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03/05/2017 | FRANCE | N°15/08651

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 10, 03 mai 2017, 15/08651


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS







COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 10



ARRÊT DU 03 Mai 2017

(n° , 5 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : S 15/08651



Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 21 Juillet 2015 par le Conseil de Prud'hommes de CRETEIL section RG n° 11/00738





APPELANTE

SAS [C]

[Adresse 1]

[Adresse 1]

[Localité 1]

N° SIRET : [C]

représentée par Me Xavier LOUBEYRE, avoc

at au barreau de PARIS, toque : R196,

en présence de M. [D] [F] (PDG)





INTIME

Monsieur [K] [Z]

[Adresse 2]

[Localité 2]

né le [Date naissance 1] 1977 à [Localité 3]

comparant en personne, ...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 10

ARRÊT DU 03 Mai 2017

(n° , 5 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : S 15/08651

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 21 Juillet 2015 par le Conseil de Prud'hommes de CRETEIL section RG n° 11/00738

APPELANTE

SAS [C]

[Adresse 1]

[Adresse 1]

[Localité 1]

N° SIRET : [C]

représentée par Me Xavier LOUBEYRE, avocat au barreau de PARIS, toque : R196,

en présence de M. [D] [F] (PDG)

INTIME

Monsieur [K] [Z]

[Adresse 2]

[Localité 2]

né le [Date naissance 1] 1977 à [Localité 3]

comparant en personne, assisté de Me Florence REMY, avocat au barreau de PARIS, toque : R066

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 28 Février 2017, en audience publique, devant la Cour composée de :

Madame Sylvie HYLAIRE, Présidente de chambre

Madame Stéphanie ARNAUD, vice présidente placée faisant fonction de conseiller par ordonnance du Premier Président en date du 28 novembre 2016,

Madame Françoise AYMES BELLADINA, Conseillère

qui en ont délibéré

Greffier : Madame Nicole BEAUSSEAUX, lors des débats

ARRET :

- CONTRADICTOIRE

- prononcé par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Madame Sylvie HYLAIRE, président et par Madame Christelle RIBEIRO, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSÉ DU LITIGE

Selon contrat à durée indéterminée à effet au 19 mai 2008, Monsieur [K] [Z] a été engagé en qualité d'acheteur-vendeur par la société [F], société qui fait partie du groupe [F]-[X], importateur grossiste en fruits et légumes intervenant sur les MIN de [Localité 1] et [Localité 4] (59).

Monsieur [Z] avait précédemment travaillé en qualité de responsable export Europe pour le compte d'une société située au Mexique, dont son épouse est native, la société B&S Grupo Exportador, les parties convenant que cette expérience a contribué à son recrutement au sein de la société [F].

Par avenant à son contrat de travail en date du 13 juillet 2009, Monsieur [Z], qui travaillait initialement sur le site de [Localité 4], a été muté au sein de la société [C], à [Localité 1], l'avenant prévoyant une rémunération mensuelle brute de 4.000 €.

L'épouse de Monsieur [Z], engagée en octobre 2008 en qualité d'assistante commerciale, a également été mutée sur à [Localité 1].

La société SAS [C] emploie moins de dix salariés et applique la convention collective import - export.

Le 16 septembre 2009, étaient livrées à la société [C] des palettes de fruits (citrons verts) à l'origine commandés à la société B&S Grupo Exportador, par une société concurrente, la société Pulp Fruits, créée en août 2009 par Monsieur [W], ancien directeur de la société [C], parti en avril 2009 dans le cadre d'une rupture conventionnelle.

Le dirigeant de la société [C], avisé de cette livraison, estimait qu'il s'agissait de la part de Monsieur [Z] d'un acte déloyal et engageait alors une procédure de licenciement à l'égard de son salarié.

Convoqué le 17 septembre 2009 à un entretien préalable fixé au 24 septembre suivant avec mise à pied à titre conservatoire, Monsieur [Z] a été licencié pour faute lourde par lettre du 2 octobre 2009.

Le 8 février 2010, la société [C] a déposé plainte contre Monsieur [Z] pour abus de confiance. Cette plainte a fait l'objet d'un classement sans suite par le procureur de la République près le tribunal de grande instance de Créteil le 13 novembre 2012.

La société [C] a saisi le conseil des prud'hommes de Créteil le 26 novembre 2010 afin d'obtenir l'indemnisation des préjudices subis et paiement de diverses sommes telles que les remboursement des salaires et charges indûment payés, le remboursement des frais de déménagement pris en charge par l'employeur et une indemnisation pour les pertes de marge consécutives à l'activité concurrentielle illicite.

Par jugement en date du 21 juillet 2015, le conseil des prud'hommes de Créteil a requalifié le licenciement de Monsieur [Z] en licenciement pour faute grave et débouté la société ainsi que Monsieur [Z] de l'ensemble de leurs demandes.

Par lettre recommandée avec avis de réception adressée le 3 septembre 2015, la société [C] a relevé appel du jugement dont la date de notification n'est pas connue.

Elle demande à la cour de réformer le jugement entrepris, de dire que la volonté du salarié de porter préjudice à son employeur dans la commission des faits fautifs de détournements et d'activité concurrente illicite caractérise l'intention de nuire, de dire la faute lourde établie, en conséquence, de débouter Monsieur [Z] de toutes ses demandes et de le condamner à lui payer à titre de dommages et intérêts les sommes suivantes, assorties des intérêts au taux légal à compter de l'introduction de l'instance et avec anatocisme :

- 3.181,36 € à titre de remboursement des frais de déménagement pris en charge par l'employeur,

- 43.353,52 € au titre de remboursement des salaires et charges indûment payés,

- 187.735,09 € à titre de pertes de marge consécutives à l'activité concurrentielle illicite,

- 5.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Monsieur [Z] demande à la cour de confirmer le jugement déféré sauf en ce qu'il a requalifié le licenciement de Monsieur [Z] en licenciement pour faute grave et l'a débouté de ses demandes, statuant à nouveau, de juger que le licenciement pour faute lourde prononcé à son encontre est dépourvu de cause réelle et sérieuse et que la procédure de licenciement est irrégulière, de fixer la moyenne de ses 12 derniers mois de salaires à 3.576,27 € bruts et de condamner la société [C] au paiement des sommes suivantes :

- 894,07 € au titre de l'indemnité légale de licenciement,

- 10.728,81 € au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,

- 1.072,89 € au titre de l'indemnité compensatrice de congés payés,

- 21.457,62 € au titre de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- 3.576,27 € au titre de l'indemnité pour procédure de licenciement irrégulière

- 5.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens et des prétentions des parties, la cour se réfère à leurs conclusions visées par le greffier et développées lors de l'audience des débats.

MOTIFS DE LA DÉCISION

La lettre de licenciement adressée le 2 octobre 2009 par la société [C] à Monsieur [Z], qui fixe les termes du litige, est rédigée en ces termes :

' Nous vous avons fait part, lors de notre entretien du jeudi 24 septembre à 11 heures, d'agissements de votre part, d'une particulière gravité, constitutifs d'une faute lourde car elle témoigne d'une intention de nuire à la société.

En effet, nous avons découvert que vous exercez des activités extérieures et au surplus concurrentes en contravention de vos obligations contractuelles. En outre, ces activités ont occasionné des opérations de détournements au préjudice de l'entreprise par création d'opérations fictives ou frauduleuses au préjudice de votre employeur (par exemple : détournement de sortie de marchandises sans facture et sans référence de client sous l'intitulé 'colis bloqué').

Cette conduite met en cause la bonne marche du service, particulièrement en votre qualité d'acheteur vendeur import.

Les explications que vous nous avez données au cours de l'entretien ne nous permettent pas de modifier notre appréciation et nous contraignent à vous licencier pour faute lourde.

Compte tenu de la gravité de celles-ci et de ses conséquences, votre maintien dans l'entreprise s'avère radicalement impossible.

Nous vous confirmons pour les mêmes raisons la mise à pied conservatoire.

Le licenciement prend donc effet immédiatement dès réception de cette lettre et votre solde de tout compte sera arrêté sans indemnité de préavis, de licenciement ni de congés payés...'.

L'employeur s'est placé sur le terrain disciplinaire et retenant la faute lourde, il lui appartient de démontrer la réalité des faits invoqués ainsi que de rapporter la preuve que ces faits ont été commis par Monsieur [Z] dans l'intention de lui nuire, laquelle implique la volonté du salarié de lui porter préjudice dans la commission du fait fautif et ne résulte pas de la seule commission d'un acte préjudiciable à l'entreprise.

L'examen du contenu de la lettre de licenciement démontre que la société [C] reproche à Monsieur [Z] d'avoir exercé des activités extérieures et concurrentes à l'entreprise, griefs suffisamment précis et d'ailleurs étayés par un fait cité à titre d'exemple.

Certes, comme le soutient le salarié, son contrat de travail ne prévoyait aucune interdiction d'exercer une autre activité : la clause figurant à son contrat selon laquelle il se déclare 'être libre de tout engagement et n'être lié par aucune clause de non-concurrence, ou toute autre clause avec un précédent employeur', ne peut s'analyser que comme étant seulement destinée à prévenir le nouvel employeur d'une accusation de concurrence déloyale.

Cependant, en vertu de l'obligation générale de loyauté, même en l'absence de clause expresse, le salarié ne peut exercer une activité concurrentielle de celle de son employeur.

Monsieur [Z] reconnaît avoir continué à exercer son activité de représentant commercial en France pour le compte de son ancien employeur, la société B&S Grupo Exportador, producteur et exportateur de produits sur le marché français alors qu'il était engagé en qualité d'acheteur-vendeur import-export au sein de la société [C], qui exerce une activité de commerce en gros de fruits et légumes dont une partie est importée de pays étrangers.

Compte tenu des déclarations faites d'une part, par Monsieur [W], ancien directeur de la société [C], d'autre part, par Monsieur [P], ancien collègue de Monsieur [Z], dont le caractèremensonger n'est en l'état pas établi, il doit être considéré que la société [C] était informée de la poursuite de l'activité de Monsieur [Z] pour le compte de son ancien employeur et avait accepté cette situation : ce grief ne peut donc être considéré comme réel.

En revanche, ainsi que cela résulte de ses propres déclarations, Monsieur [Z], a, pendant la relation de travail avec la société [C], réalisé des opérations pour son propre compte dans des conditions financières sur lesquelles il ne s'explique pas puisqu'il écrit (pièce n°15de la société- mail du 16 septembre 2009) : ' elle (sa compagne) bosse depuis la maison sur les business que l'on a dvp (développés) depuis quelques années en solo mais il nous faudrait plus de temps pour pouvoir le dvp, on fait du citron vert (ma spécialité), un peu de mûre par avion du Mexique et on vient de commencer du pamplemousse aussi du Mexique, le problème étant qu'on bosse tous les deux à plein temps (12 heures par jour pour ma pomme) et que l'on est saturé de boulot, genre tous les soirs jusqu'à 22/23 heures... Plus on cumule, plus on fait des sous...'.

Or, les explications données par Monsieur [Z] sur l'incident survenu le 16 septembre 2009, à l'origine du déclenchement de la procédure de licenciement, ne peuvent être retenues : si, comme il le prétend, la rétrocession de produits entre grossistes était une pratique courante, il

ressort du témoignage versé aux débats par la société [C] que cette pratique ne pouvait recueillir l'agrément de celle-ci.

Monsieur [Q], préparateur de commandes atteste en effet : 'Mercredi 16 septembre 2009, j'ai réceptionné 3 palettes de Limes (citrons) sur lesquelles j'ai constaté que les étiquettes fournisseur étaient au nom de Pulp Fruits ainsi que le bon de transport. Lorsque le commercial, M. [K] [Z], est arrivé, il s'est empressé d'enlever toutes les étiquettes sans se faire remarquer et m'a réclamé le bon de transport en me disant 'si [D] (Monsieur [F], gérant de la société) voit ça, il va faire des bonds.'

Par ailleurs, l'établissement dès le lendemain d'un bon de réception de la société [C] à l'attention du fournisseur mexicain (B&S Grupo Exportador) est en contradiction avec la rétrocession alléguée et le fait que la société [C] n'aurait été que commissionnaire dans la vente, en réalisant celle-ci, pour le compte d'un concurrent direct.

Il en est de même d'un des autres griefs allégués concernant la revente de citrons du fournisseur Oliver : des pièces produites par les parties, il ressort que Monsieur [Z] avait, pour le compte de la société [C] accepté de fournir durant trois mois à la société Helfer (qui deviendra ensuite son nouvel employeur) des citrons sur la base d'un prix négocié à 4,10 alors qu'en août 2009, le prix d'achat par la société [C] sera de 10,60, générant ainsi une vente à perte pour son employeur.

Monsieur [Z] tente d'expliquer cette opération par la nécessité de garantir un marché mais son propre mail du mois d'août témoigne de la conscience qu'il avait lui-même de la perte subie (il indique 'Je suis vert!!!!!!!') et, en l'état de ces explications, il s'avère que seule la société Helfer a pu tirer profit de cette opération et non, la société [C] qui employait Monsieur [Z].

En revanche, les pertes subies sur les autres ventes à Helfer réalisées avec des produits fournis par [N] [G], ne peuvent être retenues : l'examen détaillé de la pièce produite à ce sujet fait apparaître que les lots vendus à la société Helfer (C161892 et C161894) au prix de 6,79 avaient été achetées au prix de 6,56 et 6,74.

Par ailleurs, les explications développées par les parties quant aux détournement des colis bloqués ne permettent pas de retenir ce grief : en effet, si la société prétend que les commandes 'bloquées' auraient été livrées sans être facturées, ces affirmations ne sont pas démontrées.

Enfin, l'on ne peut pas retenir le 'détournement' de clientèle alléguée par la société [C] à propos de la société Bravin : au vu des pièces produites par Monsieur [Z], la société Bravin était également cliente de son ancien employeur, avant qu'il ne soit embauché par la société [C] et il n'est pas démontré que le salarié ait réalisé avec cette société des opérations pour son compte personnel.

Cependant, d'une part, la cour relève que les pièces produites témoignent néanmoins de la confusion manifeste qui pouvait résulter pour les clients de son employeur des doubles activités exercées par Monsieur [Z].

D'autre part, ayant réalisé à titre personnel des opérations d'achats et de reventes de produits identiques ou similaires à ceux qu'il était chargé d'acheter et de revendre pour le compte de son employeur, Monsieur [Z] se trouvait ainsi nécessairement en situation de concurrencer son employeur pour lequel il était censé réaliser les mêmes opérations.

Ces activités menées pour son propre compte, parallèlement à son contrat de travail, caractérisent un comportement fautif, même en l'absence d'une clause d'exclusivité et aucun des témoignages des anciens collègues de Monsieur [Z] ne permet de considérer que celui-ci avait été autorisé par la société [C], à développer, pour son propre compte, et non seulement en qualité de représentant de son ancien employeur, une activité de ventes, ainsi que cela ressort de son mail du 16 septembre 2009 (pièce n°15 de la société) qui démontre qu'il avait commencé à mettre en oeuvre sa propre activité dans l'importation de fruits (et non seulement des citrons produits par la société B&S Grupo Exportador).

Ces faits caractérisent un comportement fautif qui rendait impossible son maintien dans l'entreprise.

En revanche, dès lors qu'il est établi que la société [C] a elle-même contribué à une certaine confusion en acceptant que le salarié continue à représenter son ancien employeur, la volonté de nuire inhérente à la faute lourde ne peut être considérée comme caractérisée.

La décision déférée sera donc confirmée dans l'ensemble de ses dispositions.

La société [C] qui succombe en son recours sera condamnée aux dépens.

Les prétentions respectives des parties étant rejetées, il ne sera pas fait application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,

La Cour

Confirme le jugement entrepris dans toutes ses dispositions,

Dit n'y a voir lieu à l'application de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne la société [C] aux dépens.

LE GREFFIERLE PRESIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 10
Numéro d'arrêt : 15/08651
Date de la décision : 03/05/2017

Références :

Cour d'appel de Paris L1, arrêt n°15/08651 : Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2017-05-03;15.08651 ?
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