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23/05/2017 | FRANCE | N°16/02857

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 5 - chambre 1, 23 mai 2017, 16/02857


Grosses délivrées RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS







COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 5 - Chambre 1



ARRÊT DU 23 MAI 2017



(n°134/2017, 11 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : 16/02857



Décision déférée à la Cour : Jugement du 17 Décembre 2015 -Tribunal de Grande Instance de PARIS - RG n° 14/09879





APPELANT



Monsieur [H] [Q] [B]

Photographe

né le [Date naissance 1] 1974 à [Local

ité 1]

de nationalité française

Demeurant [Adresse 1]

[Adresse 1]



Représenté par Me Jeanne BAECHLIN de la SCP Jeanne BAECHLIN, avocat au barreau de PARIS, toque : L0034

Assisté de Me Christophe...

Grosses délivrées RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 5 - Chambre 1

ARRÊT DU 23 MAI 2017

(n°134/2017, 11 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : 16/02857

Décision déférée à la Cour : Jugement du 17 Décembre 2015 -Tribunal de Grande Instance de PARIS - RG n° 14/09879

APPELANT

Monsieur [H] [Q] [B]

Photographe

né le [Date naissance 1] 1974 à [Localité 1]

de nationalité française

Demeurant [Adresse 1]

[Adresse 1]

Représenté par Me Jeanne BAECHLIN de la SCP Jeanne BAECHLIN, avocat au barreau de PARIS, toque : L0034

Assisté de Me Christophe CESAR, avocat au barreau de PARIS, toque : C2555

INTIMÉE

SARL MODATOI

Immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés de MELUN sous le numéro 518 049 994

Prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés ès qualités audit siège

[Adresse 2]

[Adresse 2]

Représentée et assistée de Me Charles-Antoine JOLY de la SELARL @MARK, avocat au barreau de PARIS, toque : J150

PARTIES INTERVENANTES

Maître [D] [Y], en sa qualité d'administrateur judiciaire au

redressement judiciaire de la société MODATOI nommé à cette fonction par

jugement du Tribunal de Commerce de Melun en date du 13 février 2017

[Adresse 3]

[Adresse 3]

Représenté et assisté de Me Charles-Antoine JOLY de la SELARL @MARK, avocat au barreau de PARIS, toque : J150

Maître [Y] [J], en sa qualité de mandataire judiciaire au redressement judiciaire de la société MODATOI nommé à cette fonction par jugement du Tribunal de Commerce de Melun en date du 13 février 2017

[Adresse 4]

[Adresse 4]

[Localité 2]

Représenté et assisté de Me Charles-Antoine JOLY de la SELARL @MARK, avocat au barreau de PARIS, toque : J150

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 28 Mars 2017, en audience publique, devant la Cour composée de :

M. Benjamin RAJBAUT, Président

Monsieur David PEYRON, Président de chambre

Mme Isabelle DOUILLET, Conseillère

qui en ont délibéré.

Un rapport a été présenté à l'audience dans les conditions prévues à l'article 785 du code de procédure civile.

Greffier, lors des débats : Mme Karine ABELKALON

ARRÊT :

Contradictoire

par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

signé par M. Benjamin RAJBAUT, président et par Mme Karine ABELKALON, greffier.

***

EXPOSÉ DU LITIGE

La société MODATOI, immatriculée au registre du commerce de Paris depuis le 19 novembre 2009, est une société de vente en ligne de vêtements, chaussures et accessoires de mode qui exploite plusieurs sites internet en Europe intégrant le terme 'modatoi', dont le site www.modatoi.com.

Elle indique que depuis le début de son activité, elle tente de se démarquer de la concurrence en soignant particulièrement la présentation de ses articles offerts à la vente à travers des mises en scènes soignées refusant de présenter les articles mis en vente sur un simple fond blanc comme le font certains de ses concurrents. Chaque article offert à la vente serait ainsi illustré par une photographie d'ambiance prise en situation et trois photographies détaillant l'article mis en exergue.

M. [H] [B] exerce l'activité de photographe depuis 1997. Il a été embauché par la société MODATOI, par contrat de travail du 3 février 2010, en qualité de photographe. Un avenant au contrat de travail a été conclu le 1er décembre 2011 et l'a promu responsable du service photographique.

Par un courriel du 2 avril 2014, M. [B] a interrogé son employeur sur ses droits d'auteur et en particulier sur les conditions de la cession de ses droits à son employeur.

La société MODATOI indique qu'elle a alors découvert que M. [B] exposait et offrait à la vente au prix de 89 $ à 149 $ selon les formats, sous son seul nom, au moins six clichés qu'elle considère comme sa propriété et que ces clichés étaient représentés sur plusieurs sites Internet sous le seul nom de M. [B]. Les six clichés concernés montrent des mannequins présentant des accessoires de mode, des chaussures, des sous-vêtements et maillot de bain.

Le 22 avril 2014, la société MODATOI a fait signifier par huissier de justice, deux courriers recommandées à M. [B], l'un pour contester ses droits d'auteur sur les photographies et l'autre pour le convoquer à un entretien préalable à son licenciement.

M. [B] a été licencié le 22 mai 2014 au motif, notamment, d'une violation du droit d'auteur de la société MODATOI.

M. [B] a contesté ce licenciement devant le conseil de prud'hommes de Melun et la procédure est actuellement en cours.

Le 2 juillet 2014 la société MODATOI a fait délivrer une assignation à M. [B] devant le tribunal de grande instance de Paris en contrefaçon de droit d'auteur et en concurrence déloyale et parasitaire.

Par jugement du 17 décembre 2015, le TGI de Paris a :

déclaré irrecevable la société MODATOI en ses demandes formées à l'encontre de M. [B] en contrefaçon de six clichés photographiques,

débouté la société MODATOI de ses demandes formées à l'encontre de M. [B] sur le fondement de la concurrence déloyale et parasitaire,

débouté M. [B] de ses demandes reconventionnelles,

condamné la société MODATOI aux dépens et au paiement à M. [B] la somme de 3 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

ordonné l'exécution provisoire.

Le 27 janvier 2016, M. [B] a interjeté appel de ce jugement.

Par jugement du 13 février 2017, le tribunal de commerce de Melun a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l'encontre de la société MODATOI, désignant Me [Y] en qualité d'administrateur judiciaire et Me [J] en qualité de mandataire judiciaire. Les organes de la procédure collective ont régulièrement été appelés en la cause.

Dans ses dernières conclusions numérotées 4 transmises par RPVA le 8 mars 2017, M. [B] poursuit l'infirmation du jugement, si ce n'est en ce qu'il a débouté la société MODATOI de ses demandes, et demande à la cour :

de juger que la société MODATOI a commis des actes de contrefaçon en exploitant ses photographies i) sur les sites Internet modatoi.com, modatoi.it, modatoi.co.uk, modatoiglamour.com et heeliana.com, ii) dans le cadre d'une campagne publicitaire presse et iii) sur des catalogues papier MODATOI en partenariat avec la société YVES ROCHER,

d'ordonner le retrait total des photographies contrefaisantes sur l'ensemble des sites Internet exploités par l'intimée, et ce sous astreinte de 1000 € par infraction constatée à compter de la signification de la décision à intervenir,

de fixer sa créance au passif de la société MODATOI pour les sommes suivantes :

4 135 464 € au titre de l'atteinte à ses droits patrimoniaux résultant des actes de contrefaçon commis par l'intimée sur ses sites Internet de mai 2014 à aujourd'hui,

10 000 000 € au titre de l'atteinte à ses droits patrimoniaux résultant des actes de contrefaçon commis sur les sites Internet de février 2010 à mai 2014, à parfaire,

22 393 € au titre de l'atteinte à ses droits patrimoniaux résultant des actes de contrefaçon commis dans le cadre de campagnes publicitaires presse,

29 077 € au titre de l'atteinte à ses droits patrimoniaux résultant des actes de contrefaçon commis dans le cadre de la réalisation de catalogues papier avec la société YVES ROCHER,

150 000 € au titre de l'atteinte à ses droits moraux résultant des actes de contrefaçon,

d'ordonner la diffusion sur les pages d'ouverture des sites Internet modatoi.com, modatoi.it, modatoi.co.uk, modatoiglamour.com et heeliana.com, pendant une durée de quinze jours, dans les huit jours qui suivront la signification de la décision à intervenir, sous astreinte de 1 000 € par jour de retard, dans un encadré qui occupera le quart supérieur droit de l'écran sous le titre « PUBLICATION JUDICIAIRE A LA DEMANDE DE M. [B] », du communiqué suivant : « Par décision du---------, la Cour d'appel de Paris a condamné la société MODATOI à verser à M. [B] la somme de-------- euros de dommages et intérêts en réparation des préjudices patrimonial et moral subis par M. [B] du fait des actes de contrefaçon commis par la société MODATOI »,

de rejeter toutes les demandes de la société MODATOI ou des organes de la procédure collective,

de fixer l'article 700 à la somme de 10 000 € et d'ordonner l'inscription de cette somme au passif du redressement judiciaire de la société MODATOI.

Dans ses dernières conclusions numérotées 3bis transmises par RPVA le 15 mars 2017, la société MODATOI et les organes de la procédure collective ouverte à son égard (ci-après, la société MODATOI), poursuivant l'infirmation du jugement en ce qu'il a débouté la société MODATOI de ses demandes à l'encontre de M. [B], demandent à la cour :

de rejeter comme étant nouvelle en cause d'appel la demande de M. [B] tendant à sa condamnation à lui payer la somme de 4 186 943 € au titre de l'atteinte à ses droits patrimoniaux,

de juger que les reproduction, fabrication, exposition, offre en vente, mise sur le marché, détention et commercialisation par M. [B] de clichés reproduisant les caractéristiques des clichés de la société MODATOI constituent des actes de contrefaçon de droits d'auteur et des des actes de concurrence déloyale et parasitaire commis à son préjudice,

en conséquence :

de rejeter les demandes de M. [B],

de lui faire interdiction de poursuivre ces actes illicites, et ce sous astreinte de 10 000 € par infraction constatée et de 1 000 € par jour de retard, lesdites astreintes devant être liquidées par la cour d'appel de Paris,

d'ordonner la confiscation des clichés illicites détenus par M. [B], et ce notamment aux fins de leur destruction aux frais avancés de ce dernier,

de condamner M. [B] à lui payer :

30 000 € au titre des atteintes à ses droits patrimoniaux sur les clichés en cause,

10 000 € au titre des atteintes à son droit moral sur les clichés en cause,

d'ordonner, à titre de complément de dommages-intérêts, la publication du jugement à intervenir dans trois journaux ou périodiques au choix de la société MODATOI, et aux frais avancés de M. [B], dans la limite d'un budget de 7 000 € HT par publication,

d'ordonner la publication permanente du dispositif de la décision à intervenir sur la page d'accueil de tous les sites Internet de M. [B], et notamment sur les sites Internet www.[Site Web 1][Site Web 1][Site Web 1][Site Web 1][Site Web 1][Site Web 1][Site Web 1][Site Web 1][Site Web 1][Site Web 1][Site Web 1][Site Web 1][Site Web 1][Site Web 1][Site Web 1][Site Web 1][Site Web 1][Site Web 1][Site Web 1][Site Web 1][Site Web 1][Site Web 1][Site Web 1][Site Web 1][Site Web 1][Site Web 1][Site Web 1][Site Web 1][Site Web 1][Site Web 1][Site Web 1][Site Web 1][Site Web 1][Site Web 1][Site Web 1][Site Web 1][Site Web 1][Site Web 1][Site Web 1][Site Web 1][Site Web 1][Site Web 1][Site Web 1][Site Web 1][Site Web 1][Site Web 1][Site Web 1][Site Web 1][Site Web 1][Site Web 1][Site Web 1][Site Web 1][Site Web 1][Site Web 1][Site Web 1][Site Web 1][Site Web 1][Site Web 1][Site Web 1][Site Web 1][Site Web 1][Site Web 1][Site Web 1][Site Web 1][Site Web 1][Site Web 1][Site Web 1][Site Web 1][Site Web 1][Site Web 1][Site Web 1][Site Web 1][Site Web 1][Site Web 1][Site Web 1][Site Web 1][Site Web 1][Site Web 1].book.fr et www.[Site Web 1][Site Web 1][Site Web 1][Site Web 1][Site Web 1][Site Web 1][Site Web 1][Site Web 1][Site Web 1][Site Web 1][Site Web 1][Site Web 1][Site Web 1][Site Web 1][Site Web 1][Site Web 1][Site Web 1][Site Web 1][Site Web 1][Site Web 1][Site Web 1][Site Web 1][Site Web 1][Site Web 1][Site Web 1][Site Web 1][Site Web 1][Site Web 1][Site Web 1][Site Web 1][Site Web 1][Site Web 1][Site Web 1][Site Web 1][Site Web 1][Site Web 1][Site Web 1][Site Web 1][Site Web 1][Site Web 1][Site Web 1][Site Web 1][Site Web 1][Site Web 1][Site Web 1][Site Web 1][Site Web 1][Site Web 1][Site Web 1][Site Web 1][Site Web 1][Site Web 1][Site Web 1][Site Web 1][Site Web 1][Site Web 1][Site Web 1][Site Web 1][Site Web 1][Site Web 1][Site Web 1][Site Web 1][Site Web 1][Site Web 1][Site Web 1][Site Web 1][Site Web 1][Site Web 1][Site Web 1][Site Web 1][Site Web 1][Site Web 1][Site Web 1][Site Web 1][Site Web 1][Site Web 1][Site Web 1][Site Web 1].com pendant 6 mois, et ce dans un délai de 8 jours à compter de la signification de la décision à intervenir, sous astreinte de 10 000 € par jour de retard,

de dire que ces publications devront s'afficher de façon visible en lettres de taille suffisante, aux frais de M. [B], en dehors de tout encart publicitaire et sans mention ajoutée, dans un encadré de 468x120 pixels : le texte qui devra s'afficher en partie haute et immédiatement visible de la page d'accueil devant être précédé du titre AVERTISSEMENT JUDICIAIRE en lettres capitales et gros caractères,

de dire que les condamnations porteront sur tous les faits illicites commis jusqu'au jour du prononcé de l'arrêt à intervenir,

de condamner M. [B] à lui payer la somme de 20 000 € sur le fondement de l'article 700 code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 21 mars 2017.

MOTIFS DE L'ARRÊT

Considérant qu'en application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il est expressément renvoyé, pour un exposé exhaustif des prétentions et moyens des parties, aux conclusions écrites qu'elles ont transmises, telles que susvisées ;

Sur les demandes présentées par la société MODATOI

Sur les demandes en contrefaçon de droit d'auteur sur les photographies

Sur la titularité des droits de la société MODATOI

Considérant que la société MODATOI revendique la titularité du droit d'auteur sur six clichés qu'elle reproche à M. [B] d'avoir contrefait en les reproduisant et en les vendant sur internet ; qu'elle soutient que les photographies en cause constituent des oeuvres collectives, subsidiairement qu'elle bénéficie de la présomption de titularité édictée par l'article L. 113-1 du code de la propriété intellectuelle sur ces oeuvres du seul fait de leur divulgation en son nom et, plus subsidiairement, que M. [B] s'est obligé implicitement par la signature de son contrat de travail à céder ses droits sur les photographies qu'il réalisait ;

Que M. [B] revendique lui aussi la titularité du droit d'auteur sur les photographies en produisant plusieurs attestations émanant notamment de mannequins représentées sur les clichés litigieux et en faisant valoir qu'il a en sa possession les fichiers des photographies litigieuses, les fichiers des séries dont elles sont issues et des photographies le représentant en train de réaliser des séries photographiques dont sont issues les photographies litigieuses ; qu'il conteste la qualification d'oeuvre collective invoquée par la société MODATOI arguant que son contrat de travail exclut une telle qualification et que les attestations dont se prévaut son adversaire sont douteuses ;

Considérant que les six photographies revendiquées par la société MODATOI sont :

un cliché du mannequin [I] pris le 18 juillet 2013 pour l'offre en vente d'une pochette référencée S2039, mis en ligne et divulgué sur le site www.modatoi.com le 31 juillet 2013,

un cliché du mannequin [R] pris le 25 juillet 2013 pour l'offre en vente de chaussures référencées E6741, mis en ligne et divulgué sur le site www.modatoi.com le 31 juillet 2013,

un cliché du mannequin [E] pris le 19 septembre 2013 pour l'offre en vente d'un soutien-gorge référencée L1815, mis en ligne et divulgué sur le site www.modatoi.com le 11 octobre 2013,

un cliché du mannequin [R] pris le 3 octobre 2013 pour l'offre en vente d'un bandeau de roses référencé A3707, mis en ligne et divulgué sur le site www.modatoi.com le 15 octobre 2013,

un cliché du mannequin [R] pris le 31 juillet 2012 pour l'offre en vente d'escarpins référencés E5902, mis en ligne et divulgué sur le site www.modatoi.com le 7 août 2012,

un cliché du mannequin [F] pris le 24 mars 2012 pour l'offre en vente d'un maillot de bain référencé L989, mis en ligne et divulgué sur le site www.modatoi.com le 18 mai 2012 ;

Considérant qu'aux termes de l'alinéa 3 de l'article L.113-2 du code de la propriété intellectuelle, 'Est dite collective l''uvre créée sur l'initiative d'une personne physique ou morale qui l'édite, la publie et la divulgue sous sa direction et son nom et dans laquelle la contribution personnelle des divers auteurs participant à son élaboration se fond dans l'ensemble en vue duquel elle est conçue, sans qu'il soit possible d'attribuer à chacun d'eux un droit distinct sur l'ensemble réalisé' ;

Considérant, en l'espèce, qu'il est constant que la société MODATOI est à l'origine de la création des photographies litigieuses, toutes réalisées pour la promotion des vêtements, chaussures et accessoires de mode commercialisés sur ses sites internet, et que les photographies ont été divulguées sous le seul nom de la société MODATOI, employeur de M. [B] ;

Qu'aux termes de son contrat de travail conclu le 3 février 2010, M. [B] était chargé des prises de vue des nouveaux modèles à mettre en vente, de la gestion et de la préparation du studio photo, de la sélection des mannequins, de la retouche des photographies ; que l'avenant en date du 1er décembre 2011 l'ayant promu responsable du service photographique, lui a en outre confié la gestion du personnel et du recrutement ;

Que cependant, la société MODATOI produit aux débats de nombreuses attestations décrivant les conditions de réalisation des photographies en cause qui révèlent que Mme [U], gérante, avait un rôle d'orientation et même de décision dans le processus de création, les séances de photographies se déroulant en présence de plusieurs intervenants ; qu'ainsi M. [H], retoucheur photo, explique que Mme [U] choisit les modèles, les coiffures, le maquillage, le lieu du 'shooting', et même l'arrière-plan ou l'éclairage et qu'elle organise une réunion avant chaque séance pour 'communiquer ses décisions' ; que M. [K], commercial et fournisseur de la société MODATOI, confirme qu'une fois les produits sélectionnés, Mme [U] donnait des instructions précises de ce qu'elle voulait pour le 'shooting', le choix du mannequin, sa pose, le lieu, les coiffures et demandait parfois de 'reshooter' car elle n'était pas satisfaite ; que M. [O], assistant photographe engagé en octobre 2012, atteste qu'il assistait M. [B] sur tous les 'shootings' et qu'il a lui-même réalisé certaines images et participé à l'élaboration d'autres en contribuant aux choix des réglages, des plans, des lumières et des décors ; que Mme [Z], assistante photographe engagée en novembre 2011, atteste que les échanges d'idées entre les personnes de l'équipe de 'shooting' permettaient de définir les plans et éclairage ; que Mme [A], mannequin, affirme que M. [B] n'avait pas le contrôle intégral des 'shootings', n'étant pas le seul décisionnaire pour les lieux, le maquillage, le choix des mannequins, et précise que M. [O] s'occupait de la luminosité et d'autres détails nécessaires au bon déroulement des 'shootings' pour lesquels il avait son mot à dire, tout comme Mme [U] qui prenait la décision finale ; que Mme [Q], mannequin, indique que Mme [U] a un rôle important sur l'image de MODATOI, qu'elle rejette ou valide les 'shootings', les tenues, accessoires et maquillage et qu'il y avait des assistants au cours des séances photos sur lesquelles intervenait M. [B] ; que ces propos sont corroborés par ceux de Mme [F], salariée ; que M. [M], employé du service commercial, témoigne de ce que le service photographie était composé, outre du responsable photo, d'assistants, de retoucheurs, de stylistes et d'une coiffeuse maquilleuse, toutes ces personnes se déplaçant sur les lieux des 'shootings', que le choix des lieux, des mannequins et des 'looks' appartenait aux gérants qui validaient ou rejetaient les clichés ; que M. [W], propriétaire d'un bowling utilisé pour les séances photos, relate que l'équipe était composée de quatre à neuf personnes (photographe, coiffeuse, styliste, assistant) et qu'il a constaté à plusieurs reprises que Mme [U] donnait des recommandations et des directives à M. [B] ; que Mme [P], styliste, indique qu'elle avait la responsabilité des 'looks' et des accessoires des mannequins qu'elle préparait et habillait, tâches auxquelles M. [B] ne participait aucunement, précisant que M. [O], assistant photographe, réalisait également des clichés qui ont été diffusés sur le site MODATOI et qu'il remplaçait occasionnellement M. [B] ; que dans un courriel du 9 avril 2014 adressé à Mme [U], M. [B] interroge la gérante quant aux vêtements et chaussures devant être portés lors de deux séances de photographies ;

Que le fait que certains de ces témoignages émanent de salariés de la société MODATOI ne suffit pas à faire douter de leur sincérité, dès lors que leurs auteurs, travaillant au contact régulier de M. [B], étaient à même de connaître les faits relatés et qu'aucun élément objectif ne permet de les écarter ;

Que de son côté, M. [B] produit plusieurs témoignages de mannequins, qui font état, parfois en des termes très proches, du fait qu'elles étaient contactées pour les séances photos par M. [B] ou Mme [R], coiffeuse et maquilleuse, ce qui est sans emport, et que M. [B], seulement accompagné de Mme [R], intervenait seul pour le choix des lieux des séances, des éclairages et des poses (attestations [E], Mme [Q], [S], [X], [I], [T]) ; que Mme [C], mannequin également, confirme ces dires et précise que M. [B] était parfois accompagné d'un assistant mais que celui-ci ne bornait à des réglages techniques à la demande et sous le contrôle du photographe ; que plusieurs témoignages émanant de personnes ayant loué des locaux pour les séances de photographies (attestations [N], [V], [G], [D], [L], [NN], [BB]) confirment que M. [B] n'était accompagné que du mannequin et de Mme [R], parfois d'un assistant, et qu'il choisissait seul les lieux, les éclairages et les poses ;

Que s'il ressort ainsi des témoignages fournis par M. [B] que celui-ci opérait le plus souvent avec le seul concours de Mme [R], la société MODATOI justifie cependant qu'à l'époque des prises de vue des photographies litigieuses (mai 2012/ octobre 2013) elle employait, outre M. [B] et Mme [R], M. [O] et Mme [OO], assistants photographes, Mme [P], styliste précitée, Mme [LL], styliste, Mme [CC] puis M. [GG], infographistes et retoucheurs des photographies, Mme [Z] assistante photographe ; que plusieurs attestations font état de la présence d'assistants lors des "shootings", les intéressés - Mme [Z], MM. [O] et [GG] - témoignant de leur présence, les deux derniers expliquant, l'un, qu'il effectuait parfois lui-même des clichés (témoignage confirmé par Mme [P]) et, l'autre, qu'il procédait au retouchage des photos sur Photoshop ; que du reste l'attestation de M. [GG], fournie par M. [B], confirme que les séances de photographies consistaient en un travail d'équipe ; qu'en outre, il n'est pas contesté que M. [B] ne déterminait pas seul le résultat final des photographies, la décision de mettre en ligne les clichés revenant à la gérante, Mme [U], quand ils répondaient à ses attentes et à ses exigences ;

Qu'il est de peu d'emport que M. [B] ait conservé les fichiers des photographies en cause ;

Que la société MODATOI établit qu'elle finançait le matériel photographique mis à la disposition de M. [B], même si celui-ci pouvait utiliser certains accessoires personnels, les frais de location des lieux utilisés pour les séances de photographies, les rémunérations des mannequins, outre les salaires des personnels présents sur les "shootings", parmi lesquels M. [B] ;

Qu'il sera ajouté que la société MODATOI justifie qu'avant même l'arrivée de M. [B] en février 2010, elle avait adopté pour ses photographies de mode, réalisées à l'époque par d'autres photographes en free lance ou les gérants eux-même, une identité visuelle se démarquant de la concurrence, définie par les gérants et caractérisée par des mises en situation des produits sur les mannequins (attestations [O], [UU], [KK], [ZZ], [RR], courriel de Mme [U] du 15 avril 2007) ;

Qu'en définitive, les choix de M. [B] étaient largement contraints puisque son travail devait permettre avant tout de promouvoir les produits qui seraient commercialisés par son employeur et que le photographe ne disposait donc pas d'une réelle liberté de créateur ; que par ailleurs, il ressort de plusieurs témoignages circonstanciés et crédibles que la gérante de la société MODATOI, qui avait seule l'initiative de la création des photographies, intervenait régulièrement dans le processus de création, avant les séances, lors de réunions qu'elle organisait, et parfois pendant, tout en se réservant la possibilité de critiquer ou de refuser les clichés réalisés par M. [B] ; qu'il ressort, en outre, des témoignages fournis, y compris par le photographe lui-même, que les photographies réalisées impliquaient la contribution de plusieurs intervenants (gérante, photographe, assistant, coiffeuse-maquilleuse, styliste) au sein d'un travail d'équipe - même si celle-ci était parfois réduite -, au cours duquel l'assistant photographe était amené à prendre lui-même les clichés et/ou à les retoucher, les contributions des uns et des autres se confondant sans qu'il soit toujours possible de déterminer la part de chaque contributeur ;

Que, dans ces conditions, les photographies dont s'agit doivent recevoir la qualification d'oeuvres collectives pour lesquelles seule la société MODATOI est investie des droits de l'auteur ;

Que le jugement déféré qui a déclaré la société MODATOI irrecevable à agir en contrefaçon pour les six photographies en cause sera en conséquence infirmé en toutes ces dispositions et qu'il sera statué sur l'ensemble des demandes des parties ;

Sur les actes de contrefaçon

Considérant qu'aux termes de l'article L.122-4 du code de la propriété intellectuelle, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants-droit ou ayants-cause est illicite et qu'il en est de même pour la traduction, l'adaptation ou la transformation, l'arrangement ou la reproduction par un art ou un procédé quelconque ;

Considérant qu'il ressort des procès-verbaux de constat sur internet établis les 11 et 22 avril 2014 que M. [B] a exposé les six photographies précitées sur son site www.500px.com, sans autorisation de la société MODATOI et sans mention de celle-ci ; que la mise en vente des photographie n'est en revanche pas démontrée, pas plus que l'achat par la société MODATOI d'une des photographies litigieuse sur le site en cause, M. [B] faisant valoir à juste raison que sa page internet ne présente pas la même configuration que les pages de sites sur lesquels des photos sont proposées à la vente et la facture d'achat fournie par la société MODATOI ne permettant pas de vérifier qu'elle concerne l'achat d'un cliché réalisé par M. [B] ;

Que la contrefaçon des droits d'auteur de la société MODATOI est ainsi caractérisé ;

Sur les mesures réparatrices

Considérant qu'aux termes de l'article L. 331-1-3 du code de la propriété intellectuelle en matière de contrefaçon, pour fixer les dommages et intérêts, la juridiction prend en considération distinctement : 1° Les conséquences économiques négatives de l'atteinte aux droits, dont le manque à gagner et la perte subis par la partie lésée ; 2° Le préjudice moral causé à cette dernière ; 3° Et les bénéfices réalisés par l'auteur de l'atteinte aux droits, y compris les économies d'investissements intellectuels, matériels et promotionnels que celui-ci a retirées de l'atteinte aux droits ; que ce texte prévoit en outre que la juridiction peut, à titre d'alternative et sur demande de la partie lésée, allouer à titre de dommages et intérêts une somme forfaitaire supérieure au montant des redevances ou droits qui auraient été dus si l'auteur de l'atteinte avait demandé l'autorisation d'utiliser le droit auquel il a porté atteinte et non exclusive de l'indemnisation du préjudice moral causé à la partie lésée ;

Considérant que la société MODATOI fait valoir que dans un secteur très concurrentiel, les agissements de M. [B] portent atteinte à ses investissements destinés à mettre en valeur ses produits offerts à la vente ;

Considérant qu'il y a lieu de fixer à la somme de 3 600 € (soit 600 € par photographie reproduite) le montant des dommages et intérêts devant réparer le préjudice résultant de l'atteinte aux droits patrimoniaux d'auteur de la société MODATOI ; que la somme de 1 000 € réparera le préjudice moral de la société résultant de la reproduction des six clichés sans son autorisation et avec le seul nom de M. [B] ;

Considérant qu'il y a lieu de faire interdiction à M. [B] de poursuivre les actes de contrefaçon constatés, sous astreinte définitive de 500 € par infraction constatée à compter de la signification de cet arrêt ;

Que la cessation des actes de contrefaçon étant ainsi suffisamment garantie, il ne sera pas fait droit aux mesures de confiscation aux fins de destruction et de publication également sollicitées ;

Sur la demande en concurrence déloyale et parasitaire

Considérant que la société MODATOI ne consacre aucun développement dans ses écritures aux actes de concurrence déloyale et parasitaire qu'aurait commis M. [B] et qu'elle ne forme aucune demande chiffrée à ce titre dans le dispositif des dites écritures ;

Qu'il y a donc lieu de considérer que la société MODATOI ne maintient pas sa demande en appel ;

Sur les demandes en contrefaçon de droit d'auteur présentées par M. [B]

Considérant que M. [B] se plaint de l'exploitation par son ancien employeur 'd'un nombre extrêmement élevé de photographies' qu'il a réalisées alors qu'il était salarié et dont il se dit l'auteur ;

Que la société MODATOI soulève l'irrecevabilité des demandes de M. [B] à ce titre en ce qu'elles portent sur 407 794 autres clichés qui n'ont pas été invoqués en première instance ; qu'elle revendique la titularité des droits d'auteur sur les six clichés litigieux ;

Considérant qu'en première instance, M. [B] ne limitait pas sa demande en contrefaçon aux six photographies litigieuses, reprochant à son ancien employeur l'utilisation des photographies prises dans le cadre de son contrat de travail et présentant à ce titre une demande d'un montant de 100 000 € (et donc portée à 14 336 934 € en appel) en réparation de son préjudice ; qu'en outre, sa demande en ce qu'elle porte sur d'autres clichés que les 6 revendiqués par la société MODATOI peut s'analyser en une demande accessoire ou complémentaire à celle soumises aux premiers juges au sens de l'article 566 du code de procédure civile ;

Que force est cependant de constater que M. [B] s'abstient de caractériser les clichés qu'il revendique, autres que les six photographies invoquées par la société MODATOI en première instance ;

Que surtout, il s'infère des développements qui précèdent que M. [B] ne démontre pas être titulaire des droits d'auteur sur les photographies qu'il revendique qui apparaissent devoir revêtir la qualification d'oeuvres collectives au sens de l'article de l'alinéa 3 de l'article L.113-2 du code de la propriété intellectuelle et pour lesquelles la société MODATOI est donc seule investie des droits de l'auteur ;

Que M. [B] doit, en conséquence, être déclaré irrecevable en ses demandes en contrefaçon de droits d'auteur ;

Sur les dépens et frais non compris dans les dépens

Considérant que M. [B] supportera les dépens de première instance et d'appel et gardera à sa charge les frais non compris dans les dépens qu'il a exposés à l'occasion de la présente instance, les dispositions prises sur les dépens et les frais irrépétibles de première instance étant infirmées ;

Que l'équité ne commande pas de faire droit à la demande formée par la société MODATOI sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

PAR CES MOTIFS,

LA COUR,

Infirme le jugement déféré en toutes ses dispositions,

Dit que la société MODATOI est titulaire des droits d'auteur sur les six clichés photographiques en cause et est recevable en ses demandes en contrefaçon ;

Dit que M. [B], en exposant les six photographies sur son site www.500px.com, sans autorisation de la société MODATOI et sans mention de celle-ci, a commis des actes de contrefaçon au préjudice de la société MODATOI,

Condamne M. [B] à payer à la société MODATOI les sommes suivantes à titre de dommages et intérêts :

3 600 € en réparation de l'atteinte portée aux droits patrimoniaux de la société MODATOI,

1 000 € en réparation de l'atteinte portée au droit moral de la société MODATOI,

Fait interdiction à M. [B] de poursuivre les actes de contrefaçon constatés, sous astreinte définitive de 500 € par infraction constatée à compter de la signification de cet arrêt,

Déclare M. [B] irrecevable en ses demandes en contrefaçon de droits d'auteur,

Condamne M. [B] aux dépens de première instance et d'appel,

Déboute la société MODATOI de ses autres demandes, dont celle fondée sur l'article 700 du code de procédure civile.

LE PRÉSIDENTLE GREFFIER


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 5 - chambre 1
Numéro d'arrêt : 16/02857
Date de la décision : 23/05/2017

Références :

Cour d'appel de Paris I1, arrêt n°16/02857 : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2017-05-23;16.02857 ?
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