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31/05/2017 | FRANCE | N°15/10762

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 9, 31 mai 2017, 15/10762


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 9



ARRÊT DU 31 Mai 2017



(n° , 9 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : S 15/10762



Décision déférée à la cour : jugement rendu le 15 septembre 2015 par le conseil de prud'hommes de PARIS - section encadrement - RG n° F 13/12092





APPELANTE

Madame [Q] [R]

née le [Date naissance 1] 1960 à [Localité 1]

[Adresse 1]

[Localité 2]

repr

ésentée par Me Bertrand COURTEAUD, avocat au barreau de PARIS, D0987 substitué par Me Sophie BARBERO





INTIMEE

SAS FACONNABLE

[Adresse 2]

[Localité 3]

représentée par Me Luc ALEMANY, avo...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 9

ARRÊT DU 31 Mai 2017

(n° , 9 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : S 15/10762

Décision déférée à la cour : jugement rendu le 15 septembre 2015 par le conseil de prud'hommes de PARIS - section encadrement - RG n° F 13/12092

APPELANTE

Madame [Q] [R]

née le [Date naissance 1] 1960 à [Localité 1]

[Adresse 1]

[Localité 2]

représentée par Me Bertrand COURTEAUD, avocat au barreau de PARIS, D0987 substitué par Me Sophie BARBERO

INTIMEE

SAS FACONNABLE

[Adresse 2]

[Localité 3]

représentée par Me Luc ALEMANY, avocat au barreau de MARSEILLE, substitué par Me RIVAT

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 945-1 du Code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 20 février 2017, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Laure TOUTENU, vice-présidente placée, chargée d'instruire l'affaire.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Catherine SOMMÉ, présidente

Monsieur Benoit HOLLEAUX, conseiller

Madame Laure TOUTENU, vice-présidente placée

qui en ont délibéré

Greffière : Madame FOULON, lors des débats

ARRÊT :

- contradictoire

- prononcé par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Madame Catherine SOMMÉ, présidente et par Madame Marion AUGER, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Mme [Q] [R] a été engagée par la société Façonnable, pour une durée indéterminée à compter du 1er février 1985, en qualité de vendeuse sans contrat de travail écrit.

En dernier lieu, elle occupait le poste de responsable des ventes et bénéficiait d'une classification cadre, niveau IV, échelon 3 au sein de la boutique située [Adresse 3].

La relation de travail était par la convention collective de l'industrie de l'habillement.

La société Façonnable emploie plus de dix salariés à la date de la rupture.

Le 15 novembre 2012, la société Façonnable a procédé à une information consultation du comité d'entreprise sur un projet de licenciement économique collectif.

Par lettre du 20 septembre 2012, elle a fait part à Mme [R] d'une proposition de modification de son contrat de travail en raison de l'absence de reconduction par le bailleur des locaux de la boutique où elle était affectée, en lui proposant un poste de responsable de boutique Outlet, niveau IV, échelon 3, statut cadre au sein de la boutique Mac Arthur Glen France Façonnable, située [Adresse 4].

Le 30 octobre 2012, Mme [R] a refusé cette proposition.

Par lettre du 16 novembre 2012, Mme [R] était convoquée pour le 29 novembre 2012 à un entretien préalable à son licenciement, lequel lui a été notifié le 24 décembre 2012 suivant pour motif économique.

Le 1er août 2013, Mme [R] a saisi le conseil de prud'hommes de Paris. Elle a formé des demandes en paiement à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et de dommages et intérêts pour non respect de la priorité de réembauchage, avec exécution provisoire.

Par jugement du 15 septembre 2015 notifié le 9 octobre 2015, le conseil de prud'hommes de Paris a débouté Mme [R] de l'ensemble de ses demandes, a débouté la société Façonnable de sa demande reconventionnelle et a condamné Mme [R] aux dépens.

Mme [R] a interjeté appel de cette décision le 2 novembre 2015.

Aux termes de ses écritures visées par le greffier et soutenues oralement le 20 février 2017, Mme [R] demande à la cour d'infirmer le jugement et de :

- dire que son licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse

- condamner la société Façonnable à lui payer les sommes suivantes :

'109 045,04 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

'100 000 € à titre de dommages et intérêts pour non-respect de la priorité de réembauchage

'3 000 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

La société Façonnable reprend les termes de ses conclusions visées par le greffier et demande la confirmation du jugement, le rejet de l'ensemble des demandes de Mme [R], outre sa condamnation à lui verser une indemnité de 1 500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

En application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des prétentions des parties, la cour se réfère à leurs dernières conclusions visées par le greffier et développées lors de l'audience des débats.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur le licenciement

La lettre de licenciement, qui fixe les limites du litige en applications des dispositions de l'article L 1233-16 du code du travail, est libellée comme suit :

" [...] Ce licenciement pour motif économique repose sur les motifs suivants :

Notre société a enregistré des pertes comptables en 2010 et 2011 mais également depuis le début de l'année 2012. Ces pertes économiques sont malheureusement le reflet de la baisse d'activité qui touche notre secteur d'activité puisque ceci est général.

Face à ces difficultés économiques, notre société tente de faire face, notamment par un dynamisme créatif dans les collections qu'elle propose pour se démarquer de ses concurrents et pour attirer la clientèle, ainsi que dans ses actions commerciales.

Parallèlement à ces efforts, nous rencontrons également des restructurations de notre réseau de distribution.

Sur ce dernier point, c'est essentiellement la boutique sise à [Adresse 3] qui est concernée, dans la mesure où le bailleur des locaux ne reconduit pas le bail qui nous liait à lui.

Ainsi, le 21 décembre 2012, nous ne pourrons plus exploiter notre activité à cette adresse.

Compte tenu de cette situation, nous étions tenus de réagir pour d'une part assurer une poursuite de l'activité des salariés qui étaient affectés à cette boutique dont vous faisiez partie, et d'autre part pour éviter que la société ne connaisse d'autres difficultés économiques.

Ainsi, le 21 décembre 2012, nous ne pourrons plus exploiter notre activité à cette adresse.

Compte tenu de cette situation, nous étions tenus de réagir pour d'une part assurer une poursuite de l'activité des salariés qui étaient affectés à cette boutique dont vous faisiez partie et, d'autre part pour éviter que la société ne connaisse d'autres difficultés économiques.

En effet, ne rien faire, reviendrait à maintenir votre contrat de travail sans que vous puissiez exercer votre activité, puisque notre société n'aura plus de locaux à cette adresse parisienne et donc, en contrepartie du coût salarial que représente votre poste, il n'y aurait pas de recette économique en raison de l'impossibilité d'exercer votre emploi.

Cette situation aggraverait notre situation économique délicate, contreviendrait à notre obligation d'employeur de vous donner du travail et fragiliserait notre compétitivité car les coûts des emplois qui ne seraient pas équilibrés par des recettes économiques devraient trouver une compensation ailleurs, comme dans la hausse des prix. Laquelle hausse n'est pas envisageable actuellement eu égard à la concurrence de notre secteur d'activité sur ce point aussi.

Par conséquent, pour sauvegarder notre compétitivité et pour prévenir et répondre à des difficultés économiques renforcées, nous vous avons adressé un courrier vous proposant une modification de votre affectation sur une autre boutique de la société, située en France métropolitaine.

Toutefois, vous avez préféré refuser cette proposition.

Par conséquent, pour prévenir toute difficulté économique et pour sauvegarder la compétitivité de la société, nous avons été contraints d'engager à votre encontre une procédure de licenciement pour motif économique.

Nous avons ainsi tout mis en oeuvre pour rechercher des postes de reclassement disponibles, tant au sein de notre société, qu'au sein des filiales du groupe auquel nous appartenons.

Ainsi, au cours de votre entretien préalable vous ont été proposés des postes de reclassement disponibles, et ce conformément à vos qualifications professionnelles.

Là encore, vous n'avez pas donné suite à nos propositions de reclassement.

Dès lors, nous sommes contraints de poursuivre la procédure de licenciement mise en oeuvre, puisqu'aucune autre solution de reclassement ne se dégage.

En conséquence, consécutivement à votre refus de modification contractuelle nécessitée par des motifs économiques et faute de pouvoir vous reclasser, tant au sein de notre société qu'au sein du groupe auquel nous appartenons, vous licenciement est inévitable [...]"

Aux termes de l'article L. 1233-3 du code du travail, constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d'une suppression ou transformation d'emploi ou d'une modification substantielle du contrat de travail consécutives notamment à des difficultés économiques ou à des mutations technologiques, à une réorganisation de l'entreprise ou, dans certaines conditions, à une cessation d'activité et à la nécessité de sauvegarder la compétitivité ou celle du secteur d'activité du groupe auquel l'entreprise appartient.

En l'espèce, dans la lettre de licenciement l'employeur invoque les difficultés économiques et la nécessité de la réorganisation de l'entreprise en vue de sauvegarder sa compétitivité et invoque le refus de la proposition de modification de poste par la salariée.

1. Sur la cause économique

Mme [R] affirme que la boutique dans laquelle elle travaillait réalisait le premier chiffre d'affaires de toutes les boutiques en Europe, que les difficultés économiques alléguées ne sont pas avérées au vu également des dépenses de sponsoring et publicité. Mme [R] soutient que l'employeur et le bailleur n'ont pas trouvé d'accord pour le renouvellement du bail, que la dénonciation du bail a été connue de l'employeur dès mi 2011, qu'il avait toute latitude pour prévenir les salariés et les reclasser. Mme [R] fait valoir que si l'employeur avait trouvé un accord, le magasin serait toujours ouvert, qu'en outre, un poste de responsable de boutique a été offert à une nouvelle recrue en décembre 2011 alors que ce poste lui aurait parfaitement convenu, qu'enfin, une indemnité d'éviction conséquente a dû être perçue. Mme [R] précise avoir refusé la proposition de modification de son poste au motif qu'elle ne pouvait déménager dans l'Aube, son époux travaillant en région parisienne.

La société Façonnable soutient qu'elle est la seule filiale du groupe spécialisée en matière d'industrie de l'habillement, qu'ainsi le cadre d'appréciation des licenciements économiques doit être fixé à cette unique entreprise.

La société Façonnable expose que ses comptes font apparaître des pertes comptables au titre des exercices 2010 et 2011 indépendamment du chiffre d'affaires généré et que le seul versement de l'indemnité d'éviction résultant du non renouvellement du bail commercial de la boutique litigieuse ne peut résoudre ces difficultés économiques, que le groupe présente également des pertes comptables importantes. La société Façonnable ajoute qu'il n'était pas possible de conclure un nouveau bail commercial dans le même secteur compte tenu du montant des loyers, qu'elle ne pouvait maintenir le contrat de travail de la salariée sans lui proposer d'activité, ce qui aurait accru les difficultés économiques de la société, que cette situation aurait fragilisé la compétitivité de l'entreprise dans la mesure où les emplois n'auraient pas été équilibrés par des recettes et ne pouvaient être compensés par une hausse des prix. La société Façonnable précise que la salariée a refusé une proposition de responsable de boutique près de [Localité 4].

La cause économique d'un licenciement s'apprécie au niveau de l'entreprise ou, si celle-ci fait partie d'un groupe, au niveau du secteur d'activité du groupe dans lequel elle intervient. Le périmètre du groupe à prendre en considération à cet effet est l'ensemble des entreprises unies par le contrôle ou l'influence d'une entreprise dominante dans les conditions définies à l'article L. 2331-1 du code du travail, sans qu'il y ait lieu de réduire le groupe aux entreprises situées sur le territoire national.

En l'espèce, la société Façonnable a pour activité principale l'industrie de l'habillement, aucune autre société du groupe n'exerçant dans ce secteur d'activité, ce que Mme [R] ne conteste pas. Le périmètre d'appréciation du motif économique se situe au niveau de la seule entreprise Façonnable, le motif devant être analysé au moment où le licenciement est envisagé.

En l'espèce, l'employeur doit démontrer que les mesures de réorganisation ont été décidées dans le but exclusif d'assurer la compétitivité du secteur d'activité et que cette compétitivité était menacée au sein du secteur d'activité du groupe.

L'analyse des bilans et comptes de résultats de la laisse fiscale de l'entreprise Façonnable montre un chiffre d'affaires net dynamique à 42,4 M€ en 2010 et 49,5 M€ en 2011, mais une augmentation des pertes d'exploitation de -31,3M€ en 2010 à -31,7M€ en 2011 en raison de charges d'exploitations conséquentes et de dotations aux provisions significatives en 2011 (9,8 M€), d'un résultat financier négatif, d'un résultat exceptionnel reflétant des dotations exceptionnelles aux amortissements et provisions en 2011 (2,4 M€), les pertes atteignant -33,4 M€ en 2010 et -39,6 M€ en 2011.

Il est constant que la boutique [Adresse 3] a subi le non-renouvellement de son bail commercial, qu'à fin 2012, la boutique devait être fermée et que la salariée qui était affectée sur cette boutique voyait son poste supprimé du fait de cette fermeture.

Au vu de sa marge d'exploitation déficitaire, la société Façonnable ne pouvait absorber la perte du chiffre d'affaires généré par sa plus grande boutique en terme de chiffre d'affaires, tout en conservant le coût de la masse salariale affecté à cette boutique à sa charge, sans que cette masse salariale soit génératrice de chiffres d'affaires ou de produits pour la société. Le versement d'une indemnité d'éviction à titre exceptionnel et ponctuel, ne permet pas davantage d'absorber les coûts salariaux sur le long terme.

Au vu de ces éléments, les difficultés économiques de la société Façonnable, qui a connu des pertes sur deux années en 2010 et en 2011, ainsi que la réorganisation en vue de sauvegarder sa compétitivité sont justifiées par la menace résultant de la fermeture de la boutique Faubourg Saint Honore et d'une structure de coûts déséquilibrée.

2. Sur l'obligation de reclassement

Mme [R] déclare qu'elle a légitimement refusé la modification de son poste car son époux travaille en région parisienne et que sans déménagement, cela représentait plus de quatre heures de trajet quotidien. Mme [R] ajoute que la liste des postes remise le 29 novembre 2012 comprenait seulement deux emplois similaires sur le territoire français, celui déjà refusé, et un poste à [Localité 5] encore plus éloigné et inenvisageable, ainsi que deux postes de responsable de boutique en Espagne et en Belgique et que la liste de postes remise le 3 décembre 2012 comprenait les postes déjà communiqués. Mme [R] conclut que l'employeur n'a pas procédé à une recherche de reclassement de façon loyale, sérieuse et personnalisée alors que le groupe possède plusieurs marques de prêt à porter de luxe.

La société Façonnable fait valoir qu'un nombre important de propositions de reclassement ont été communiquées à la salariée, qui a fait savoir qu'elle n'accepterait qu'un poste situé dans le département de Paris. La société Façonnable précise avoir communiqué à la salariée, le 29 novembre 2012, une liste de postes à pourvoir au sein de la société mais aussi des filiales du groupe, puis lui avoir fait connaître la disponibilité de deux nouveaux postes, qu'elle a fait des efforts importants pour tenter de la reclasser en vain. La société Façonnable ajoute que l'obligation de reclassement ne naît qu'au moment où est envisagée la procédure de licenciement, qu'il ne peut lui être reproché d'avoir tardé à mettre en oeuvre la procédure de reclassement.

Le licenciement pour motif économique d'un salarié ne peut intervenir que si son reclassement dans l'entreprise, et le cas échéant dans le groupe auquel appartient l'entreprise n'est pas possible. Les possibilités de reclassements doivent être recherchées à l'intérieur du groupe, parmi les entreprises dont les activités, l'organisation ou le lieu d'exploitation leur permettent d'effectuer la permutation de tout ou partie du personnel.

Aucune forme n'est requise par la loi ou la convention collective pour interroger les sociétés appartenant à un groupe en vue du reclassement d'un salarié dont le licenciement est envisagé. Les propositions de reclassement doivent être précises et individualisées.

En l'espèce, la société Façonnable a proposé une modification du contrat de travail de la salariée par son affectation sur un poste de responsable de boutique près de [Localité 4], proposition refusée par celle-ci en raison de l'impossibilité d'effectuer des trajets quotidiens d'environ quatre heures, mais également de déménager du fait de l'emploi de son époux situé en région parisienne.

Il ne peut être tenu rigueur à l'employeur de ne pas avoir proposé un poste de responsable de boutique située [Adresse 5] en décembre 2011, ayant nécessité un recrutement extérieur, alors que l'obligation de reclassement s'apprécie à partir du moment où le licenciement est envisagé, c'est à dire dans une période proche de la convocation à l'entretien préalable au licenciement envoyée le 16 novembre 2012, soit près d'un an après le recrutement litigieux.

La société Façonnable produit une liste de différents postes à pourvoir au sein du groupe et de la maison mère, remise à la salariée le 29 novembre 2012.

Cependant cette liste comprend des postes sans rapport avec celui occupé par Mme [R], tel que femme de ménage, retoucheur, démonstrateur, assistant planning, ou avec un salaire et un niveau de responsabilité inférieurs au poste de Mme [R] tel que vendeur.

La société Façonnable a complété cette liste le 3 décembre 2012 par une liste de trois postes à l'étranger, lesquels figuraient cependant déjà sur la liste précédente.

Or, le 25 novembre 2012, Mme [R] avait précisé, en réponse à un questionnaire permettant d'étudier les possibilités de reclassement, que sa mobilité géographique n'incluait pas l'étranger, mais était limitée à la région Ile de France et au département de Haute Savoie, ainsi que son acceptation d'un emploi à temps partiel, d'un changement de métier ou de suivi d'une formation.

Il s'en déduit que l'employeur, en n'individualisant pas les offres de reclassement faites à la salariée qui avait refusé la proposition de modification de poste pour des motifs légitimes et avait répondu au questionnaire permettant d'individualiser les offres en fonction de son profil et de sa mobilité géographique et fonctionnelle, a manqué de sérieux dans l'exécution de son obligation de reclassement.

La rupture du contrat de travail produit dès lors les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, contrairement à ce qu'a retenu le conseil de prud'hommes dont la décision sera infirmée.

La salariée qui avait au moins deux ans d'ancienneté dans la société qui employait au moins onze salariés au moment de la rupture de son contrat de travail peut prétendre, en application de l'article L. 1235-3 du code du travail, à une indemnité qui ne peut être inférieure au montant des salaires bruts qu'elle a perçus pendant les six derniers mois précédant la rupture du contrat de travail.

Mme [R] justifie avoir recherché du travail, et n'avoir retrouvé un emploi qu'à compter du 17 novembre 2015 en qualité de responsable de boutique pour la société La Maille Souple pour un salaire moins élevé de 2 400 € mensuels, outre des primes d'objectifs.

Au vu du salaire mensuel brut moyen de la salariée de 4 026 €, de son ancienneté de plus de 27 ans, de son âge de 52 ans au moment de la rupture, il y a lieu de lui allouer une somme de 80 500 € à titre de dommages et intérêts pour rupture sans cause réelle et sérieuse.

Sur le non- respect de la priorité de réembauche

Mme [R] soutient qu'elle aurait dû bénéficier de la priorité pour être recrutée au poste de responsable de magasin [Adresse 5], à la suite de la démission de la responsable à effet du 31 mai 2013, que contrairement aux allégations adverses elle avait parfaitement le niveau et pouvait perfectionner son anglais à cet escient. Mme [R] indique qu'elle aurait également dû bénéficier de la priorité sur le poste de responsable de boutique située à [Localité 6] (78) alors qu'elle a appris le 28 mars 2013 que la société procédait à un recrutement. Elle ajoute qu'elle a le sentiment d'avoir été victime d'une discrimination lors de la priorité de réembauche.

La société Façonnable fait valoir qu'après le 25 avril 2013, elle n'avait pas d'obligation de proposer à Mme [R] la liste des postes disponibles, mais qu'elle a tout de même examiné sa candidature sur la boutique [Adresse 5], qu'elle a cependant informé la salariée que sa candidature n'était pas retenue au motif que son niveau d'anglais était insuffisant et qu'elle ne disposait d'aucune expérience en qualité de responsable de boutique. La société Façonnable indique par ailleurs qu'après avoir reçu la lettre de la salariée en date du 15 mai 2013 par laquelle elle souhaitait bénéficier de la priorité de réembauche, elle a demandé à Mme [R] de lui préciser si elle entendait faire valoir cette priorité sur tous les postes disponibles ou uniquement sur celui de responsable de la boutique de [Adresse 5], que compte tenu de la réponse laconique de la salariée en date du 9 juin 2013, la société Façonnable en a déduit que la salariée ne souhaitait bénéficier de sa priorité de réembauche uniquement sur le poste de responsable de la boutique [Adresse 5], de sorte qu'il ne peut être reproché à l'employeur de ne pas lui avoir proposé le poste de responsable de la boutique de [Localité 6].

Conformément aux dispositions de l'article L. 1233-45 du code du travail, le salarié licencié pour motif économique bénéficie d'une priorité de réembauchage durant un délai d'un an à compter de la date de rupture de son contrat s'il en fait la demande au cours de ce même délai.

L'article L. 1233-42 dispose que la lettre de licenciement mentionne la priorité de réembauche prévue par l'article L. 1233-45 et ses conditions de mise en oeuvre. L'indemnité due pour violation de la priorité de réembauchage et l'indemnité due pour licenciement sans cause réelle et sérieuse sont cumulables.

En l'absence de motif invoqué à l'appui du moyen relatif à la discrimination invoqué par la salariée, celui-ci doit être écarté, la discrimination devant être fondée sur l'un des motifs illicites limitativement énumérés par les dispositions de l'article L. 1132-1 du code du travail.

En l'espèce, Mme [R] bénéficiait d'une clause de priorité de réembauchage durant un délai d'un an à compter de la date de rupture de son contrat de travail, soit à compter du 24 décembre 2012 sur les "emplois compatibles avec votre qualification actuelle ou avec celles qui vous viendriez à acquérir".

Il est constant que la responsable de la boutique [Adresse 5] a démissionné de son poste avec effet au 31 mai 2013 et que par lettre recommandée du 15 mai 2013, Mme [R] a demandé à bénéficier d'une priorité sur ce poste, que le 9 juin 2013 en réponse à l'employeur, elle a confirmé souhaiter bénéficier de la priorité sur ce poste.

Par lettre recommandée du 18 juillet 2013, la société Façonnable informait la salariée du refus d'embauche pour les raisons suivantes :

"très faible niveau en anglais"

"manque d'expérience comme responsable d'une boutique, expérience partielle en management pur (entretien annuel d'appréciation, entretien disciplinaire etc...) et peu d'expérience sur le développement commercial à l'extérieur de la boutique".

Or, ce refus est contradictoire avec la proposition de modification de poste qui a été faite à Mme [R] pour motif économique puisqu'il lui était proposé un emploi de responsable de boutique, échelon IV, indice 3, statut cadre à [Localité 7] (près de [Localité 4]) comprenant une liste de responsabilités professionnelles avec des tâches d'encadrement et de développement "recrute, forme, "manage", anime l'équipe de vente" "contribue à la stratégie de la boutique".

Ainsi, cette proposition de l'employeur ainsi que le parcours de la salariée au sein de l'entreprise, permet d'établir que la salariée était tout à fait apte, aussi bien en ce qui concerne son niveau d'anglais, toujours perfectible dans le cadre de la formation, qu'en ce qui concerne ses capacités d'encadrement et de développement, à un poste de responsable de boutique, même si la boutique de [Localité 4] était moins importante en termes de chiffre d'affaires, environ 580 K€, et de personnel, 3 personnes, que la boutique du [Adresse 5] qui génère un chiffre d'affaires d'environ 1,35 M€ et compte 6 à 8 personnes à encadrer. La dernière expérience de la salariée confirme qu'elle pouvait assumer des responsabilités importantes en terme d'encadrement et de développement puisqu'en dernier lieu et depuis août 2010, Mme [R] exerçait la fonction de responsable de vente de la boutique [Adresse 3], la plus grande boutique en Europe du groupe, supervisait 13 salariés (8 vendeurs, 2 retoucheurs, 2 femmes d'entretien et 1 magasinier), alors que la boutique générait un chiffre d'affaires hors taxes conséquent de 3,3M€ en 2012.

Il s'en déduit que la société Façonnable n'a pas respecté son obligation de priorité de réembauche, en refusant le poste à Mme [R] pour des motifs peu pertinents eu égard au parcours de la salariée au sein de la société, à ses aptitudes et à la proposition de modification de poste qui avait été formalisée à son profit.

Au vu de ces éléments, la décision entreprise doit être infirmée en ce qu'elle a débouté Mme [R] de sa demande de dommages et intérêts pour non-respect de la priorité de réembauchage et la société Façonnable sera condamnée à payer à Mme [R], en réparation de son préjudice, la somme de 10 000€ à titre de dommages et intérêts à ce titre.

Sur les autres demandes

La société Façonnable succombant à la présente instance en supportera les dépens de première instance et d'appel et sera condamnée à payer à Mme [R] une indemnité destinée à couvrir les frais non compris dans les dépens qu'elle a dû engager pour assurer la défense de ses intérêts et qu'il y a lieu de fixer à 3 000 €.

PAR CES MOTIFS

LA COUR,

INFIRME le jugement et statuant à nouveau :

DIT que le licenciement de Mme [Q] [R] est sans cause réelle et sérieuse;

CONDAMNE la SAS Façonnable à payer à Mme [Q] [R] les sommes de :

'80 500 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

'10 000 € à titre de dommages et intérêts pour non-respect de la priorité de réembauchage

ces sommes avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt

CONDAMNE la SAS Façonnable à payer à Mme [Q] [R] la somme de 3 000 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE la SAS Façonnable aux dépens de première instance et d'appel.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 9
Numéro d'arrêt : 15/10762
Date de la décision : 31/05/2017

Références :

Cour d'appel de Paris K9, arrêt n°15/10762 : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2017-05-31;15.10762 ?
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