, assisté de Me Jean-Michel SCHARR, avocat au barreau de l'ESSONNE substitué par Me Carole VANDERLYNDEN, avocat au barreau de l'ESSONNE, avocat du même Cabinet.
INTIMEES
Organisme CPAM
[Adresse 3]
[Adresse 4]
représentée par Me Florence KATO, avocat au barreau de PARIS, toque : D1901
Société AIR FRANCE INDUSTRIES
[Adresse 5]
[Adresse 6]
non comparante
Monsieur le Ministre chargé de la sécurité sociale
[Adresse 7]
[Adresse 8]
avisé - non comparant
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 17 Mars 2017, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Mme Chantal IHUELLOU-LEVASSORT, Conseiller, chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Monsieur Luc LEBLANC, Conseiller, faisant fonction de Président,
Madame Chantal IHUELLOU-LEVASSORT, Conseiller
Madame Marie-Odile FABRE-DEVILLERS, Conseiller
Greffier : Mme Anne-Charlotte COS, lors des débats
ARRET :
- contradictoire
- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Monsieur Luc LEBLANC, Conseiller, faisant fonction de Président,
et par Mme Anne-Charlotte COS, greffier présent lors du prononcé, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
La cour statue sur l'appel régulièrement interjeté par M. [P] à l'encontre du jugement rendu parle tribunal des affaires de sécurité sociale d'Evry en date du 5 novembre 2015 dans un litige l'opposant à la société Air France Industrie et à la Caisse primaire d'assurances maladie de l'Essonne.
EXPOSE DU LITIGE
M. [P], mécanicien avion de la Société Air France Industrie depuis 2005, a été victime d'un accident le 19 décembre 2011, reconnu accident du travail par la Caisse primaire d'assurance maladie de l'Essonne le 9 janvier 2012. ' Il a reçu le mécanisme de maintien d'une bouteille d'oxygène dans l'oeil droit.'. Consolidé en 2012, il lui a été attribué un taux d'incapacité permanente partielle de 30 %. Après avoir engagé une procédure de reconnaissance de faute inexcusable contre son employeur devant la caisse, il a saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale d'Evry le 9 octobre 2012 aux mêmes fins.
Par jugement rendu le 5 novembre 2015 , ce tribunal a :
- rejeté la demande de renvoi de la société Air France Industries,
- déclaré irrecevables les notes en délibéré adressées au Tribunal,
- déclaré le recours de M. [P] recevable mais mal fondé,
- débouté M. [P] de l'intégralité de ses demandes.
Aux termes de ses conclusions déposées et soutenues oralement à l'audience par son conseil, M.[P] demande à la cour de :
- le dire recevable et bien fondé en son appel,
- infirmer le jugement entrepris en tous points,
Ce faisant,
- dire que la société Air France Industrie a commis une faute inexcusable à l'origine de son accident,
- avant dire droit, ordonner une expertise médicale complète pour connaître l'étendue de ses préjudices,
- lui allouer une provision de 30 000 €,
- réserver l'article 700 du CPC.
Aux termes de ses conclusions déposées et soutenues oralement à l'audience par son conseil, la société Air France Industrie requiert de la cour de :
- constater que le dispositif mis en oeuvre est livré d'usine par le constructeur de l'avion,
- constater qu'aucun accident autre que l'incident minime n'a été provoqué par ce dispositif,
- dire et juger qu'on ne peut lui reprocher de ne pas avoir généré une alerte en urgence pour l'accident mineur du 6 décembre 2011,
- constater qu'elle a régulièrement attiré l'attention de ses salariés sur la nécessité d'utiliser des EPI et particulièrement, les lunettes de protection,
- constater que si les lunettes de protection avaient été utilisées par M. [P], le déverrouillage n'aurait eu aucune conséquence,
- dire et juger qu'il ne prouve pas qu'elle avait ou aurait dû avoir conscience du risque encouru et n'a pas pris les mesures utiles pour préserver son personnel de ce risque,
Très subsidiairement,
- lui donner acte de ce qu'elle s'en rapporte à justice sur la demande d'expertise,
- limiter la mission de l'expert,
- modérer le montant de la provision,
- modérer le montant de l'indemnité au titre de l'article 700 du CPC.
Aux termes de ses observations soutenues oralement à l'audience par son représentant, la Caisse primaire d'assurance maladie l'Essonne sollicite de la cour de voir :
- statuer ce que de droit sur les mérites de l'appel interjeté en ce qui concerne la faute inexcusable,
Dans l'hypotèse où la cour retiendrait la faute inexcusable,
- réduire les préjudices sollicités.
SUR CE, LA COUR,
Il ne sera pas répondu aux demandes de constatations ou de « dire et juger » qui ne saisissent pas la cour de prétentions au sens de l'article 954 du code de procédure civile.
M. [P] sollicite la reconnaissance d'une faute inexcusable de son employeur, expliquant que :
- un incident identique au sein s'était produit le 6 décembre 2011, le collier à ressort d'une bouteille d'oxygène ayant tapé sur le dessus de la main de M. [T], sans que l'employeur relaie cette information,
- l'entreprise Air France Industrie était tenue d'une obligation de sécurité de résultat envers lui,
- l'accident a été causé par un manquement à l'obligation de sécurité car l'employeur informé le 6 décembre 2011 de la dangerosité du produit aurait dû en protéger ses salariés comme il l'a fait après le 19,
- sa faute consiste dans le défaut d'information de la dangerosité du matériel dont elle connaissait la réalité,
- les lunettes de protection préconisées pour tous les travaux de projection de liquide n'auraient pas résister à la force avec laquelle le collier l'a frappé au visage,
- la société ne l'a d'ailleurs pas préconisé après son accident.
Au contraire, La Société Air France Industrie s'oppose à la reconnaissance d'une faute inexcusable, faisant valoir que :
- il appartient au salarié de rapporter la preuve de ce que l'employeur avait ou aurait dû conscience du danger et n'a pas pris les mesures pour l'en préserver,
- M. [P] avait 6 ans d'ancienneté le jour de l'accident et effectuait une opération courante,
- le dispositif sur lequel s'est produit l'accident a été conçu par la société Boeing dont les règles de sécurité sont très strictes,
- l'incident du 6 décembre 2011 a provoqué une légère contusion de la main et ne justifiait pas d'une alerte de l'employeur, s'agissant d'un incident minime,
- alors que de très nombreuses compagnies utilisent des appareils avec le même dispositif depuis de nombreuses années, seuls ces deux incidents se sont produits et ont conduit la société Boeing à préconiser de reprendre tous les réglages de tension pour ensuite modifier le dispositif,
- il fallait que la société imagine que M. [P] mettrait son visage au contact d'un ressort dont la caractéristique est de se détendre,
- s'il avait porté les lunettes de protection mises à sa disposition, le déverrouillage du ressort n'aurait eu aucune conséquence,
- des alertes sont régulièrement émises sur la nécessité de porter des équipements de sécurité.
Quant à la caisse, elle s'en rapporte sur ce point.
En vertu du contrat de travail le liant à son salarié, l'employeur est tenu envers lui d'une obligation de sécurité de résultat, et le manquement à cette obligation a le caractère d'une faute inexcusable au sens de l'article L. 452-1 du code de sécurité sociale, lorsque l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver ;
Il est indifférent que la faute inexcusable commise par l'employeur ait été la cause déterminante de l'accident survenu au salarié mais il suffit qu'elle en soit une cause nécessaire pour que la responsabilité de l'employeur soit engagée, alors même que d'autres fautes auraient concouru au dommage.
A ce stade, la faute de la victime n'a pas pour effet d'exonérer l'employeur de la responsabilité qu'il encourt en raison de sa faute inexcusable.
En l'espèce, du rapport d'événement établi, il ressort que l'accident est survenu le 19 décembre 2011 vers 1 h 50 et que M. [P] a déclaré 'avoir reçu le mécanisme de maintien de la bouteille oxygène dans l'oeil droit, au moment de placer la goupille de verrouillage, le ressort de maintien de la sangle s'est brusquement détendu.' Le certificat médical initial du 19/12/2011 constatait 'une plaie du globe oculaire droit'.
Les conclusions de la commission d'enquête comme l'audition de M. [P] devant les services de gendarmerie permettent de préciser qu'il lui restait à fermer le collier et à installer la goupille de blocage, que la zone d'intervention étant sombre et sans éclairage, il a porté sa lampe frontale pour éclairer la zone du collier, s'en est approché pour vérifier l'emplacement du trou de goupillage quand le collier s'est ouvert violemment.
Il ressort aussi des pièces versées aux débats que le 6 décembre 2011, soit 11 jours auparavant, M. [T] avait eu une contusion de la main droite en remplaçant une bouteille d'oxygène, quand le collier à ressort de celle-ci a tapé sur le dessus de sa main droite.
S'il n'est pas contesté que cette lésion n'a pas fait l'objet d'une information diffusée par la société Air France Industrie à ses salariés, contrairement à ce qui s'est passé après l'accident de M. [P], il convient de relever que le caractère bénin de la lésion n'en faisait pas une obligation d'autant qu'aucun autre incident plus ancien n'avait été signalé sur ce dispositif.
Parallèlement, dans ses flashs sécurité de mai 2007, décembre 2010 et juin 2011, la société rappelait à ses salariés l'importance des équipements de protection individuelle, lunettes, gants et casquettes, comptabilisant les accidents de travail imputables à leur absence, les deux derniers étant spécifiques aux accidents aux yeux, précisant : Vos yeux sont précieux, protégez-les ! Des lunettes et des masques de protection sont à votre disposition et vous sont fortement recommandés pour tous les travaux mettant en danger la sécurité de vos yeux.
En conséquence, il n'est pas établi qu'antérieurement à l'accident de M. [P], l'employeur a eu conscience ou aurait dû avoir conscience d'un danger encouru par ses salariés quant au remplacement des bouteilles d'oxygène et à la manutention des colliers. La faute inexcusable ne peut donc être reconnue et le jugement entrepris sera confirmé en toutes ses dispositions.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Confirme le jugement entrepris,
Y ajoutant,
Fixe le droit d'appel prévu par l'article R 144-10 alinéa 2 du code de la sécurité sociale à la charge de l'appelante qui succombe au 10ème du montant mensuel du plafond prévu à l'article L241-3 du code de la sécurité sociale et condamne M. [P] au paiement de ce droit ainsi fixé à la somme de 326,90 €.
Le Greffier, Le Président,