RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 11
ARRÊT DU 19 Mai 2017
(n° , 5 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : S 16/02358
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 05 Juin 2015 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS RG n° F14/02662
APPELANTE
Madame [L] [F]
[Adresse 1]
[Localité 1]
née le [Date naissance 1] 1986 à [Localité 2]
représentée par Me Laura MICHL, avocat au barreau de PARIS, toque : P0461 substitué par Me Margaux MATHIEU, avocat au barreau de PARIS
INTIMEE
SARL BAXTER
[Adresse 2]
[Localité 3]
N° SIRET : 325 894 350
représentée par Me Caroline LEVY-RAMOS, avocat au barreau de PARIS, toque : C1327
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 07 Mars 2017, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Valérie AMAND, Conseillère, chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Madame Valérie AMAND, faisant fonction de présidente
Monsieur Christophe BACONNIER, conseiller
Madame Jacqueline LESBROS, conseiller
Greffier : Mme Aurélie VARGAS, lors des débats
ARRET :
- CONTRADICTOIRE
- mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.
- signé par Madame Valérie AMAND, faisant fonction de Présidente et par Madame Aurélie VARGAS, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire
Faits et procédure
Madame [L] [F] née le [Date naissance 1] 1986 qui travaillait pour la société Delprat Relations Presses dans le cadre d'un contrat à durée déterminée de 9 mois qui devait se terminer le 30 septembre 2013 a, par courrier du 26 août 2013, notifié la rupture anticipée de ce contrat en demandant à être libérée le vendredi 13 septembre 2013 au soir.
A cette lettre était jointe une attestation datée du 29 août 2013 de M. [B] gérant de la Sarl BAXTER- qui a une activité de restauration traditionnelle et exerce sous l'enseigne 'La Petite Cour- qu'une promesse d'embauche lui était faite pour un poste d'attachée de communication, commercialisation et hôtesse d'accueil au sein du restaurant '. La petite cour"dans le courant du mois de septembre 2013 avec un salaire prévu de 2500 euros brut tout compris.
Après plusieurs semaines de travail de Madame [L] [F] au sein de la Sarl BAXTER, un formulaire de rupture conventionnelle était signé des parties portant la date du 23 octobre 2013, et mentionnant le paiement d'une indemnité de 3000 euros et une fin du contrat de travail au 3 décembre 2013.
Le 21 février 2014, Madame [L] [F] a saisi le conseil de prud'hommes de Paris pour voir dire que le contrat de travail conclu avec la Sarl BAXTER était à durée déterminée, que la rupture conventionnelle de ce contrat à durée déterminée n'était pas un mode de rupture valable et demandait la condamnation de la Sarl BAXTER à lui payer la somme de 10 000 euros correspondant aux salaires restant dus jusqu'à la date de fin de contrat ; elle demandait également une indemnité forfaitaire pour travail dissimulé, des dommages intérêts pour préjudice moral et subsidiairement des dommages intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Par jugement en date du 5 juin 2015, le conseil de prud'hommes de Paris a débouté Madame [L] [F] de l'ensemble de ses demandes, a débouté la société BAXTER de sa demande reconventionnelle au titre de l'article 700 du code de procédure civile et a condamné Madame [L] [F] aux dépens.
Madame [L] [F] a régulièrement formé appel de ce jugement .
Par conclusions visées par le greffier à l'audience des débats du 17 mars 2017, Madame [L] [F] demande à la cour l'infirmation du jugement déféré, et
à titre principal de condamner la Sarl BAXTER à lui verser la somme de 10 000 euros au titre de la rupture abusive du contrat de travail à durée déterminée et la somme de 1 500 euros au titre de l'indemnité de fin de contrat ;
à titre subsidiaire, de condamner la Sarl BAXTER à lui verser la somme de 2 500 euros à titre d'indemnité de requalification en contrat de travail à durée indéterminée et la somme de 15 000 euros à titre de dommages intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse;
en toute hypothèse, de condamner la Sarl BAXTER à lui verser les sommes suivantes :
- 15 000 euros à titre d'indemnité forfaitaire pour travail dissimulé,
- 5 000 euros à titre de dommages intérêts pour préjudice moral
- 1 500 euros à titre de dommages intérêts pour absence de visite médicale d'embauche
- 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile
Ordonner à la Sarl BAXTER la délivrance des bulletins de paie, certificat de travail et attestation Pôle Emploi rectifiés.
Par conclusions visées par le greffier à l'audience des débats du 17 mars 2017, la société BAXTER demande à la cour la confirmation du jugement déféré, le rejet de toutes les demandes de l'appelante, sa condamnation au paiement des dépens et de la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ; à titre subsidiaire, ramener à de plus justes proportions les demandes de l'appelante et en tout état de cause, condamner Madame [L] [F] à payer la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et en tous les dépens de première instance et d'appel.
A l'audience des débats, les parties ont soutenu oralement les écritures susvisées auxquelles elles ont renvoyé la cour qui s'y réfère pour un plus ample exposé des faits, moyens et prétentions.
Motivation
Sur la qualification du contrat de travail
La salariée qui soutient qu'il avait été convenu avec son employeur qu'elle était embauchée pour une durée déterminée du 1er octobre 2013 au 31 mars 2014 ne le démontre pas ;
en effet le document qu'elle produit (pièce 3) qui ne comporte pas l'en-tête de la société n'est pas signé par l'employeur, ne comporte pas la mention "lu et approuvé" par la salariée, porte mention d'un salaire mensuel de 2000 euros différent de celui envisagé dans la promesse d'embauche et une date d'embauche différente de celle invoquée par la salariée elle-même.
L'employeur qui conteste avoir eu la volonté d'embaucher la salariée pour une durée déterminée soulève le caractère non fiable des documents produits par la salariée en indiquant qu'elle avait accès librement à la boite mail de la société qu'elle a fouillée et aux archives et remet en cause l'authenticité des courriels et documents produits .
La cour observe que la salariée ne dément pas le libre accès à la boîte mail de la société ; ce fait est confirmé par Mme [E] qui indique que la salariée appelante avait accès à la boite mail de la société dont elle avait les codes d'accès ; par suite le mail du 23 octobre 2013 envoyé de la boite structurelle et attribué au directeur et mentionnant un poste à temps complet du 1er octobre 2013 au 31 mars 2014 doit être regardé avec circonspection, dès lors qu'il existe un doute sur les conditions de son établissement ; de même l'échange avec la boîte structurelle (pièce 18) sans qu'il soit possible de savoir qui a envoyé le mail ne peut être retenu ; par ailleurs, la cour observe que l'attestation Pole Emploi produite par la salariée ( pièce 4) ne comporte pas le cachet de l'entreprise et il n'est pas établi dans quelles conditions et par qui il a été complété , en sorte que la mention CDD sans que soit d'ailleurs indiqué la durée du contrat ne peut suffire à caractériser la volonté des parties de n'engager la salariée pour la durée qu'elle allègue ;
Enfin, si une collègue Mme [E] a envoyé à l'appelante un courriel le 3 février 2014 après le départ de la salariée dans lequel elle lui écrivait " je certifie que Madame [L] [F] a bien pris ses fonctions le 16 septembre 2013 dans le cadre d'un cdd de 6 mois afin de prendre ma suite au restaurant "La petite cour" en tant qu'attachée commerciale et communication" , elle précise dans cette attestation que ce qu'elle a alors écrit ne correspondait pas à la réalité et indique " ce mail m'a été demandé par Melle [F] car elle ne pouvait pas toucher les allocations chômage. Etant prise en pitié par sa situation face à son impossibilité de toucher le chômage j'ai voulu gentiment l'aider pour qu'elle puisse avoir droit aux allocations. Quelques semaines plus tard Melle [F] m'a contact à nouveau pour remplir je cite " un formulaire" qui était en réalité une attestation de témoignage Cerfa. Je n'ai pas donné suite à sa demande."
Au vu de cette attestation conforme aux exigences de l'article 202 du code de procédure civile, l'appelante ne peut se prévaloir du mail du 3 février 2014 pour en déduire qu'elle avait été embauchée pour le remplacement de Mme [E] pour un CDD allant du 1er octobre 2013 au 31 mars 2014 et même si le contrat de Mme [E] n'est pas produit, il ne peut s'en déduire que les parties avaient convenu que Madame [L] [F] serait embauchée pour la remplacer du 1er octobre 2013 au 31 mars 2014.
Par suite la cour considère que la preuve de l'intention commune des parties de n'embaucher Madame [L] [F] que pour une durée déterminée telle qu'alléguée par la salariée n'est pas suffisamment rapportée et la cour retient que l'embauche de la salariée à compter du 1er octobre 2013 s'est faite sur la base d'un contrat à durée indéterminée.
Par suite, la salariée est déboutée de sa demande en paiement des salaires réclamés au titre de la rupture anticipée du contrat ainsi que de sa demande de requalification, d'indemnité de requalification et d'indemnité de fin de contrat.
Sur la rupture du contrat de travail à durée indéterminée
La cour observe qu'aucune des parties ne justifie avoir demandé l'homologation de la rupture conventionnelle signée le 25 octobre 2013.
En l'absence d'homologation de ladite rupture conventionnelle, celle-ci ne peut avoir d'effets, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de nullité invoqués par la salariée.
Les parties étant d'accord pour dire que le contrat a été de fait rompu au 3 décembre 2013, la cour retient que la rupture étant intervenue sans que l'employeur ne justifie d'aucun motif, la rupture doit être considérée comme abusive.
Au vu de l'âge et de l'ancienneté de la salariée au moment de la rupture ( moins de trois mois), de l'absence de justification suffisante de sa situation actuelle, si ce n'est la preuve apportée par la société intimée qu'elle a créé une entreprise en avril 2014, ce qui peut expliquer son déménagement, la cour alloue à la salariée appelante la somme de 3 000 euros au titre des dommages intérêts pour rupture abusive de son contrat de travail sur le fondement de l'article 1235-5 du code du travail, de nature à réparer le préjudice matériel et moral causé par cette rupture injuste alors qu'elle venait de quitter un autre emploi.
Sur la demande d'indemnité pour travail dissimulé
L'article L.8221-1 du code du travail prohibe le travail totalement ou partiellement dissimulé défini par l'article L.8221-3 du même code relatif à la dissimulation d'activité ou exercé dans les conditions de l'article L.8221-5 du même code relatif à la dissimulation d'emploi salarié.
Aux termes de l'article L.8223-1 du code du travail, le salarié auquel l'employeur a recours dans les conditions de l'article L.8221-3 ou en commettant les faits prévus à l'article L.8221-5 du même code relatifs au travail dissimulé a droit, en cas de rupture de la relation de travail, à une indemnité forfaitaire égale à six mois de salaire.
L'article L.8221-5, 1°, du code du travail dispose notamment qu'est réputé travail dissimulé par dissimulation d'emploi salarié le fait pour un employeur de se soustraire intentionnellement à l'accomplissement de la déclaration préalable à l'embauche prévue par l'article L.1221-10 du code du travail.
L'indemnité forfaitaire pour travail dissimulé est due quelle que soit la qualification de la rupture.
Indiquant avoir travaillé du 15 septembre 2013 au 30 septembre 2013 sans déclaration de la part de l'employeur, la salariée en déduit qu'il a dissimulé intentionnellement l'activité de la salariée.
Si au vu des bulletins de paie, il apparaît que la salariée a commencé à travailler le 1er octobre 2013, l'attestation d'embauche ayant permis à la salariée de se libérer de son ancien emploi prévoit cette une embauche en septembre et la salariée produit deux échanges de mails professionnels des 20 et 23 septembre 2013 ; au vu de la teneur de ces mails ( avis sur une publicité de l'entreprise , listing des journalistes gastronomie), la cour considère que la salariée n'a pas fait que venir ponctuellement à l'entreprise pour prendre ses marques, comme il l'allègue ; par ailleurs la cour relève que l'employeur à qui la salariée reproche de ne pas avoir fait la déclaration préalable à l'embauche ne justifie pas de l'accomplissement de cette démarche, pas plus qu'il ne justifie avoir délivré un bulletin de paie pour la période du 15 au 30 septembre 2013 ; eu égard au nombre de carences, la dissimulation partielle d'emploi est considérée comme intentionnelle ; l'employeur sera condamné à payer à la salariée la somme de 15 000 euros à titre d'indemnité pour travail dissimulé sur la base d'un salaire contractuel de 2500 euros non contesté.
Sur la demande relative à l'absence de visite médicale d'embauche
C'est en vain que l'employeur se réfère à la loi El Khomery non applicable à l'espèce pour prétendre n'avoir commis aucun manquement, alors que l'article R.4624-10 du code du travail dans sa version applicable à l'espèce obligeait l'employeur à faire réaliser un examen médical d'embauche, ce dont il ne justifie pas ; en revanche, faute pour la salariée de démontrer le préjudice subi du fait de cette absence d'examen médical, le rejet de sa demande d'indemnisation s'impose.
Sur les autres demandes
Compte tenu de la présente décision, la société est condamnée à remettre à Madame [L] [F] les bulletins de paie, certificat de travail et attestation Pôle Emploi rectifiés conformément au présent arrêt.
L'issue du litige conduit à mettre les dépens de première instance et d'appel à la charge de la société intimée et de condamner la Sarl BAXTER à payer à la salariée appelante la somme de 1 800 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et de débouter la société de sa propre demande de ce chef.
PAR CES MOTIFS
Infirme le jugement déféré en ce qu'il a débouté Madame [L] [F] de sa demande de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, de sa demande d'indemnité forfaitaire pour travail dissimulé et de sa demande de remise des documents de fin de contrat rectifiés et en ce qu'il a condamné Madame [L] [F] aux dépens de première instance.
Statuant à nouveau de ces chefs,
Condamne la Sarl BAXTER à payer à Madame [L] [F] la somme de 3 500 euros de dommages intérêts pour rupture abusive de son contrat de travail
Condamne la Sarl BAXTER à payer à Madame [L] [F] la somme de 15 000 euros à titre d'indemnité pour travail dissimulé
Condamne la Sarl BAXTER à remettre à Madame [L] [F] les bulletins de paie, certificat de travail et attestation Pôle Emploi rectifiés conformément à l'arrêt
Condamne la Sarl BAXTER aux dépens de première instance
Confirme le jugement en ses autres dispositions.
Y ajoutant,
Condamne la Sarl BAXTER à payer à Madame [L] [F] la somme de 1800 euros aux dépens d'appel
Condamne la Sarl BAXTER aux dépens d'appel
Rejette toutes les autres demandes.
LE GREFFIERLA CONSEILLERE FAISANT FONCTION DE PRESIDENTE