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24/05/2017 | FRANCE | N°15/12129

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 5 - chambre 4, 24 mai 2017, 15/12129


Grosses délivréesRÉPUBLIQUE FRANÇAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 5 - Chambre 4



ARRÊT DU 24 MAI 2017



(n° , 11 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : 15/12129



Décision déférée à la Cour : Jugement du 20 Mai 2015 -Tribunal de Commerce de PARIS - RG n° 2012041653





APPELANTE



SARL CATIA AUTOMOBILES

ayant son siège social [Adresse 1]

[Adresse 1]

prise en la personne de ses r

eprésentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège



Représentée par Maître Nathalie LESENECHAL, avocat au barreau de PARIS, toque : D2090

Ayant pour avocat plaidant Maître Patrice...

Grosses délivréesRÉPUBLIQUE FRANÇAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 5 - Chambre 4

ARRÊT DU 24 MAI 2017

(n° , 11 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : 15/12129

Décision déférée à la Cour : Jugement du 20 Mai 2015 -Tribunal de Commerce de PARIS - RG n° 2012041653

APPELANTE

SARL CATIA AUTOMOBILES

ayant son siège social [Adresse 1]

[Adresse 1]

prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

Représentée par Maître Nathalie LESENECHAL, avocat au barreau de PARIS, toque : D2090

Ayant pour avocat plaidant Maître Patrice MIHAILOV, avocat au barreau de PARIS, toque : C0093

INTIMÉE

SA FCA FRANCE

ayant son siège social [Adresse 2]

[Adresse 2]

[Localité 1]

prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

Représentée par Maître Florence GUERRE de la SELARL PELLERIN - DE MARIA - GUERRE, avocat au barreau de PARIS, toque : L0018

Ayant pour avocat plaidant Maître Michel PONSARD de la SCP UGGC AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : P0261

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 786 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 28 Mars 2017, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposé, devant Madame Irène LUC, Présidente, chargée du rapport et Madame Dominique MOUTHON VIDILLES, Conseillère.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Madame Irène LUC, Présidente de chambre, rédacteur

Madame Dominique MOUTHON VIDILLES, Conseillère

Monsieur François THOMAS, Conseiller

qui en ont délibéré,

Un rapport a été présenté à l'audience par Madame Irène LUC dans les conditions prévues par l'article 785 du code de procédure civile,

Greffier, lors des débats : M. Vincent BRÉANT

ARRÊT :

- contradictoire,

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Madame Irène LUC, Présidente et par Monsieur Vincent BRÉANT, greffier auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

FAITS ET PROCÉDURE

La société Catia Automobiles était concessionnaire des marques Chrysler, Jeep et Dodge à [Localité 2] depuis 2001.

Au cours de l'année 2009, la société Chrysler France, qui assurait, en France, l'importation et la distribution des véhicules de marques Chrysler, Jeep et Dodge, a liquidé son activité et cédé son fonds de commerce à la société FCA France (aux droits de Fiat France) avec effet au 1er mai 2010.

Le 25 mai 2010, la société Chrysler France a résilié l'ensemble des contrats conclus avec ses concessionnaires pour la distribution de véhicules neufs, de vente de pièces détachées et de services après-vente, à effet au 31 mai 2011. Elle signalait dans ce courrier les difficultés résultant de la structure de distribution « CJD » (Chrysler, Jeep, Dodge), et des importants coûts fixes du réseau, et annonçait une restructuration complète, combinant les réseaux Lancia et Jeep.

Le 31 mai 2010, la société FCA France a annoncé au réseau de concessionnaires qu'elle reprendrait la distribution en France des marques Lancia et Jeep (du groupe Chrysler) et invité les distributeurs à faire acte de candidature à la signature de nouveaux contrats : « Chrysler et Fiat envisagent (') de proposer à la plupart de leurs distributeurs actuels de participer à la nouvelle opportunité de développement, en concluant un nouveau contrat distributeur agréé qui régira la distribution de la nouvelle gamme de produits et des pièces de rechange associées ainsi que les activités de service afférentes aux gammes de produits actuelles et nouvelles ».

Le 9 juin 2010, la société Catia Automobiles a fait acte de candidature pour devenir concessionnaire des marques Jeep et Lancia (censées remplacer Chrysler, Jeep et Dodge), au titre de la vente de véhicules neufs et de l'activité de réparation.

Le 18 juin 2010, la société Fiat a adressé à la société Catia Automobiles un dossier de candidature qu'elle lui demandait de bien vouloir lui retourner dûment complété pour le jeudi 22 juillet 2010. Il était fait mention dans ce courrier des « critères d'appréciation » : les critères « retenus pour l'analyse des candidatures reposent à la fois sur l'historique constaté dans la représentation des marques Lancia ou Chrysler Jeep Dodge, l'existant, et la qualité du projet relatif à la distribution de la nouvelle marque Lancia ».

Par courrier du 30 juin 2010, le GIE des concessionnaires CJD (Chrysler, Jeep, Dodge) écrivait à la société Chrysler France et la société Fiat France pour leur faire part de la difficulté pour exécuter le préavis expirant au 31 mai 2011, compte tenu de l'indisponibilité des modèles de voitures en stock, et pour manifester la nécessité, pour les concessionnaires, de connaître rapidement les conditions de poursuite de l'activité (standards, numerus clausus...).

Le 19 juillet 2010, la société Catia Automobiles a élaboré et transmis un dossier de candidature pour être agréée en qualité de concessionnaire des marques Lancia et Jeep.

Le 7 janvier 2011, la société Fiat France a fait connaître à la société Catia Automobiles sa décision de refus d'agrément pour distribuer les marques Lancia, « sur la base des 6 critères d'appréciation, préalablement indiqués ». Par courrier du même jour, elle lui a fait connaître son refus de l'agréer pour la distribution des véhicules Jeep et l'activité de réparation, au vu des six critères et aussi du net recul des performances commerciales du distributeur, traduisant, selon elle, un désengagement pour les trois marques Chrysler, Dodge et Jeep, radicalement préjudiciable à leur commercialisation : « il en découle (') une perte de confiance à l'égard de la société que vous représentez qui exclut d'autant plus d'envisager tout nouveau partenariat pour la marque Jeep ».

La société Catia Automobiles a contesté cette décision dans plusieurs courriers adressés à la société Fiat France 11 mars 2011, estimant qu'elle n'était pas justifiée. Elle demandait dans un courrier ayant pour objet la marque Jeep, que lui soit communiqué sans délai le détail des critères de sélection, contestait que ses ventes aient reculé et soulignait l'absence de solution de reconversion sur la ville de [Localité 2]. Elle envoyait de même un courrier concernant la marque Lancia.

La société Fiat France a répondu par lettres des 19 et 22 avril 2011, concernant respectivement la candidature de distributeur agréé Lancia et de distributeur agréé Jeep : « nous faisons suite à votre courrier du 11 mars 2011. Comme nous en avons la possibilité, face à deux candidats postulant pour devenir membre du nouveau réseau de distribution des véhicules Lancia (ou Jeep) pour une même zone de chalandise nous n'en avons retenu qu'un seul. Nous vous confirmons qu'il s'agit de la société Socadia située à [Localité 3]. C'est en considération de ce qui précède que votre candidature n'est définitivement pas retenue. Pour votre information, vous trouverez, annexés à la présente, les standards du nouveau contrat de distributeur agréé de véhicules Lancia (Jeep) ». Etaient joints les contrats de réparation des deux marques (services et pièces).

Finalement, donc, la société Fiat France a confié la représentation des marques Lancia et Jeep (remplaçantes des marques Chrysler, Jeep et Dodge) à la société Socadia, qui était le concessionnaire Lancia sur la ville de [Localité 2], sur le même « marché de référence » que la société Catia Automobiles.

Estimant que le refus d'agrément de la société Fiat France était fautif et engageait sa responsabilité délictuelle, la société Catia Automobiles l'a assignée devant le tribunal de commerce de Paris.

Par jugement du 20 mai 2015, le tribunal de commerce de Paris a :

- dit que le refus de sélection de la société Catia Automobiles par la société FCA France (aux droits de Fiat France) était parfaitement légitime,

- dit que la demande d'agrément présentée par la société Catia Automobiles avait été faite de mauvaise foi,

- débouté la société Catia Automobiles de toutes ses demandes,

- condamné la société Catia Automobiles à verser à la société FCA France la somme de 23 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné la société Catia Automobiles aux dépens de l'instance, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 82,44 euros dont 13,52 euros de TVA.

La cour,

Vu l'appel interjeté par la société Catia Automobiles, et ses dernières conclusions notifiées le 16 mars 2017, par lesquelles il est demandé à la cour de :

- dire la société Catia Automobiles recevable et bien fondée en son appel,

- débouter la société Fiat France de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

- infirmer en totalité le jugement du 20 mai 2015,

et, statuant à nouveau,

- dire que le bénéfice de l'exemption n'exonère pas la société Fiat France de l'obligation de sélectionner ses distributeurs sur la base de critères prédéfinis, que l'adoption d'un système de distribution sélective oblige la société Fiat France à opérer la sélection de ses distributeurs sur la base de critères prédéfinis, que s'agissant du contrat de distributeur, elle a fait le choix d'obéir aux conditions du règlement communautaire d'exemption par catégorie des accords de distribution verticale,

- dire qu'usant de sa liberté contractuelle, la société Fiat France a fait le choix de mettre en 'uvre un système de distribution sélective qualitative et quantitative, qui l'oblige à fonder la sélection de ses distributeurs sur des critères qualitatifs, qu'elle a d'ailleurs prédéfinis, autant que quantitatifs, qui ne sont pas connus,

- dire que s'agissant du contrat de réparateur, la société Fiat France opérait la sélection sur des critères purement qualitatifs, sans pouvoir opposer de critères quantitatifs,

- dans ces conditions, dire que la société FCA France a fautivement refusé la communication de ses critères de sélection,

- dire que la société FCA France a fautivement refusé son agrément, sans justifier d'un éventuel défaut de conformité à ses propres critères de sélection, ni valablement motiver sa décision,

- dire que la société FCA France a réservé son agrément à un candidat qui ne remplissait pas ses critères financiers de sélection,

- en conséquence, dire que la société FCA France a violé les principes de sélection qu'elle avait elle-même définis, manqué à l'obligation générale de bonne foi et abusivement refusé son agrément à la société Catia Automobiles,

- la condamner à payer à la société Catia Automobiles une somme de 692 112,63 euros,

- en application des dispositions des articles 1153-1 et 1154 du code civil, assortir cette condamnation de la production d'intérêts et de leur capitalisation, à compter du 28 octobre 2011, date de l'assignation devant le tribunal,

- condamner la société FCA France au paiement d'une somme de 15 000 euros au titre de l'article 700, ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel, dont distraction conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile ;

Vu les dernières conclusions notifiées le 21 mars 2017 par la société FCA France, intimée, par lesquelles il est demandé à la cour de :

vu l'article 101 du TFUE,

vu les règlements d'exemption 1400/2002 et 330/210 de la Commission,

vu l'article L.420-2 du code de commerce,

vu l'article 1382 (devenu 1240 du code civil),

- constater que les critères objectifs de sélection au sein des réseaux de FCA France sont définis et ne sont pas contestés,

- constater que FCA France a mis en place deux réseaux de distribution sélective quantitative, un pour la marque Jeep et un pour la marque Lancia,

- constater que dans la distribution sélective quantitative, le constructeur est libre de choisir le candidat de son choix,

- constater que le refus de sélection de la société Catia Automobiles par la société FCA France en raison de ses performances commerciales est parfaitement légitime,

- constater que FCA France a proposé à Catia Automobiles de présenter sa candidature en tant que réparateur agréé et que Catia Automobiles n'a jamais présenté sa candidature,

- constater que la société Catia Automobiles a présenté sa demande d'agrément de mauvaise foi,

et en conséquence,

- débouter la société Catia Automobiles de l'intégralité de ses demandes,

- confirmer le jugement intervenu en toutes ses dispositions,

- en outre, condamner la demanderesse au paiement de la somme de 20 000 euros à la société FCA France au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance pour la présente procédure devant la cour d'appel,

- condamner la demanderesse au paiement des frais et dépens.

SUR CE,

Sur le refus d'agrément

La société Catia Automobiles expose que la société Fiat France a choisi de créer un réseau de distribution sélective, quantitatif et qualitatif, en conformité avec les indications du règlement d'exemption n°330/2010, ce qui implique la sélection de ses distributeurs sur la base de critères objectifs, qu'elle a préalablement définis, et lui interdit de désigner ses distributeurs de manière arbitraire ou sur la base de critères purement subjectifs.

Par ailleurs, et conformément à l'obligation de bonne foi qui préside à la formation des contrats, la société Catia Automobiles estime que la société Fiat France était tenue de procéder à un examen approfondi de sa candidature, dès lors qu'elle l'avait sollicitée à faire acte de candidature.

La société Catia Automobiles estime ainsi que la société Fiat France a engagé sa responsabilité, dans la mesure où :

- elle n'a pas opéré la sélection sur la base des critères qu'elle avait définis et n'a communiqué ses critères de sélection que postérieurement au rejet de sa candidature ;

- elle n'a pas sérieusement motivé le rejet de la candidature de la société Catia Automobiles et a retenu la candidature de la société Socadia, alors que cette société ne remplissait pas les critères de sélection.

La société Fiat France estime quant à elle avoir mis en place un réseau de distribution sélective quantitative qui lui permet d'être pleinement libre de choisir entre deux candidats concessionnaires pour un même territoire et ce, de manière discrétionnaire, sans avoir à motiver sa décision.

Elle expose, pour justifier son choix de la société Socadia, d'une part, que ce nouveau concessionnaire, en tant qu'ancien distributeur Lancia, connaissait parfaitement le réseau et respectait les critères de sélection, et d'autre part, qu'elle avait de sérieuses raisons de douter des performances commerciales de la société Catia Automobiles qui avaient été, selon elle, « catastrophiques », les années précédentes.

Elle estime, par ailleurs, que la demande d'agrément de la société Catia Automobiles a été présentée de mauvaise foi, cette dernière ayant masqué ses médiocres performances commerciales antérieures.

XXX

La société Fiat France a refusé à la société Catia Automobiles son agrément à la signature de contrats de distributeur agréé et de réparateur agréé Jeep et Lancia, dans le cadre de systèmes de distribution sélective quantitative (distributeur) et qualitative (réparateur). En effet, contrairement à ce que soutient la société Fiat France, elle ne lui a pas proposé d'être agréée en qualité de réparateur Jeep et Lancia, son courrier de refus du 7 janvier excluant d'envisager « tout partenariat », sans distinguer entre la distribution de véhicules neufs et la réparation. Si elle lui a adressé les contrats de réparateur agréé en annexe de ses courriers des 19 et 22 avril 2011, cette communication, réalisée un peu plus d'un mois avant l'expiration du préavis, était trop ambigüe pour valoir offre de contracter et, en toute hypothèse, trop tardive.

La société Fiat France considère que les règles du droit de la concurrence, et plus spécialement, le règlement d'exemption applicable à la distribution automobile, l'autoriseraient à pratiquer une sélection « discrétionnaire » de ses concessionnaires.

Le règlement européen d'exemption sur la distribution automobile (règlement n° 1400/2002 de la Commission du 31 juillet 2002 concernant l'application de l'article 81, paragraphe 3, du traité à des catégories d'accords verticaux et de pratiques concertées dans le secteur automobile, JO n° L 203 du 01/08/2002 p. 0030 ' 0041) définit, dans son article 1er, g), le système de distribution sélective quantitative dans les termes suivants : « un système de distribution sélective dans lequel le fournisseur applique, pour sélectionner les distributeurs et les réparateurs, des critères qui limitent directement le nombre de ceux-ci. ». Ce règlement d'exemption permet d'exonérer, au titre de leur contribution au progrès économique sur le fondement de l'alinéa 3 de l'article 101 du TFUE, les ententes résultant de pratiques menées au sein des réseaux de distribution sélective quantitatif qui seraient qualifiables sur le fondement de l'alinéa 1 de l'article 101 du TFUE, dès lors que le concédant détient une part de marché inférieure à 40 %, en vertu de son article 3 qui dispose : « (...) le seuil de part de marché pour l'application de l'exemption est de 40 % pour les accords établissant des systèmes de distribution sélective quantitative pour la vente de véhicules automobiles neufs ». Echappent toutefois à cette exemption automatique les clauses dites « caractérisées », constituées de restrictions à la libre formation des prix ou des restrictions territoriales.

La part de marché de la société FCA France sur le marché de la distribution des véhicules neufs des marques Jeep et Lancia, dont il n'est pas contesté qu'elle est inférieure à 40 %, permet de faire bénéficier son réseau de l'exemption automatique, sous réserve des éventuelles pratiques caractérisées qu'elle pourrait mettre en 'uvre.

Les refus d'agrément discriminatoires ou injustifiées, ne constituant pas des « restrictions caractérisées », sont couverts par les seuils de minimis et le règlement d'exemption.

En revanche, sur le marché de la réparation, la société FCA France détient nécessairement une part supérieure à 80 % et ne bénéficie pas d'une exemption automatique. Toutefois, il n'en résulte pas pour autant que cette pratique constitue une entente anticoncurrentielle, ce que la société Catia ne tente d'ailleurs pas de démontrer.

Mais l'exemption d'un refus d'agrément, qui le fait échapper à la qualification de pratique anticoncurrentielle, ne le fait pas pour autant échapper au droit général des contrats, le concédant étant tenu, dès la phase précontractuelle, de respecter son obligation générale de bonne foi dans le choix de son cocontractant.

Indépendamment de l'article L 420-1 du code de commerce ou de l'article 101 du TFUE, s'il appartient, en stricte application du principe de la liberté du commerce et de l'industrie, à tout fournisseur d'organiser le mode de distribution de ses produits et de procéder aux modifications et rationalisations jugées nécessaires sans que ses cocontractants ne bénéficient d'un droit acquis à y demeurer, le titulaire du réseau se doit, néanmoins, de sélectionner ses distributeurs sur le fondement de critères définis et objectivement fixés et d'appliquer ceux-ci de manière non-discriminatoire.

Il ne peut sélectionner ses concessionnaires à la suite d'un appel à candidature, sans justifier les motifs de son choix au regard des critères de sélection qu'il s'est lui-même fixé.

Ayant choisi d'adopter un système de distribution sélectif quantitatif, le concédant se devait, dans le processus de sélection de ses concessionnaires auquel il procédait après leur avoir préalablement adressé un courrier d'appel à candidature, de sélectionner ses concessionnaires selon les critères qu'il s'était fixé, au nom du principe général de bonne foi, applicable dès la phase précontractuelle, même si le choix de ces critères relevait de sa libre appréciation.

S'agissant du marché de référence de [Localité 2] où les parties s'accordent pour reconnaître qu'un seul concessionnaire pouvait être installé, la société Fiat devait choisir un des deux concessionnaires présents sur cette zone, soit la société Catia Automobiles, ancien concessionnaire Chrysler, soit la société Socadia, concessionnaire Lancia, et qui étaient donc en compétition pour obtenir l'agrément.

Il n'est donc pas exact de dire que, comme elle le prétend, la société Fiat France était libre de choisir entre les sociétés Socadia et Catia Automobiles pour le marché de référence client (MRC) de [Localité 2] sans avoir besoin de justifier cette décision.

L'arrêt Rolex de la cour de céans, cité par la société intimée, n'est pas pertinent en l'espèce, car il concerne un refus d'agrément opposé par un fabricant à un commerçant qui souhaitait spontanément, et, pour la première fois, entrer dans le réseau de distribution, et non le processus de sélection de plusieurs distributeurs opéré par le concédant lui-même, à son initiative.

L'exigence de justifier de l'application régulière et non discriminatoire des critères de sélection impose de vérifier, en premier lieu, que les critères ont été notifiés à tous les candidats dans les mêmes conditions, et préalablement à leur réponse.

Or, la société Catia Automobiles souligne que les critères ne lui ont été communiqués que le 22 avril 2011, cinq semaines avant l'expiration du contrat en cours et postérieurement au rejet de sa candidature par la société Fiat France.

Mais la cour considère que la sélection s'est opérée à partir des "6 critères d'appréciation", figurant dans le courrier du 18 juin 2010, même si la société Fiat France n'a fourni son contrat de concession, détaillant les critères, qu'a posteriori. Ces 6 critères sont les suivants : "1. La localisation : Qualité de l'emplacement du site proposé ; Visibilité ; Facilité d'accès ; Possibilité de parking ; 2. La qualité de la représentation : Qualité des structures (bâtiment, ergonomie, environnement), Surfaces disponibles pour Véhicules Neufs (VN), Véhicules d'Occasion (VO), Atelier, [Établissement 1] ; 3. La qualité des structures financières : Qualité/solidité bilan (niveaux Equity Ratio = capitaux propres/situation nette, ratio d'endettement), Garantie Bancaire Autonome (à 1 ère demande émanant d'un établissement bancaire et conforme à notre texte type) d'un montant adapté à votre activité commerciale et à la structure financière de la société titulaire du contrat, Envoi réalisé des états financiers trimestriels ; 4. Les performances commerciales : Réalisations des objectifs de vente sur les trois dernières années en VN, Pièces de Rechange et Accessoires (PRA), VO, Part de marché sur Marché de Référence Client vs part de marché national sur territoire couvert ; 5. La qualité du management : Organisations commerciales et Après-vente, actuelles et prévisionnelles o Compétence et stabilité des équipes , Pérennité du ou des dirigeants(s) ; 6. Qualité du service : Notation CSI RPM (indices satisfaction clientèle) sur les trois dernières années (par rapport à la moyenne France, évolution)".

Le processus de sélection objectif nécessite, en deuxième lieu, que le refus soit motivé et permette ainsi de vérifier que les candidatures ont été examinées avec sérieux.

Or, le refus d'agrément est en l'espèce insuffisamment motivé, puisqu'il n'est pas accompagné d'appréciations littérales ou chiffrées au regard des critères exposés plus haut.

S'agissant de la candidature de la société Catia Automobiles à la distribution des véhicules Lancia, la lettre de refus du 7 janvier 2011 contient les mentions suivantes :  "Après examen des différents éléments que vous nous avez retournés, et sur la base des 6 critères d'appréciation préalablement indiqués ('), nous sommes au regret de vous confirmer que vous n'êtes pas retenu pour représenter la marque Jeep à compter du 1 er Juin 2011".

Au titre de la candidature de la société Catia Automobiles à la représentation de la marque Jeep, la société Fiat France a ajouté, dans sa lettre de refus, la précision selon laquelle : " Le net recul de vos performances commerciales traduit un désengagement pour les trois marques Chrysler, Dodge et Jeep, radicalement préjudiciable à leur commercialisation. Il en découle par ailleurs une perte de confiance à l'égard de la société que vous représentez qui exclut d'autant plus d'envisager tout nouveau partenariat pour la marque Jeep".

Au regard de ces courriers de refus qui témoignent du défaut d'examen sérieux de sa candidature, la société Catia Automobiles met en évidence, sans être sérieusement contredite sur ce point par la société Fiat France, que la société Socadia, candidat retenu, ne remplissait pas les standards financiers finalement communiqués a posteriori le 19 avril 2011, de 2009 à 2011, à savoir le respect des paramètres d'endettement financier net / situation nette (= 3,5) et de l'equity ratio (situation nette / total du bilan = 8 %), sauf en 2010, alors qu'elle-même les remplissait tous les ans (cf page 21 des conclusions d'appel de la société Catia). La société Fiat France ne peut se retrancher derrière l'argument selon lequel seule l'année 2010 serait probante, l'agrément étant donné pour 2011, et les années antérieures étant significatives pour examiner la solidité des ratios.

En troisième lieu, la sélection ne doit pas être discriminatoire.

La société Fiat France tente de justifier a posteriori sa sélection de la société Socadia par ses meilleures performances commerciales.

Elle expose que le critère 3 était le plus important et que c'est celui qui a entraîné son choix, car « visant une comparaison entre les objectifs de vente et les ventes réalisées, (il) permettait d'apprécier l'efficacité commerciale du distributeur. C'est en réalité ce critère qui importe le plus dans la présente procédure de sélection puisque c'est celui qui a fondé essentiellement la décision du refus de FCA France et le choix de Socadia ».

Elle souligne que la société Catia Automobiles avait vendu 17 véhicules en 2010 pour un objectif de 42, et 41 véhicules en 2009 pour un objectif de 47 , toutes marques confondues c'est-à-dire pour les marques Chrysler (désormais intégrées dans la gamme Lancia faisant l'objet d'un objectif de 137 véhicules) et Jeep (faisant l'objet à elle seule d'un objectif de 41 véhicules).

Si l'on compare les performances commerciales de la société Socadia pour la marque Lancia avec celles de la société Catia sur le même marché de référence, la société Fiat France souligne qu'avec des objectifs comparables (46 pour Socadia contre 42 pour Catia en 2010), Socadia a vendu 33 véhicules ce qui représente une atteinte des objectifs de 72 % et un volume de ventes du double de celui de la société Catia qui n'en a vendu que 17 en 2010. Sur les cinq premiers mois de l'année 2011, la société Catia Automobiles n'aurait vendu que 2 véhicules alors que la société Socadia en aurait vendu 15. Ces mauvaises performances commerciales traduiraient « un désengagement de ce distributeur pour les trois marques démontré par les différents manquements aux standards de commercialisation des véhicules ».

Mais cette comparaison n'est pas probante. Les performances de la société Socadia, qui ne distribuait pas des marques en cessation de commercialisation, ne peuvent sérieusement être comparées, en 2009 et 2010, avec celles de la société Catia Automobiles, qui faisait face alors à une baisse drastique des stock de véhicules neufs Chrysler.

En effet, la société Catia justifie de 2005 à 2008 d'un respect constant de ses objectifs. Sa situation ne se dégrade qu'en 2009 et, principalement en 2010, à cause de la baisse des importations de véhicules par Chrysler. Il résulte en effet de l'arrêt de la cour d'appel de Versailles, du 10 février 2015, versé aux débats, que « Chrysler France a réduit sensiblement voire progressivement cessé, à compter de 2010, l'importation de véhicules de marques Chrysler et Dodge ». Selon la cour, « cette pratique n'est pas la conséquence de la réduction des ventes mais a empêché une commercialisation normale des véhicules de cette année ; elle a nécessairement entraîné une baisse des ventes étant observé, que sur l'ensemble du réseau, une chute de 95 % des ventes de ces véhicules a été enregistrée de 2007 à 2011, 331 automobiles étant vendues en 2011 sur l'intégralité du territoire national ». 

La société Fiat France prétend que la demande d'agrément en tant que distributeur agréé Jeep et Lancia présentée par la société Catia Automobiles l'a été de mauvaise foi, tant en raison de ses conditions d'exécution des contrats de distribution et de réparation Chrysler-Jeep-Dodge, que des conditions même de sa demande d'agrément.

Mais l'existence de son contentieux avec la société Chysler ne saurait avoir d'impact sur sa bonne foi de contracter avec la société Fiat France.

Par ailleurs, dans son dossier de candidature, elle aurait volontairement occulté ses objectifs de vente sur les années 2009 et 2010, et ses mauvaises réalisations par rapport à ces objectifs.

Mais, comme il a été vu plus haut, cette réticence s'explique par l'absence de caractère significatif de ces chiffres et n'est pas dolosive.

En outre, le refus d'agrément a été notifié par Monsieur [K], directeur Chrysler Jeep Dodge de la société Fiat France, qui occupait précédemment les fonctions de directeur général de la société Chrysler France. A ce titre, Monsieur [K] connaissait de longue date la société candidate et disposait de l'ensemble des données commerciales relatives à son point de vente.

Le véritable motif du refus d'agrément de la société Catia Automobiles par la société Fiat France résulte de l'action en justice engagée contre la société Chrysler par le concessionnaire et la critique dirigée contre certains modèles des véhicules de la marque éponyme. Ces motifs ne figurent pas au nombre des critères d'agrément retenus par la société Fiat. La société Fiat ne peut se retrancher derrière une « perte de confiance » que seule la société Chrysler elle-même, personne morale distincte, aurait pû, à la rigueur, tenter d'alléguer.

En refusant d'agréer la société Catia Automobiles, la société Fiat France a donc engagé sa responsabilité délictuelle, sur le fondement de l'article 1382 du code civil, dans sa version alors en vigueur.

Sur le préjudice

La société Catia souligne que le « refus d'agrément engage la responsabilité du concédant et l'oblige à réparer le dommage dans son intégralité » et, également, que « son préjudice réside dans l'impossibilité pour l'entreprise de reconvertir ses structures dans le délai de cinq semaines qui séparait la notification du refus d'agrément de la fin du contrat initial ».

La société Catia Automobiles sollicite la condamnation de la société Fiat France à une indemnisation pour perte de fonds de commerce développé depuis 2001 pour un montant de 332 663 euros, correspondant à la marge moyenne par véhicule neuf pour les années 2006 à 2008. La société Catia Automobiles estime que la tardiveté de la réponse de Fiat France à sa demande d'agrément l'a empêchée d'envisager une quelconque reconversion.

La société Catia Automobiles sollicite également la réparation d'un préjudice de loyers correspondant au bail commercial qu'elle a renouvelé en 2011 pour un montant de 152 460 euros pour la période du 1er juin 2011 au 28 février 2014, ainsi que l'allocation d'une somme de 5 485 euros au titre de la reconversion de son personnel et, enfin, d'une somme de 21 489 euros au titre des stocks non-repris et celle de 173 487 euros au titre des équipements et matériels non amortis.

La société Fiat France estime que le préjudice invoqué par la société Catia Automobiles est artificiel, la société Chrysler France ayant résilié le contrat de distribution et de réparation avec un préavis d'une année s'achevant le 31 mai 2011, ce qui lui laissait cinq mois à compter du refus d'agrément donné le 7 janvier 2011 pour se réorganiser.

Elle expose que les différents postes de préjudice invoqués par la société Catia Automobiles correspondent en réalité à d'éventuels préjudices pouvant résulter de la résiliation du contrat de concession Chrysler, éventuellement imputables à cette société.

XXX

La société Catia allègue deux fautes génératrices de préjudice : le refus d'agrément et le retard de notification du refus, estimé lui aussi fautif.

L'indemnisation du refus

Le refus est fautif comme il a été vu plus haut.

Le refus d'agrément a privé la société Catia Automobiles de la faculté de distribuer les véhicules de marques Lancia et Jeep et d'exercer son activité de concessionnaire, ainsi que les services après-vente. Son manque à gagner sera a minima évalué au volume de ventes qu'elle réalisait en moyenne chaque année, au cours des années 2006 à 2008 (années non affectées par la rupture de stock des véhicules de marque Chrysler), soit 112 véhicules par an, multiplié par la marge moyenne sur coûts variables réalisée par véhicule neuf, soit 2 051 euros, ce qui donne un montant global de 229 712 euros (états financiers de 2008 : pièce 20 de la société Catia).

Le préjudice résultant du non écoulement des stocks découle du refus d'agrément, car si la société Catia Automobiles avait pu conclure un contrat de concession avec Fiat, elle aurait pû vendre son stock de véhicules Chrysler, qu'elle ne peut à présent plus écouler après l'expiration de son contrat de concession Chrysler. Il y a lieu d'évaluer ce préjudice à la somme de 13 039 euros (état des stocks de Catia : pièce 27 de Catia).

De même, les frais de rupture conventionnelle d'une personne salariée sont imputables au refus d'agrément. Il convient de lui allouer de ce chef la somme de 5 485 euros à titre de dommages-intérêts.

En revanche, si elle demande un dédommagement pour l'amortissement des équipements et matériels de la concession Chrysler, qui aurait été compromis par le refus d'agrément, elle ne démontre pas que ces équipements et matériels figuraient encore dans ses comptes en 2011, le seul état versé aux débats étant celui de 2010.

L'indemnisation du retard

Il y a lieu de rechercher si le retard de notification du refus d'agrément est fautif et s'il a causé par un lien de causalité direct et certain un ou plusieurs chefs de préjudice.

Le retard dans la notification de la décision de refus d'agrément, qui aurait pu être signifiée beaucoup plus tôt, avant l'automne 2010, compte tenu de son caractère désinvolte et lacunaire et son absence totale de motivation, et que la société Catia a sollicitée à plusieurs reprises, a pû entretenir celle-ci indûment dans l'espoir d'être agréée dans le nouveau réseau, d'autant que la société Fiat France, dans son courrier du 31 mai 2010, avait fait part de son souhait de maintenir les relations avec tous les concessionnaires : « L'un des principaux objectifs de Chrysler et Fiat sera de préserver, dans toute la mesure du possible, leurs réseaux de distribution actuels et leurs relations avec la plupart des distributeurs actuels que Chrysler et Fiat considèrent tous deux comme des atouts majeurs ». Ce retard a pû lui donner une incitation contraire à la reconversion, que le préavis d'un an avait pour but de permettre. Toutefois, le préavis délivré le 25 mai 2010 expirait le 31 mai 2011 ; il restait donc cinq mois à la société Catia, après la notification du refus, pour se reconvertir, ce qui, compte tenu de la durée des relations contractuelles entretenues antérieurement avec Chrysler, de dix années, peut être considéré comme insuffisant. Il lui sera alloué de ce chef une indemnité de 20 000 euros.

S'agissant du bail, dont elle prétend qu'elle aurait pû se délier si le refus d'agrément lui avait été notifié plus tôt, il convient de souligner qu'il arrivait à terme le 28 février 2011 et que son éventuel non renouvellement devait être signifié six mois avant cette date, soit le 28 août. Or, même si le refus avait été notifié plus tôt, il n'est pas démontré qu'il aurait pû intervenir avant cette date précise. Dès lors, le lien ce causalité n'étant pas établi entre le retard fautif et ce préjudice, cette demande sera rejetée.

PAR CES MOTIFS

INFIRME le jugement entrepris,

Et, statuant à nouveau,

DIT que le refus d'agrément de la société Catia Automobiles constitue une faute de la société FCA France,

DIT que la tardiveté de notification de ce refus constitue également une faute,

CONDAMNE la société FCA France à payer à la société Catia Automobiles la somme de 268 236 euros (229 712 + 13 039 + 5485 + 20 000),

ASSORTIT cette somme des intérêts au taux légal à compter du 28 octobre 2011, date de l'assignation, lesdits intérêts étant capitalisés,

CONDAMNE la société FCA France aux dépens de première instance et d'appel, qui seront recouvrés selon les dispositions de l'article 699 du code de procédure civile,

CONDAMNE la société FCA France à payer à la société Catia Automobiles la somme de 15 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Le GreffierLa Présidente

Vincent BRÉANT Irène LUC


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 5 - chambre 4
Numéro d'arrêt : 15/12129
Date de la décision : 24/05/2017

Références :

Cour d'appel de Paris I4, arrêt n°15/12129 : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2017-05-24;15.12129 ?
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