RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 5
ARRÊT DU 11 Mai 2017
(n° , 6 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : S 14/05029
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 21 Mars 2014 par le Conseil de prud'hommes - Formation de départage de BOBIGNY RG n° 10/02431
APPELANT
Monsieur [D] [T]
[Adresse 1]
[Adresse 1]
comparant en personne, assisté de Me Myriam MONTI, avocat au barreau de VERSAILLES, toque : 196
INTIMES
SNC LAGARDERE TRAVEL RETAIL FRANCE
[Adresse 2]
[Adresse 2]
représentée par Me Anne-sophie NARDON, avocat au barreau de PARIS, toque : A0530 substitué par Me Judith BOUCHARDEAU, avocat au barreau de PARIS, toque : A0530
Monsieur [H] [G]
[Adresse 3]
[Adresse 3]
[Localité 1]
ni comparant, ni représenté
Monsieur [P] [O]
[Adresse 4]
[Adresse 4]
[Localité 2]
représenté par Me Isabelle FILIERE, avocat au barreau de PARIS, toque : D0949
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 945-1 du Code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 28 mars 2017, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Isabelle MONTAGNE, Conseillère, chargée d'instruire l'affaire.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Madame Mariella LUXARDO, Présidente
Monsieur Stéphane MEYER, Conseiller
Madame Isabelle MONTAGNE, Conseillère
qui en ont délibéré
Greffier : Madame Christine LECERF, lors des débats
ARRÊT :
- réputé contradictoire
- mis à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,
- signé par Madame Mariella LUXARDO, Présidente et par Madame Christine LECERF, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
La société RELAIS FRANCE devenue la société LAGARDERE TRAVEL RETAIL FRANCE exploite une chaîne de points de vente de presse, livres, confiserie, articles divers, produits culturels et d'actualité situés dans l'enceinte d'établissements publics et privés dont elle est concessionnaire.
Le 13 janvier 2000, elle a confié la gestion du point de vente situé au sein du satellite A terminal A de l'aéroport [Établissement 1] à Monsieur [H] [G] sous le statut de gérant salarié. Celui-ci a engagé Monsieur [D] [T] en qualité de vendeur suivant contrat de travail à durée indéterminée à compter du 1er janvier 2001.
En octobre 2006, la gestion de ce point de vente a été confiée sous le même statut à Monsieur [P] [O].
Par lettre du 12 février 2010, Monsieur [O] a notifié à Monsieur [T] son licenciement pour faute lourde consistant en des vols réguliers d'argent provenant de la caisse du point de vente.
Le 1er juillet 2010, Monsieur [T] a saisi le conseil de prud'hommes de Bobigny en sollicitant la condamnation solidaire de la société RELAIS FRANCE et de Monsieur [G] à lui payer une indemnité pour travail dissimulé et un rappel d'indemnité de congés payés.
Suivant jugement de départage prononcé le 21 mars 2014, notifié par lettre recommandée avec accusé de réception signé le 10 avril 2014, cette juridiction a donné acte à Monsieur [O] de son intervention volontaire et a débouté le salarié de toutes ses demandes.
Monsieur [T] a régulièrement relevé appel de ce jugement le 6 mai 2014.
Suivant conclusions du 28 mars 2017 reprises oralement à l'audience, sans ajout ni retrait, l'appelant demande à la cour d'infirmer le jugement et de condamner in solidum :
Monsieur [G], Monsieur [O], sur le fondement des articles L. 8223-1, L. 1224-1 et L. 1224-2 du code du travail,
la société LAGARDERE TRAVEL RETAIL FRANCE sur le fondement de l'article 1384 alinéa 5 du code civil,
à lui payer la somme de 8.101,20 euros à titre d'indemnité pour travail dissimulé,
outre 2.500,00 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
et leur ordonner in solidum la régularisation des cotisations sociales auprès des organismes.
Suivant conclusions du 28 mars 2017 reprises oralement à l'audience, sans ajout ni retrait, Monsieur [O] demande à la cour de débouter Monsieur [T] de toutes ses demandes et de le condamner à lui payer la somme de 2.000,00 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Suivant conclusions du 28 mars 2017 reprises oralement à l'audience, sans ajout ni retrait, la société LAGARDERE TRAVEL RETAIL FRANCE demande à la cour de confirmer le jugement, débouter l'appelant de ses demandes et le condamner à lui payer la somme de 2.500,00 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
La convocation à comparaître à l'audience de la présente cour du 28 mars 2017 n'a pas été délivrée à Monsieur [G] au motif suivant 'destinataire inconnu à l'adresse' ; l'appelant l'a fait citer à la présente audience ; cependant l'huissier de justice a dressé le 3 mars 2017 un procès-verbal de recherches infructueuses en application de l'article 659 du code de procédure civile.
Pour plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, la cour renvoie aux conclusions déposées et soutenues à l'audience, conformément à l'article 455 du code de procédure civile.
MOTIVATION
Monsieur [T] soutient qu'il n'a fait l'objet d'aucune déclaration auprès des organismes sociaux de 2001 à 2006, qu'aucune cotisation sociale n'a été versée par Monsieur [G] et qu'aucune régularisation conforme n'est intervenue ni par la société LAGARDERE TRAVEL RETAIL FRANCE, ni par Monsieur [O] lors de la reprise du contrat de travail en octobre 2006.
Monsieur [O] fait valoir que toutes les cotisations ont été réglées pour la période comprise entre le 22 juin 1999 et le 16 février 2010 auprès de l'organisme Malakoff Médéric, que l'absence de cotisations auprès de l'URSSAF sur la période considérée n'est pas établie et qu'il s'en rapporte sur la demande d'indemnité pour travail dissimulé.
La société LAGARDERE TRAVEL RETAIL FRANCE fait valoir qu'elle n'a jamais été l'employeur de Monsieur [T] et qu'elle n'encourt aucune responsabilité sur le fondement de l'article 1384 alinéa 5 du code civil compte tenu de l'application des dispositions des articles L. 7321-1 et suivants du code du travail relatives au gérant salarié applicables à Messieurs [G] et [O].
Sur le travail dissimulé
L'article L. 324-10 de l'ancien code du travail applicable sur la période considérée dont les dispositions sont reprises à l'article L. 8221-5 du code du travail dispose qu'est réputé travail dissimulé par dissimulation d'emploi salarié le fait pour tout employeur de se soustraire intentionnellement à l'accomplissement de l'une des formalités prévues notamment à l'article L. 320 relatif à l'obligation de déclaration nominative du salarié auprès des organismes de protection sociale.
L'URSSAF a indiqué à l'appelant le 5 février 2010 que son employeur, Monsieur [O], ne l'a pas identifié sur la déclaration annuelle des données sociales pour les années 2003, 2004 et 2005 et l'a renvoyé vers la CNAV pour les années 2001 et 2002 au motif que ses fichiers de renseignement ne peuvent remonter au-delà de 2003.
Par ailleurs, les relevés d'assurance retraite du salarié émanant de la CNAV pour les années 2011, 2013 et 2016 font ressortir que sur la période du 1er janvier 2001 au 31 juillet 2006, aucune période d'activité n'est confirmée.
L'attestation émanant de l'organisme Malakoff Médéric produite par Monsieur [O] concerne les cotisations au titre des régimes complémentaires mais n'est pas justificative du versement des cotisations obligatoires.
Il résulte de ce qui précède que le salarié n'a pas fait l'objet d'une déclaration auprès des organismes sociaux obligatoires par son employeur sur la période comprise entre le 1er janvier 2001 et le 31 juillet 2006.
Le fait de n'avoir effectué aucune déclaration sur une longue période de plus de cinq années exclut toute négligence de l'employeur et relève d'un caractère intentionnel.
Par conséquent, la dissimulation de l'emploi de Monsieur [T] est caractérisée sur la période considérée.
Sur le transfert du contrat de travail de Monsieur [T]
L'article L. 1224-1 du code du travail dispose que lorsque survient une modification dans la situation juridique de l'employeur, notamment par succession, vente, fusion, transformation du fonds, mise en société de l'entreprise, tous les contrats de travail en cours au jour de la modification subsistent entre le nouvel employeur et le personnel de l'entreprise.
L'article L. 1224-2 prévoit que le nouvel employeur est tenu à l'égard des salariés dont les contrats de travail subsistent aux obligations qui incombaient à l'ancien employeur à la date de la modification sauf en cas de procédure collective ou de substitution d'employeur intervenue sans qu'il y ait eu de convention entre ceux-ci.
Les parties s'accordent sur le fait que le contrat de travail de Monsieur [T] a été transféré de Monsieur [G] à Monsieur [O] à compter du 9 octobre 2006, en application des dispositions de l'article L. 1224-1 du code du travail.
Monsieur [T] produit son contrat de travail conclu avec Monsieur [G] ainsi que les bulletins de salaire sur l'ensemble de la relation de travail établis par Monsieur [G] puis Monsieur [O].
Il n'est produit aucun élément permettant de retenir que Monsieur [T] a été placé sous un lien de subordination entendu comme le pouvoir de donner des ordres et directives, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné, avec la société devenue LAGARDERE TRAVEL RETAIL FRANCE.
Il en résulte que les seuls employeurs de Monsieur [T] ont été Monsieur [G] jusqu'en octobre 2006 puis Monsieur [O] jusqu'à la fin de la relation contractuelle.
En application des dispositions de l'article L. 1224-2 du code du travail, Monsieur [O] ayant mis fin à la relation de travail le 12 février 2010 et ne contestant pas l'existence d'une convention avec l'ancien employeur, est tenu de toutes les obligations qui incombaient à Monsieur [G] à l'égard du salarié dont le contrat de travail a subsisté, y compris de la créance de dommages et intérêts résultant de leur manquement par l'ancien employeur. Indépendamment du recours qui lui est ouvert à l'encontre de Monsieur [G], Monsieur [O] est donc tenu de la créance de dommages et intérêts résultant du travail dissimulé de Monsieur [T].
Le jugement sera infirmé en ce qu'il a débouté le salarié sur ce point.
Sur la responsabilité de la société LAGARDERE TRAVEL RETAIL FRANCE
L'article 1242 du code civil anciennement 1384 dispose en son alinéa 5 que les commettants sont responsables du dommage causé par leurs préposés dans les fonctions auxquelles ils les ont employés.
Il ressort expressément des contrats d'engagement conclus par la société devenue LAGARDERE TRAVEL RETAIL FRANCE avec respectivement Monsieur [G] et Monsieur [O] que le statut de ceux-ci est régi par les dispositions de l'article L. 781-1-2 de l'ancien code du travail devenu L. 7321-2 et suivants, relatives aux gérants de succursales.
Ces dispositions prévoient que le gérant de succursale est responsable à l'égard des salariés placés sous son autorité au lieu et place du chef d'entreprise avec lequel il a contracté, de l'application des dispositions relatives notamment aux relations individuelles de travail, à la durée du travail, aux repos et aux congés et aux salaires à condition d'avoir toute liberté en matière d'embauche, de licenciement et de fixation des conditions de travail de ces salariés.
L'article 4 des deux contrats d'engagement stipule que lorsque le fonctionnement du point de vente nécessite l'emploi de personnel, l'agent est libre d'embaucher, licencier et fixer les conditions de travail de ce personnel et qu'il assume personnellement les rémunérations et charges sociales, fiscales et généralement toute charge afférente à son personnel, qu'il s'engage à respecter les formalités liées à l'emploi des salariés et à être en stricte conformité avec la loi en ce qui concerne les déclarations sur l'emploi des salariés exigées par les organismes de protection sociale et par l'administration fiscale et qu'il est seul responsable de toute infraction qui pourrait être relevée en cas de contrôle.
Par ailleurs, les conditions générales d'exploitation des kiosques prévoient au titre V 'Responsabilités des agents' au paragraphe 'Personnel' que le cas échéant, l'agent recrute et rémunère le personnel nécessaire, et assume les obligations de son statut d'employeur.
Il en résulte que Monsieur [G] puis Monsieur [O] qui bénéficiaient d'une totale indépendance dans le recrutement et la détermination des conditions de travail de leurs éventuels salariés, la société LAGARDERE TRAVEL RETAIL FRANCE n'intervenant en aucune manière dans leurs rapports avec leurs propres salariés, ne se trouvaient pas dans un lien de subordination avec celle-ci, et Monsieur [T] n'apporte aucun élément de nature à contredire ce fait.
Par conséquent, Monsieur [T] n'est pas fondé à rechercher la responsabilité de la société RELAIS FRANCE désormais la société LAGARDERE TRAVEL RETAIL FRANCE sur le fondement de l'article 1242 alinéa 5 du code civil.
Sur les conséquences indemnitaires
L'article L. 8223-1 du code du travail dispose qu'en cas de rupture de la relation de travail, le salarié auquel un employeur a eu recours en commettant les faits prévus à l'article L. 8221-5 a droit à une indemnité forfaitaire égale à six mois de salaire.
Au regard du salaire moyen mensuel brut de 1.282,46 euros calculé sur les douze derniers mois travaillés, il sera donc alloué à Monsieur [T] une indemnité forfaitaire pour travail dissimulé de 7.694,76 euros que Monsieur [G] et Monsieur [O] seront condamnés in solidum à lui payer.
Sur la demande de régularisation auprès des organismes
Compte-tenu de ce qui précède, il sera ordonné à Monsieur [G] et à Monsieur [O] de procéder à la régularisation de la situation de Monsieur [T] auprès des organismes de protection obligatoire sur la période de 2001 à 2006.
Sur la demande au titre du rappel d'indemnité de congés payés
Monsieur [T] ne critique pas le jugement qui l'a débouté de sa demande au titre du rappel d'indemnité de congés payés et n'articule aucun moyen sur ce chef de demande qu'il ne reprend pas dans ses écritures. Le jugement sera confirmé sur ce point.
Sur les frais irrépétibles
Il n'est pas inéquitable d'allouer à Monsieur [T] la somme de 1.000,00 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile que Monsieur [G] et Monsieur [O] seront condamnés in solidum à lui payer.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant par arrêt réputé contradictoire, rendu par voie de mise à disposition au greffe,
CONFIRME le jugement prononcé par le conseil de prud'hommes de Bobigny le 21 mars 2014 en ce qu'il a débouté Monsieur [D] [T] de sa demande au titre du rappel d'indemnité de congés payés et de ses demandes dirigées à l'encontre de la société RELAY FRANCE aujourd'hui LAGARDERE TRAVEL RETAIL FRANCE,
L'INFIRME pour le surplus,
Statuant à nouveau et y ajoutant,
CONDAMNE in solidum Monsieur [H] [G] et Monsieur [P] [O] à payer à Monsieur [D] [T] la somme de 7.694,76 euros à titre d'indemnité pour travail dissimulé,
ORDONNE à Monsieur [H] [G] et à Monsieur [P] [O] de procéder à la régularisation de la situation de Monsieur [D] [T] auprès des organismes de protection obligatoire sur la période de 2001 à 2006 dans le mois de la signification du présent,
DEBOUTE Monsieur [D] [T] de ses demandes à l'encontre de la société LAGARDERE TRAVEL RETAIL FRANCE
DEBOUTE les parties du surplus de leurs demandes,
CONDAMNE in solidum Monsieur [H] [G] et Monsieur [P] [O] à payer à Monsieur [D] [T] la somme de 1.000,00 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNE in solidum Monsieur [H] [G] et Monsieur [P] [O] à payer les entiers dépens de l'instance.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT