La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

02/05/2017 | FRANCE | N°14/12751

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 4, 02 mai 2017, 14/12751


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 4



ARRÊT DU 02 Mai 2017

(n° , 9 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : S 14/12751



Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 21 Octobre 2014 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire d'EVRY section encadrement RG n° 14/00842





APPELANTE

Madame [J] [A]

[Adresse 1]

[Localité 1]

née le [Date naissance 1] 1977 à [Localité 2]

représentée par Me Antoine GILLOT, avocat au barreau de PARIS, toque : E0178





INTIMEES

SAS ECF EQUITY

[Adresse 2]

[Localité 3]



SAS CHOMETTE

[Adresse 3]

[Localité 3]



en prés...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 4

ARRÊT DU 02 Mai 2017

(n° , 9 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : S 14/12751

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 21 Octobre 2014 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire d'EVRY section encadrement RG n° 14/00842

APPELANTE

Madame [J] [A]

[Adresse 1]

[Localité 1]

née le [Date naissance 1] 1977 à [Localité 2]

représentée par Me Antoine GILLOT, avocat au barreau de PARIS, toque : E0178

INTIMEES

SAS ECF EQUITY

[Adresse 2]

[Localité 3]

SAS CHOMETTE

[Adresse 3]

[Localité 3]

en présence de Mme [A] [H] (DRH) représentées par Me Philippe AZAM, avocat au barreau d'ANGERS,

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 15 Février 2017, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Mme Soleine HUNTER FALCK, Conseillère, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

M. Bruno BLANC, Président

Mme Roselyne GAUTIER, Conseillère

Mme Soleine HUNTER-FALCK, Conseillère

qui en ont délibéré

Greffier : Madame Chantal HUTEAU, lors des débats

ARRET :

- Contradictoire,

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile et prorogé à ce jour

- signé par Monsieur Bruno BLANC, Président et par Madame Chantal HUTEAU, Greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire

[J] [A], née en 1977, a été engagée par contrat à durée indéterminée par la société SA RESTOFAIR DIRECT le 07.04.2008, en qualité de Responsable marketing direct niveau VII échelon 2, à temps complet ; il était prévu un forfait annuel de 215 jours travaillés moyennant un salaire brut annuel forfaitaire de 40.008 € ainsi qu'une part variable versée en fonction des objectifs fixés et atteints pouvant représenter jusqu'à 25% du salaire annuel après 1 an d'ancienneté.

Le 26.05.2010, par avenant à effet du 01.04.2010, [J] [A] a été nommée Directeur des opérations, niveau X échelon 1, sa rémunération étant portée à 48.582 € par an, outre un bonus annuel brut pouvant représenter 10% du salaire de base annuel en fonction des objectifs fixés et atteints, un variable trimestriel brut pouvant représenter jusqu'à 15% du salaire de base en fonction des objectifs fixés et atteints, un intéressement et une participation aux résultats de l'entreprise selon les accords en vigueur, un véhicule de fonction avec participation mensuelle retenue en paie pour utilisation personnelle du véhicule ; cette rémunération était forfaitaire eu égard à la grande latitude dont bénéciait la salariée dans l'organisation de son travail.

Le 01.01.2013, le contrat de travail de [J] [A] a été transféré de la SA RESOFAIR DIRECT à la société CHOMETTE FAVOR, également filiale du groupe ECF, les conditions contractuelles restant inchangées.

Puis [J] [A] a signé un avenant à son contrat de travail le 19.11.2013 en vue de son transfert de la SAS CHOMETTE à la SAS ECF EQUITY à compter du 01.01.2014, avec une position 3-2 coefficient 210, les autres termes du contrat restant inchangés.

La SA RESOFAIR DIRECT avait une activité d'achat, vente, import/export, commerce de tous articles produits et fournitures pour hôtels, restaurants ; elle est devenue la SAS CHOMETTE, par dissolution et réunion de toutes les parts sociales en une seule main le 15.02.2013, l'activité des entreprises étant identique. L'entreprise est soumise à la convention collective du commerce de gros ; elle comprend plus de 11 salariés.

La SAS ECF EQUITY a une activité de conseil, conseil en stratégie, développement et direction d'entreprises. L'entreprise est soumise à la convention collective SYNTEC ; elle comprend plus de 11 salariés.

La moyenne mensuelle des salaires de [J] [A] s'établit à 9.120,66 €.

[J] [A] a suivi une formation 'cursus cadres dirigeants GMP' d'une durée de 26 jours allant du 08.11.2011 au 25.05.2012 dispensée par l' ESCP Europe dans le cadre d'une convention de formation professionnelle continue signée avec la SA RESOFAIR DIRECT; une nouvelle convention de formation continue 'diriger et motiver' a été signée avec la SAS ECF EQUITY et le même organisme de formation, pour une session de 21 jours organisée du 25.09.2013 au 21.03.2014 ; puis enfin une dernière convention a été signée avec ECF EQUITY pour un stage de 10 jours allant du 01.04 au 04.07.2014 sur le thème 'négocier, techniques et stratégies de pouvoir'.

Le 21.01.2013, le comité d'entreprise du groupe E.CF (CHOMETTE FAVOR) a été consulté sur un projet de réorganisation commerciale en vue d'une nouvelle adaptation au marché.

Le 14.04.2014, [J] [A] a été mise en arrêt maladie jusqu'au 18 avril.

Dans un courrier du 22.04.2014, [J] [A] a dénoncé la dégradation de ses conditions de travail depuis plusieurs mois se traduisant par la diminution de son périmètre d'activité, avec notamment l'absence de transmission de la mission ONYX, et par son positionnement qui n'était pas celui auquel elle pouvait prétendre compte tenu de ses fonctions ; il en est résulté pour elle démotivation et anxiété. La SAS ECF EQUITY, en la personne de [B] [U], son Président, a répondu le 12.05.2014 en contestant la situation telle que présentée par sa salariée, il l'a assurée que 'les missions qui vous ont été confiées sont de premiers ordres pour le développement de l'entreprise et... votre absence d'implication dans certains domaines : marketing opérationnel ou implication 'partisane' dans le call ont créé de véritables dommages' ; il a poursuivi : 'Il semblerait que vous n'ayez pas pris la mesure des enjeux des missions confiées, qui au contraire de ce que vous exprimez, correspondent à une reconnaissance de compétences professionnelles, pour lesquelles nous vous rappelons que vous avez bénéficié d'un accompagnement personnalisé de formation de haut niveau', tout en rappelant également l'évolution dont [J] [A] avait bénéficié en termes de rémunération annuelle fixée alors à 75.000 € outre le véhicule et le téléphone.

[J] [A] a bénéficié d'un arrêt de travail du 13 au 27.05.2014.

Le CPH d'Evry a été saisi par [J] [A] le 20.05.2014 en référé en vue de se voir délivrer les bulletins de paie depuis leur embauche par la société CHOMETTE de ses collègues A. [G] et J.C. [Y], sous astreinte de 200 € par jour. La SAS CHOMETTE y a fait droit dans le cadre de cette procédure le 12.06.2014 par l'intermédiaire de son conseil et [J] [A] s'est désistée de sa demande le 18.06.2014 ; une ordonnance de désistement a été rendue le 19.06.2014.

Le 17.06.2014, [J] [A] a fait savoir à son employeur qu'elle avait eu connaissance de la rémunération de ses deux collègues, A. [G] et J.C. [Y], ce qui lui avait confirmé la différence de traitement qu'elle subissait ; elle l'a mis en demeure de procéder à un réajustement immédiat et rétroactif. La SAS CHOMETTE a refusé de faire droit à cette demande par courriel du 23.06.2014.

[J] [A] a saisi le CPH d'Evry le 25.06.2014 d'une demande en résiliation judiciaire de son contrat de travail à l'encontre de la SAS CHOMETTE et de la SAS ECF EQUITY et rappels de salaire sur la période allant du 01.09.2011 au 31.05.2014.

Le 17.07.2014, [J] [A] a subi un malaise sur son lieu de travail ; elle a été mise en arrêt de travail jusqu'au 25 juillet puis jusqu'au 31.08.2014.

Par lettre LRAR du 04.09.2014, [J] [A] a pris acte de la rupture de son contrat de travail dans les termes suivants :

'Le caractère inacceptable et de plus en plus dégradé de mes conditions de travail du fait de vos manquements et notamment de votre refus de mettre fin à la discrimination dont je fais l'objet sur le plan salarial, et les répercussions de cette situation sur mon état de santé, rendent impossible la poursuite de ma collaboration salariée au sein d'ECF EQUITYY.

Aussi, je vous indique prendre acte de la rupture de mon contrat de travail, cette rupture prenant effet dès réception de la présente.

Dès lors que vous portez l'entière responsabilité de cette rupture et de ses conséquences dommageables pour moi, il va sans dire que je demande à mon avocat de faire le nécessaire pour que réparation me soit faite.

Vous voudrez bien m'indiquer par retour la date à laquelle je peux me présenter dans

l'entreprise afin de restituer mon véhicule et les matériels mis à ma disposition et retirer mon certificat de travail, l'attestation pour Pôle Emploi et mon solde de tout compte.'

La SAS CHOMETTE a accusé réception de ce courrier le 12.09.2014 en précisant renoncer à l'application de la clause de non concurrence contractuelle.

[J] [A] a renoncé à sa demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail et s'est désistée de cette demande qui a été radiée le 15.09.2014 ; elle a saisi le CPH d'Evry le 15.09.2014 en requalification de la prise d'acte de la rupture en licenciement sans cause réelle et sérieuse, indemnisation des préjudices subis et pour diverses demandes liées à l'exécution du contrat de travail.

La cour est saisie de l'appel régulièrement interjeté le 20.11.2014 par [J] [A] du jugement rendu le 21.10.2014 par le Conseil de Prud'hommes d'Evry section Encadrement, qui a débouté la salariée de l'ensemble de ses demandes formée à l'encontre de la SAS CHOMETTE et de la SAS ECF EQUITY, et l'a condamnée à payer à la SAS ECF EQUITY la somme de 15.445,77 € au titre de l'indemnité de préavis et aux dépens.

[J] [A] demande à la cour d'infirmer le jugement du 21 octobre 2014 en toutes ses dispositions, et de :

DIRE et JUGER que la prise d'acte par [J] [A] de la rupture de son contrat de travail intervenue le 4 septembre 2014 était justifiée en raison de la discrimination sur le plan salarial et du harcèlement moral dont elle était la victime,

DIRE et JUGER qu'en raison de la gravité des manquements commis par la société ECF EQUITY cette prise d'acte doit produire les effets d'un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse,

En conséquence :

CONDAMNER la Société CHOMETTE à régler à [J] [A] la somme de

104.654,07 € à titre de rappel de salaire outre celle de 10.465,40 € à titre de rappel de congés payés pour la période du 15 septembre 2011 au 31 décembre 2013, avec intérêts au taux légal à dater de la date de réception par la Société ECF EQUITY de la mise en demeure de [J] [A] du 17 juin 2014,

CONDAMNER la Société ECF EQUITY à régler à [J] [A] la somme de

29.521,32 € à titre de rappel de salaires outre celle de 2.952,13 € à titre de rappel de congés

payés pour la période du 1er janvier au 31 août 2014, avec intérêts au taux légal à dater de la date de réception par la Société ECF EQUITY de la mise en demeure de [J] [A] du 17 juin 2014,

CONDAMNER la Société CHOMETTE à remettre à [J] [A] des bulletins de salaire conformes pour la période du 1er janvier 2013 au 31 décembre 2013 incluant notamment le rappel de salaires dus à [J] [A] au titre de la période antérieure du 15 septembre 2011 au 31 décembre 2012,

CONDAMNER la Société ECF EQUITY à remettre à [J] [A] des bulletins de salaire conformes pour la période du 1er janvier au 31 août 2014,

DIRE et JUGER que le salaire mensuel moyen de [J] [A], au cours des douze

derniers mois complets d'activité ayant précédés la rupture du contrat de travail, doit être fixé à la somme de 9.120,66 € bruts.

CONDAMNER la Société ECF EQUITY à régler à [J] [A] les sommes suivantes:

- 27.361,98 € à titre d'indemnités compensatrices de préavis,

- 2.736,19 € à titre de congés payés sur l'indemnité compensatrice de préavis,

- 19.487,94 € à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement conformément aux

dispositions prévues par la convention collective SYNTEC,

- 200.000 € à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- 70.000 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi par [J]

[A] du fait du harcèlement moral dont elle a fait l'objet et du manquement de son

employeur à son obligation de sécurité de résultat,

- 15.000 € au titre de l'article 700 du CPC,

CONDAMNER la Société ECF EQUITY à remettre à [J] [A] un bulletin de salaire conforme pour le mois de septembre 2014 comprenant les sommes allouées à cette dernière outre une attestation pour Pôle Emploi et un certificat de travail conformes.

CONDAMNER solidairement les Sociétés CHOMETTE et ECF EQUITY aux entiers dépens.

De son côté, la SAS CHOMETTE et la SAS ECF EQUITY demandent :

A titre principal de confirmer la décision prud'homale et de débouter la salariée de l'ensemble de ses demandes au titre d'un licenciement ; de la condamner à verser à la société Chomette la somme de 7000€ au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

A titre accessoire en cas de réforme de la décision prud'homale de limiter le montant des condamnations aux sommes suivantes :

- l'indemnité de licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse à six mois de salaire

- le complément de rémunération pour l'année 2013 à la somme de 44539,99€

- l'indemnité compensatrice de congés payés à 4453,99€

- le complément de rémunération pour l'année 2014 à la somme de29521€.

- l'indemnité compensatrice de congés payés à 2952,10€

Les parties entendues en leurs plaidoiries le 15.02.2017, la cour leur a proposé de procéder par voie de médiation et leur a demandé de lui faire connaître leur accord éventuel sous huit jours ; elle les a avisées qu'à défaut l'affaire était mise en délibéré ; aucun accord en ce sens n'ayant été donné dans le délai imparti, la cour vide son délibéré.

SUR CE :

Il est expressément fait référence aux explications et conclusions des parties visées à l'audience.

Sur l'exécution du contrat de travail :

La discrimination dite salariale repose sur le principe «'à travail égal, salaire égal'» qui a conféré à ce principe la valeur d'une règle impérative ; si rien ne distingue objectivement deux salariés'''même travail, même ancienneté, même formation, même qualification'''ils doivent percevoir le même salaire. Ainsi comme c'est le cas de manière générale en droit du travail, les décisions de l'employeur en matière salariale ne peuvent être discrétionnaires': elles doivent, en cas de contestation, reposer sur des éléments objectifs et vérifiables.

Le régime de la preuve en matière d'inégalité de rémunération est le même que celui prévu à l'article L.'1134-1 du code du travail en matière de discrimination'; s'il appartient au salarié qui invoque une atteinte au principe 'à travail égal, salaire égal' de présenter au juge des éléments de faits de fait laissant supposer l'existence d'une inégalité de rémunération, il incombe à l'employeur de rapporter la preuve que sa décision est justifiée par des raisons

objectives dont le juge doit contrôler concrètement la réalité et la pertinence et donc matériellement vérifiables.

A l'appui de ses prétentions [J] [A] fait valoir son parcours professionnel au sein de l' UES ECF (ECOTEL CHOMETTE FAVOR), en particulier sa nomination en 2010 en qualité de Directeur des opérations chez RESTO FAIR DIRECT, avec le statut de cadre de direction, suivie d'un plan de développement personnalisé qui lui a permis d'acquérir un master 2 de l' ESCP EUROPE, ce qui démontre son implication sans faille ; cette situation a été remise en cause lorsqu'elle a eu connaissance d'un écart de rémunération avec deux de ses collègues ; elle justifie par les bulletins de salaire produits qu'au 01.05.2014, leur situation respective se présentait de la manière suivante :

Emploi ancienneté coefficient salaire de base

[J] [A] Directeur opérations 04.04.08 210 4.791 €

J.C. [Y] Directeur opérations 22.08.11 210 8.500 €

A. [G] Directeur opérations 20.01.12 210 8.333,33 €

Elle relève avoir la plus grande ancienneté dans le groupe mais aussi dans le poste (respectivement : 04.10 / 08.11 / 01.12) alors que leur supérieur direct commun était le Président de la SAS ECF EQUITY, T. [U], et que leur mode de rémunération était identique, de même que l'intitulé de leur poste, leur statut, leur coefficient et leur positionnement hiérarchique ; elle constate que son bonus annuel était en outre inférieur à celui de ses deux collègues, qu'elle n'a pas été conviée à un voyage à l'Ile Maurice en 2014. Elle affirme que le périmètre de ses fonctions étaient comparables à celui de ses collègues, et correspond à son statut de cadre de direction et à sa classification de niveau X, ce qui la conduisait à participer à la direction de l'entreprise, échelon 1, sur un emploi de responsabilité majeure attribué à un salarié membre du CODIR d'une entreprise de grande taille ; elle exerçait sur le plan commercial des fonctions similaires sous la forme du multicanal outre les fonction du marketing opérationnel du groupe ; elle avait l'entière responsabilité de sa 'BU' (business unit) vente à distance qui avait une importance stratégique, sans lien hiérarchique avec ses deux collègues, ce dont atteste leur ancien responsable hiérarchique jusqu'en septembre 2013, G. [N] ; elle bénéficiait d'une délégation de pouvoir conférée par T. [U] vis à vis des marchés publics. [J] [A] en déduit que le poids de son poste était équivalent à ceux de ses collègues sur le plan des responsabilités et des contraintes, alors qu'elle assumait seule le marketing opérationnel du groupe, peu important que le nombre de ses collaborateurs ait été inférieur, s'agissant de vente à distance via internet.

Ses contradicteurs rappellent que [J] [A] a été transférée au sein de la société CHOMETTE après la fermeture de RESTOFAIR en 2013, concomittamment avec une réorganisation de l'activité commerciale autour de 2 BU dirigées chacune par un directeur des opérations : café hôtel restaurant (CHR) et collectivités, aux côtés des 2 fonctions supports : clients et multicanal venant en soutien de l'activité des 2 BU ; la salariée jusqu'à sa promotion n'avait que peu d'expérience de management d'équipe et compte tenu de son potentiel elle a suivi un plan de formation. Ils relèvent que les deux sociétés faisant partie d'une même unité économique et sociale sont juridiquement distinctes et que la salariée ne peut pas comparer sa situation globalement alors qu'elle n'est mutée qu'en janvier 2013 au sein de CHOMETTE FAVOR qui emploie alors JC [Y] ; ils contestent la comparaison que [J] [A] effectue en termes de primes et bonus alors qu'elle n'intègre pas l'intéressement et que les bonus de ses deux collègues ont été régularisés à la suite d'un trop perçu en juillet 2014, son propre bonus étant justifiés par son comportement et une erreur d'appréciation des effectifs induisant de mauvais résultats en 2013/14. Ils déclarent que la classification de [J] [A] lui avait été attribuée dans la société RESTOFAIR qui comptait un tout petit effectif, le transfert aurait dû être l'occasion d'une révision et d'un réajustement de cette classification au regard de son niveau de responsabilité dans une structure plus importante, ce qui aurait cependant été perçu comme un déclassement et aurait eu des incidences sur l'intéressement versé ; ils comparent les chiffres d'affaires gérés par les 3 salariés qui étaient de niveaux différents ; en effet, les définitions de fonctions n'étaient pas comparables, JC [Y] ayant bénéficié d'une mission générale en sa qualité de Directeur des opérations BU Collectivités, et A. [G] étant Directeur des opérations CHR, tous deux définisant la stratégie de CHOMETTE FAVOR et sa mise en oeuvre chacun dans son domaine, tout en ayant la responsabilité d'un centre de profit, ce qui n'était pas le cas de [J] [A] qui n'agissait que dans une mission transversale du développement de l'out calling en venant en simple appui des commerciaux ; ils estiment que l'activité marketing opérationnelle, du ressort de [J] [A], était limitée à la SAS CHOMETTE en vue de l'animation et la promotion des ventes ; l'activité de [J] [A] en définitive consistait dans la mise en oeuvre et dans le développement de la stratégie commerciale qui était définie par ses collègues. Les sociétés défenderesses font valoir une pesée des postes différentes en ce que [J] [A] n'avait pas la responsabilité d'un centre de profit, le propre chiffre d'affaires généré par la salariée, d'un montant limité (environ 10%), étant incorporé à celui des 2 BU, en ce qu'elle ne gérait pas des effectifs équivalents même si les siens progressaient régulièrement, et enfin en ce que les contraintes inhérentes aux fonctions n'étaient pas comparables en termes de pression ou déplacements professionnels ; en dernier lieu, l'expérience professionnelle de ses deux collègues était supérieure peut important leur ancienneté dans l'entreprise.

Or le document présentant en janvier 2013 l'évolution du dispositif commercial de CHOMETTE FAVOR et CHOMETTE DIRECT, qui avait été mis en place par G. [N], indique qu'à côté des deux BU 'majeures', subsiste une 'couverture multi canal renforcée' destinée à compléter et appuyer la force de vente itinérante grâce à l'instauration d'un pôle multi canal et l'adaptation du support des ventes, cette activité étant présentée dans le nouvel organigramme aux côtés et au même niveau que les deux BU majeures, l'activité multicanal étant également gérée par un directeur opérations et comprenant : l'out call, le web et l'animation promotion ; cette organisation bénéficiait du marketing opérationnel qui restait sous la responsabilité de [J] [A]. De même le document du 01.02.2013 émanant de G. [N], intitulé 'convention commerciale chomette', expose que, si des commerciaux spécialisés sont répartis au sein des 2 BU CHR et Collectivités, 'une organisation vraiment multicanal' était mise en place notamment par le biais du pôle multicanal qui participait ainsi à cette 'organisation de combat'. En juin 2013, G. [N] a constaté que cette organisation était sur pied, et que le multicanal était opérationnel. L'employeur produit l'organigramme de la Direction multicanal qui était placé sous la hiérarchie de [J] [A] et regroupait 21 personnes (P.5-2). En conséquence, l'importance stratégique du service dirigée par [J] [A] était réelle. Cette dernière avait conservée un intitulé de poste, un statut, un coefficient et un positionnement hiérarchique similaires à ses deux collègues responsables des 2 business units, elle bénéficiait d'une délégation de pouvoirs de T. [U].

Les sociétés défenderesses prétendent que le travail de [J] [A] ne pouvait pas être comparé à celui de ses collègues, en termes de chiffres d'affaires, de management, de stratégie commerciale, de contraintes professionnelles ou encore d'expérience professionnelle, alors que, dans son courrier du 22.04.2014, [J] [A] se plaint à son supérieur de voir que son périmètre d'intervention limité et son positionnement avaient été réduits en constatant notamment qu'elle ne participait pas aux comités commerciaux du groupe.

Il ressort principalement des différents organigrammes communiqués que [J] [A] s'est maintenue dans la hiérarchie de l'entreprise, indépendamment de la réorganisation intervenue en 2013 sous l'impulsion de son ancien responsable hiérarchique, G. [N], et au delà, puisqu'elle est restée placée sous la hiérarchie directe de T. [U], qui dans son courrier du 12.05.2014 a confirmé que son positionnement correpondait à 'une reconnaissance de compétences professionnelles' ; G. [N] en atteste d'ailleurs dans des termes très clairs. Son poids hiérarchique restait donc identique à celui de ses collègues.

De fait [J] [A] n'a pas été repositionnée lors de son transfert vers la SAS ECF EQUITY, pour éviter selon l'employeur un 'sentiment de rétrogradation', ce repositionnement aurait été effectif et se serait traduit ainsi que le reconnaît la partie adverse par une diminution de salaire.

Il en résulte que [J] [A] devait dans ces conditions bénéficier d'un même salaire de base que ses deux collègues, qui pouvaient en revanche recevoir des 'incentives', sous forme de bonus annuels ou primes trimestrielles, différents eu égard à leurs compétences propres.

Par suite [J] [A] a droit à un rappel sur son salaire de base, mais à partir de janvier 2013 date à laquelle elle a rejoint la SAS CHOMETTE au sein de laquelle travaillait A. [G] dont la situation peut être comparée à la sienne. Il convient, au vu du tableau (P. 33) de condamner la SAS CHOMETTE à lui verser la somme de 44.539,99 € et la SAS ECF EQUITY, qui était son employeur à partir de janvier 2014, à lui payer 29.521 € outre les congés payés correspondants.

[J] [A] excipe également d'un harcèlement moral et d'un manquement à l'obligation de sécurité de résultat.

Aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

En vertu de l'article L. 1154-1 du code du travail, lorsque survient un litige relatif à l'application des articles L. 1152-1 à L. 1152-3 et L. 1153-1 à L. 1153-4, le salarié établit des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement ; au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

La situation de [J] [A] s'est très rapidement dégradée à partir de début 2014, quand elle déclare avoir été informée d'une différence de traitement importante vis à vis de ses deux collègues, Directeurs des opérations, qui s'est confirmée après qu'elle ait reçu communication de leurs bulletins de salaires dans le cadre d'un référé prud'homal introduit le 20.05.2014. Il a été décidé dans la présente décision que cette différence de traitement était avérée.

Par ailleurs, [J] [A] a constaté le 07.04.2014 avoir été omise du voyage programmé pour récompenser 'l'inventive des Etoiles' et s'en est plainte à son supérieur, qui s'en est étonné de même que P. [M], et qui lui a proposé, tardivement, d'y participer.

Son bonus de l'année 2013 a été réduit à 564 € alors que les précédents étaient de l'ordre de 3/4.000 € et que ses résultats commerciaux étaient bons ; l'employeur a déclaré avoir pondéré le variable du fait que le marketing n'aurait pas été à la hauteur et que, s'il y a eu atteinte des chiffres pour l'item 'call' des difficultés relationnelles auraient obéré ces résultats, alors que le bonus devait être contractuellement attribué jusqu'à 15% du salaire de base en fonction des seuls objectifs fixés et atteints, ce qui était le cas.

Son employeur s'est étonné de ne pas la trouver dans son bureau et lui en a fait le reproche, à tort. Elle s'est plainte de l'attitude devenue 'insupportable' de son supérieur le 25.07.2014.

Si [J] [A] n'a pas saisi le médecin du travail ni les institutions représentatives ni l'inspection du travail, elle justifie de plusieurs arrêts maladie, elle a fait un malaise sur son lieu de travail, et a fait l'objet d'une prise en charge médicamenteuse.

Le harcèlement moral est justifié.

L'employeur eu égard au contexte sera condamné à lui verser en réparation du préjudice subi la somme de 10.000 €.

En conséquence le jugement rendu sera infirmé.

Sur la prise d'acte de rupture et ses effets :

Lorsqu'un salarié prend acte de la rupture de son contrat de travail en raison de faits qu'il reproche à son employeur, cette rupture produit les effets soit d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués la justifient et si les manquements sont suffisamment graves et empêchent la poursuite du contrat de travail, soit, dans le cas contraire, d'une démission. La rupture du contrat de travail est immédiate et la prise d'acte ne peut être rétractée. L'écrit par lequel le salarié prend acte de la rupture du contrat de travail en raison de faits qu'il reproche à son employeur ne fixe pas les limites du litige. Le juge doit examiner l'ensemble des manquements de l'employeur invoqués devant lui par le salarié, même si celui-ci ne les a pas mentionnés dans sa lettre de rupture.

La prise d'acte étant justifiée par les faits et griefs mentionnés dans la lettre de rupture émanant du salarié et constituant des manquements de la part de l'employeur suffisamment graves pour empêcher la poursuite du contrat et caractériser une rupture imputable à l'employeur il y a lieu de constater la rupture des relations contractuelles aux torts de celui ci qui produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

En conséquence, compte tenu des circonstances de la rupture, du montant de la rémunération versée, de l'âge de [J] [A], de son ancienneté dans l'entreprise, de sa capacité à retrouver un emploi eu égard à sa formation et à son expérience professionnelle, et des conséquences du licenciement à son égard, tels qu'ils résultent des pièces communiquées et des explications fournies à la cour, la SAS CHOMETTE sera condamnée à verser au salarié à titre de dommages intérêts la somme de 90.000 € ainsi que les indemnités de rupture ainsi qu'il est précisé au dispositif.

Lorsque le licenciement illégitime est indemnisé en application des articles L1235-2/3/11 du code du travail, le conseil ordonne d'office, même en l'absence de Pôle emploi à l'audience et sur le fondement des dispositions de l'article L 1235-5, le remboursement par l'employeur, de tout ou partie des indemnités de chômage payées au salarié par les organismes concernés, du jour du licenciement au jour du jugement, dans la limite de six mois ; en l'espèce au vu des circonstances de la cause il convient de condamner l'employeur à rembourser les indemnités à concurrence d'un mois.

Le jugement rendu sera infirmé.

Il est fait droit à la demande de remise d'un bulletin de salaire récapitulatif de la part de chacune des sociétés défenderesses et des documents sociaux de la part de la SAS ECF EQUITY.

Il serait inéquitable que [J] [A] supporte l'intégralité des frais non compris dans les dépens tandis que la SAS CHOMETTE qui succombe doit en être déboutée.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement contradictoirement :

Déclare l'appel recevable ;

Infirme le jugement rendu le 21.10.2014 par le Conseil de Prud'hommes d'Evry section Encadrement en son intégralité ;

Statuant à nouveau,

Dit que la prise d'acte du 04.09.2014 doit produire les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

Condamne en conséquence la SAS CHOMETTE à payer à [J] [A] les sommes de :

- 44.539,99 € à titre de rappel de salaire,

- 4.453,99 € au titre des congés payés afférents,

Condamne par ailleurs la SAS ECF EQUITY à lui verser les sommes de :

- 29.521 € à titre de rappel de salaire,

- 2.952,10 € au titre des congés payés,

- 10.000 € en réparation du préjudice subi du fait du harcèlement moral,

- 90.000 € à titre de dommages intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- 27.361,98 € à titre d'indemnités compensatrices de préavis,

- 2.736,19 € à titre de congés payés sur l'indemnité compensatrice de préavis,

- 19.487,94 € à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement,

Dit que les sommes à caractère salarial porteront intérêt au taux légal à compter du jour où l'employeur a eu connaissance de leur demande, et les sommes à caractère indemnitaire, à compter et dans la proportion de la décision qui les a prononcées / du présent arrêt ;

Dit que la SAS CHOMETTE devra transmettre à [J] [A] dans le délai d'un mois suivant la notification de la présente décision, un bulletin de salaire récapitulatif, et la SAS ECF EQUITY également un bulletin de salaire récapitulatif ainsi qu'un certificat de travail et une attestation Assedic/Pôle emploi conformes ;

Ordonne, dans les limites de l'article L 1235-4 du code du travail, le remboursement par la SAS CHOMETTE à l'organisme social concerné des indemnités de chômage payées à [J] [A] à concurrence de un mois de salaire,

Condamne la SAS CHOMETTE et la SAS ECF EQUITY in solidum aux entiers dépens de première instance et d'appel, et à payer à [J] [A] la somme de 2.000 € en vertu de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles exposés en cause d'appel.

LE GREFFIER LE PRESIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 4
Numéro d'arrêt : 14/12751
Date de la décision : 02/05/2017

Références :

Cour d'appel de Paris K4, arrêt n°14/12751 : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2017-05-02;14.12751 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award