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10/05/2017 | FRANCE | N°15/10482

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 5 - chambre 3, 10 mai 2017, 15/10482


Grosses délivréesRÉPUBLIQUE FRANÇAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 5 - Chambre 3



ARRÊT DU 10 MAI 2017



(n° , 10 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : 15/10482



Décision déférée à la Cour : Jugement du 13 Mai 2015 -Tribunal de Grande Instance de PARIS - RG n° 13/18254





APPELANTE :



SARL TOURNESOL prise en la personne de ses représentants légaux

Immatriculée au RCS de Paris sous le num

éro 389 440 900

[Adresse 1]

[Localité 1]



Représentée par Me Frédérique ETEVENARD, avocat au barreau de PARIS, toque : K0065, avocat postulant

Assistée de Me François-ascal GERY...

Grosses délivréesRÉPUBLIQUE FRANÇAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 5 - Chambre 3

ARRÊT DU 10 MAI 2017

(n° , 10 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : 15/10482

Décision déférée à la Cour : Jugement du 13 Mai 2015 -Tribunal de Grande Instance de PARIS - RG n° 13/18254

APPELANTE :

SARL TOURNESOL prise en la personne de ses représentants légaux

Immatriculée au RCS de Paris sous le numéro 389 440 900

[Adresse 1]

[Localité 1]

Représentée par Me Frédérique ETEVENARD, avocat au barreau de PARIS, toque : K0065, avocat postulant

Assistée de Me François-ascal GERY de la SELEURL SELARLU GERY, avocat au barreau de PARIS, toque : A0997, avocat plaidant

INTIMÉS :

Monsieur [K] [N]

Né le [Date naissance 1] 1970 à [Localité 2]

[Adresse 2]

[Localité 1]

Madame [E] [P] épouse [N]

Née le [Date naissance 2] 1972 à [Localité 3]

[Adresse 2]

[Localité 1]

Représentés par Me Pierre CYCMAN, avocat au barreau de PARIS, toque : A0141

SCI CORINNE prise en la personne de ses représentants légaux

Immatriculée au RCS de sous le numéro 315 518 860

[Adresse 3]

[Adresse 3]

[Adresse 3]

Représentée par Me Romain RUE, avocat au barreau de PARIS, toque : P0412, avocat postulant

Assistée de Me Franck GHIGO, avocat au barreau de GRASSE, avocat plaidant substitué par Me Romain RUE, avocat au barreau de PARIS

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 786 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 08 Mars 2017, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposé, devant Madame Chantal BARTHOLIN, présidente de chambre, chargée d'instruire l'affaire, laquelle a été préalablement entendue en son rapport, et, Madame Agnès THAUNAT, présidente.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Madame Chantal BARTHOLIN, présidente de chambre

Madame Agnès THAUNAT, présidente de chambre

Madame Marie-Brigitte FREMONT, conseillère

qui en ont délibéré

Greffier : lors des débats : Madame Anaïs CRUZ

ARRÊT :

- contradictoire,

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,

- signé par Madame Chantal BARTHOLIN, présidente et par Madame Anaïs CRUZ, greffier présent lors du prononcé.

**********

Vu le jugement assorti de l'exécution provisoire rendu le 13 mai 2015 par le tribunal de grande instance de Paris qui a :

- dit qu'il n'est pas établi que le pacte de préférence soit antérieur à la promesse notariée de vente du 19 septembre 2013 au bénéfice des époux [N], en conséquence dit dénuée d'objet l'action en nullité pour violation du pacte de préférence et rejeté la demande en nullité pour violation du pacte de préférence,

- dit que nul accord sur la chose et le prix n'est démontré entre la société Tournesol et la société Corinne et, en conséquence, rejeté la demande aux fins de vente forcée formée par la société Tournesol,

- rejeté les demandes de la société Corinne contre la société Tournesol,

- rejeté la demande de nullité de la promesse notariée de vente du 19 septembre 2013,

- annexé cette promesse signée par les époux [N] et la société Corinne,

- déclaré parfaite entre la société Corinne et les époux [N] la vente des ' locaux constitués par le lot n°1 de l'immeuble en copropriété situé [Adresse 4] (ci-après l'Immeuble) dont la SCI Corinne est propriétaire ', objet de la promesse notariée du 19 septembre 2013, moyennant le paiement du prix de 1.900.000 € net vendeur devant être payé par les époux [N], tous droits et taxes d'acte en sus à charge de l'acquéreur,

- dit qu'à défaut de signature amiable, devant notaire, de l'acte authentique de vente de ce bien immobilier dans un délai maximum d'un mois à compter de la signification du présent jugement, celui-ci vaudra vente et sera publié à la Conservation des hypothèques de [Localité 4] pour valoir titre de propriété au profit de la société demanderesse,

- condamné la société Corinne à verser aux époux [N] la somme de 3.000 €, à titre de dommages-intérêts pour abus de droit,

- débouté les époux [N] de leur demande de dommages-intérêts contre la société Tournesol,

- dit n'y avoir lieu de mettre à la charge de la société Tournesol une indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile et constaté que les époux [N] ne formaient pas de demande de ce chef contre le société Corinne,

- débouté la société Tournesol de ses demandes contre la société Corinne et de ses demandes contre les époux [N],

- condamné la société Corinne aux dépens,

- rejeté toutes autres demandes ;

Vu l'appel relevé par la société Tournesol le 22 mai 2015 ;

Vu l'ordonnance du 20 octobre 2015 par laquelle le délégataire du premier président de cette cour a arrêté l'exécution provisoire du jugement ;

Vu les dernières conclusions notifiées le 27 février 2017 par la société Tournesol qui demande à la cour, au visa des articles 1583,1109,1116 et 1142 du code civil, de l'article 145-46-1 du code de commerce ainsi que des dispositions du décret n° 55-22 du 4 janvier 1955 portant réforme de la publicité foncière, de :

- réformant le jugement :

* déclarer parfaite entre la SCI Corinne et la société Tournesol la vente des locaux pour le prix net vendeur de 1.900.000 €,

* dire que l'arrêt vaudra vente et sera publié au Service de la publicité foncière de [Localité 4],

* rejeter toutes les demandes des époux [N] relatives à la vente du bien litigieux,

* dire que le consentement de la société Corinne a été vicié, avant la conclusion de la promesse de vente du 19 septembre 2013 et que l'attitude des époux [N] constitue un dol,

* dire que les époux [N] ont violé en toute connaissance de cause le pacte de préférence qui devait bénéficier à la société Tournesol, dont ils connaissaient l'existence et la volonté de la société Tournesol de s'en prévaloir,

* prononcer la nullité de la promesse de vente du 19 septembre 2013 en raison du dol commis par les époux [N] envers la SCI Corinne et de la violation du pacte de préférence souscrit au profit de la société Tournesol,

- dans l'hypothèse où la vente prononcée au profit des époux [N] ne serait pas annulée ou si la société Tournesol n'était pas substituée aux époux [N] en qualité d'acquéreurs du bien :

* constater que la publication directe du jugement au Service de la publicité foncière par les époux [N] contrevient aux dispositions du jugement qui prévoyait une régularisation de la vente devant notaire et, seulement à défaut, la publication du jugement,

* constater que la promesse unilatérale du 19 septembre 2013 ne vaut pas vente,

* constater que la vente du bien au bénéfice des époux [N] est nécessairement intervenue postérieurement au 18 décembre 2014 et à l'entrée en vigueur du droit de préemption instauré en faveur du preneur à bail commercial,

* en conséquence, annuler la vente au bénéfice des époux [N] pour violation du droit de préemption légal,

* rejeter toutes les demandes des époux [N] et de la SCI Corinne tendant à toutes condamnations à son encontre et, en particulier, la demande de remboursement du coût des travaux de copropriété du Passage du Caire,

* condamner les époux [N] à lui payer la somme correspondant à la totalité des loyers par elle versés en exécution du bail commercial depuis le mois de décembre 2013, somme à parfaire jusqu'à l'arrêt à intervenir,

- à titre subsidiaire, si par extraordinaire l'acte authentique du 19 septembre 2013 n'était pas annulé, condamner la SCI Corinne à lui verser la somme correspondant à la totalité des loyers versés en exécution du bail commercial depuis le mois de décembre 2013, somme à parfaire jusqu'à l'arrêt à intervenir,

- en tout état de cause, condamner tous succombants aux dépens de première instance et d'appel et à lui payer la somme de 15.000 € par application de l'article 700 du code de procédure civile ;

Vu les dernières conclusions notifiées le 27 février 2017 par M. et Mme [N] qui demandent à la cour, au visa des articles 1134 et 1135 du code civil :

- sur l'appel principal, de :

* confirmer le jugement en toutes ses dispositions,

* débouter la société Tournesol et la SCI Corinne de l'ensemble de leurs demandes,

* débouter la SCI Corinne de sa demande formée à leur encontre en paiement de la somme de 111.355,46 €, au titre des frais de réhabilitation du Passage du Caire qu'elle a supportés,

- sur leur appel incident, de :

* les recevoir en leur demande de dommages-intérêts complémentaires,

* dire que par leur résistance abusive et dolosive ainsi que par l'abus du droit d'ester en justice, la SCI Corinne et la société Tournesol ont commis une faute grave à leur détriment en relation de cause à effet avec le préjudice allégué,

* les condamner solidairement à leur payer la somme de 200.000 €, à titre de dommages-intérêts,

* les condamner solidairement aux dépens et à leur payer la somme de 20.000 € par application de l'article 700 du code de procédure civile ;

Vu les dernières conclusions notifiées le 21 février 2017 par la SCI Corinne qui demande à la cour de réformer le jugement et statuant à nouveau :

1) sur les demandes de la société Tournesol, au visa de l'article 1142 du code civil, de :

- à titre principal :

* dire que le bénéficiaire d'un pacte de préférence inobservé n'est pas autorisé à en poursuivre l'exécution forcée, que seule une demande de dommages-intérêts peut être formée à l'encontre du promettant et qu'à l'encontre du tiers, les époux [N], seule l'annulation du contrat passé en méconnaissance de ses droits ou la substitution de l'acquéreur peut être demandée, à la double condition que le tiers ait eu connaissance lorsqu'il a contracté de l'existence du pacte de préférence et de l'intention du bénéficiaire de s'en prévaloir,

* constater que la société Tournesol poursuit à titre principal l'exécution forcée du pacte de préférence, à un prix réduit de 300.000 €, à l'exclusion de demande de dommages-intérêts à l'encontre de la SCI Corinne,

* constater que la société Tournesol ne rapporte pas la preuve de son accord pour la vente du bien au prix de 1.900.000 €, qu'à titre subsidiaire, elle demande sa condamnation à des dommages-intérêts, qu'elle fonde cette demande sur son comportement fautif tout en soutenant dans ses écritures que la SCI Corinne, manipulée et abusée par les époux [N], n'a signé la promesse de vente qu'en raison de leurs manoeuvres dolosives,

* constater qu'en cas de comportement fautif et de mauvaise foi de l'acquéreur, seule la responsabilité délictuelle de ce dernier peut être recherchée,

* constater que la société Tournesol n'a pas séquestré le prix de vante,

* en conséquence, débouter la société Tournesol de ses demandes dirigées contre elle qui ne reposent sur aucun fondement juridique recevable,

- subsidiairement, si la cour estimait que la société Tournesol doit être reconnue comme propriétaire du bien, condamner reconventionnellement cette société à lui rembourser la somme de 11.355,46 € au titre des frais déboursés par elle en paiement des travaux de réhabilitation du Passage du Caire,

- en tout état de cause :

* débouter la société Tournesol de toutes les demandes formées à son encontre,

* la condamner à lui payer la somme de 15.000 € à titre de dommages-intérêts, par application de l'article 32-1 du code de procédure civile, et celle de 10.000 € par application de l'article 700 du code de procédure civile,

2) sur les demandes des époux [N], au visa des articles 1109 et 1116 du code civil, de :

- à titre principal :

* dire qu'elle a été victime des agissements dolosifs des époux [N], manoeuvres déterminantes et caractérisées, surabondamment dénoncées par la société Tournesol,

* dire encore que selon l'adage ' fraus omnia corrumpit', il est impossible aux époux [N] de poursuivre la vente forcée sur la base d'un compromis obtenu par collusion frauduleuse,

* constater que les époux [N] n'ont pas consigné ou séquestré le prix de vente,

* dire qu'ils ne justifient pas d'un quelconque préjudice, ni du montant des dommages-intérêts sollicités,

* en conséquence, prononcer la nullité de l'acte notarié du 19 septembre 2013 pour vice du consentement,

* débouter les époux [N] de toutes leurs demandes, en ce compris celle de 200.000 € à titre de dommages-intérêts,

* les condamner à lui payer la somme de 20.000 €, à titre de dommages-intérêts, pour abus de droit, par application de l'article 559 du code de procédure civile,

- subsidiairement, si le compromis ne devait pas être annulé, dire qu'en raison du pacte de préférence, le bien lui appartenant ne peut être cédé aux époux [N],

- à titre infiniment subsidiaire, si la cour reconnaissait les époux [N] comme propriétaires du bien, les condamner à lui rembourser la somme de 111.355,46 € au titre de ses frais déboursés pour les travaux de réhabilitation du Passage du Caire,

- en tout état de cause :

* débouter les époux [N] de toutes leurs demandes,

* confirmer le jugement en ses autres dispositions,

* condamner les époux [N] à lui payer la somme de 10.000 € par application de l'article 700 du code de procédure civile,

3) condamner solidairement les époux [N] et la société Tournesol aux dépens de première instance et d'appel ;

SUR CE

Considérant que par un premier bail commercial conclu le 21 décembre 1995, la SCI Corinne a donné à bail à la société Tournesol des locaux situés dans un ensemble immobilier [Adresse 4] ; que suivant acte sous seing privé du 26 décembre 2003, les parties ont signé un nouveau bail portant sur les mêmes locaux, prenant effet au 1er janvier 2004 pour se terminer à pareille époque de l'année 2013, moyennant un loyer annuel de 164.651,04 € hors taxes ;

Que les parties ont signé un acte sous seing privé distinct, portant la même date du 26 décembre 2003, aux termes duquel :

- la société Corinne s'est engagée, en cas de vente des locaux, à proposer à la société Tournesol prioritairement à tout acquéreur, 'une offre d'achat des locaux au prix sollicité', la société Tournesol disposant d'un délai d'un mois à compter de la réception d'une lettre recommandée AR notifiant toute offre de vente pour exercer son option,

- la société Tournesol s'est engagée, en cas de vente de son fonds de commerce, de le proposer par préférence à la société Corinne au prix de son choix, la société Corinne disposant d'un délai d'un mois à compter de la lettre recommandée AR notifiant l'offre de cession pour exercer son option ;

Considérant qu'une dizaine d'années plus tard, aux termes d'un acte authentique dressé le 19 décembre 2013 par Me [B], notaire à [Localité 4], la société Corinne a promis de vendre aux époux [N] les locaux loués à la société Tournesol pour le prix de 1.900.000 € ; qu'il y était stipulé, notamment :

- que la promesse était consentie pour une durée expirant le 19 décembre 2013 et que sa réalisation aurait lieu, soit par la signature de l'acte authentique dans ce délai, soit par la levée de l'option faite par le bénéficiaire dans le même délai,

- qu'au titre des conditions suspensives auxquelles seuls les bénéficiaires de la promesse pouvaient renoncer, se trouvait la condition d'obtention d'un prêt de 1.700.00 € par la Banque populaire ou tout autre établissement bancaire ou de crédit,

- qu'au titre de la garantie d'éviction, la promettante a déclaré qu'elle n'avait conféré à personne d'autre qu'aux bénéficiaires un droit quelconque sur les biens résultant d'un compromis ou d'une promesse de vente, droit de préférence ou de préemption, clause d'inaliénabilité et qu'il n'existait aucun empêchement à la vente ;

Que par lettre du 6 novembre 2013, Me [B] a confirmé aux époux [N] qu'il avait reçu de la Bred Banque populaire le cadre de prêt à insérer dans l'acte et qu'il en avisait ce jour la société Corinne ;

Que par lettre du 18 novembre 2013 adressée au notaire, le conseil de la société Tournesol a invoqué une vente déjà intervenue au profit de cette société et a fait état du droit de préférence qui lui avait été consenti pour s'opposer à la régularisation de la vente aux époux [N] ;

Que le 12 décembre 2013, les époux [N] ont fait délivrer sommation à la société Corinne de se présenter en l'étude de Me [B] le 18 décembre 2013 à l'effet de réitérer la levée de la condition suspensive de prêt et de constater la difficulté empêchant la signature de l'acte de vente à leur profit suite à la demande de la locataire arguant d'un droit de préférence jusqu'alors non révélé ; que le 18 décembre 2013, la société Corinne ne s'est pas présentée devant le notaire, lequel a établi un procès-verbal de carence ;

Qu'entre-temps, la société Tournesol avait fait assigner la société Corinne le 29 octobre 2013 devant le tribunal de grande instance de Paris pour voir déclarer parfaite la vente des locaux intervenue à son profit pour le prix net vendeur de 1.900.000 € ;

Que de leur côté, les époux [N] ont saisi le tribunal de grande instance de Paris le 4 février 2014 pour se voir déclarer propriétaires des locaux moyennant paiement de la somme de 1.900.000 € ;

Qu'après jonction des deux procédures, le tribunal a statué par le jugement déféré qui, pour l'essentiel, a déclaré parfaite la vente entre la société Corinne et les époux [N] et condamné cette société à leur payer la somme de 3.000 €, à titre de dommages-intérêts, pour abus de droit ;

1- Sur la vente du bien :

Considérant que la société Tournesol, appelante, se prévalant du pacte de préférence du 26 décembre 2003, fait valoir :

- que les époux [N], et les associés de la société Tournesol, qui exploitent des fonds de commerce voisins dans le Passage du Caire, échangeaient régulièrement sur leurs conditions d'exploitation, en ce compris les conditions d'exécution de leurs baux commerciaux,

- que les époux [N] savaient pertinemment que la société Tournesol bénéficiait d'un droit de préférence pour acquérir le bien et que, connaissance prise du projet de vente par la société Corinne, ils ont mis en oeuvre tous les stratagèmes pour tenter de l'évincer,

- que la promesse de vente du 19 septembre 2013 a été signée moins de 15 jours après l'accord intervenu sur la chose et le prix concernant les locaux entre elle et la société Corinne,

- que la société Corinne, qui dès le 3 septembre 2012 lui avait donné son consentement à elle - bénéficiaire d'un droit de préférence et preneur à bail depuis 20 ans - pour la vente du bien au prix de 1.900.000 €, s'est brusquement désengagée au bénéfice des époux [N] pour le même prix,

- que la société Corinne n'a pas été assistée lors de la conclusion de la promesse, seul le notaire rédacteur des époux [N] étant intervenu,

- que les gérants de la société Corinne se qualifient eux-mêmes de personnes âgées et fatiguées, motif de leur désir de vendre l'immeuble à la locataire en place,

- que la société Corinne n'a consenti à la vente aux époux [N] qu'en raison de leurs manoeuvres dolosives, qui justifient l'annulation de l'acte authentique du 19 décembre 2013,

- que dans ses écritures, la société Corinne confirme avoir été 'totalement manipulée par les époux [N]', ces derniers lui ayant indiqué que la société Tournesol n'aurait jamais le financement bancaire lui permettant d'acquérir le bien;

Que la société Tournesol soutient, en tout état de cause, que l'article L 145-46-1 du code de commerce, institué par la loi du 18 juin 2014, dite loi Pinel, instaure un droit de préemption au bénéfice du preneur à bail commercial et que ses dispositions sont applicables à toute cession d'un local intervenant à compter du 18 décembre 2014 ; qu'elle allègue en ce sens :

- que le jugement a été rendu le 13 mai 2015, date à laquelle le droit de préemption du preneur à bail commercial constituait une règle d'ordre public à laquelle il n'était pas possible de déroger,

- que l'exécution provisoire dont le jugement était assorti a été arrêtée,

- que le jugement prévoyait que la vente serait régularisée devant notaire et que ce dernier aurait été contraint de purger les droits de préférence et de préemption,

- que les époux [N] n'ont pas demandé régularisation de la vente devant notaire et ont directement publié le jugement, agissant ainsi en fraude du droit de préemption légale du preneur à bail commercial ;

- que n'ayant pas séquestré le prix, les époux [N] n'ont pas considéré la vente comme parfaite ;

Considérant que la société Corinne fait valoir :

- qu'à l'égard du promettant dont la responsabilité contractuelle peut être engagée, le bénéficiaire de la promesse n'est pas en droit de poursuivre l'exécution forcée du pacte de préférence et ne peut solliciter que des dommages-intérêts,

- qu'à l'égard du tiers ayant contracté en méconnaissance de ses droits, si le bénéficiaire peut exiger l'annulation du contrat ou obtenir sa substitution à l'acquéreur, c'est à la condition que ce tiers ait eu connaissance, lorsqu'il a contracté, de l'existence du pacte de préférence et de l'intention du bénéficiaire de s'en prévaloir ;

Qu'elle conteste l'existence d'un accord avec la société Tournesol portant sur la chose et le prix, faisant seulement état de discussions sur la base d'un prix de 2.200.000 € ainsi qu'il ressort d'une lettre du CIC du 8 octobre 2013,

Qu'elle invoque les manoeuvres frauduleuses des époux [N] qui lui ont indiqué que la société Tournesol n'aurait jamais le financement lui permettant d'acquérir le bien et leur caractère déterminant qui l'ont amenée à rompre les discussions avec la société Tournesol et à vendre aux époux [N] à un prix inférieur ; qu'elle en déduit la nullité de l'acte authentique du 19 septembre 2013 ; qu'elle ajoute ne pas exclure une collusion frauduleuse entre les époux [N] et la société Tournesol ;

Qu'à titre subsidiaire, elle fait valoir que le bien ne peut être cédé aux époux [N] en raison du pacte de préférence ;

Considérant qu'il apparaît que la seule pièce versée aux débats par la société Tournesol pour étayer ses dires relatifs à la vente qui serait intervenue à son profit avant la signature de la promesse du 19 septembre 2013 est une lettre que le CIC lui a adressée le 8 octobre 2013 ;

Mais que dans cette lettre, le CIC, se référant à une visite des lieux avec un spécialiste du crédit-bail immobilier le 5 septembre 2013, lui confirme sa demande de financement pour un montant de 2.200.000 € concernant l'acquisition du bien, en précisant être dans l'attente d'un compromis signé et de divers documents pour compléter le dossier et en lancer l'étude ; que si la société Corinne admet l'existence de discussions en vue de la vente du bien à la société Tournesol, ce seul document ne démontre aucunement un accord des parties sur le prix de vente, la société Corinne faisant état d'un montant de 2.200.000 €, alors que la société Tournesol avance celui de 1.900.000 € eu égard au financement de 300.000 € pour des travaux à effectuer dont elle ne justifie pas non plus ;

Qu'en conséquence, la demande de la société Tournesol tendant à voir déclarer parfaite la vente du bien à son profit pour le prix net vendeur de 1.900.000 € à compter du 3 septembre 2013 doit être rejetée ;

Considérant que les sociétés Corinne et Tournesol se bornent à des affirmations relatives à des manoeuvres dolosives qui auraient été commises par les époux [N] et qui auraient pu vicier le consentement de la société Corinne sans produire la moindre pièce susceptible de les démontrer ; que la société Corinne ne justifie en aucune manière d'une collusion frauduleuse entre la société Tournesol et les époux [N] ;

Que dans l'acte de promesse de vente, la société Corinne a déclaré expressément ne pas avoir consenti de droit de préférence à d'autres personnes ;

Que la preuve n'est pas rapportée que les époux [N] avaient connaissance, lorsqu'ils ont contracté, de l'existence du pacte de préférence et de l'intention de la société Tournesol de s'en prévaloir ;

Considérant que le jugement était soumis à une obligation d'enregistrement en application de l'article 635-2 du code général des impôts ; que les époux [N] n'ont pu obtenir aucune copie exécutoire de cette décision, aux fins de signification, sans constat du paiement des droits d'enregistrement ; que la publication du jugement, qui était nécessaire, n'avait pas pour objet de frauder les droits de la société Tournesol ;

Considérant, sur le droit de préemption légal du preneur à bail, que les époux [N] exposent à juste titre que ce droit ne s'applique qu'aux ventes de locaux effectuées à compter du 1er décembre 2014 ; qu'en l'espèce la promesse de vente a été signée le 19 septembre 2013, les conditions suspensives, dont celle relative au prêt, ont été réalisées dans les semaines suivantes, l'option a été levée par les bénéficiaires dans le délai de validité de la promesse, la société Corinne ne s'est pas présentée le 18 décembre 2013 pour signer l'acte authentique de vente et, à cette date, la vente était parfaite ; que les dispositions de l'article L 145-46-1 du code de commerce ne sont donc pas applicables ;

Considérant, en conséquence, que les demandes tendant à l'annulation de l'acte authentique du 19 septembre 2013 ou à la substitution de la société Tournesol aux époux [N] en qualité d'acquéreur sont donc mal fondées ;

2- Sur la demande de la société Corinne en paiement de la somme de 111.335,46 € :

Considérant que la société Corinne souligne qu'elle a dû financer d'importants travaux de réhabilitation du Passage du Caire dont le montant a été fixé et approuvé par assemblée générale du 1er novembre 2014, et qu'à défaut des procédures pendantes la vente serait déjà réalisée et elle n'en aurait pas supporté le coût ; que selon elle, son préjudice tient au fait que, si la vente était réalisée au profit de la société Tournesol ou des époux [N], elle ne pourrait prendre en considération le coût des travaux dans le prix de vente et qu'inversement l'acquéreur se verrait propriétaire d'un bien dont la valeur serait supérieure à celle fixée en 2013 ;

Considérant que la société Tournesol n'est pas déclarée acquéreur du bien ; qu'elle est titulaire d'un bail commercial qui prévoit que les grosses réparations et les travaux de l'ensemble immobilier du Passage du Caire ne sont pas à sa charge ;

Que le retard à la régularisation de la vente n'est pas imputable aux époux [N], la procédure engagée par eux ayant pour origine l'existence d'un droit de préférence consenti par la société Corinne à sa locataire, dont il n'est pas établi qu'ils avaient connaissance ;

Que la demande de la société Corinne formée contre la société Tournesol et contre les époux [N] sera rejetée ;

3- Sur la demande de la société Tournesol en paiement de la somme correspondant à la totalité des loyers versés en exécution du bail commercial depuis le mois de décembre 2013 :

Considérant que la société Tournesol forme sa demande contre les époux [N] et, à titre subsidiaire, contre la société Corinne si l'acte authentique du 19 septembre 2013 n'était pas annulé ; qu'au soutien de cette demande, elle reproche d'abord aux époux [N] leurs 'manipulations' à l'égard de la société Corinne qui ont retardé la vente dont elle devait bénéficier au plus tard fin novembre 2013 ; qu'elle reproche ensuite à la société Corinne de ne pas avoir respecté le pacte de préférence, outre l'accord sur la chose et le prix intervenu dès le 3 septembre 2013 ;

Mais considérant que les manoeuvres frauduleuses imputées aux époux [N] n'étant aucunement démontrées, la demande formée à leur encontre doit être rejetée ;

Que la preuve n'est pas non plus rapportée d'un accord de la société Corinne sur le prix de vente du bien en septembre 2013 ; que la société Tournesol qui a continué à jouir des locaux loués en vertu du bail commercial toujours en cours est mal fondée à se prévaloir d'un préjudice égal à leur montant ; que n'ayant pas payé ou séquestré le montant de 1.900.000 €, prix selon elle de la vente à son profit, elle ne justifie pas avoir subi un préjudice en lien de causalité avec la violation du pacte de préférence ;

4- Sur les demandes de dommages-intérêts :

Considérant que la société Corinne demande, pour abus de droit, la condamnation de la société Tournesol au paiement de la somme de 15.000 € et la condamnation des époux [N] au paiement de la somme de 20.000 € ;

Mais considérant que ses demandes sont mal fondées, la société Tournesol n'ayant commis aucun abus en se prévalant du pacte de préférence et les époux [N] n'en ayant pas commis non plus en se fondant sur la promesse de vente ;

Considérant que les époux [N] demandent la condamnation solidaire des sociétés Corinne et Tournesol en soutenant :

- que le refus par la société Corinne de respecter son engagement à leur égard est particulièrement fautif,

- que la société Tournesol a commis une faute grave, génératrice d'un préjudice, en faisant interdiction à la société Corinne de signer l'acte de réitération de la vente à leur profit et en initiant une action judiciaire pour faire pression,

- que les agissements de la société Tournesol, puis de la société Corinne qui a tenté de tirer parti du procès engagé par la première pour obtenir le paiement d'une somme supplémentaire de 300.000 € par rapport au prix convenu, sont dénués de bonne foi,

- que leur préjudice, en relation de cause à effet, est indéniable puisqu'ils se trouvent privés de la perception des loyers auxquels ils auraient eu droit en leur qualité de propriétaires-bailleurs à compter du 18 septembre 2013 ;

Mais considérant qu'il ne peut être valablement reprocher à la société Tournesol de s'être prévalue de son droit de préférence contractuel et d'avoir engagée une action judiciaire à cette fin ; que les époux [N] sont donc mal fondés en leur demande de dommages-intérêts à leur encontre ;

Que les époux [N], qui n'ont pas payé ni séquestré la somme de 1.900.000 € correspondant au prix de vente des locaux loués, ne justifient pas de la réalité du préjudice qu'ils allèguent ; que leur demande à ce titre sera rejetée ;

Qu'il convient de confirmer le jugement en ce qu'il a condamné la société Corinne à payer aux époux [N] la somme de 3.000 €, à titre de dommages-intérêts, pour abus de droit ; qu'en effet la société Corinne a commis une faute et abusé de ses droits en refusant de signer l'acte authentique de vente et en tentant de se délier de ses obligations envers les époux [N] ;

5- Sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile :

Considérant que les sociétés Corinne et Tournesol qui succombent en leurs prétentions, seront condamnées solidairement aux dépens ;

Que vu les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, leurs demandes de ce chef seront rejetées et il sera allouée la somme de 10.000 € aux époux [N] ;

PAR CES MOTIFS

Confirme le jugement en ce qu'il a :

- dit que nul accord sur la chose et le prix n'était démontré entre la société Tournesol et la société Corinne et, en conséquence, rejeté la demande aux fins de vente forcée formée par la société Tournesol,

- rejeté la demande de nullité de la promesse notariée de vente du 19 septembre 2013,

- annexé cette promesse signée par la société Corinne et les époux [N],

- déclaré parfaite entre la société Corinne et les époux [N] la vente des 'locaux constitués du lot n° 1 de l'immeuble en copropriété situé [Adresse 4], cadastré [Adresse 5] (ci-après l'Immeuble) dont la SCI Corinne est propriétaire', objet de la promesse notariée du 19 septembre 2013, moyennant le paiement du prix de 1.900.000 € net vendeur devant être payé par M. et Mme [N] , tous droits et frais d'acte en sus à charge de l'acquéreur,

- dit qu'à défaut de signature amiable devant notaire de l'acte authentique de vente de ce bien immobilier, dans un délai maximum d'un mois à compter de la signification du jugement, le jugement vaudra vente et sera publié à la Conservation des hypothèques de [Localité 4] pour valoir titre de propriété,

- condamné la société Corinne à payer aux époux [N] pris ensemble la somme de 3.000 €, à titre de dommages-intérêts, pour abus de droit,

Condamne solidairement la société Corinne et la société Tournesol à payer aux époux [N] la somme de 10.000 € par application de l'article 700 du code de procédure civile,

Déboute les parties de toutes leurs autres demandes,

Condamne solidairement la société Corinne et la société Tournesol aux dépens de première instance et d'appel qui seront recouvrés conformément à l'article 699 du code de procédure civile.

LE GREFFIER LA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 5 - chambre 3
Numéro d'arrêt : 15/10482
Date de la décision : 10/05/2017

Références :

Cour d'appel de Paris I3, arrêt n°15/10482 : Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2017-05-10;15.10482 ?
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