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12/05/2017 | FRANCE | N°15/12092

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 11, 12 mai 2017, 15/12092


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS







COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 11



ARRÊT DU 12 Mai 2017

(n° , 11 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : S 15/12092



Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 03 Novembre 2015 par le Conseil de prud'hommes - Formation de départage d'AUXERRE section RG n° 14/00134





APPELANT

Monsieur [R] [D]

[Adresse 1]

[Adresse 2]

né le [Date naissance 1] 1968 à AUXERRE (89000)r>


comparant en personne, assisté de Me Catherine ILLOUZ, avocat au barreau de PARIS, toque : D1518





INTIMEE

SA SCHIEVER DISTRIBUTION

[Adresse 3]

[Adresse 4]



représentée par Me ...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 11

ARRÊT DU 12 Mai 2017

(n° , 11 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : S 15/12092

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 03 Novembre 2015 par le Conseil de prud'hommes - Formation de départage d'AUXERRE section RG n° 14/00134

APPELANT

Monsieur [R] [D]

[Adresse 1]

[Adresse 2]

né le [Date naissance 1] 1968 à AUXERRE (89000)

comparant en personne, assisté de Me Catherine ILLOUZ, avocat au barreau de PARIS, toque : D1518

INTIMEE

SA SCHIEVER DISTRIBUTION

[Adresse 3]

[Adresse 4]

représentée par Me Fabien CORNU, avocat au barreau D'AUXERRE

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 02 Mars 2017, en audience publique, devant la Cour composée de :

Monsieur Christophe BACONNIER, faisant fonction de Président

Madame Valérie AMAND, Conseillère

Mme Jacqueline LESBROS, Conseillère

qui en ont délibéré

Greffier : Mme Aurélie VARGAS, lors des débats

ARRET :

- CONTRADICTOIRE

- mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.

- signé par Monsieur Christophe BACONNIER, faisant fonction de Président et par Madame Aurélie VARGAS, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire

RAPPEL DES FAITS, PROCEDURE ET MOYENS DES PARTIES

La société SCHIEVER DISTRIBUTION a employé Monsieur [R] [D] par contrat de travail à durée indéterminée à compter du 17 mars 2003 en qualité de chef de produit, cadre.

Les relations contractuelles entre les parties étaient soumises à la convention collective nationale du commerce de gros à prédominance alimentaire.

Sa rémunération mensuelle brute moyenne s'élevait sur les 12 derniers mois à la somme de 4.376,06 euros.

Par lettre notifiée le 6 décembre 2013, Monsieur [R] [D] a été convoqué à un entretien préalable fixé au 19 décembre 2013 et a fait l'objet d'une mise à pied conservatoire.

Monsieur [R] [D] a ensuite été licencié pour faute grave par lettre notifiée le 27 décembre 2013 ; la lettre de licenciement indique :

« Nous faisons suite à l'entretien que vous avez eu le 19 Décembre 2013 avec Mr [O] [A], Directeur Achat/Marketing et Mr [J], D.R.H., au cours duquel vous étiez assisté de Mr [E] [S].

Au cours de cet entretien, les faits suivants vous ont été reprochés :

Le 29/11/2013, Mr [O], Responsable de la Branche Bricolage, a été alerté par Mme M-[H] [H], responsable juridique de la société WELDOM, [Adresse 5], d'un litige concernant un avenant frauduleux conclu avec un de leur fournisseur. En effet, après lecture dudit avenant, Mr [O] s'est rendu compte que vous aviez signé un avenant au contrat avec le fournisseur BDR, SARL située [Adresse 6], au nom de la société WELDOM, située [Adresse 5] et ce malgré le fait que vous n'êtes pas salarié de cette société et que vous ne possédez aucun mandat pour signer un tel document

Mr [O] a donc averti Mr [A], votre responsable hiérarchique de ces faits.

Interrogé sur le sujet, vous avez reconnu que vous n'aviez aucun pouvoir pour signer un tel document.

Cet avenant concerne 3 références de brouettes commercialisées dans le réseau Weldom en triple net.

En établissant un nouvel avenant, au nom de la société WELDOM situé [Adresse 5], vous avez remis en cause la négociation que cette société avait réalisée avec le fournisseur BDR. De ce fait, cet avenant porte préjudice à la société WELDOM puisqu'il remet en cause les conditions financières fixées entre ces 2 parties.

La société WELDOM située [Adresse 5] a donc fait part à Mr [A] par l'intermédiaire de sa responsable juridique, Mme [H], de la gravité de ces faits et de leur mécontentement sur le fait que nous établissions de faux actes juridiques établis en leur nom. Faits que Mme [H] a attesté dans un courrier envoyé à Mr [O].

Compte tenu de ces faits, et afin de solutionner le litige entre le fournisseur BDR et la société WELDOM, [Adresse 5], la société WELDOM, [Adresse 5] nous demande de payer une facture représentant le montant contesté par le fournisseur au regard dudit avenant.

Au cours de l'entretien, vous avez reconnu ces faits en expliquant que vous pensiez agir dans l'intérêt de [B] et au nom de [B].

Les explications que vous nous avez fournies ne sont pas de nature à excuser votre comportement. Vous comprendrez au regard de ces faits et de votre statut que nous ne pouvons accepter de telles fautes dans l'accomplissement de votre travail.

En effet, l'avenant que vous avez signé alors que vous n'aviez aucun pouvoir pour cela est un faux. Votre faute nuit fortement à notre image et à nos relations notamment avec la société WELDOM située [Adresse 5].

De plus, vous ne pouviez ignorer que notre partenariat avec la SA WELDOM prévoit que nous devons appliquer les accords négociés pour nos magasins de bricolage sans aucune possibilité de renégociation avec les fournisseurs. Nous vous rappelons donc l'article 17 du règlement intérieur de la société SA SCHIEVER DISTRIBUTION qui stipule bien que « tout salarié, quelle que soit sa position hiérarchique, est responsable des tâches qui lui sont confiées et que les règles de discipline générale précisées ci-après doivent concourir à la bonne exécution de ces tâches. Dans l'exécution des tâches qui lui sont confiées, il est tenu de respecter les instructions qui lui sont données par ses supérieurs hiérarchiques directs et, de, façon générale, de se conformer aux consignes et prescriptions portées à sa connaissance ».

Compte tenu de ce qui précède, nous nous voyons dans l'obligation de vous notifier par la

présente lettre recommandée . avec accusé de réception, votre licenciement pour faute grave, et ce, à compter de l'envoi de la présente lettre. La période relative à votre mise à pied à titre conservatoire ne vous sera donc pas rémunérée (') ».

A la date de présentation de la lettre recommandée notifiant le licenciement, Monsieur [R] [D] avait une ancienneté de 10 ans et 9 mois.

La société SCHIEVER DISTRIBUTION occupait à titre habituel au moins onze salariés lors de la rupture des relations contractuelles.

Contestant la légitimité de son licenciement et réclamant diverses indemnités consécutivement à la rupture de son contrat de travail, Monsieur [R] [D] a saisi le conseil de prud'hommes de Auxerre qui, par jugement du 3 novembre 2015 auquel la cour se réfère pour l'exposé de la procédure antérieure et des prétentions initiales des parties, a débouté Monsieur [R] [D] de l'ensemble de ses demandes, a débouté la société SCHIEVER DISTRIBUTION de sa demande formée sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile et a condamné Monsieur [R] [D] au dépens.

Monsieur [R] [D] a relevé appel de ce jugement par déclaration parvenue au greffe de la cour le 25 novembre 2015.

L'affaire a été appelée à l'audience du 2 mars 2017.

Lors de l'audience et par conclusions régulièrement déposées et visées par le greffier, Monsieur [R] [D] demande à la cour de :

«Vu les articles L. 1232-6, L. 1235-1, L. 1235-3, L. 1332-4 du Code du travail

Dire et juger que le signataire de la lettre de licenciement n'avait aucun pouvoir

Dire et juger que les fautes reprochées à Monsieur [D] sont prescrites

Dire et juger que l'employeur ne rapporte pas la preuve que Monsieur [D] aurait commis une faute grave

En conséquence juger que le licenciement prononcé à l'encontre de Monsieur [D] est abusif et Annuler la mise à pied conservatoire du 6 au 27 décembre 2013,

Fixer la moyenne des salaires à la somme de 4 376,06 euros

Condamner la SA [B] à payer à Monsieur [D] les sommes de :

13 128,18 euros à titre d'indemnité compensatoire de préavis

1 312,81 euros à titre d'indemnité compensatoire de congés payés sur préavis

19 302,62 euros à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement

3 063,24 euros à titre de contrepartie financière pour la mise à pied du 6 au 27 décembre 2013

306,32 euros à titre d'indemnité compensatoire de congés payés afférents

158 000 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

10 000 euros à titre d'indemnité pour licenciement vexatoire

3.810 euros au titre de prime de 13 ème mois 2013

2.990 euros au titre de la perte de chance de fournir des éléments pour calculer sa prime de résultat 2013

Ordonner la remise d'un certificat de travail et d'une attestation Pôle Emploi conformes à la décision rendue,

Assortir les condamnations d'un intérêt au taux légal à compter de la demande,

Condamner la SA [B] au paiement de la somme de 3.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure Civile,

Condamner la société [B] aux entiers dépens que Me Catherine ILLOUZ pourra recouvrer conformément à l'article 199 du Code procédure civile, »

Lors de l'audience et par conclusions régulièrement déposées et visées par le greffier, la société SCHIEVER DISTRIBUTION s'oppose à toutes les demandes de Monsieur [R] [D] et demande à la cour de :

«Confirmer le jugement rendu par le Conseil de prud'hommes d'Auxerre

Débouter Monsieur [D] de l'intégralité de ses demandes fins et conclusions.

Y ajoutant

Condamner Monsieur [D] à payer à la SA SCHIEVER DISTRIBUTION la somme de

3.000€ au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Condamner Monsieur [D] aux entiers dépens.  »

Lors de l'audience présidée selon la méthode dite de la présidence interactive, le conseiller rapporteur a fait un rapport et les conseils des parties ont ensuite plaidé par observations et s'en sont rapportés pour le surplus à leurs écritures ; l'affaire a alors été mise en délibéré à la date du 5 mai 2017 puis prorogée au 12 mai 2017 par mise à disposition de la décision au greffe (Art. 450 CPC)

MOTIFS

Vu le jugement du conseil de prud'hommes, les pièces régulièrement communiquées et les conclusions des parties, soutenues oralement à l'audience, auxquels il convient de se référer pour plus ample information sur les faits, les positions et prétentions des parties.

Sur le licenciement

Monsieur [R] [D] soulève plusieurs moyens de contestation de son licenciement pour faute grave.

sur le moyen relatif à l'absence de pouvoir du signataire de la lettre de licenciement

Monsieur [R] [D] soutient que la lettre de licenciement du 27 décembre 2013 a été signée par Monsieur [O] [A], Directeur ACHAT/MARKETING ; or Monsieur [A], qui était le supérieur hiérarchique de Monsieur [D], n'occupait pas les fonctions, ni n'avait les pouvoirs d'un directeur des ressources humaines, en sorte que le licenciement doit être jugé sans cause réelle et sérieuse.

La société SCHIEVER DISTRIBUTION conteste ce moyen et fait valoir que la lettre de licenciement a été signée par le supérieur hiérarchique de Monsieur [D] qui fait partie de la société intimée et a donc pu être mandaté pour licencier Monsieur [R] [D] ; qu'en outre la lettre de licenciement a été ratifiée en tant que de besoin comme le montre le fait que la procédure de licenciement été menée jusqu'à son terme.

Si l'entretien a été dirigé par une personne autre que l'employeur, la lettre de licenciement doit être signée par cette personne, sauf à ce que l'employeur signe lui-même la lettre de licenciement ; à défaut cette personne autre que l'employeur est une personne en apparence habilitée à prononcer le licenciement.

A l'examen des pièces produites et des moyens débattus, la cour ne dispose pas d'éléments suffisants pour dire que le moyen relatif à l'absence de pouvoir du signataire de la lettre de licenciement est bien fondé ; en effet la cour retient que si la société est représentée par ses représentants légaux, cette règle n'exclut pas la possibilité, pour ces représentants légaux, de déléguer le pouvoir d'effectuer des actes déterminés tel que celui de licencier les salariés de l'entreprise ; aucune disposition n'exige que la délégation du pouvoir de licencier soit donnée par écrit, ait date certaine ou ait été portée à la connaissance des salariés ; elle peut être tacite et découler des fonctions du salarié qui conduit la procédure de licenciement ; tel est le cas en l'espèce dès lors que la procédure de licenciement a été menée par le directeur des relations humaines et le supérieur hiérarchique de Monsieur [R] [D], signataire de la lettre de licenciement, qui est ainsi une personne en apparence habilitée à prononcer le licenciement.

sur la prescription

Monsieur [R] [D] soutient que les faits qui sont reprochés dans la lettre de licenciement sont prescrits car l'employeur a eu connaissance au plus tard au cours du mois de septembre 2013 des faits, et que Monsieur [D] n'a été mis à pied et convoqué à un entretien préalable que le 6 décembre 2013, soit plus de deux mois après avoir eu connaissance des faits ; à l'appui de ce moyen il invoque la facture et le document de livraison (pièce 16 employeur) qui font référence à une commande passée le 12 août 2013, et qu'il « est surprenant que (son) supérieur hiérarchique puisse soutenir qu'il n'était pas au courant du contenu de la négociation alors que des points étaient faits régulièrement entre les deux hommes sur l'ensemble des dossiers en cours. ».

La société SCHIEVER DISTRIBUTION conteste ce moyen et fait valoir que l'employeur a eu connaissance de la réalité, de l'exactitude et de l'ampleur des faits susceptibles d'être sanctionnés suite à la réception des courriers de la société WELDOM des 29 novembre 2013 et 4 décembre 2013 (pièces 7,8 employeur), que la procédure de licenciement a été enclenchée immédiatement et que la facture et le document de livraison qui font référence à une commande passée le 12 août 2013 ont été découverts, après investigations, suite à la réception des courriers mentionnés ci dessus.

La cour constate que sur ce moyens les parties ne font que reprendre devant la cour leurs prétentions et leurs moyens de première instance.

Le jugement déféré repose sur des motifs exacts et pertinents que la cour adopte étant ajouté que c'est en vain que Monsieur [R] [D] soutient que « le juge départiteur appuie la motivation de son jugement du 3 novembre 2015 sur le fait que Monsieur [D] aurait dit à l'audience qu'il n'avait pas transmis l'avenant à son responsable hiérarchique.

Très stressé à l'audience par sa situation financière, il voulait dire en vérité qu'il ne se souvenait plus, ce qui est compréhensible sachant que l'audience s'est tenue près de deux ans après la signature du projet d'avenant. Monsieur [D] échangeait des dizaines de mails par jour, comment peut-il se souvenir de ceux qu'il a fait suivre à qui et à quelle date '

De toutes les façons, il est logique que Monsieur [D] n'ait pas transmis l'avenant qui comportait sa seule signature (')» ; en effet la cour retient que non seulement cet argument ne contredit pas le motif retenu par les premiers juges mais en outre, cet argument in fine permet de confirmer que Monsieur [R] [D] ne prouve aucunement avoir transmis l'avenant litigieux à son employeur.

La cour ajoute encore aux motifs des premiers juges que c'est en vain que Monsieur [R] [D] soutient qu'il « est surprenant que son supérieur hiérarchique puisse soutenir qu'il n'était pas au courant du contenu de la négociation alors que des points étaient faits régulièrement entre les deux hommes sur l'ensemble des dossiers en cours. » ; en effet la cour retient que cette allégation sur les comptes rendus ne suffit aucunement à établir que le supérieur hiérarchique de Monsieur [R] [D] était informé du contenu de la négociation survenue entre Monsieur [R] [D] et la société BDR.

La cour ajoute encore aux motifs des premiers juges que c'est en vain que Monsieur [R] [D] invoque invoque la facture et le document de livraison (pièce 16 employeur) qui font référence à une commande passée le 12 août 2013, pour soutenir que l'employeur a eu connaissance des faits au plus tard au cours du mois de septembre 2013 au motif que l'existence de cette facture et de ce document de livraison ne permet aucunement d'établir que la société SCHIEVER DISTRIBUTION a été informée au plus tard au cours du mois de septembre 2013 de l'avenant litigieux.

En l'absence de moyens nouveaux et de nouvelles preuves, la cour retient comme les premiers juges que l'employeur a eu connaissance de la réalité, de l'exactitude et de l'ampleur des faits susceptibles d'être sanctionnés à la réception des courriers de la société WELDOM des 29 novembre 2013 et 4 décembre 2013 en sorte que le jugement sera confirmé en ce qu'il a jugé mal fondé le moyen tiré de la prescription.

sur la faute grave

Il ressort de l'article L. 1235-1 du Code du travail qu'en cas de litige, le juge à qui il appartient d'apprécier le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties ; si un doute subsiste il profite au salarié.

Quand le licenciement est prononcé pour faute grave, il incombe à l'employeur de prouver la réalité de la faute grave, c'est à dire de prouver non seulement la réalité de la violation des obligations découlant du contrat de travail ou des relations de travail mais aussi que cette faute est telle qu'elle impose le départ immédiat du salarié, le contrat ne pouvant se poursuivre même pour la durée limitée du préavis.

Pour apprécier la gravité de la faute, les juges doivent tenir compte des circonstances qui l'ont entourée et qui peuvent atténuer la faute et la transformer en faute légère.

Si un doute subsiste sur la gravité de la faute reprochée, il doit profiter au salarié.

Monsieur [R] [D] soutient que son licenciement pour faute grave est dépourvu de cause réelle et sérieuse au motif que :

- l'employeur ne rapporte pas la preuve que l'avenant était valide et a reçu application

- l'employeur ne rapporte pas la preuve de la déloyauté de Monsieur [D], nouveau grief invoqué dans ses écritures

- l'employeur ne rapporte pas la preuve d'un préjudice subi par la société [B] et/ou WELDOM

- l'employeur ne rapporte pas la preuve que Monsieur [D] aurait commis une faute en n'utilisant pas les modèles-types, nouveau grief de licenciement invoqué dans ses écritures

La société SCHIEVER DISTRIBUTION soutient que le licenciement de Monsieur [R] [D] est justifié.

Il ressort de la lettre de licenciement qui fixe les limites du litige que Monsieur [R] [D] a été licencié pour les faits suivants :

- Monsieur [D] a signé un avenant avec la société BDR, au nom de la société WELDOM alors qu'il n'est pas salarié et qu'il n'avait aucun mandat pour signer un tel document

- Monsieur [D] a porté préjudice à la société WELDOM en remettant en cause les conditions financières entre les parties

- la société WELDOM a demandé à la société [B] de payer une facture représentant le montant contesté par le fournisseur, la société BDR

- l'avenant que Monsieur [D] a signé est un faux

- cette faute commise nuit à l'image de la société [B] et à ses relations avec la société WELDOM

- Monsieur [D] n'a pas respecté le partenariat avec WELDOM

A l'examen des pièces versées aux débats et des moyens débattus, la cour retient que Monsieur [R] [D] a signé au nom et pour le compte de la société WELDOM un avenant au contrat conclu avec un de ses fournisseurs, la société BDR, alors qu'il n'est pas salarié de la société WELDOM et qu'il ne possédait aucun mandat pour signer un tel document ; en effet il a signé un document dénommé Avenant au contrat fournisseur conclu entre la société WELDOM d'une part et la société BDR d'autre part, alors qu'étant salarié de la société SCHIEVER DISTRIBUTION, il ne disposait d'aucun pouvoir ni d'aucune qualité pour engager contractuellement la société WELDOM (pièces 7 à 9 employeur) ; la cour retient encore que la société BDR s'est prévalue de cet accord pour remettre en cause les accords précédemment conclus avec la société WELDOM à [Localité 1], laquelle a demandé réparation à la société SCHIEVER DISTRIBUTION comme cela ressort du courrier de la société WELDOM du 4 décembre 2013 (pièce 8 employeur) ; qu'il importe finalement peu que Monsieur [R] [D] a rajouté, à côté de la mention «pour la société WELDOM», le mot «ATAC» dès lors que la désignation des parties dans l'avenant litigieux mentionne distinctement la société WELDOM d'une part et la société BDR d'autre part, et que le nom société WELDOM n'est aucunement rayé au profit de l'enseigne ATAC ; en outre, la société SCHIEVER DISTRIBUTION qui exploite l'enseigne ATAC ne disposait d'aucune qualité pour conclure un tel accord et les chefs de produit de la société SCHIEVER DISTRIBUTION, comme Monsieur [D], savent que les partenariats conclus entre la société SCHIEVER DISTRIBUTION d'une part et la société WELDOM d'autre part ne prévoient aucune possibilité de négociation direct avec les fournisseurs (pièce 15 employeur).

Compte tenu de ce qui précède, la cour retient que Monsieur [D] a violé ses obligations professionnelles de chef de produits et de cadre de la société SCHIEVER DISTRIBUTION, et qu'il a commis un manquement à la loyauté à l'égard de de son employeur en signant cet avenant dans le dessein non contesté de remettre en cause les accords de partenariat WELDOM ' SCHIEVER DISTRIBUTION coûteux pour la société SCHIEVER DISTRIBUTION ; la cour retient encore que cette faute est telle qu'elle impose le départ immédiat du salarié, le contrat ne pouvant se poursuivre même pour la durée limitée du préavis dès lors qu'il a abusé de ses fonctions pour mener des négociations prohibées en raison de considérations personnelles sur l'intérêt de l'entreprise et cela, en méconnaissance de l'obligation de loyauté que les cadres ont à l'égard de leur employeur.

Et c'est en vain que Monsieur [R] [D] soutient que l'employeur ne rapporte pas la preuve que l'avenant était valide et a reçu application et qu'il ne rapporte pas non plus la preuve d'un préjudice subi par la société [B] et/ou WELDOM ; en effet la cour retient que les moyens sont inopérants dès lors que la faute grave retenue à son encontre consiste à avoir signé l'avenant BDR ' WELDOM dans le dessein non contesté de remettre en cause les accords de partenariat WELDOM ' SCHIEVER DISTRIBUTION alors qu'un chef de produit ne peut pas renégocier des remises déjà négociées avec la centrale WELDOM ; cela résulte de l'article 1 du protocole de partenariat conclu entre la société DOMAXEL (anciennement WELDOM) d'une part et la société ANCIENS ETS GEORGE SCHIEVER ET FILS d'autre part, applicable dans l'entreprise, selon lequel si la société SCHIEVER DISTRIBUTION est autorisée à commander directement des produits auprès des fournisseurs référencés par WELDOM, cette commande ne peut se faire qu'aux conditions et en application des accords négociés entre la société WELDOM et le fournisseur référencé. (pièce 15 employeur) ; cet article interdit catégoriquement au partenaire de négocier directement ou indirectement auprès de l'un quelconque des fournisseurs référencés par WELDOM.

C'est aussi en vain que Monsieur [R] [D] soutient que l'employeur ne rapporte pas la preuve de la déloyauté de Monsieur [D] ; en effet la cour retient qu'en signant cet avenant dans le dessein non contesté de remettre en cause les accords de partenariat WELDOM ' SCHIEVER DISTRIBUTION coûteux pour la société SCHIEVER DISTRIBUTION, Monsieur [R] [D] s'est affranchi des règles applicables dans son entreprise selon lesquelles les partenariats conclus entre la société SCHIEVER DISTRIBUTION d'une part et la société WELDOM d'autre part ne prévoient aucune possibilité de négociation direct avec les fournisseurs, et dont il était nécessairement informé comme tous les chefs de produits, Monsieur [D] a commis un manquement à la loyauté à l'égard de de son employeur.

Et c'est enfin vain que Monsieur [R] [D] soutient que l'employeur ne rapporte pas la preuve que Monsieur [D] aurait commis une faute en n'utilisant pas les modèles-types ; en effet le problème à l'origine du licenciement de Monsieur [R] [D] n'est pas qu'il n'a pas utilisé les modèles-types mais qu'il a signé un avenant entre la société WELDOM et la société BDR dans le dessein non contesté de remettre en cause les accords de partenariat WELDOM ' SCHIEVER DISTRIBUTION coûteux pour la société SCHIEVER DISTRIBUTION, la notion de modèles-types n'étant invoquée par la société SCHIEVER DISTRIBUTION que pour rappeler qu'il n'existait aucune possibilité de négociation directe avec les fournisseurs.

Le jugement déféré est donc confirmé en ce qu'il a jugé que le licenciement de Monsieur [R] [D] est justifié par une faute grave et en ce qu'il a débouté Monsieur [R] [D] de ses demandes de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, et pour licenciement vexatoire, d'indemnités de rupture et de rappel de salaire au titre de la mise à pied conservatoire.

Sur la prime du 13eme mois

Monsieur [R] [D] demande la somme de 3810 euros au titre de la prime du 13eme mois. A l'appui de sa demande Monsieur [R] [D] soutient qu'il percevait tous les ans en décembre une prime équivalente à un 13ème mois de salaire similaire à sa rémunération de base et qu'il a été injustement privé de son préavis de trois mois ; que s'il avait pu effectuer son préavis, il aurait pu « être titulaire d'un contrat de travail en vigueur au moment du versement » conformément à l'article 3.7 de la convention collective et qu'il doit en être ainsi dès lors que son licenciement pour faute grave est jugé abusif.

La société SCHIEVER DISTRIBUTION s'oppose à cette demande dès lors que Monsieur [R] [D] n'était plus dans l'entreprise au moment du versement de cette prime.

A l'examen des pièces produites et des moyens débattus, la cour retient que la demande relative à la prime du 13e mois est mal fondée au motif que les conditions d'octroi de cette prime ne sont pas remplies par Monsieur [R] [D] dès lors qu'il n'était plus dans l'entreprise au moment du versement de cette prime soit le 31 décembre 2013 par suite de son licenciement pour faute grave le 27 décembre 2013, point non contesté, et au motif que son licenciement pour faute grave est justifié.

Le jugement déféré est donc confirmé en ce qu'il a débouté Monsieur [R] [D] de sa demande formée au titre de la prime du 13e mois.

Sur la prime de résultat

Monsieur [R] [D] demande la somme de 2990 euros au titre de la prime de résultat.

A l'appui de sa demande Monsieur [R] [D] soutient qu'en raison de sa mise à pied conservatoire, il n'a pas pu prendre de documents attestant qu'il avait rempli ses objectifs et qu'« à cause de cette mise à pied abusive, il a perdu la chance de prendre des éléments lui permettant d'apporter des éléments au soutien de sa demande.

La société [B] n'a apporté aucun élément, aucune pièce, aucun tableau pour justifier de ne pas avoir versé la prime de résultat.

Monsieur [D] demande en conséquence une indemnité pour sa perte de chance d'apporter des éléments pour prouver qu'il avait rempli ses objectifs, équivalente à la prime versée en 2012 soit 2.990 euros. »

La société SCHIEVER DISTRIBUTION s'oppose à cette demande et fait valoir que « Monsieur [D] sollicite la somme de 2.990 € à titre de provision sur prime de résultat.

Monsieur [D] ne rapporte pas la moindre preuve au soutien de ses allégations.

Les premiers juges ont précisé que le salarié ne produisait aucun élément démontrant qu'il avait réalisé tout ou partie de ses objectifs.

Il sera débouté de ce chef de demande étant précisé au surplus qu'il ne comptait plus parmi les effectifs de la société le 31 décembre 2013 »

A l'examen des pièces produites et des moyens débattus, la cour retient que Monsieur [R] [D] est bien fondé dans sa demande au motif que le salarié doit être en mesure de vérifier qu'il a bien perçu ce qui lui est normalement dû en application de son contrat de travail et par voie de conséquence, il doit être aussi en mesure de vérifier qu'il ne lui était rien dû en application de son contrat de travail dès lors que l'employeur ne lui a versé aucune somme au titre de la prime de résultat convenue. En l'occurrence la cour retient qu'une prime de résultat a été convenue dans le contrat de travail, que Monsieur [R] [D] a notamment perçu 2990 € de ce chef en 2012, ce fait n'étant pas contesté, qu'il n'a perçu en 2013 aucune somme au titre de la prime de résultat convenue et que la société SCHIEVER DISTRIBUTION n'a pas mis Monsieur [R] [D] en mesure de vérifier qu'il ne lui était rien dû en application de son contrat de travail, faute de produire les documents servant de base de calcul à la prime de résultat convenue en sorte que Monsieur [R] [D] a perdu la chance de fournir des éléments pour calculer sa prime de résultat 2013.

Et c'est en vain que la société SCHIEVER DISTRIBUTION soutient que « Monsieur [D] ne rapporte pas la moindre preuve au soutien de ses allégations. En effet la cour retient que si la charge de la preuve que les objectifs ont été remplis incombe au salarié qui le soutient, l'employeur supporte une obligation de transparence dans le calcul de la rémunération variable à laquelle la société SCHIEVER DISTRIBUTION a manqué en ne mettant pas Monsieur [R] [D] en mesure de vérifier qu'il ne lui était rien dû en application de son contrat de travail.

C'est encore en vain que la société SCHIEVER DISTRIBUTION soutient « qu'il (Monsieur [R] [D]) ne comptait plus parmi les effectifs de la société le 31 décembre 2013 » au motif que ni le contrat de travail de Monsieur [R] [D] (pièce n° 4 employeur), ni le dernier avenant (pièce n° 6 employeur) ne subordonne le droit à la rémunération variable convenue à une condition de présence dans l'entreprise et que rien ne permet de dire que la rémunération variable entre dans le champ d'application de l'article 3.7 de la convention collective qui prévoit cette condition de présence pour les primes annuelles.

Le jugement déféré est donc infirmé en ce qu'il a débouté Monsieur [R] [D] de se demande formée au titre de la prime de résultat, et statuant à nouveau de ce chef, la cour condamne la société SCHIEVER DISTRIBUTION à payer à Monsieur [R] [D] la somme de 2990 € à titre de dommages et intérêts pour perte de chance de fournir des éléments pour calculer sa prime de résultat 2013.

Sur la délivrance de documents

Monsieur [R] [D] demande la remise de documents (certificat de travail, attestation destinée à Pôle Emploi).

Il est constant que les documents demandés lui ont déjà été remis ; il n'est cependant pas établi qu'ils ne sont pas conformes ; la demande de remise de documents est donc rejetée et le jugement confirmé sur ce point.

Sur les autres demandes

Les dommages et intérêts alloués seront assortis d'intérêts au taux légal à compter de la présente décision

La cour condamne la société SCHIEVER DISTRIBUTION aux dépens de la procédure de première instance et de la procédure d'appel en application de l'article 696 du Code de procédure civile.

Il n'apparaît pas inéquitable, compte tenu des éléments soumis aux débats, de laisser à la charge de Monsieur [R] [D] les frais irrépétibles de la procédure d'appel.

L'ensemble des autres demandes plus amples ou contraires formées en demande ou en défense est rejeté, leur rejet découlant nécessairement des motifs amplement développés dans tout l'arrêt.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Confirme le jugement en toutes ses dispositions sauf en ce qu'il a débouté Monsieur [R] [D] de se demande de dommages et intérêts au titre de la perte de chance de fournir des éléments pour calculer sa prime de résultat 2013 et en ce qu'il a condamné Monsieur [R] [D] aux dépens,

Et statuant à nouveau de ce chef,

Condamne la société SCHIEVER DISTRIBUTION à payer à Monsieur [R] [D] la somme de 2990 € à titre de dommages et intérêts pour perte de chance de fournir des éléments pour calculer sa prime de résultat 2013,

Dit que les dommages et intérêts alloués seront assortis d'intérêts au taux légal à compter de la présente décision,

Ajoutant,

Déboute Monsieur [R] [D] de sa demande formée au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Déboute les parties de leurs demandes plus amples et contraires,

Condamne la société SCHIEVER DISTRIBUTION aux dépens.

LE GREFFIERLE CONSEILLER FAISANT FONCTION DE PRESIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 11
Numéro d'arrêt : 15/12092
Date de la décision : 12/05/2017

Références :

Cour d'appel de Paris L2, arrêt n°15/12092 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2017-05-12;15.12092 ?
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