RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 4
ARRÊT DU 09 Mai 2017
(n° , pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : S 14/00724 (14/727)
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 10 Décembre 2013 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de MEAUX section commerce RG n° 10/01384
APPELANTES ( RG14/00724 et 14/00727)
SASU TRIO FRUITS
[Adresse 1]
[Adresse 1]
représentée par Me Laurent BELJEAN, avocat au barreau de LYON, toque : 727 substitué par Me Elodie LACHOQUE, avocat au barreau de PARIS, toque : P0107
SAS CADY CASH
[Adresse 2]
[Adresse 2]
[Localité 1]
représentée par Me Laurent BELJEAN, avocat au barreau de LYON, toque : 727 substitué par Me Elodie LACHOQUE, avocat au barreau de PARIS, toque : P0107
INTIME ( RG14/00724 et 14/00727)
Monsieur [X] [Q]
[Adresse 3]
[Adresse 3]
né le [Date naissance 1] 1964 à [Localité 2] (Algérie)
représenté par Me Corinne PERRAULT, avocat au barreau de MEAUX
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 26 Octobre 2016, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Mme Anne PUIG-COURAGE, Conseillère, chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
M. Bruno BLANC, Président
Mme Soleine HUNTER FALCK, Conseillère
Mme Anne PUIG-COURAGE, Conseillère
qui en ont délibéré
Greffier : Madame Chantal HUTEAU, lors des débats
ARRET :
- Contradictoire,
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile et prorogé à ce jour
- signé par Monsieur Bruno BLANC, Président et par Madame Chantal HUTEAU, Greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire
LA COUR,
Du 16 janvier 2007 au 15 avril 2007, Monsieur [X] [Q], né le [Date naissance 1] 1964, a été engagé par la SASU TRIO FRUITS, qui emploie plus de 11 salariés, par contrat à durée déterminée, puis à compter du 16 avril 2007, selon un contrat à durée indéterminée, en qualité d'employé de vente, aux conditions générales de la convention collective nationale du commerce de détail de fruits et légumes, épicerie et produits laitiers.
La société est dirigée par Monsieur [I] [J]. Le 25 mai 2007, il ouvre avec son épouse un autre magasin d'alimentation sous l'enseigne CADY CASH dont celle-ci prend la direction.
Monsieur [X] [Q] qui a démissionné de son poste le 1er juin 2007 avec effet au 13 juin 2007, est embauché le 14 juin 2007, par contrat à durée indéterminée, par la société CADY CASH, aux conditions de la convention collective nationale du commerce de détail de fruits et légumes, épicerie et produits laitiers.
Le 1er mai 2009, Monsieur [X] [Q] est promu responsable de rayon.
En dernier état son salaire mensuel brut s'élevait à 3 174,17 euros.
Le 3 octobre 2010, Monsieur [X] [Q] a démissionné de cette société, et a été, à nouveau engagé, le 5 octobre 2010, par contrat à durée indéterminée, par la société TRIO FRUITS, en qualité d'adjoint responsable de rayons. Ce contrat de travail prévoit une période d'essai de deux mois.
Par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 10 novembre 2010, l'employeur a mis fin à la période d'essai à compter du 28 novembre 2010.
Le 17 décembre 2010, Monsieur [X] [Q] a saisi le conseil de prud'hommes de Meaux d'une demande de requalification de sa démission du 1er juin 2007 de la société TRIO FRUITS en licenciement sans cause réelle et sérieuse, d'une contestation de la rupture de la période d'essai et d'une demande en paiement de diverses indemnités.
Le 3 mars 2011, Monsieur [X] [Q] a saisi le conseil de prud'hommes de Villeneuve Saint Georges d'une demande de requalification de sa démission de la société CADY CASH en licenciement sans cause réelle et sérieuse et de paiement de diverses indemnités.
Par jugement de départage en date du 3 mai 2013, dont il n'a pas été relevé appel, le conseil de prud'hommes de Villeneuve Saint Georges a dit bien fondée l'exception de connexité soulevée par la société CADY CASH et renvoyé l'affaire devant le conseil de prud'hommes de Meaux.
La cour statue sur l'appel régulièrement interjeté par les sociétés TRIO FRUITS et CADY CASH, du jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Meaux le 10 décembre 2013 qui :
1° à l'encontre de la société TRIO FRUITS : - a requalifié la démission de Monsieur [X] [Q] en un licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
- a condamné la SAS TRIO FRUITS à payer à Monsieur [X] [Q] les
sommes suivantes :
* 2 783,15 € à titre d'indemnité de préavis ;
* 278,31 au titre des congés payés afférents ;
avec intérêt à taux légal à compter de la convocation en bureau de conciliation ;
* 2 783,15 € à titre de dommages et intérêts pour non respect de la procédure de licenciement ;
* 6 000,00 € à titre de dommages et intérêts pour rupture abusive du contrat de travail
* 10 000,00 € à titre de dommages et intérêts pour abus de droit ;
* 2 000,00 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
avec intérêts légaux à compter de la date du prononcé de la présente décision ;
- a ordonné l'exécution provisoire du présent jugement par l'application de l'article R. 1454-28 du code du travail ;
- a débouté Monsieur [X] [Q] du surplus de ses demandes à l'encontre
de la SAS TRIO FRUITS ;
- a débouté la SAS TRIO FRUITS de sa demande reconventionnelle au titre de
l'article 700 du code de procédure civile ;
- a dit qu'à défaut de règlement spontané, des condamnations prononcées par la
présente décision et dit qu'en cas d'exécution par voie extrajudiciaire, les
sommes retenues par l'huissier instrumentaire en l'application des dispositions
de l'article 10 du décret du 8 mars 2001 portant Modification du décret du 12
décembre 1996 devront être supportées par la société TRIO FRUITS en sus de
l'indemnité mise à sa charge sur le fondement des dispositions de l'article 700
du code de procédure civile ;
- condamné la SAS TRIO FRUITS aux entiers dépens ;
2° à l'encontre de la SAS CADY CASH :
- a requalifié la démission de Monsieur [X] [Q] en un licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
- a condamné la SAS CADY CASH à payer à Monsieur [X] [Q] les
sommes suivantes :
* 6 348,34 € à titre d'indemnité de préavis ;
* 634,83 € au titre des congés payés afférents ;
* 2 116,11 € à titre d'indemnité légale de licenciement ;
avec intérêt au taux légal à compter de la convocation en bureau de conciliation ; * 219,19 € à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
* 3 000,00 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
avec intérêts légaux à compter de la date du prononcé de la décision ; - a ordonnéà la SAS CADY CASH de rembourser aux organismes concernés
l'équivalent d'un mois d'allocation chômage versée à Monsieur [X] [Q]
en application des dispositions de l'article L1235-4 du code du travail ;
- a ordonné à la SAS CADY CASH de remettre à Monsieur [X] [Q] une
attestation Pôle emploi, un certificat de travail ainsi que les bulletins de salaire
conformes ; sous de 30 € par jour de retard à compter de la notification de la présente décision ; - ordonné l'exécution provisoire du présent jugement par l'article R. 1454-28 du code du travail ;
- a débouté Monsieur [X] [Q] du surplus de ses demandes à l'encontre de la SAS CADY CASH ;
- a débouté la SAS CADY CASH de sa demande reconventionnelle au titre de
l'article 700 du code de procédure civile ;
- a dit qu'à défaut de règlement spontané, des condamnations prononcées par la
présente décision et dit qu'en cas d'exécution par voie extrajudiciaire, les sommes retenues par l'huissier instrumentaire en l'application des dispositions de l'article 10 du décret du 8 mars 2001 portant modification du décret du 12 décembre 1996 devront être supportées par la société CADY CASH en sus de l'indemnité mise à sa charge sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
- a condamné la SAS CADY CASH aux entiers dépens.
Vu les conclusions du 26 octobre 2016 au soutien de ses observations orales par lesquelles la société FRUITS demande à la cour de : . la démission du 1er juin 2007 : à titre principal : - dire la démission de Monsieur [Q] claire et non équivoque ;
- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a requalifié la démission de Monsieur [Q] en licenciement sans cause réelle et sérieuse et lui a alloué diverses indemnités à ce titre;
statuant à nouveau :
- débouter Monsieur [X][Q] de l'intégralité de ses demandes découlant de sa démission du 12007 ;
à titre subsidiaire, si la démission était requalifiée en licenciement sans cause réelle et sérieuse:
- dire qu'au cours des mois ayant précédé sa démission du 1er 2007 le salaire de Monsieur [Q] était de 2007,88 € bruts, soit 1.533,38 € nets ;
- débouter Monsieur [Q] de sa demande au titre de l'indemnité compensatrice de préavis et des congés payés afférents ; - dire la demande de Monsieur [Q] au titre du non respect de la procédure de licenciement irrecevable ; - ramener le montant de l'indemnité pour rupture abusive du contrat de travail à la somme d'un euro symbolique ; - débouter Monsieur [Q] du surplus de ses demandes sur le fondement de la rupture du contrat de travail du 1juin 2007 ; . sur la rupture de sa période d'essai le 11 novembre 2010 à effet du 28 novembre 2010 :
à titre principal :
- dire et juger que Monsieur [Q] ne rapporte pas la preuve du caractère abusif de la rupture de sa période d'essai ;
en conséquence,
infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné la société TRIO FRUITS à payer à Monsieur [Q] la sommes de 10.000 € à titre de dommages et intérêts pour abus du droit de rompre discrétionnairement durant la période d'essai ;
- débouter Monsieur [Q] de sa demande de ce chef ;
à titre subsidiaire :
si la cour considérait que la rupture de la période d'essai avait revêtu un caractère abusif:
- constater que l'intéressé ne justifie d'aucun préjudice ;
- ramener le montant des dommages et intérêts octroyés à la somme de 1 euro
symbolique ;
- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a alloué à Monsieur [Q] la somme de 2.000,00 € au titre des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure Civile ; -condamner Monsieur [Q] au paiement à la société TRIO FRUITS de la somme de 1.500,00 € au titre des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure Civile et 3.000€ sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure Civile au titre des frais exposés en cause d'appel et non compris dans les dépens.
en tout état de cause :
- débouter Monsieur [Q] du surplus de ses demandes ;
- le condamner aux entiers dépens ;
et dans l'hypothèse où la cour ferait droit aux demandes à caractère salarial formulées par Monsieur [Q] :
- dire et juger que ces sommes s'entendent comme des sommes brutes avant précompte des charges sociales ;
dans l'hypothèse où la cour considérerait que les demandes de dommages et intérêts formulées par Monsieur [Q] sont fondées :
- dire et juger que les dommages et intérêts alloués à ce titre s'entendent comme des sommes brutes avant CSG et CRDS.
Vu les conclusions du 26 octobre 2016 au soutien de ses observations orales par lesquelles la société CASHdemande à la cour de :
. sur la démission du 3 octobre 2010 : à titre principal : - dire la démission de Monsieur [Q] claire et non équivoque ;
- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a requalifié la démission de Monsieur BoualemBRAHMI en licenciement sans cause réelle et sérieuse et lui a alloué diverses indemnités à ce titre ;
statuant à nouveau :
- débouter Monsieur [Q] de l'intégralité de ses demandes découlant de sa démission du 3 octobre 2010 ;
. à titre subsidiaire, si la démission était requalifiée en licenciement sans cause réelle et sérieuse:
- débouter Monsieur [Q] de sa demande au titre de l'indemnité compensatrice de préavis et des congés payés afférents ; - débouter Monsieur [Q] de sa demande au titre du non respect de la procédure de licenciement ;
- ramener le montant de l'indemnité pour licenciement injustifié à la somme de 15 132,67 euros bruts ;
- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a alloué à Monsieur [X] la somme de 3.000,00 € au titre des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure Civile ; - condamner Monsieur [Q] au paiement à la société CASHde la somme de 1.500,00€ au titre des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure Civile et 3.000 € sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure Civile au titre des frais exposés en cause d'appel et non compris dans les dépens.
en tout état de cause :
- débouter Monsieur [Q] du surplus de ses demandes ;
- le condamner aux entiers dépens ;
et dans l'hypothèse où la Cour ferait droit aux demandes à caractère salarial formulées par Monsieur [Q] :
- dire et juger que ces sommes s'entendent comme des sommes brutes avant précompte des charges sociales ;
dans l'hypothèse où la cour considérerait que les demandes de dommages et intérêts formulées par Monsieur [Q] sont fondées :
- dire et juger que les dommages et intérêts alloués à ce titre s'entendent comme des
sommes brutes avant CSG et CRDS.
Vu les conclusions du 26 octobre 2016 au soutien de ses observations orales par lesquellesMonsieur [X] [Q] demande à la cour de :
- confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions :
y ajoutant :
- condamner la Société TRIO FRUITS et la Société CADY CASH à payer à [X] [Q] une somme de 2.000 € chacune sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile en cause d'appel.
- condamner la Société TRIO FRUITS et la Société CADY CASH aux entiers dépens.
Sur ce :
Sur la jonction du dossier 14/00727
Par jugement de départage en date du 3 mai 2013, le conseil de prud'hommes de Villeneuve Saint Georges a renvoyé devant le conseil de prud'hommes de Villeneuve Saint Georges la demande deMonsieur [X] [Q] à l'encontre de la société CADY CASH en raison de sa connexité avec la demande présentée par le même requérant à l'encontre de la société TRIO FRUITS.
Par jugement du 10 décembre 2013, le conseil de prud'hommes de Meaux a, après jonction des deux affaires, statué sur l'ensemble des demandes de [X] [Q], dirigées contre les deux sociétés (FRUITS et CADY CASH).
Il convient donc d'ordonner la jonction du dossier 14 / 00727 ouvert en raison de l'appel de ce jugement par la société CADY CASH avec le dossier 14 / 00724, ouvert préalablement sur l'appel interjeté du même jugement par la société TRIO FRUITS.
Sur les demandes dirigées contre la société TRIO FRUITS
Sur la démission du 1er juin 2007
La démission est un acte unilatéral par lequel le salarié manifeste de façon claire et non équivoque sa volonté de mettre fin au contrat de travail.
Lorsque le salarié, sans invoquer un vice du consentement de nature à entraîner l'annulation de la démission, remet en cause celle-ci en raison de faits ou manquements imputables à son employeur, le juge doit, s'il résulte de circonstances antérieures ou contemporaines de la démission qu'à la date à laquelle elle a été donnée, celle-ci était équivoque, l'analyser en une prise d'acte de la rupture qui produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués la justifiaient ou dans le cas contraire, d'une démission.
Il appartient au salarié d'établir les faits qu'il allègue à l'encontre de l'employeur.
En l'espèce, Monsieur [X] [Q] expose qu'il n'avait pas réellement la volonté de démissionner de son emploi mais qu'il a rédigé le courrier discuté à la demande de son employeur qui souhaitait le voir travailler dans le magasin de [Localité 3] sur Marne, qu'il venait d'ouvrir avec son épouse.
Il convient de constater que la lettre de démission a été rédigée le 1er juin 2007, dans les locaux même de l'entreprise, sans que le salarié n'en garde une copie, alors que celui-ci n'avait auparavant manifesté aucune intention de quitter son emploi, et qu'il avait, au contraire, signé un contrat à durée indéterminée quelques semaines plus tôt ( le 16 avril 2007).
Il y a lieu, en outre, de relever la concomitance des dates entre la création de la société CADY CASH par les époux [J], le 25 mai 2007, la rédaction du courrier litigieux le 1er juin, prévoyant, en accord avec Monsieur [I] [J] la prise d'effet de cette démission le 13 juin 2007 et l'embauche de Monsieur [X] [Q] par Monsieur [C] [J], le 14 juin 2007.
La cour considère en conséquence que le salarié n'ayant pas manifesté de façon claire et non équivoque sa volonté de mettre fin à son contrat de travail, le courrier du 1er juin 2007 constitue, en réalité, une prise d'acte de la rupture du contrat de travail.
L'employeur, en incitant son salarié à renoncer à son contrat de travail pour rejoindre le magasin tenu par son épouse, pour ultérieurement le réengager et mettre fin au contrat de travail pendant une période d'essai détournée de sa finalité puisqu'il connaissait de longue date le salarié, a commis un manquement suffisamment grave à ses obligations pour empêcher la poursuite du contrat de travail.
La rupture du contrat de travail produira donc les effets d'un licenciement abusif eu égard à l'ancienneté du salarié.
Sur le salaire de référence
Il convient de fixer le salaire de référence à la somme de 2 783,15, selon l'attestation ASSEDIC établie par l'employeur.
Sur les conséquences financières de la rupture
Sur l'indemnité de préavis
Monsieur [X] [Q] qui n'a pas effectué le préavis auquel il avait droit, n'a pas non plus perçu d'indemnité compensatrice de ce chef, il convient donc de lui allouer la somme de 2 783,15 € à ce titre, outre celle de 278,31 euros au titre des congés payés afférents.
Sur le non respect de la procédure de licenciement
La prise d'acte étant un mode spécifique de rupture du contrat de travail à l'initiative du salarié, l'indemnité pour non respect, par l'employeur, de la procédure de licenciement n'est pas applicable. Monsieur [X] [Q] sera donc débouté de cette demande.
Sur l'indemnité pour licenciement abusif
Compte tenu notamment de l'effectif de l'entreprise, des circonstances de la rupture, du montant de la rémunération versée à Monsieur [X] [Q], de son âge, de son ancienneté, de sa capacité à trouver un nouvel emploi eu égard à sa formation et à son expérience professionnelle et des conséquences du licenciement à son égard, tels qu'ils résultent des pièces et des explications fournies, il y a lieu de lui allouer, en application de l'article L.1235-5 du code du travail, une somme de 6 000 euros à titre d'indemnité pour licenciement abusif.
Sur la rupture de la période d'essai le 10 novembre 2010
Aux termes de l'article L. 1231-1 du code du travail, les règles relatives à la rupture du contrat de travail ne sont pas applicables pendant la période d'essai, l'employeur comme le salarié peuvent mettre fin au contrat sans avoir à motiver cette décision.
Selon l'article L. 1221-20 du même code, la période d'essai permet à l'employeur d'évaluer les compétences du salarié dans son travail, notamment au regard de son expérience, et au salarié d'apprécier si les fonctions occupées lui conviennent.
En l'espèce, Monsieur [X] [Q] expose qu'après lui avoir demandé de démissionner de son poste de Responsable de rayon dans la société CADY CASH le 3 octobre 2010 pour être engagé dès le 5 octobre 2010, à un poste de responsable-adjoint de rayon au sein de la société TRIO FRUITS avec une période d'essai, Monsieur [I] [J], dirigeant de cette société, a en réalité détourné la période d'essai de sa finalité, qui n'avait plus pour objet d'apprécier ses compétences, qu'il connaissait déjà pour l'avoir employé auparavant, mais de permettre une rupture de contrat le privant de tous ces droits.
Il convient de relever que, contrairement à ce que soutient l'employeur, il connaissait le salarié, et donc ses compétences professionnelles, pour l'avoir lui-même employé de janvier à juin 2007, avant qu'il travaille pour le magasin tenu par son épouse pendant 3 ans, et de le réembaucher. Dès lors l'employeur qui rompt la période d'essai dans ces conditions, commet un abus de droits.
Sur les dommages et intérêts liés à l'abus de droits
Il est incontestable que la rupture de la période d'essai, alors que Monsieur [X] [Q] avait quitté son précédent emploi à la demande des dirigeants des sociétés TRIO FRUITS et CADY CASH a eu pour effet de le priver de ses droits. Il a ensuite connu une période de chômage avant de retrouver un emploi en 2012. Il convient de lui allouer des dommages et intérêts de ce chef à hauteur de 10 000 euros.
Sur les demandes dirigées contre la société CADY CASH
Sur la démission du 3 octobre 2010
En l'espèce, Monsieur [X] [Q] expose qu'il n'avait pas réellement la volonté de démissionner de son emploi mais qu'il a rédigé le courrier discuté à la demande de son employeur qui souhaitait le voir travailler dans le magasin de son conjoint, Monsieur [I] [J], situé à [Localité 4] au sein duquel il avait déjà travaillé en 2007.
Il convient de relever que si Monsieur [X] [Q] ne produit aucune pièce de nature à établir l'existence d'un vice du consentement, le fait que la lettre de démission ait été rédigée sur le lieu de travail, sans que lui-même n'en conserve la copie, et qu'il ait été embauché, à nouveau, par Monsieur [I] [J], le 5 octobre 2010, à un poste d'une classification inférieure à celui qu'il venait de quitter 48 heures auparavant, alors que ce changement d'emploi s'accompagnait, en outre, d'une diminution de salaire, est de nature à rendre équivoque ladite démission.
La cour considère en conséquence que le courrier du salarié en date du 3 octobre 2010 constitue en réalité une prise d'acte de la rupture du contrat de travail.
L'employeur qui a incité le salarié à renoncer à son contrat de travail dans les conditions sus-mentionnées a commis un manquement d'une gravité telle qu'elle empêche la poursuite du contrat de travail.
La rupture du contrat de travail, aux torts de l'employeur produira donc les effets d'un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse.
Sur les conséquences financières de la rupture
Sur l'indemnité de préavis
Monsieur [X] [Q] n'a pas perçu l''indemnité compensatrice de préavis à laquelle il avait droit, il convient donc de lui allouer la somme de 6 348,34 € à ce titre, outre celle de 634,83 euros au titre des congés payés afférents.
Sur l'indemnité légale de licenciement
Il convient d'allouer à Monsieur [X] [Q] la somme de 2 116,11 euros à ce titre.
Sur l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
Compte tenu notamment de l'effectif de l'entreprise, des circonstances de la rupture, du montant de la rémunération versée à [X] [Q], de son âge, de son ancienneté, de sa capacité à trouver un nouvel emploi eu égard à sa formation et à son expérience professionnelle et des conséquences du licenciement à son égard, tels qu'ils résultent des pièces et des explications fournies, il y a lieu de lui allouer, en application de l'article L.1235-3 du code du travail, une somme de 22 219,19 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Sur les frais irrépétibles
L 'équité et la situation économique respective des parties justifient qu'il soit fait droit à la demande du salarié en application de l'article 700 du code de procédure civile dans la mesure énoncée au dispositif.
Il y a lieu de dire que l'employeur conservera à sa charge ses frais irrépétibles.
PAR CES MOTIFS
DECLARE l'appel recevable
ORDONNE la jonction du dossier 14 / 00727 avec le dossier 14 / 00724 ;
CONFIRME, le jugement entrepris en ce qu'il a condamné la société TRIO FRUITS à payer à Monsieur [X] [Q] les sommes suivantes :
* 2 783,15 € à titre d'indemnité de préavis ;
* 278,31 euros au titre des congés payés afférents ;
avec intérêt à taux légal à compter de la convocation en bureau de conciliation ;
* 6 000,00 € à titre de dommages et intérêts pour rupture abusive du contrat de travail
* 10 000,00 € à titre de dommages et intérêts pour abus de droit ;
* 2 000,00 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
avec intérêts légaux à compter de la date du prononcé de la présente décision ;
CONFIRME, le jugement entrepris en ce qu'il a condamné la SAS CADY CASH à payer à Monsieur [X] [Q] les sommes suivantes :
* 6 348,34 € à titre d'indemnité de préavis ;
* 634,83 € au titre des congés payés afférents ;
* 2 116,11 € à titre d'indemnité légale de licenciement ;
avec intérêt au taux légal à compter de la convocation en bureau de conciliation ; * 219,19 € à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
* 3 000,00 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
avec intérêts légaux à compter de la date du prononcé de la décision ;
L'INFIRME pour le surplus et statuant à nouveau
DIT que la démission de [X] [Q] en date du 1er juin 2007 est équivoque ;
REQUALIFIE la démission du 1er juin 2007 en prise d'acte de la rupture du contrat de travail aux torts de la société TRIO FRUITS;
DIT que cette prise d'acte produira les effets d'un licenciement abusif ;
DEBOUTE [X] [Q] de sa demande au titre du paiement d'une indemnité pour non respect de la procédure de licenciement ;
DIT que la démission de [X] [Q] en date du 3ocobre 2010 est équivoque ;
REQUALIFIE la démission du 3 octobre 2010 en prise d'acte de la rupture du contrat de travail aux torts de la SAS CADY CASH;
DIT que cette prise d'acte produira les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse;
DIT que les sommes à caractère salariales ou indemnitaires sont exprimées en brut, alors que les sommes correspondant à des dommages et intérêts sont exprimées en net.
CONDAMNE la société TRIO FRUITS à payer à [X] [Q] la somme de 1 500 euros au titre des frais irrépétibles ;
CONDAMNE la société CADY CASH à payer à [X] [Q] la somme de 1 500 euros au titre des frais irrépétibles ;
DEBOUTE les parties du surplus de leurs demandes ;
CONDAMNE les sociétés TRIO FRUITS et CADY CASH aux entiers dépens.
LE GREFFIER LE PRESIDENT