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03/05/2017 | FRANCE | N°14/22028

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 5 - chambre 4, 03 mai 2017, 14/22028


Grosses délivréesRÉPUBLIQUE FRANÇAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 5 - Chambre 4



ARRÊT DU 3 MAI 2017



(n° , 10 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : 14/22028



Décision déférée à la Cour : Jugement du 08 Octobre 2014 -Tribunal de Commerce de LYON - RG n° 2013J01341





APPELANTE



SARL VESTA EXERCANT SOUS L'ENSEIGNE CHEMINEES [J]

Immatriculée au RCS de Reims sous le numéro 481 032 670
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[Adresse 1]

prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège



Représentée par Maître Alain FISSELIER de ...

Grosses délivréesRÉPUBLIQUE FRANÇAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 5 - Chambre 4

ARRÊT DU 3 MAI 2017

(n° , 10 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : 14/22028

Décision déférée à la Cour : Jugement du 08 Octobre 2014 -Tribunal de Commerce de LYON - RG n° 2013J01341

APPELANTE

SARL VESTA EXERCANT SOUS L'ENSEIGNE CHEMINEES [J]

Immatriculée au RCS de Reims sous le numéro 481 032 670

ayant son siège social [Adresse 1]

[Adresse 1]

prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

Représentée par Maître Alain FISSELIER de la SCP AFG, avocat au barreau de PARIS, toque : L0044

INTIMÉE

SAS JOTUL FRANCE

Inscrite au RCS de Lyon sous le n° 311.472.351

ayant son siège social [Adresse 2]

[Adresse 2]

prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

Représentée par Maître Laurence TAZE BERNARD, avocat au barreau de PARIS, toque : P0241

Ayant pour avocat plaidant Maître Nelly MACHADO, avocat au barreau de LYON

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 786 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 8 Mars 2017, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposé, devant Madame Irène LUC, Présidente, chargée du rapport et Monsieur François THOMAS, Conseiller.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Madame Irène LUC, Présidente de chambre, rédacteur

Madame Dominique MOUTHON VIDILLES, Conseillère

Monsieur François THOMAS, Conseiller

qui en ont délibéré,

Greffier, lors des débats : M. Vincent BRÉANT

ARRÊT :

- contradictoire,

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Madame Irène LUC, Présidente et par Madame Clémentine GLEMET, greffière à laquelle la minute a été remise par le magistrat signataire.

FAITS ET PROCÉDURE

La société Vesta, qui propose des services de chauffagiste, a acquis, le 31 mars 2005, le fonds de commerce de la SARL Entreprise [W] [J], active dans la vente et la pose de cheminées et autres appareils de chauffage.

La société Jotul France (ci-après Jotul) est le distributeur en France de poêles à bois et de cheminées fabriqués par sa société mère, la société Jotul AS, qui est une société norvégienne. Elle commercialise ses produits sous les marques Jotul, Scan, Atra et ILD, auprès de professionnels indépendants.

Depuis 1987, la société Jotul est en relation commerciale avec la société [W] [J], laquelle proposait la vente et l'installation des poêles à bois de la marque Jotul dans le département de la Marne et le sud du département des Ardennes. Depuis l'acquisition de la société [W] [J] par la société Vesta, en mars 2005, cette dernière est en charge de la distribution des poêles à bois de marque Jotul dans ces deux départements.

Jusqu'en 2010, la société Jotul commercialisait ses produits en dehors de tout réseau de distribution approvisionnait directement les vendeurs ou installateurs, tels que la société Vesta, qui lui passaient commande. Généralement, ces relations n'étaient pas formalisées par écrit. Pour fidéliser ses clients, elle leur attribuait une réduction sur le prix public conseillé, en fonction du chiffre d'affaires réalisé.

En octobre 2012, la société Vesta a constaté qu'elle n'était plus mentionnée en tant que distributeur sur le site Internet de la société Jotul.

Dans le cadre de son réseau de distribution exclusive mis en place en 2010, la société Jotul a, le 2 novembre 2012, concédé à la société Guinand la distribution exclusive de ses produits sur le territoire de [Localité 1] et de ses environs.

Rapidement, la société Jotul a concédé douze territoires exclusifs à des qu'elle a préalablement sélectionnés au sein des distributeurs Jotul en fonction, notamment, de l'ampleur du chiffre d'affaires réalisé par ceux-ci ou de leur notoriété. En contrepartie de ces exclusivités, chaque concessionnaire s'engage à ne commercialiser que des produits Jotul ou des produits complémentaires à ceux-ci, à respecter une charte visuelle du magasin définie conjointement avec la société Jotul France et à assister régulièrement aux formations dispensées par cette dernière.

Le 8 novembre 2012, la société Vesta a demandé par lettre-fax à la société Jotul de bien vouloir la faire figurer sur son site Internet en tant que distributeur des marques Jotul et Scan, comme cela avait été le cas depuis la création du site en 2006. Le 13 novembre 2012, la société Vesta a renouvelé sa demande. Le 26 novembre 2012, la société Vesta a adressé à la société Jotul une lettre mettant en demeure la société Jotul de procéder au rétablissement de ses coordonnées sur son site Internet.

Dans une lettre du 3 décembre 2012, la société Jotul a affirmé à la société Vesta qu'elle était libre de ne mentionner sur son site que certains distributeurs. Dans cette lettre, elle a également notifié à la société Vesta son intention de mettre fin aux relations établies entre les deux sociétés, au terme d'un préavis de 9 mois à venir. Elle exposait qu'elle allait réorganiser son réseau de distributeurs en instaurant un système de distribution exclusive. Elle annonçait dans le même courrier qu'à l'issue du préavis, elle livrerait à la société Vesta les pièces détachées de ses produits, et que Vesta pourrait se fournir en produits du groupe Jotul auprès de la société Guinand, le distributeur Jotul de la zone.

Le 26 décembre 2012, par lettre recommandée avec accusé de réception, la société Vesta a contesté les conditions dans lesquelles la société Jotul avait mis brutalement fin aux relations commerciales établies selon elle durant près de 25 ans, estimant qu'un préavis de trente mois aurait dû lui être consenti.

Le 28 janvier 2013, la société Jotul a opposé une fin de non-recevoir, estimant que le préavis de rupture de 9 mois était suffisant.

Après divers échanges de courriers, la société Jotul a rétabli la mention de la société Vesta en tant que distributeur sur son site internet, trois mois après sa suppression.

A ce jour, le réseau de distribution exclusive de la société Jotul France compte 27 distributeurs exclusifs.

Le 5 juin 2013, considérant que la rupture des relations commerciales avait été brutale, la société Vesta a assigné la société Jotul devant le tribunal de commerce de Lyon.

Par jugement en date du 8 octobre 2014, le tribunal de commerce de Lyon a :

- débouté la société Vesta de l'intégralité de ses demandes,

- condamné la société Vesta à payer à la société Jotul la somme de  000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- rejeté tous moyens fins et conclusions contraires,

- condamné la société Vesta aux entiers dépens de l'instance.

La cour,

Vu l'appel interjeté par la société Vesta et ses dernières conclusions notifiées et déposées le 13 février 2017, par lesquelles il est demandé à la cour de :

- infirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Lyon le 8 octobre 2014, en toutes ses dispositions,

- constater qu'il existe, depuis plus de 25 ans, une relation commerciale établie entre les sociétés Vesta et Jotul France,

- constater que la société Jotul a rompu de façon brutale les relations commerciales en novembre 2012, sans respecter de préavis,

en conséquence,

- condamner la société Jotul France à payer à la société Vesta, les sommes suivantes :

au titre de la perte de marge brute, la somme de 104 732,70 euros,

au titre du préjudice pour la perte de notoriété, la somme de 10 000 euros,

au titre des investissements devenus inutiles, la somme de 12 455,78 euros,

au titre de la perte de chance d'obtenir le marché Bouygues Immobilier, la somme de 3 340 euros,

au titre des frais de formation, celle de 3 000 euros,

- condamner la société Jotul à payer à société Vesta la somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, au titre des frais irrépétibles tant de premie're instance que d'appel,

- débouter la société Jotul de toutes demandes plus amples ou contraires,

- condamner la société Jotul aux entiers dépens de premie're instance et d'appel ;

Vu les dernières conclusions notifiées et déposées le 20 février 2017 par la société Jotul, intimée, par lesquelles il est demandé à la cour de :

- déclarer la société Vesta mal fondée en son appel, l'en débouter,

à titre principal,

- dire et juger que la société Jotul France n'a pas brutalement résilié ses relations commerciales établies avec la société Vesta,

en conséquence,

- confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu par le tribunal de commerce de Lyon le 18 octobre 2014,

à titre infiniment subsidiaire,

si par extraordinaire il était considéré que la société Jotul France a brutalement résilié ses relations commerciales établies avec la société Vesta,

- dire et juger que le montant de l'indemnité sollicitée par la société Vesta au titre de la perte de marge est injustifié,

- en conséquence, réduire cette indemnité à de plus justes proportions,

- dire et juger que les autres demandes d'indemnités formées par la société Vesta sont infondées,

- en conséquence, confirmer le jugement en ce qu'il a débouté la société Vesta de toutes ses autres demandes.

y ajoutant,

en tout état de cause,

- condamner la société Vesta à payer à la société Jotul France la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la société Vesta aux entiers dépens dont le recouvrement sera poursuivi par Maître Laurence Tazz-Bernard conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

SUR CE,

Sur la brutalité de la rupture des relations commerciales

La société Vesta, appelante, soutient que la société Jotul a rompu de manière brutale les relations commerciales entre les deux sociétés.

Premièrement, la société Vesta fait valoir que ces relations commerciales étaient établies : elle fait état d'un flux continu et régulier de commandes depuis 25 ans, d'opérations commerciales et promotionnelles sur les produits et de partenariats de communication.

Deuxièmement, la société Vesta soutient que les relations commerciales ont été particulièrement longues, puisqu'elles ont continué pendant plus de 25 ans : conformément à la jurisprudence, les relations commerciales sont différentes des relations contractuelles, de telle sorte qu'il est possible de qualifier d'anciennes des relations mettant en cause de nouvelles et récentes entités juridiques consécutives à l'acquisition d'une entreprise, ce qui est le cas en l'espèce en ce qui concerne la société Vesta puisqu'elle a acquis le fonds de commerce de la société [W] [J]. Par ailleurs, la société Vesta soutient que la société Jotul a manifesté son intention de poursuivre les mêmes relations sur les bases établies avec la société [J]. La relation commerciale entre la société Jotul et la société Vesta était fondamentalement la même qu'entre Jotul et la société [J] : même enseigne commerciale, même adresse, etc.

Troisièmement, la société Vesta soutient que la rupture a été brutale, se caractérisant par deux éléments. Tout d'abord, le déréférencement de la société Vesta du site Internet de la société Jotul : la société Jotul aurait fait disparaître à l'automne 2012, pendant 3 mois, les coordonnées de la société Vesta de son site Internet, sans au préalable l'en avertir. La société Jotul aurait eu, par ce déréférencement, l'intention d'évincer sans préavis la société Vesta, d'autant plus que le rétablissement de la mention de la société Vesta sur le site Internet, après quatre relances, n'a été ni spontané ni rapide. Ensuite, la rupture brutale s'est caractérisée par la signature, avec la société Guinand, le 2 novembre 2012, d'un contrat d'exclusivité pour la distribution des produits Jotul sur le secteur de [Localité 1] et sa périphérie, impliquant selon la société Vesta son éviction de ce secteur. La société Vesta soutient en outre que la société Jotul a, à tort, omis de la prévenir de ses intentions de conférer l'exclusivité à un tiers. Par ailleurs, la société Vesta expose que contrairement à ce que proposait la société Jotul, il n'était pas possible pour elle de s'approvisionner auprès de la société Guinand, en vertu du contrat de concession entre les sociétés Guinand et Jotul.

La société Vesta affirme que la rupture est d'autant plus brutale qu'elle a été avertie de celle-ci de manière impromptue et totalement opportuniste : elle a été prévenue le 3 décembre 2012, postérieurement à la signature du contrat d'exclusivité avec la société Guinand, dans le but de régulariser une situation lui causant préjudice. La société Vesta considère que le préavis de 9 mois est dénué d'effectivité, dès lors que la rupture était déjà intervenue trois mois avant, par son déréférencement du site Internet de Jotul et la signature du contrat avec la société Guinand.

Concernant la prétendue information orale de la rupture lors d'une visite en octobre 2012, la société Vesta fait valoir qu'elle n'a jamais eu lieu, et que la société Jotul ne rapporte à cet égard aucune preuve de l'existence de l'entretien au cours duquel cette information aurait été échangée. En tout état de cause, la société Vesta soutient qu'en application de la jurisprudence, la simple annonce orale de la rupture sans préavis écrit caractérise une violation de l'article L.442-6, I, 5° du code de commerce.

La société Vesta affirme que la baisse du volume des commandes en 2013, pendant le prétendu préavis laissé par la société Jotul, s'explique par le déréférencement brutal de la société Vesta du site Internet de la société Jotul.

Enfin, la société Vesta avance qu'il faut tenir compte de sa situation de dépendance économique vis-à-vis de la société Jotul, ce qui rendait encore plus difficile le remplacement des produits Jotul par une marque concurrente, et ce qui devrait justifier l'octroi d'un préavis plus long.

La société Jotul, intimée, réfute toute rupture brutale de sa part, affirmant qu'elle a, dans le respect des règles de concurrence, usé de sa liberté d'organiser son mode de distribution.

Elle affirme en premier lieu que la suppression temporaire de la société Vesta de son site n'a eu aucune incidence sur la poursuite de leurs relations commerciales : la société Jotul aurait ainsi continué d'exécuter normalement les commandes passées par la société Vesta. Elle ne peut non plus constituer une rupture des relations commerciales, en application de la jurisprudence, puisqu'il ne s'agit que d'une modification mineure, non significative et dénuée de gravité. La société Jotul soutient qu'elle ne s'est jamais engagée à maintenir l'indication de la société Vesta sur son site Internet. Enfin, la société Vesta ne démontre aucun perte de chiffre d'affaires directement liée à ce retrait du site Internet.

Ensuite, concernant le contrat conclu avec la société Guinand en novembre 2012, la société Jotul soutient qu'elle a proposé à la société Vesta, dans son courrier du 3 décembre 2012, une solution de remplacement, en lui permettant de commander directement auprès de la société Guinand. Par ailleurs, à la suite de la conclusion de ce contrat, la société Jotul a continué de traiter directement les commandes de la société Vesta pendant un délai de 9 mois correspondant au préavis. Concernant la date de notification de la fin des relations, la société Jotul soutient qu'aucune disposition légale ou jurisprudentielle n'impose à un fabricant de notifier la résiliation d'une relation dès qu'il décide d'y mettre fin ; elle n'avait donc aucune obligation de notifier sa rupture dès novembre 2012. Enfin, la société Jotul soutient qu'une exclusivité territoriale de distribution ne se présume pas ; la société Vesta ne saurait donc se prévaloir d'une exclusivité de fait sur le secteur de [Localité 1].

Enfin, la société Jotul affirme que le préavis de 9 mois qu'elle a laissé à la société Vesta pour se réorganiser était suffisant au regard de la durée des relations de 7 ans et de sa proposition de remplacement. Elle soutient qu'en vertu d'un arrêt de principe (Cass. 15 septembre 2015), une cession de fonds de commerce n'a pas pour effet de substituer le cessionnaire au cédant dans les relations commerciales établies ; l'opération de cession n'entraîne pas la transmission universelle du patrimoine. Dès lors, le préavis ne doit pas s'apprécier au regard de la relation nouée avec le cédant. La société Jotul n'a d'ailleurs pas manifesté l'intention de poursuivre avec la société Vesta, la relation précédemment établie avec la société [W] [J]. Les relations entre les sociétés Vesta et Jotul ne sont ainsi établies que depuis le mois d'avril 2005. Par ailleurs, la société Jotul fait valoir qu'elle a informé oralement la société Vesta de la prochaine résiliation, dès le 30 octobre 2012, lors d'une visite d'un commercial itinérant de la société Jotul dans les locaux de la société Vesta. En outre, la société Jotul soutient qu'elle a continué d'exécuter les commandes passées par la société Vesta en 2013, ce qui démontre le respect d'un préavis suffisant. La société Jotul affirme que la baisse du volume des commandes puis la cessation de toute commande avant la fin du préavis n'est que le fait de la société Vesta et non la conséquence du déréférencement de son site Internet. Enfin, la société Jotul soutient que la société Vesta n'était pas en situation de dépendance économique à son égard, les ventes de produits Jotul ne représentant que 10% de son chiffre d'affaires global.

XXX

Si, aux termes de l'article L 442-6-I-5° du code de commerce, «Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers : De rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels», la société qui se prétend victime de cette rupture doit établir au préalable le caractère suffisamment prolongé, régulier, significatif et stable du courant d'affaires ayant existé entre elle et l'auteur de la rupture, qui pouvait lui laisser augurer que cette relation avait vocation à perdurer. Par ailleurs, « les dispositions qui précèdent ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure ».

Si les parties s'accordent sur l'existence de relations établies, elles sont en désaccord sur leur durée, le point de départ du préavis et la brutalité de la rupture.

Sur la durée des relations commerciales

Si la société Vesta prétend que les relations commerciales avec la société Jotul étaient établies depuis plus de vingt-cinq ans au motif qu'elle aurait repris les relations commerciales établies avec la société [W] [J], précédent propriétaire du fonds de commerce acquis par la société Vesta, le fabricant lui oppose que la cession d'un fonds de commerce ne substitue pas de plein droit le cessionnaire au cédant dans les relations contractuelles et commerciales que celui-ci entretenait avec les tiers.

Contrairement à l'opération de fusion, la cession de fonds de commerce n'entraîne pas la transmission universelle du patrimoine. C'est ainsi que les contrats d'approvisionnement ne sont transmis à l'acquéreur que si l'acte de vente le prévoit expressément. La cession d'un fonds de commerce ne substitue pas de plein droit le cessionnaire au cédant dans les relations contractuelles et commerciales que celui-ci entretenait avec les tiers et il n'en irait autrement que si le cessionnaire avait, directement ou indirectement, manifesté son intention de poursuivre les relations établies par le cédant avec le tiers en question et d'assumer l'obligation de préavis en résultant, à concurrence de l'ancienneté de ces relations, au cas où le cessionnaire voudrait y mettre fin.

Or, en l'espèce, la société Vesta ne démontre pas que la cession du fonds de commerce de la société [W] [J] à la société Vesta se serait accompagnée d'acte manifestant son intention claire et sans ambiguïté de poursuivre les relations établies par la société [W] [J] avec la société Jotul. La société Jotul n'a jamais indiqué expressément entendre reprendre les relations établies avec la société [J] et aucun contrat écrit n'a jamais été régularisé entre les sociétés Jotul et [J]. Par ailleurs, la cour ne sait rien du flux d'affaires passé entretenu entre les société [W] [J] et Jotul, des conditions de vente ni, de façon générale, de la modalité des relations contractuelles entre ces deux sociétés, de sorte que l'intention de poursuivre les relations ne peut davantage se déduire du comportement de la société Vesta. Si la société Vesta expose que la relation est restée la même (même enseigne, même adresse, même site internet, même interlocuteur salarié chez [J], mêmes conditions tarifaires, de livraison, même interlocuteur chez Jotul...), elle ne verse aux débats aucun élément de nature à démontrer ces assertions.

Il n'est donc pas établi que la société Vesta ait repris la relation précédemment établie entre la société Jotul et la société [W] [J]. Le point de départ des relations doit donc être fixé au mois d'avril 2005, date à laquelle la société Vesta a commencé à distribuer les produits de la société Jotul.

Au moment de la rupture, les relations entre les parties avaient donc une durée de sept ans et sept mois.

Sur la date de la rupture et la réorganisation du réseau

Tout fabricant est libre d'organiser la distribution de ses produits dans le cadre d'un réseau de distribution exclusive ou sélective, dès lors que le réseau créé améliore l'efficience économique à l'intérieur d'une chaîne de distribution ou le progrès technique ou économique.

Ce choix d'un mode de distribution peut conduire à modifier les relations entretenues par les anciens distributeurs, sous réserve que le refus opposé à un revendeur ne constitue pas, en raison des circonstances dans lesquelles il intervient, une pratique contraire aux règles de la concurrence ; ainsi, un fournisseur demeure libre de modifier l'organisation de son réseau de distribution sans que ses clients bénéficient d'un droit acquis au maintien de leur situation ; une telle modification ne constitue pas en elle-même une pratique anticoncurrentielle dès lors que les revendeurs disposent, notamment, de la possibilité de s'approvisionner auprès du distributeur désigné par le fournisseur.

En l'espèce, lors de la notification de la rupture des relations commerciales établies, le 3 décembre 2012, la société Jotul a expressément indiqué à la société Vesta qu'à l'issue du préavis accordé, elle pourrait continuer à distribuer des produits Jotul en s'approvisionnant directement auprès de son distributeur exclusif, la société Guinand Chauffage. La société Vesta ne démontre pas avoir même tenté un tel approvisionnement, ni que les conditions commerciales qui lui auraient été consenties par ce distributeur ne lui auraient pas permis de maintenir une une marge commerciale satisfaisante et de ce fait, de poursuivre la commercialisation des produits de la société Jotul.

La société Jotul pouvait donc mettre un terme à ses relations avec la société Vesta sous réserve de respecter un préavis raisonnable.

Alors que la société Jotul fait partir le préavis de sa lettre du 3 décembre 2012 à la société Vesta, par laquelle elle lui a notifié son intention de mettre fin aux relations établies entre les deux sociétés, au terme d'un préavis de 9 mois à venir, sa décision de réorganiser son réseau, et lui a indiqué qu'elle pourrait se fournir en produits du groupe Jotul auprès de la société Guinand, la société Vesta soutient que la fin des relations commerciales remonte à octobre 2012, lorsqu'elle a été déréférencée du site Internet de la société Jotul, ou au 2 novembre 2012, date à laquelle la société Jotul a concédé à la société Guinand la distribution exclusive de ses produits sur le territoire de [Localité 1] et de ses environs, sans l'en avertir.

Mais il appartient à la société Vesta de démontrer que les relations commerciales ont été affectées par ces évènements, de sorte qu'ils constitueraient une rupture brutale totale ou partielle.

Or, elle ne démontre pas que sa disparition provisoire de la liste des distributeurs Jotul sur le site Internet de Jotul ou la signature du contrat de distribution exclusive auraient entraîné une modification suffisamment significative ou substantielle du flux d'affaires entre les parties et une perte de chiffre d'affaires.

Il n'est en effet pas établi que le référencement sur ce site Internet constitue un avantage substantiel dans la concurrence. S'il est vrai que la société Jotul a, pendant quelques mois, collecté et adressé aux distributeurs concernés les demandes de renseignements faites à partir de son site Internet par de potentiels acquéreurs, la société Jotul prétend, sans être sérieusement démentie, que cette exploitation a cessé et qu'elle n'a ainsi adressé à la société Vesta qu'à peine une dizaine de contacts.

S'il est par ailleurs exact que la société Jotul n'a informé la société Vesta de son choix de prendre la société Guinand comme distributeur exclusif qu'un mois après la signature du contrat de distribution avec cette société, aucune faute ne peut être imputée à la société Jotul de ce chef, celle-ci pouvant librement décider de la date à laquelle elle notifierait cette rupture des relations dès lors que, d'une part, dans l'intervalle, les relations se sont maintenues entre les parties, et que, d'autre part, un préavis raisonnable lui a été accordé.

Sur la durée du préavis

La durée du préavis dépend du temps nécessaire au partenaire évincé pour trouver une solution alternative ; elle est donc fonction de la durée des relations commerciales établies, du pourcentage du chiffre d'affaires réalisé avec la société auteur de la rupture, du degré de dépendance économique et du montant des investissements irrécupérables investis dans la relation.

La société Vesta soutient qu'elle aurait bénéficié d'une exclusivité de fait pour la distribution des produits Jotul sur le secteur des alentours de [Localité 1], du sud de l'Aisne et des Ardennes et qu'en signant un contrat d'exclusivité avec la société Guinand sur le secteur de [Localité 1], la société Jotul lui aurait retiré brutalement l'exclusivité de fait dont elle bénéficiait et aurait ainsi rompu brutalement leurs relations commerciales.

Si la perte d'une exclusivité peut entraîner une plus grande difficulté pour trouver un autre partenaire et être prise en compte dans la durée du préavis raisonnable, il convient de rappeler qu' une exclusivité territoriale de distribution ne se présume pas, compte tenu de son caractère potentiellement attentatoire à la concurrence.

Or, en l'espèce, la société Vesta ne rapporte aucun élément susceptible de démontrer que la société Jotul lui aurait accordé une quelconque exclusivité.

Par ailleurs, société Vesta ne démontre pas réaliser plus de 10 % de son chiffre d'affaires avec la société Jotul. Si elle prétend qu'il lui était difficile de trouver une substitution dans de brefs délais à un fournisseur comme Jotul, elle ne verse aux débats aucun élément de nature à corroborer ses assertions, la société Jotul ne détenant qu'une part de marché inférieure à 4 % sur le marché des poêles à bois et cheminées. Elle ne démontre en rien son état de dépendance par rapport à la société Jotul, distribuant six autres marques de poêles et cheminées, ni n'établit avoir réalisé des investissements dédiés à cette relation.

Compte tenu de ce qui précède, et de la durée des relations de 7 ans et 7 mois, le préavis de neuf mois consenti par la société Jotul est suffisant et la rupture intervenue n'est pas brutale.

La société Vesta ne démontre pas plus que ce préavis n'aurait pas été effectif, et n'aurait pas été totalement exécuté dans les formes antérieures. Si elle prétend qu'elle aurait réduit ses commandes pendant le préavis à cause de son déréférencement du site Internet de Jotul, qui l'aurait privée de certaines commandes de clients finals, elle n'en rapporte pas la preuve. Au surplus, ce « déréférencement » n'a duré que trois mois et son impact n'est pas démontré, comme vu plus haut.

Le jugement entrepris sera donc confirmé sur l'absence de rupture brutale.

Sur le préjudice subi par la société Vesta

La société Vesta fait valoir qu'elle a subi un préjudice lié aux pertes de marges brutes pendant la durée du préavis qui aurait dû être respecté, ainsi qu'aux pertes annexes constituées par le coût des modèles d'exposition dont elle a fait l'acquisition avant la rupture (entre 2010 et 2012), par l'investissement dans la formation, et par l'impossibilité de répondre aux appels d'offres concernant la fourniture et l'installation de poêles de la marque, notamment l'appel d'offre lancé par Bouygues Immobilier. Elle indique également avoir souffert d'une perte de notoriété. En ce qui concerne les marges brutes, la société Vesta soutient qu'il faut tenir compte de la forte progression de la valeur d'activité enregistrée sur les marques Jotul et Scan pour les 3 dernières années (2010 à 2012), ainsi que d'une durée de préavis devant être fixée à 30 mois.

La société Jotul soutient à titre subsidiaire que les demandes indemnitaires de la société Vesta sont infondées. Elle expose que la méthode de calcul utilisée par la société Vesta est erronée, et que les derniers comptes de la société Vesta montrent qu'elle n'a pas souffert de la rupture des relations commerciales avec la société Jotul. Les investissements qu'elle a réalisés auraient par ailleurs été rentabilisés malgré la fin des relations commerciales avec la société Jotul.

Mais étant déboutée de sa demande fondée sur la rupture brutale et ne démontrant pas, par ailleurs, que la société Jotul l'aurait, de mauvaise foi, incitée à investir en lui laissant faussement croire à la pérennité de leurs relations, la société Vesta sera déboutée de toutes ses demandes d'indemnisation.

En effet, les modèles d'exposition qu'elle prétend avoir été incitée à acheter sont anciens et les factures sont antérieures à mai 2012, la plupart remontant à 2010 (pièces 77 à 86 de la société Vesta). Les deux seules factures récentes sont datées d'octobre 2012, respectivement de 512,15 euros et 5567,14 euros, et portent sur des poêles que la société Vesta ne démontre pas ne pas avoir pu vendre dans des conditions raisonnables.

Sur les dépens et frais irrépétibles

La société Vesta succombant au principal sera condamnée aux dépens de l'instance d'appel qui seront recouvrés selon les dispositions de l'article 699 du code de procédure civile, et à payer à la société Jotul France la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

CONFIRME le jugement entrepris en toutes ses dispositions,

CONDAMNE la société Vesta aux dépens de l'instance d'appel qui seront recouvrés selon les dispositions de l'article 699 du code de procédure civile,

LA CONDAMNE à payer à la société Jotul France la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

La GreffièreLa Présidente

Clémentine GLEMET Irène LUC


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 5 - chambre 4
Numéro d'arrêt : 14/22028
Date de la décision : 03/05/2017

Références :

Cour d'appel de Paris I4, arrêt n°14/22028 : Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2017-05-03;14.22028 ?
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