RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 2
ARRÊT DU 04 Mai 2017
(n° , 6 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : S 16/08119
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 13 Mai 2016 par le Conseil de Prud'hommes de PARIS - section encadrement - RG n° F15/10527
DEMANDEUR AU CONTREDIT
Monsieur [N] [S]
né le [Date naissance 1] 1969 à [Localité 1] (TAHITI)
Chez Me Grégoire LUGAGNE DELPON
[Adresse 1]
[Localité 2]
représenté par Me Grégoire LUGAGNE DELPON, avocat au barreau de MARSEILLE substitué par Me Alain JANCOU, avocat au barreau de PARIS, toque : C1006 (dépôt de dossier)
DEFENDERESSES AU CONTREDIT
SA [N] AVIATION
[Adresse 2]
[Localité 3]
représentée par Me Thibaut CASATI, avocat au barreau de PARIS, toque : C0642
SOCIETE S.R.S.I
Chez Me Anne BALEUX RENAULT
[Adresse 3]
[Localité 3]
représentée par Me Anne BALEUX RENAULT, avocat au barreau de PARIS, toque : C1969
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 1er mars 2017, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Monsieur Christophe ESTEVE, Conseiller, chargé d'instruire l'affaire.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de:
Madame Catherine MÉTADIEU, Président
Madame Martine CANTAT, Conseiller
Monsieur Christophe ESTEVE, Conseiller
GREFFIER : Madame FOULON, lors des débats
ARRET :
- contradictoire
- rendu par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Madame Catherine MÉTADIEU, Président et par Madame FOULON, Greffier.
**********
Statuant sur le contredit formé par M. [N] [S] à l'encontre d'un jugement rendu le 13 mai 2016 par le conseil de prud'hommes de Paris qui, saisi par l'intéressé de demandes dirigées contre les sociétés [N] AVIATION et SRSI liées à l'exécution et à la rupture de son contrat de travail, par la société [N] AVIATION d'une exception de litispendance au profit du conseil de prud'hommes de Martigues et par la société SRSI d'une exception d'incompétence territoriale au profit de la juridiction andorrane de LA BATLLIA ainsi qu'à titre subsidiaire de la même exception de litispendance, s'est déclaré territorialement incompétent et a invité les parties à mieux se pourvoir en réservant les dépens,
Vu le contredit et les conclusions soutenus à l'audience du 1er mars 2017 pour M. [N] [S], qui demande à la cour de':
- dire et juger que le conseil de prud'hommes de Paris est parfaitement compétent pour connaître de sa demande,
- réformer le jugement déféré,
- dire et juger que la société [N] AVIATION et la société SRSI n'ont pas formé contredit de ce jugement ayant tranché l'exception de litispendance soulevée par leurs soins,
- dire en conséquence irrecevable leur exception de litispendance soulevée à titre subsidiaire,
- évoquer le fond,
- dire et juger que la société [N] AVIATION est son employeur,
- dire et juger que la rupture du contrat de travail pour faute grave est injustifiée ou abusive,
- en conséquence, condamner in solidum les sociétés [N] AVIATION et SRSI au paiement des sommes suivantes':
- 2 204,17 € à titre de rappel de salaire afférent à la période de mise à pied conservatoire,
- 220,42 € au titre des congés payés afférents,
- 39 675,00 € à titre d'indemnité forfaitaire pour travail dissimulé,
- 174 107,13 € à titre d'indemnité forfaitaire pour rupture injustifiée du contrat de travail,
- 16 152,50 € à titre d'indemnité de précarité,
- condamner in solidum les sociétés [N] AVIATION et SRSI au paiement de la somme de 10 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
Vu les conclusions soutenues à l'audience du 1er mars 2017 pour la société [N] AVIATION, défenderesse au contredit, qui demande à la cour de':
- déclarer M. [N] [S] irrecevable et mal fondé en son contredit,
- dire et juger que le conseil de prud'hommes de Martigues est le tribunal premier saisi et que cette instance est toujours pendante, en conséquence, renvoyer les parties devant le conseil de prud'hommes de Martigues,
- dire et juger que le litige ressort de la compétence des juridictions andorranes,
- confirmer le jugement en ce qu'il s'est déclaré incompétent territorialement au profit des juridictions andorranes,
- condamner M. [N] [S] à lui payer la somme de 3 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner M. [N] [S] aux dépens de première instance et d'appel,
Vu les conclusions soutenues à l'audience du 1er mars 2017 pour la société SRSI, autre défenderesse au contredit, qui demande à la cour de':
- déclarer irrecevable et non fondé le contredit formé par M. [N] [S] à l'encontre du jugement du 13 mai 2016,
- le rejeter,
- confirmer le jugement déféré aux termes duquel le conseil de prud'hommes de Paris s'est déclaré territorialement incompétent,
- à titre principal, dire que le présent litige relève des juridictions andorranes, en l'espèce de la Batllia AD500 ANDORRE,
- à titre subsidiaire, dire que le présent litige relève du conseil de prud'hommes de Martigues,
en tout état de cause,
- dire n'y avoir lieu d'évoquer,
- débouter M. [N] [S] de toutes ses demandes, fins et conclusions,
- condamner M. [N] [S] à lui payer une indemnité de 2 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner M. [N] [S] aux entiers dépens,
La cour faisant expressément référence aux écrits susvisés pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties,
SUR CE, LA COUR
EXPOSE DU LITIGE
La société de droit andorran SRSI est une société de portage salarial international.
Suivant acte sous seing privé (non traduit) du 03 août 2012, M. [N] [S] a été embauché à compter du 15 septembre 2012 par la société SRSI sous contrat de travail à durée déterminée de trois ans pour assurer les fonctions de «'Deputy General Manager Africa'» des sociétés gabonaise AFRIC AVIATION et congolaises EQUAJET et EQUAFLIGHT, lesquelles font partie d'un groupe aéronautique ayant à sa tête la société [N] AVIATION.
A la suite d'un entretien préalable tenu dans les locaux de la société SRSI en ANDORRE le 02 juillet 2013, M. [N] [S] a été licencié le 05 juillet 2013 pour faute grave.
Contestant son licenciement, M. [N] [S] a immédiatement saisi le conseil de prud'hommes de Martigues de demandes salariales et indemnitaires dirigées contre les sociétés [N] AVIATION et SRSI.
A sa demande, le conseil de prud'hommes de Martigues a procédé à la radiation de l'affaire par décision du 04 mars 2014.
C'est dans ces conditions que M. [N] [S] a saisi le conseil de prud'hommes de Paris le 21 mars 2014 de la procédure qui a donné lieu au jugement déféré.
MOTIFS
Sur l'étendue de la saisine de la cour et sur l'exception d'incompétence territoriale':
Aux termes de son contredit qui est suffisamment motivé, M. [N] [S] soutient que la société [N] AVIATION est son co-employeur aux côtés de la société SRSI et se prévaut dès lors de la prorogation de compétence territoriale prévue à l'article 42 alinéa 2 du code de procédure civile pour justifier la saisine du conseil de prud'hommes de Paris, dans le ressort duquel est situé le siège social de la société [N] AVIATION, en excipant également, en sa qualité de citoyen français, du privilège de juridiction institué par l'article 15 du code civil (en réalité par l'article 14 au cas présent).
Dans ses conclusions ultérieures transmises à la cour le 23 janvier 2017, il soulève la nullité du contrat de travail conclu avec la société SRSI au regard tant de la loi gabonaise que de la loi française pour considérer qu'il ne serait «'désormais plus lié qu'à la société [N] AVIATION'» (tout en sollicitant la condamnation in solidum de la société SRSI au paiement de diverses sommes de nature salariale et indemnitaire liées à l'exécution et à la rupture de ce contrat).
Ce dernier moyen ne figurant pas dans le contredit, la cour n'en est pas saisie, étant rappelé que devant elle, en vertu de l'application combinée des articles 82 et 85 du code de procédure civile, les observations écrites des parties ne peuvent porter que sur la motivation développée dans le contredit.
Pour les mêmes raisons et dès lors qu'elles n'ont pas elle-même formé contredit, les défenderesses ne sont pas recevables à réitérer devant la cour l'exception de litispendance qu'elles avaient soulevée à titre principal (s'agissant de la société [N] AVIATION) et à titre subsidiaire (s'agissant de la société SRSI) devant la juridiction de première instance.
L'application de la règle édictée par l'article 14 du code de procédure civile relative au privilège de juridiction revêtant un caractère subsidiaire, la cour doit d'abord vérifier si M. [N] [S] peut ou non bénéficier de la prorogation de compétence prévue par l'article 42 du code de procédure civile, qui dispose en ses alinéas 1 et 2':
«'La juridiction territorialement compétente est, sauf disposition contraire, celle du lieu où demeure le défendeur.
S'il y a plusieurs défendeurs, le demandeur saisit, à son choix, la juridiction du lieu où demeure l'un d'eux.'»
Ces dispositions sont applicables à la procédure devant les juridictions prud'homales en vertu de l'article R. 1451-1 du code du travail et de l'article 749 du code de procédure civile en l'absence de dispositions contraires du code du travail, y compris dans l'ordre international.
Au cas présent, il est constant que la société [N] AVIATION est domiciliée dans le ressort du conseil de prud'hommes de Paris.
La société [N] AVIATION apparaît par ailleurs comme un défendeur sérieux dès lors que M. [N] [S] exerce contre elle, prise en sa qualité alléguée de co-employeur, une action directe et personnelle, connexe à celle engagée à l'encontre de la société SRSI.
Il en résulte que le conseil de prud'hommes de Paris est territorialement compétent pour statuer sur l'ensemble des demandes présentées par M. [N] [S], la décision déférée étant dès lors infirmée en ce que les premiers juges se sont déclarés territorialement incompétents.
Dans le cadre du contredit, la cour est en outre saisie de la question de fond du co-emploi que le conseil de prud'hommes a écarté dans ses motifs en retenant qu'il n'était pas démontré que M. [N] [S] pouvait revendiquer la qualité de salarié de la société [N] AVIATION.
Il ressort des productions et il n'est pas contesté que M. [B] [N] préside la société [N] AVIATION et qu'à l'époque des faits, il exerçait également les fonctions d'administrateur général ou de gérant des sociétés africaines filiales du groupe, en particulier de la société à responsabilité limitée AFRIC AVIATION.
Aux termes du contrat de travail signé le 03 août 2012 qui s'analyse en un contrat de portage salarial international, la société SRSI a embauché M. [N] [S] à compter du 15 septembre 2012 pour une durée de trois ans en vue d'exercer les fonctions de directeur général adjoint Afrique des sociétés AFRIC AVIATION, EQUAJET et EQUAFLIGHT.
Le contrat stipule que le salarié sera détaché en Afrique pour deux tiers de la période et un tiers en déplacement professionnel («'2/3 ON Period ' 1/3 ON Period in Business displacement'»).
Même si le contrat de prestations de services conclu entre la société de portage salarial et le donneur d'ordre n'est pas communiqué, il est manifeste que la société [N] AVIATION, société mère du groupe, était l'entreprise utilisatrice puisqu'elle refacturait à la société AFRIC AVIATION des prestations d'assistance incluant le salaire de M. [N] [S] que lui facturait la société SRSI (pièce n° 3 du demandeur au contredit).
S'il est justifié par plusieurs courriers électroniques que M. [N] [S] a négocié directement avec la société [N] AVIATION (avec son directeur administratif et financier M. [S] [T] puis avec M. [B] [N] lui-même) les conditions d'exécution de sa prestation ainsi que le montant de son salaire, cette circonstance habituelle en matière de portage salarial n'est en rien significative, la cour rappelant, sans préjuger de la loi applicable au contrat, que tant l'accord national relatif au portage salarial signé le 24 juin 2010 que désormais l'article L 1254-2 du code du travail prévoient que le salarié porté recherche lui-même ses clients et convient avec eux des conditions d'exécution de sa prestation et de son prix.
Dans ce cadre, ni le fait que M. [B] [N] ait pu écrire le 15 août 2012 que M. [N] [S] «'dépendra[it] directement de lui-même (en tant que président des différentes Stes)'», ni le fait que M. [N] [S] ait disposé d'un ordinateur remis par le groupe, d'une adresse électronique «'regourd.com'» et d'une carte de visite à l'adresse postale de la société [N] AVIATION mentionnant sa qualité de directeur général adjoint Afrique «'EQUAJET ' EQUAFLIGHT SERVICE ' AFRIC AVIATION'» ne sont révélateurs du lien de subordination allégué.
Il n'est nullement établi que la société [N] AVIATION ait donné des directives ou instructions à M. [N] [S] ni a fortiori qu'elle en ait contrôlé l'exécution, l'intéressé ne produisant d'ailleurs aucun compte rendu de mission ou «'reporting'» ni justificatif de réunions de travail.
Il n'est pas davantage démontré que la société [N] AVIATION ait eu le pouvoir d'organiser l'activité de M. [N] [S], son temps de travail ou ses périodes de congés.
Pour le surplus, le demandeur au contredit verse aux débats divers courriels attestant des tensions existant entre M. [B] [N], qui utilise indifféremment pour toutes ses fonctions une seule adresse électronique, et M. [D] [W], dirigeant local de la société AFRIC AVIATION, aux termes desquels le premier nommé exige le 23 janvier 2013 le retour immédiat d'[N] [S] sur Paris (pièce n° 22) ou au contraire envisage le 15 mai 2013 l'interruption du contrat SRSI et la conclusion d'un nouveau contrat entre M. [N] [S] et la société AFRIC AVIATION respectant la législation gabonaise, tout en rappelant au salarié que la société [N] AVIATION n'est pas son employeur (pièce n° 24).
Ces éléments ne suffisent pas à caractériser le lien de subordination allégué avec la société [N] AVIATION ni par voie de conséquence le co-emploi dont se prévaut dans son contredit le demandeur.
Par ailleurs, hors l'existence d'un lien de subordination, une société faisant partie d'un groupe ne peut être considérée comme un co-employeur à l'égard d'un salarié employé par une autre, que s'il existe entre elles, au-delà de la nécessaire coordination des actions économiques entre les sociétés appartenant à un même groupe et de l'état de domination économique que cette appartenance peut engendrer, une confusion d'intérêts, d'activités et de direction se manifestant par une immixtion dans la gestion économique et sociale de cette dernière.
Au cas présent, M. [N] [S] ne se prévaut pas d'une telle situation, dont la réalité n'est en tout état de cause nullement établie, la société AFRIC AVIATION n'étant pas dans la cause et la société SRSI, de droit andorran, n'ayant apparemment aucun lien capitalistique avec la société [N] AVIATION.
Il s'ensuit que c'est à juste titre que le conseil de prud'hommes a retenu que M. [N] [S] et la société [N] AVIATION n'étaient pas liés par un contrat de travail.
Il convient en conséquence d'accueillir le contredit, d'infirmer le jugement déféré en ce que le conseil de prud'hommes de Paris s'est déclaré territorialement incompétent, de dire qu'en application des dispositions de l'article 42 alinéa 2 du code de procédure civile, le conseil de prud'hommes de Paris est territorialement compétent pour connaître de l'ensemble des demandes présentées par M. [N] [S], y compris celles dirigées contre la société de droit andorran SRSI, de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a retenu que M. [N] [S] et la société [N] AVIATION n'étaient pas liés par un contrat de travail et de renvoyer pour le surplus l'affaire devant le conseil de prud'hommes de Paris pour qu'il statue au fond sur le litige opposant M. [N] [S] à la société de droit andorran SRSI, la cour n'estimant pas de bonne justice d'évoquer.
Sur l'application de l'article 700 du code de procédure civile et les frais de contredit':
Pour des considérations tirées de motifs d'équité, il n'y a pas lieu de faire application de l'article 700 du code de procédure civile.
La société SRSI qui succombe supportera les frais de contredit.
PAR CES MOTIFS
Accueille le contredit';
Infirme le jugement déféré en ce que le conseil de prud'hommes de Paris s'est déclaré territorialement incompétent';
Dit qu'en application des dispositions de l'article 42 alinéa 2 du code de procédure civile, le conseil de prud'hommes de Paris est territorialement compétent pour connaître de l'ensemble des demandes présentées par M. [N] [S], y compris celles dirigées contre la société de droit andorran SRSI';
Confirme le jugement déféré en ce qu'il a retenu que M. [N] [S] et la société [N] AVIATION n'étaient pas liés par un contrat de travail';
Dit n'y avoir lieu à évocation';
Renvoie l'affaire devant le conseil de prud'hommes de Paris pour qu'il statue au fond sur le litige opposant M. [N] [S] à la société de droit andorran SRSI';
Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile';
Condamne la société SRSI aux frais de contredit.
LE GREFFIER LE PRESIDENT