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20/04/2017 | FRANCE | N°16/02849

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 1 - chambre 2, 20 avril 2017, 16/02849


Grosses délivréesRÉPUBLIQUE FRANÇAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 1 - Chambre 2





ARRET DU 20 AVRIL 2017



(n°237, 16 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : 16/02849



Décision déférée à la Cour : Sur renvoi après cassation d'un arrêt de la 14ème Chambre de la cour d'appel de VERSAILLES en date du 27 novembre 2013 (RG 13/00670) rendu sur appel d'une ordonnance de référé du tribunal de commerce de NANTERRE en date du 16 no

vembre 2012 (RG 2012R01221)





DEMANDEUR À LA SAISINE

APPELANT INITIAL



Société MERGERMARKET LIMITED

en son établissement [Adresse 1] (Royaume Un...

Grosses délivréesRÉPUBLIQUE FRANÇAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 1 - Chambre 2

ARRET DU 20 AVRIL 2017

(n°237, 16 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : 16/02849

Décision déférée à la Cour : Sur renvoi après cassation d'un arrêt de la 14ème Chambre de la cour d'appel de VERSAILLES en date du 27 novembre 2013 (RG 13/00670) rendu sur appel d'une ordonnance de référé du tribunal de commerce de NANTERRE en date du 16 novembre 2012 (RG 2012R01221)

DEMANDEUR À LA SAISINE

APPELANT INITIAL

Société MERGERMARKET LIMITED

en son établissement [Adresse 1] (Royaume Uni) SE1 9HL, agissant en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 2]

[Adresse 2]S ROYAUME-UNI

Représentée par Me Matthieu BOCCON GIBOD de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477

Assistées par Me Thierry MAREMBERT de la SCP KIEJMAN & MAREMBERT, avocat au barreau de PARIS, toque : P0200

DÉFENDEURS À LA SAISINE

INTIMES INITIAUX

SAS CONSOLIS agissant poursuites et diligences en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 3]

[Adresse 3]

SAS CONSOLIS HOLDING agissant poursuites et diligences en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 3]

[Adresse 3]

Société CONSOLIS NETHERLANDS BV société de droit néerlandais immatriculée sous le numéro 04038984 agissant poursuites et diligences en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 4]

[Adresse 4] PAYS-BAS

Société CONSOLIS OY AB société de droit finlandais immatriculée sous le numéro 1108263-8 agissant poursuites et diligences en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 5] -

[Adresse 5] FINLANDE

SAS CONSOLIS FINANCE anciennement dénommée PCP HOLDING prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 6]

[Adresse 3]

Société DW BETONROHRE GMBH société de droit allemand immatriculée sous le 12245 HRB NEUSS

[Adresse 7]

[Adresse 7]ALLEMAGNE

Société DW SCHWELLEN GMBH Société de droit allemand immatriculée sous le numéro 15292 HRB NEUSS agissant poursuites et diligences en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 7]

[Adresse 7] ALLEMAGNE

Société DW SYSTEMBAU GMBH Société de droit allemand immatriculée sous le numéro 202048 HRB LUNEBURG agissant poursuites et diligences en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 8]

[Adresse 8] ALLEMAGNE

Société PARMA OY AB société de droit finlandais immatriculée sous le numéro 0925222-0 agissant poursuites et diligences en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 5]

[Adresse 5] FINLANDE

Société ADDTEK HOLDING INTERNATIONAL AB société de droit suédois immatriculée sous le numéro 556737-0316 agissant poursuites et diligences en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 9]

[Adresse 9]SUEDE

SA SATEBA SYSTEME VAGNEUX agissant poursuites et diligences en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 3]

[Adresse 3]

Société SPENNCON AS société de droit norvégien immatriculée sous le numéro 844 558 082 agissant poursuites et diligences en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 10],

[Adresse 10]E NORVEGE

Société TONFUL OY AB société de droit finlandais immatriculée sous le numéro 1994221-7 agissant poursuites et diligences en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 5] -

[Adresse 5] FINLANDE

Société TONFUL OY AB prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 9]

[Adresse 9]

[Localité 1] SUEDE

Société VBI HUISSEN BV société de droit néerlandais immatriculée sous le numéro0902 0978 agissant poursuites et diligences en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 4]

6851 AJ HUISSEN PAYS-BAS

Société VBI VERENIGDE BOUWPRODUKTEN INDUSTRIE BV société de droit néerlandais immatriculée sous le numéro 0905 0091 agissant poursuites et diligences en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 4]

[Adresse 4] PAYS-BAS

Société VBI VERKOOP MAATSCHAPPIJ BV société de droit néerlandais immatriculée sous le numéro 0905 2377 agissant poursuites et diligences en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 4]

[Adresse 4] PAYS-BAS

Société ADDTEK INTERNATIONAL AB société de droit suédois immatriculée sous le numéro 556540-9975 agissant poursuites et diligences en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 9],

[Adresse 9]SUEDE

Société AKTIEBOLAGET STRANGBETONG société de droit suédois immatriculée sous le numéro 556539-4904 agissant poursuites et diligences en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 9],

[Localité 1] SUEDE

Société DW BETON GMBH Société de droit allemand immatriculée sous le numéro 202049 HRB LUNEBURG agissant poursuites et diligences en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 8] -

[Adresse 8] ALLEMAGNE

SA BONNA SABLA agissant poursuites et diligences en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 3]

[Adresse 3]

SNC BONNA SABLA agissant poursuites et diligences en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 3]

[Adresse 3]

Société CONSOLIS DENMARK A/S société de droit danois immatriculée sous le numéro CVR 3105 8112 agissant poursuites et diligences en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 11]

[Adresse 11] DANEMARK

Représentées par Me Anne GRAPPOTTE-BENETREAU de la SCP GRAPPOTTE BENETREAU, avocats associés, avocat au barreau de PARIS, toque : K0111

Assistées par Me Jean-Pierre FARGES et Me Eric BOUFFARD du LLP ASHURST, avocats au barreau de PARIS, toque : J034

SELARL FHB

[Adresse 12]

[Adresse 12]

Représentée et assistée par Me François DUPUY de la SCP HADENGUE et Associés, avocat au barreau de PARIS, toque : B0873

Société CONSOLIS AS prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés

en cette qualité audit siège

[Adresse 13]

[Adresse 13] NORVÈGE

Défaillante - Non assignée

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 786 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 02 Mars 2017, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposé, devant M. Bernard CHEVALIER, Président, et Mme Anne-Marie GRIVEL, Conseillère.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

M. Bernard CHEVALIER, Président

Mme Agnès BODARD-HERMANT, Conseillère

Mme Anne-Marie GRIVEL, Conseillère

Qui en ont délibéré

Greffier, lors des débats : M. Aymeric PINTIAU

ARRÊT :

- RENDU PAR DÉFAUT

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par M. Bernard CHEVALIER, président et par M. Aymeric PINTIAU, greffier.

EXPOSÉ DU LITIGE

Les faits et la procédure

Le groupe Consolis, leader européen des produits en béton préfabriqués, a fait l'objet d'un achat à effet de levier ou LBO (Leverage buy out), c'est-à-dire d'un rachat par un holding qui finance cette opération en recourant à l'emprunt.

A la suite de la crise financière de 2008 puis encore au cours de l'année 2011, le groupe Consolis a été confronté à des difficultés financières qui ont contraint ses dirigeants à vouloir obtenir des aménagements de la part des prêteurs.

Ils ont saisi le président du tribunal de commerce de Nanterre qui, par ordonnances du 11 août 2010 puis du 11 juillet 2012, a désigné la Selarl FHB prise en la personne de Mme [I] en qualité de mandataire ad hoc.

Aux termes de l'ordonnance du 11 juillet 2012, cette dernière s'est ainsi vu confier la mission de rechercher 'la conclusion d'un nouvel accord avec les Prêteurs Senior et Second lien et toute autre partie prenante, ou toute autre opération, de nature à assurer la pérennité des sociétés du groupe Consolis dans le respect équitable des intérêts en présence, et ce, en assurant la confidentialité la plus stricte de ces négociations par tout moyen de droit'.

La société Mergermarket Limited, filiale du groupe Financial Times, est éditrice du site d'informations financières en ligne [Site Web 1], consultable par abonnement et spécialisé dans le suivi de l'endettement des entreprises.

Sur ce site, une trentaine d'articles relatant les difficultés rencontrées par les sociétés du groupe Consolis et les procédures engagées par celles-ci pour tenter de les surmonter ont été publiés. Le 18 juillet 2012, un article commentant l'ouverture de la procédure de mandat ad hoc a été mis en ligne, suivi de cinq autres rendant compte de l'évolution de celle-ci.

Par ordonnance du 26 septembre 2012, le président du tribunal de commerce de Nanterre a nommé la Selarl FHB prise en la personne de Maître [B] [I] en qualité de conciliateur.

Le 4 octobre 2012, Mme [I] a adressé à [Site Web 1], à1'attention de Mme [V] [D], journaliste auteur des articles susvisés, un courrier dans lequel elle constatait que, de façon répétée, depuis de nombreux mois, le site publiait des informations relatives à des sociétés pour lesquelles elle s'était vu confier une mission de mandataire ad hoc ou de conciliation, lui rappelait le caractère confidentiel de celles-ci et le mettait en garde contre d'éventuelles poursuites judiciaires s'il ne cessait pas de telles diffusions.

Par actes des 23 et 24 octobre 2012, les sociétés du groupe Consolis citées dans l'entête de cet arrêt ont fait assigner la société Mergermarket Limited sur le fondement des articles 872 et 873 du code de procedure civile, L 511-33 du code monétaire et financier, 226-13 et 321-1 du code pénal, 9 du code civil et L 611-15 du code de commerce, afin qu'il lui soit ordonné de retirer l'ensemble des articles contenant des informations confidentielles les concernant, qu'i1 lui soit fait injonction de ne publier aucun nouvel article les concernant sous peine d'astreinte par infraction constatée, qu'elle soit condamnée au paiement d'une provision à valoir sur la réparation de leur préjudice et qu'une expertise soit ordonnée.

Par ordonnance rendue le 16 novembre 2012, le président du tribunal de commerce de Nanterre a rejeté les exceptions d'incompétence matérielle et territoriale ainsi que les fins de non-recevoir soulevées par la société Mergermarket Limited puis a :

- dit que la société Mergermarket Limited a causé un trouble manifestement illicite qu'il convient de faire cesser dans les plus brefs délais et qu'i1 y a lieu de prendre les mesures nécessaires pour prévenir un dommage imminent,

- ordonné à celle-ci de retirer de son site internet [Site Web 1] l'ensemble des articles contenant les informations couvertes par la confidentialité au titre des procédures de prévention concernant le groupe Consolis, sous astreinte de la somme de 50 000 euros par jour de retard et par article, à compter de trois jours après la signification de l'ordonnance,

- interdit à celle-ci de publier quelque article que ce soit relatif aux procédures de prévention concernant le groupe Consolis, sous astreinte de la somme de 50 000 euros par infraction constatée, lesdites astreintes courant jusqu'à l'issue des procédures de prévention, et s'est réservé le pouvoir de les liquider,

- débouté le groupe Consolis de ses demandes au titre du paiement d'une provision et en désignation d'un expert,

- condamné la société Mergermarket Limited à verser en application de l'article 700 du code de procédure civile la somme de 10 000 euros aux sociétés du groupe Consolis et celle de 5 000 euros à la selarl FHB,

- condamné la société Mergermarket Limited aux dépens.

Le président du tribunal de commerce de Nanterre a fondé cette décision sur les motifs suivants en ce qui concerne le trouble manifestement illicite et le dommage imminent puis la liberté d'expression :

'Attendu que, même si Mergermarket peut faire valoir que ni le secret professionnel ni le secret bancaire ni la confidentialité des procédures de prévention ne peuvent lui être opposés, au motif qu'elle ne fait pas partie des personnes concernées par ces règles, il n'en demeure pas moins qu'elle ne peut prétendre ignorer lesdites règles, et qu'elle a sciemment profité indûment de leur violation par les personnes qui y sont astreintes, pour en tirer profit, étant parfaitement consciente du préjudice qui en résultait pour le groupe Consolis ;

Attendu que le fait par Mergermarket de publier en connaissance de cause des informations sur le groupe Consolis, qu'elle savait couvertes par la confidentialité, obtenues grâce à la violation de leurs obligations légales par les personnes qui les lui ont transmises, tout en sachant pertinemment que ladite publication causait un préjudice incontestable audit groupe, caractérise le trouble manifestement illicite invoqué par les requérantes ;

[...]

Attendu qu'en 1'espèce, le dommage imminent consiste en la publication par Mergermarket de nouvelles informations sur l'état des négociations et leur évolution tout au long des procédures de prévention en cours, aggravant encore davantage le préjudice causé au groupe Consolis ;

[...]

4/ sur la liberté d'expression

Attendu que toute restriction à la liberté d`expression doit :

- Etre prévue par la loi,

- Répondre à un but légitime,

- Etre nécessaire dans une société démocratique ;

Attendu qu'en l'espèce,

- La confidentialité des informations relatives aux procédures de prévention est prévue par l'article L 611-15 du code de commerce,

- Cette confidentialité répond à un but légitime : protéger les sociétés qui ont recours à ces procédures ainsi que leurs partenaires ou créanciers qui y participent,

- Cette confidentialité participe du respect dû aux personnes afin de préserver leurs droits à l'encontre de toute ingérence, et est donc nécessaire dans une société démocratique ;

Attendu que la liberté d'expression reconnue aux organes de presse doit s'exercer dans le respect des droits d'autrui, et que la divulgation délibérée, par [Site Web 1], sur son site internet, d'informations que la loi déclare soumises à la confidentialité est fautive et excède les droits légitimes que peut revendiquer Mergermarket.'

Par un arrêt en date 27 novembre 2013, la cour d'appel de Versailles a confirmé l'ordonnance du 16 novembre 2012 en ce qu'elle a rejeté les exceptions d'incompétence et les fins de non-recevoir soulevées la société Mergermarket Limited. Elle l'a infirmée en toutes ses autres dispositions et, statuant à nouveau, a débouté les sociétés du groupe Consolis et la selarl FHB de l'ensemble de leurs réclamations et les a condamnées aux dépens ainsi qu'à paiement en application de l'article 700 du code de procédure civile.

La cour de Versailles a fondé son arrêt sur des motifs qui peuvent être résumés comme suit :

- les moyens invoqués par les intimés tenant à la violation du secret bancaire liant les prêteurs ainsi que le secret pesant sur toute personne qui en est dépositaire de même que l'atteinte à la vie privée des entreprises du groupe Consolis doivent être écartés comme l'a fait le premier juge, les règles concernées n'étant pas applicables dans l'affaire examinée ;

- s'agissant de la violation de l'article L 611-15 du code de commerce, il ressort à l'évidence de la lecture de cette disposition que la société Mergermarket Limited ne peut être directement tenue par cette obligation, n'ayant pas été appelée à la procédure concernée et l'expression «ses fonctions'' ne pouvant renvoyer au travail d'investigation du journaliste ;

- en outre, s'il est établi que Mergermarket Limited a publié des informations relatives à ces procédures, il sera observé qu'aucune demande de réparation pécuniaire n'est formée par les sociétés du groupe Consolis et il apparaît, au vu d'un article du journal L'Agefi, que la procédure de mandat ad hoc s'est terminée par une conciliation courant mars 2013 ;

- il ressort de ces éléments que 'le fait pour la société Mergermarket Limited d'avoir publié sur un site spécialisé dans le suivi de l'endettement des sociétés, ouvert à ses seuls abonnés, sans qu'il soit justifié du préjudice qui en serait résulté, des informations soumises à confidentialité par application de l'article L 611-15 du code de commerce qui ne crée aucune obligation à son égard, ne saurait constituer, au regard des droits essentiels à la liberté d'informer du journaliste et à la protection de ses sources d'information, une violation évidente de la loi susceptible d'être sanctionnée par la juridiction des référés'.

La Cour de cassation, dans un arrêt du 15 décembre 2015 publié au bulletin d'information, a cassé cet arrêt sauf en ce qu'il rejette les exceptions d'incompétence et les fins de non-recevoir et a renvoyé la cause et les parties devant la cour de céans.

La Cour suprême a fondé cet arrêt sur les motifs suivants :

- il résulte de l'article 10 § 2 de la Convention de sauvegarde des droits l'homme et des libertés fondamentales que des restrictions peuvent être apportées par la loi à la liberté d'expression, dans la mesure de ce qui est nécessaire dans une société démocratique pour protéger les droits d'autrui et empêcher la divulgation d'informations confidentielles tant par la personne soumise à un devoir de confidentialité que par un tiers ; tel est le cas des informations relatives aux procédures visées par l'article L. 611-15 du code de commerce ;

- en rejetant la demande des sociétés du groupe Consolis au motif que le fait pour la société Mergermarket Limited d'avoir publié des informations soumises à la confidentialité par application de l'article L. 611-15 du code de commerce, qui ne crée aucune obligation à son égard, ne saurait constituer, au regard des droits essentiels à la liberté d'informer du journaliste, une violation évidente de la loi susceptible d'être sanctionnée par la juridiction des référés, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

- il résulte encore de l'article 10 § 2, précité, que des restrictions à la liberté d'expression peuvent être prévues par la loi, dans la mesure de ce qui est nécessaire dans une société démocratique, pour protéger les droits d'autrui et empêcher la divulgation d'informations confidentielles ; qu'il en résulte que le caractère confidentiel des procédures de prévention des difficultés des entreprises, imposé par le second de ces textes pour protéger, notamment, les droits et libertés des entreprises recourant à ces procédures, fait obstacle à leur diffusion par voie de presse, à moins qu'elle ne contribue à la nécessité d'informer le public sur une question d'intérêt général ;

- en rejetant les demandes des sociétés du groupe Consolis au motif que le fait pour la société Mergermarket Limited d'avoir publié, comme d'autres journaux spécialisés, des informations confidentielles, par application de l'article L. 611-15 du code de commerce, ne constitue pas un trouble manifestement illicite au regard de la liberté d'informer du journaliste sans rechercher si les informations diffusées, relatives à la prévention des difficultés des sociétés du groupe Consolis et couvertes par la confidentialité, relevaient d'un débat d'intérêt général, la cour d'appel a privé sa décision de base légale ;

- enfin, en rejetant les demandes des sociétés du groupe Consolis au motif que celles-ci ne présentent aucune demande de réparation pécuniaire et que la procédure de mandat ad hoc s'est terminée par une conciliation courant mars 2013, de sorte qu'il n'est pas justifié d'un préjudice résultant de la diffusion des informations litigieuses et que n'est pas ainsi caractérisée une violation évidente de la loi susceptible d'être sanctionnée par la juridiction des référés, alors que la diffusion d'informations relatives à une procédure de prévention des difficultés des entreprises, couvertes par la confidentialité, sans qu'il soit établi qu'elles contribuent à l'information légitime du public sur un débat d'intérêt général, constitue à elle seule un trouble manifestement illicite, la cour d'appel a ajouté à la loi une condition qu'elle ne prévoit pas et a violé les textes susvisés.

Par déclaration en date du 26 janvier 2016, la société Mergermarket Limited a saisi le juge des référés de la cour d'appel de Paris.

Les demandes et les moyens et arguments des parties

La société Mergermarket Limited

La société Mergermarket Limited, au terme de ses dernières conclusions communiquées par la voie électronique le 6 février 2017, demande à la cour de :

- réformer l'ordonnance entreprise en ce qu'elle lui a enjoint de retirer tout article sur les procédures de prévention (mandat ad hoc et conciliation) concernant le groupe Consolis et lui a interdit d'en publier à l'avenir ;

- dire qu'il n'y a pas de trouble manifestement illicite ni de dommage imminent ;

- débouter les sociétés du groupe Consolis et la Selarl FHB de toutes leurs réclamations ;

- les condamner in solidum à lui verser la somme de 80 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'à supporter les dépens.

La société Mergermarket Limited soutient en substance les moyens et les arguments suivants :

- la condition tenant à l'existence d'un trouble manifestement illicite résultant des articles litigieux impose de caractériser une violation absolument évidente d'une règle de droit de sa part ;

- ce caractère illicite de son comportement doit être d'autant plus évident que 1'on se situe sur le terrain de la liberté d'informer, qui ne peut faire l'objet que de restrictions très limitées ;

- elle n'a pas commis d'acte illicite au regard de l'obligation de confidentialité prévue dans le cadre du mandat ad hoc à l'article L. 611-15 du code de commerce ; en retenant que cet article était opposable aux journalistes, l'arrêt du 15 décembre 2015 en a fait une application contra legem et il a violé les exigences de l'article 10 de la Convention de sauvegarde des droits l'homme et des libertés fondamentales ;

- l'article L. 611-15 cite, en effet, les personnes soumises à l'obligation de confidentialité et cette obligation est attachée à ces personnes, non à l'information elle-même ; l'article L. 611-15 se différencie ainsi de l'article L. 2325-5 du code du travail ;

- l'interprétation que la Cour de cassation a faite de l'article L. 611-15 est également contraire aux conditions régissant les restrictions à la liberté d'informer, prévues à l'article 10, § 2, de la Convention de sauvegarde des droits l'homme et des libertés fondamentales, selon lesquelles ces restrictions doivent être prévues par la loi, avoir un caractère prévisible, être nécessaires et être proportionnées ;

- or l'interprétation de l'article L 611-15 par la Cour de cassation n'était pas prévisible ;

- les mesures d'interdiction n'étaient pas non plus nécessaires dès lors que les difficultés du groupe Consolis, notamment la désignation d'un mandataire ad hoc en 2010, l'accord de restructuration en 2011 puis les nouvelles difficultés de ce groupe l'ayant conduit à demander à nouveau l'ouverture d'une procédure de prévention avaient déjà fait l'objet d'articles dans la presse spécialisée ;

- enfin les mesures ordonnées sont disproportionnées en ce qu'elles visent tous les articles concernant le groupe Consolis, ne reposent que sur un texte civil et frappent un site d'information financière spécialisé dans le suivi de l'endettement des entreprises ;

- en toute hypothèse, les publications litigieuses constituent une information légitime s'inscrivant dans un débat d'intérêt général sur l'enjeu des restructurations de dettes d'entreprises européennes sous LBO, détenues par des holdings surendettés , au regard des menaces que cette situation fait peser sur l'emploi et toute l'économie ;

- les autres fautes reprochées par Consolis à Mergermarket Limited ne sont pas constituées, Mergermarket Limited n'étant pas dépositaire du secret bancaire ou professionnel, le recel d'information n'étant pas réprimé (la violation de l'obligation de confidentialité dans le cadre du mandat ad hoc et de la conciliation n'est plus sanctionnée pénalement depuis la loi du 26 juillet 2005), Mergermarket Limited n'a commis aucune atteinte à la prétendue vie privée du groupe Consolis (la Cour de cassation, dans un arrêt du 16 mars 2016, a jugé que, si les personnes morales disposent, notamment, d'un droit à la protection de leur nom, de leur domicile, de leurs correspondances et de leur réputation, seules les personnes physiques peuvent se prévaloir d'une atteinte à la vie privée au sens de l'article 9 du code civil).

Les sociétés du groupe Consolis

Dans leurs dernières conclusions communiquées par la voie électronique le 2 février 2017, les sociétés du groupe Consolis demandent à la cour, sur le fondement des articles 872 et 873 du code de procédure civile, L 611-15 du code de commerce, L 511-33 du code monétaire et financier, 226-13 du code pénal, et 1240 (anciennement 1382) du code civil, de :

- confirmer l'ordonnance rendue le 16 novembre 2012 en ce qu'elle a :

- ordonné à la société Mergermarket Limited de retirer de son site internet [Site Web 1] l'ensemble des articles contenant les informations couvertes par la confidentialité au titre des procédures de prévention concernant le groupe Consolis, sous astreinte de 50 000 euros par jour de retard et par article,

- interdit à la société Mergermarket Limited de publier quelque article que ce soit relatif aux procédures de prévention concernant le groupe Consolis, sous astreinte de 50 000 euros par infraction constatée ;

en conséquence,

- débouter la société Mergermarket Limited de toutes ses réclamations ;

- condamner la société Mergermarket Limited à leur payer la somme de 50 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et à supporter les dépens.

Les sociétés du groupe Consolis exposent en résumé ce qui suit :

- bien que le président du tribunal de commerce ait rappelé dans l'ordonnance du 11 juillet 2012 le principe de confidentialité des négociations conduites sous l'égide du mandataire ad hoc, des prêteurs ont divulgué des informations sur le groupe Consolis à [Site Web 1] qui, le 18 juillet 2012 à 16 heures 08, a mis en ligne un article annonçant le nouveau mandat ad hoc et révélant de nombreux éléments chiffrés sur les résultats du groupe ;

- les 26 juillet, 9 août, 7 septembre, 25 septembre et encore le 17 octobre 2012, malgré une nouvelle mise en demeure de Mme [I], Mergermarket Limited a mis en ligne sur le site [Site Web 1] des articles rendant compte des réunions tenues dans le cadre de la procédure de mandat ad hoc puis de conciliation et fournissant des données précises et chiffrées sur la situation du groupe Consolis, ces informations étant présentées comme ayant été fournies par des 'sources concernées par la situation' ;

- l'arrêt rendu le 15 décembre 2015 par la Cour de cassation, approuvé par la doctrine, indique avec force que les dispositions de l'article L. 611-15 du code de commerce sont applicables aux tiers, en l'occurrence aux journalistes ; le caractère confidentiel des procédures de prévention fait ainsi obstacle à la diffusion par voie de presse d'informations relatives aux difficultés rencontrées par l'entreprise, à moins que cette diffusion ne contribue à la nécessité d'informer le public sur une question d'intérêt général ; à défaut, la diffusion de ces informations constitue à elle seule un trouble manifestement illicite ;

- contrairement à ce que soutient l'appelante, l'article L. 611-15 n'établit pas une liste limitative des personnes soumises à l'obligation de confidentialité ni ne limite cette obligation aux personnes plutôt qu'à l'information, sauf à priver cette disposition d'effet utile ;

- l'arrêt du 15 décembre 2015 s'inscrit en outre dans l'évolution de la législation (voir l'article L. 611-8-1 du code de commerce) et la jurisprudence ;

- le complice de la violation d'une clause contractuelle et le co-auteur d'une telle violation engagent leur responsabilité ;

- l'article 10, § 2, de la Convention de sauvegarde des droits l'homme et des libertés fondamentales prévoit que la liberté d'expression peut être restreinte pour empêcher la divulgation d'informations confidentielles et la Cour européenne des droits de l'homme a jugé (affaire [X] c. Suisse, 10 décembre 2007) que cette restriction vise les informations confidentielles divulguées aussi bien par une personne soumise à un devoir de confidentialité que par une tierce personne, notamment un journaliste ;

- l'intérêt général ne justifiait pas la mise en ligne des articles en cause, ces derniers ne traitant pas des difficultés des entreprises acquises sous LBO mais relatant de manière précise de nombreux éléments discutés dans le cadre du mandat ad hoc ou de la conciliation lors de réunions tenues la veille ou les jours précédant leur mise en ligne ;

- l'argument selon lequel d'autres organes de presse avaient publié des informations concernant les sociétés du groupe Consolis ne saurait exonérer Mergermarket de sa responsabilité ;

- le principe de confidentialité des échanges dans le cadre de procédures de mandat ad hoc ou de conciliation, posé par l'article L. 611-15 du code de commerce, d'ordre public, a pour but de permettre la restructuration des sociétés et est nécessaire à la conduite sereine des négociations, les détails relatifs à la restructuration d'une entreprise, ses résultats chiffrés, sa stratégie et ses espoirs de négociations avec ses créanciers ne devant être partagés que sous couvert de la confidentialité, afin d'éviter toute divulgation aux tiers, en particuliers à ses autres partenaires commerciaux, sauf à compromette l'objectif des procédures de prévention ;

- la directive 2016/943/UE, non encore transposée en droit français, ne met pas en cause ce principe ;

- la violation par Mergermarket de cette confidentialité constitue un trouble manifestement illicite ; la possibilité qu'elle persiste constituait également un risque de dommage imminent ;

- la mise en ligne des articles litigieux a causé un préjudice réel aux sociétés du groupe Consolis, leurs relations avec leurs partenaires bancaires et commerciaux, qui n'étaient pas parties aux procédures de mandat ad hoc et de conciliation, ont été rendues plus difficiles, des assureurs crédit ont dégradé la notation des sociétés du groupe, des fournisseurs ont durci leurs exigences en matière de délais de paiement, refusé, dans certains cas, la livraison de matières premières ou imposé une réduction du volume des commandes.

La Selarl FHB

La Selarl FHB, prise en la personne de Mme [I], dans ses conclusions communiquées par voie électronique le 25 octobre 2016, demande à la cour de :

- confirmer en toutes ses dispositions l'ordonnance rendue par le président du tribunal de commerce de Nanterre en date du 16 novembre 2012,

- débouter la société Mergermarket Limited de l'ensemble de ses réclamations,

- condamner la société Mergermarket Limited à lui payer la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et à supporter les dépens.

La Selarl FHB prise en la personne de Mme [I] soutient principalement ce qui suit :

- les procédures de mandat ad hoc et de conciliation doivent être soumises à une stricte confidentialité qui s'impose aux tiers ;

- cette confidentialité protège, d'une part, la ou les sociétés qui y recourent en permettant d'éviter que les difficultés rencontrées soient portées à la connaissance des clients, des concurrents, des partenaires financiers ou même des assureurs-crédits des fournisseurs et, d'autre part, les créanciers ou partenaires qui ne souhaitent pas que les traitements dérogatoires et les efforts consentis dans le cadre de la mesure de prévention à laquelle ils participent puissent servir de références ultérieures ;

- en l'espèce, les informations relatives aux procédures dont bénéficiaient les sociétés du Groupe Consolis ne relevaient aucunement d'un débat public d'intérêt général ; la société Mergermarket Limited tente d'entretenir une confusion entre le caractère d'intérêt général que peuvent présenter des articles de presse relatifs aux difficultés d'entreprises sous LBO et les données factuelles, chiffrées et circonstanciées échangées dans le cadre d'une négociation particulière engagée avec les créanciers ;

- malgré les avertissements adressés par Mme [I], la révélation d'informations strictement confidentielles et protégées par le secret professionnel s'est poursuivie.

SUR CE, LA COUR

Aux termes de l'article 873 du code de procédure civile, le président du tribunal de commerce peut, dans les limites de la compétence de ce tribunal et même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.

Dans l'affaire en examen, les sociétés du groupe Consolis et la Selarl FHB font grief à la société Mergermarket Limited d'avoir publié sur son site internet [Site Web 1] des articles contenant les informations couvertes par la confidentialité prévue par l'article L. 611-15 du code de commerce.

L'article 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, qui consacre le droit fondamental à la liberté d'expression, lequel comprend la liberté de recevoir ou de communiquer des informations, dispose à son paragraphe 2 que l'exercice de cette liberté peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, notamment, pour empêcher la divulgation d'informations confidentielles.

Aux articles L. 611-1 et suivants du code de commerce, le législateur a prévu une procédure en faveur des entreprises qui rencontrent des difficultés économiques ou financières susceptibles de compromettre la poursuite de leur activité leur permettant d'obtenir la désignation d'un mandataire ad hoc ou d'un conciliateur chargé de trouver un accord avec leurs créanciers.

L'article L. 611-15 du code de commerce prévoit que toute personne qui est appelée à la procédure de conciliation ou à un mandat ad hoc ou qui, par ses fonctions, en a connaissance est tenue à la confidentialité.

Le caractère confidentiel des procédures de prévention des difficultés des entreprises imposé par cette disposition fait obstacle à leur diffusion par voie de presse à moins qu'elle ne contribue à la nécessité d'informer le public sur une question d'intérêt général.

Contrairement à ce que l'appelante soutient, cette interprétation de la portée de l'article L 611-15, précité, ne saurait être qualifiée de contra legem. En effet, il ressort de cet article qu'il vise à conférer un caractère confidentiel aux informations qu'il couvre indépendamment des personnes qu'il cite comme étant tenues à l'obligation de confidentialité.

L'interprétation défendue par l'appelante, selon laquelle ce texte ne viserait que les personnes qu'il cite et n'édicterait ainsi qu'une obligation à l'égard de ces personnes, irait manifestement à l'encontre du but poursuivi par ce texte.

Ainsi, comme les intimées l'ont fait valoir, l'obligation de confidentialité qu'il prévoit a pour objet d'assurer l'effectivité des procédures de préventions des difficultés des entreprises prévues par les articles L 611-1 et suivants du code de commerce. Elle vise ainsi, d'une part, à éviter que la situation de l'entreprise qui décide de recourir à une telle procédure ne soit connue des tiers, fournisseurs, clients et concurrents et, partant, que ses difficultés soient aggravées. Elle tend, d'autre part, à favoriser le succès de la négociation en assurant aux créanciers ou partenaires que les traitements dérogatoires et les efforts qu'ils auront consentis dans le cadre de celle-ci ne puissent servir de références ultérieures.

Il importe donc, afin d'assurer l'effet utile de l'article L. 611-15 du code de commerce et, partant, des procédures de mandat ad hoc et de conciliation prévues aux articles L. 611-1 et suivants, que l'obligation de confidentialité qu'il énonce soit comprise comme visant également les tiers et, en particulier, les organes de presse qui, par le biais d'une violation de cette obligation, ont eu connaissance d'informations qu'elle vise à protéger.

En d'autres termes, l'argumentation de l'appelante, selon laquelle le devoir de confidentialité ne serait pas attaché à l'information mais aux personnes énumérées à l'article L. 611-15 n'apparaît pas pertinente dans la mesure où l'obtention, par un organe de presse, d'informations échangées dans le cadre d'une procédure de prévention, procède selon toute vraisemblance de la violation par une de ces personnes de son obligation de confidentialité.

Il résulte également des considérations qui précèdent qu'aucune conséquence déterminante pour la portée de l'article L. 611-15 ne saurait être tirée du libellé de l'article L 2325-5 du code du travail, qui vise expressément les 'informations revêtant un caractère confidentiel'.

Il s'ensuit que l'article L. 611-15 du code de commerce constitue une restriction prévue par la loi pour empêcher la divulgation d'informations confidentielles au sens de l'article 10, § 2, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

L'interprétation de la portée de cet article retenue ci-dessus, selon laquelle le caractère confidentiel des procédures de prévention des difficultés des entreprises imposé par l'article L 611-15 du code de commerce fait obstacle à leur diffusion par voie de presse à moins qu'elle ne contribue à la nécessité d'informer le public sur une question d'intérêt général, n'enfreint pas non plus l'exigence de prévisibilité à laquelle la Cour européenne des droits de l'homme a subordonné la validité d'une restriction au sens de l'article 10, § 2, précité.

En effet, au regard du libellé de l'article L. 611-15, précité, de l'objectif qu'il poursuit tel qu'il a été exposé ci-dessus et de l'enjeu qui s'attache aux procédures de prévention amiables, à savoir le sauvetage d'une entreprise avec toutes ses conséquences en matière d'emplois directs ou dérivés, il ne saurait être soutenu que la dite interprétation était imprévisible.

Enfin, cette interprétation de l'article L. 611-15 du code de commerce n'est pas susceptible de compromettre le résultat prescrit par la directive 2016/943/UE du 8 juin 2016 sur la protection des savoir-faire et des informations commerciales non divulgués (secrets d'affaires) contre l`obtention, l'utilisation et la divulgation illicites.

L'objectif de cette directive, ainsi qu'il est énoncé à son onzième considérant, est d'établir des règles communes en matière de protection des secrets d'affaires et de lutter contre la divulgation illicite d'informations confidentielles.

Ainsi que l'appelante le souligne, il est indiqué au 19ème considérant de celle-ci qu'il est essentiel que l'exercice du droit à la liberté d'expression et d'information, qui englobe la liberté et le pluralisme des médias, ne soit pas restreint, notamment en ce qui concerne le journalisme d'investigation.

L'article 5 de la directive prévoit, à cet égard, que les États membres devront veiller à ce qu'une demande ayant pour objet l'application des mesures, procédures et réparations prévues par la présente directive soit rejetée lorsque l'obtention, l'utilisation ou la divulgation alléguée du secret d'affaires a eu lieu pour exercer le droit à la liberté d'expression et d'information établi dans la Charte, y compris le respect de la liberté et du pluralisme des médias.

Cependant, le droit à la liberté d'expression et d'information consacré à l'article 11 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne est susceptible de faire l'objet de restrictions dans les conditions énoncées à l'article 52 de celle-ci, lorsqu'elles sont prévues par la loi, dans le respect du principe de proportionnalité, si elles sont nécessaires et si elles répondent effectivement à des objectifs d'intérêt général reconnus par l'Union ou au besoin de protection des droits et libertés d'autrui.

Ces conditions de la validité des restrictions pouvant être apportées à la liberté de la presse ne diffèrent pas de celles qui résultent de l'article 10 § 2 de la Convention européenne et l'exigence de proportionnalité est également pris en compte dès lors qu'il est admis que la publication d' informations confidentielles par application de l'article L 611-15 du code de commerce ne constitue pas un trouble manifestement illicite au regard de la liberté d'informer du journaliste si les informations diffusées relèvent d'un débat d'intérêt général.

La publication par un organe de presse d'informations couvertes par l'article L. 611-15 du code de commerce est donc susceptible de constituer un trouble manifestement illicite et d'entraîner un risque de dommage imminent.

Il ressort ensuite de l'examen des pièces produites par les intimées que l'appelante a mis en ligne sur le site debtwire les articles suivants :

- le 18 juillet 2012 à 16h08, alors que Maître [I] avait été désignée mandataire ad hoc par ordonnance en date du 11 juillet, un article faisant mention de cette nouvelle désignation et comportant de nombreux résultats chiffrés du groupe Consolis ;

- le 26 juillet 2012 à 14h53, alors qu'une nouvelle réunion s'était tenue le 24 juillet 2012 au cours de laquelle le mandataire ad hoc avait rappelé les obligations des participants en matière de confidentialité, un article relatant le déroulement de celle-ci, citant de nombreuses données chiffrées relatives aux résultats et aux engagements financiers du groupe Consolis et exposant les demandes faites aux créanciers ;

- le 9 août 2012 à 18 heures 02, un article indiquant que des prêteurs seniors de Consolis, nommément désignés, avaient organisé un groupe de travail informel et faisant le point sur l'état des discussions relativement à la restructuration de la dette ainsi que la situation financière de Consolis ;

- le 7 septembre 2012 à 17 heures 31, un article relatant l'état des négociations entre les parties à la procédure sous l'égide du mandataire ad hoc ;

- le 25 septembre 2012, dès le lendemain d'une réunion organisée entre les sociétés du groupe Consolis et ses prêteurs, un article dans lequel il est mentionné que, lors de celle-ci, la procédure est passée d'un mandat ad hoc à une conciliation, l'état des négociations entre les parties, de nombreuses données chiffrées relatives à la situation financière du groupe Consolis, les intentions des parties ainsi qu'un calendrier estimatif ;

- le 17 octobre 2012, malgré la mise en demeure adressée par le conciliateur le 4 octobre 2012, un dossier de huit pages concernant les sociétés du groupe Consolis, retraçant la procédure de conciliation engagée par les sociétés du groupe, citant les résultats obtenus ainsi que les négociations engagées avec les prêteurs.

En outre, dans tous les articles précités, il est fait référence à des 'sources' afin d'accréditer l'exactitude de leur contenu dans des termes qui donnent à penser qu'il s'agit de personnes qui participent aux négociations menées par le mandataire ad hoc puis le conciliateur.

Ces articles, au vu de leur contenu et de la proximité de la date de leur parution au regard de celles des réunions organisées par le mandataire ad hoc puis le conciliateur, enfreignent manifestement l'obligation de confidentialité prévue par l'article L 611-15 du code de commerce.

L'appelante conteste cette analyse au motif que de nombreuses informations relatives à la procédure de prévention litigieuse avaient été publiées antérieurement dans d'autres sites de la presse spécialisée.

Cependant, les articles cités par Mergermarket Limited ne retracent pas comme l'ont fait les siens le déroulement, au fur et à mesure des réunions tenues dans le cadre de la procédure de prévention amiable, des négociations en cours dans le cadre de celle-ci avec des données chiffrées très précises fournies par des 'sources' participant à cette procédure.

Les articles diffusés par d'autres sites ou organes de presse cités par Mergermarket Limited font simplement état des difficultés du groupe Consolis avant l'ouverture de la première procédure de mandat ad hoc, le résultat de celle-ci et l'existence de nouvelles difficultés en juillet 2012.

L'appelante soutient encore que ses articles répondaient à un objectif légitime d'informer dans un débat d'intérêt général. Il était légitime, selon elle, que le public soit informé des difficultés rencontrées par un groupe de la taille de Consolis, lesquelles constitueraient une menace pour l'emploi et toute l'économie.

Mais cette simple affirmation de principe, au regard des indications qui précèdent, ne saurait constituer une contestations sérieuse.

L'appelante ne justifie pas, en effet, en quoi il pouvait être conforme à l'intérêt général et, en particulier, à la défense de l'emploi et de l'économie de rendre public, à tout le moins de porter à la connaissance de ses abonnés, un compte rendu en temps réel du déroulement et du contenu des négociations de la procédure de prévention amiable ouverte au bénéfice des sociétés du groupe Consolis.

C'est précisément la préservation de l'emploi et la défense de l'économie que la confidentialité de la procédure de prévention amiable ouverte au bénéfice de ces sociétés visait à assurer.

Il s'avère donc, avec l'évidence requise en référé, que ces articles ne pouvaient que compromettre l'issue de cette procédure et fragiliser la situation des sociétés du groupe Consolis et, partant, qu'ils constituaient un trouble manifestement illicite.

La circonstance, à cet égard, que la procédure de prévention amiable s'est terminée par une conciliation courant mars 2013 ne saurait mettre en cause cette analyse, tant il est vrai que le simple constat qu'une conciliation est intervenue n'exclut pas que le contenu de celle-ci soit plus défavorable aux sociétés du groupe Consolis que ce qu'il aurait été si la confidentialité avait été respectée et que les relations des sociétés du groupe Consolis avec leurs partenaires se sont dégradées de manière significative.

Enfin, les mesures réclamées par les intimées et ordonnées par le premier juge ne sont pas disproportionnées dans la mesure où elles visent exclusivement les articles contenant les informations couvertes par la confidentialité au titre des procédures de prévention concernant le groupe Consolis.

L'ordonnance attaquée a aussi débouté le groupe Consolis de ses demandes au titre du paiement d'une provision et de désignation d'un expert mais l'intimée n'a pas fait d'appel incident de ce chef, de sorte que la cour, saisie d'aucune demande à ce titre, confirmera ladite ordonnance sur ce point.

Le premier juge a également fait une application équitable de l'article 700 du code de procédure civile et fondée de l'article 696 du même code.

Il s'ensuit que l'ordonnance attaquée doit être confirmée en toutes ses dispositions.

L'équité commande de décharger les parties intimées des frais non répétibles qu'elles ont été contraintes d'exposer en cause d'appel comme il est dit dans le dispositif.

L'appelante, qui succombe à cette instance, devra supporter les dépens.

PAR CES MOTIFS

CONFIRME en toutes ses dispositions l'ordonnance rendue le 16 novembre 2012 par le président du tribunal de commerce de Nanterre ;

Ajoutant à celle-ci,

CONDAMNE la société Mergermarket Limited à payer en application de l'article 700 du code de procédure civile la somme globale de 20 000 euros aux sociétés du groupe Consolis intimées et la somme de 5 000 euros à la Selarl FHB ;

CONDAMNE la société Mergermarket Limited aux dépens.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 1 - chambre 2
Numéro d'arrêt : 16/02849
Date de la décision : 20/04/2017

Références :

Cour d'appel de Paris A2, arrêt n°16/02849 : Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2017-04-20;16.02849 ?
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