RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 5
ARRÊT DU 30 Mars 2017
(n° , 6 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : S 15/09069
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 20 Août 2015 par le Conseil de Prud'hommes de MELUN RG n° 13/01106
APPELANTE
Madame [C] [Y]
[Adresse 1]
[Localité 1]
née le [Date naissance 1] 1973 à [Localité 2]
représentée par Me Bérengère MOULIN, avocat au barreau de PARIS, toque : B0156 substitué par Me Sophie RAKOTOARINOHATRA, avocat au barreau de PARIS, toque : D2114
(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 2015/049302 du 09/12/2015 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de PARIS)
INTIMEE
Association TUTELAIRE DE SEINE ET MARNE
[Adresse 2]
[Localité 3]
représentée par Me Eric APPFEL, avocat au barreau de PARIS, toque : E0508
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 9 février 2017, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Mariella LUXARDO, Présidente.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Madame Mariella LUXARDO, présidente
Monsieur Stéphane MEYER, conseiller
Madame Isabelle MONTAGNE, conseillère
Greffier : Madame Christelle RIBEIRO, lors des débats
ARRET :
- contradictoire
- mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.
- signé par Madame Mariella LUXARDO, présidente et par Madame Christine LECERF, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Mme [Y] a été engagée par l'association tutélaire de Seine-et-Marne à compter du 29 janvier 2007 en qualité de déléguée à la protection des majeurs.
Le salaire de référence, non contesté, est de 2.173,27 € bruts.
La convention collective applicable est celle des établissements et services pour personnes inadaptées et handicapées du 15 mars 1966.
Mme [Y] a reçu une mise à pied disciplinaire le 17 avril 2012, puis convoquée à un entretien préalable le 5 mars 2013 avec mise à pied conservatoire et licenciée pour faute grave le 20 mars 2013.
Elle a saisi le conseil de prud'hommes de Melun aux fins de contester la sanction disciplinaire du 17 avril 2012 et son licenciement.
Par jugement du 20 août 2015, le conseil de prud'hommes de Melun a rejeté l'ensemble de ses demandes.
Mme [Y] a interjeté appel de cette décision.
Par écritures visées par le greffier et soutenues oralement, Mme [Y] demande à la cour de :
Infirmer le jugement,
Statuant à nouveau,
Annuler la sanction disciplinaire du 17 avril 2012,
Dire que le licenciement est sans cause réelle et sérieuse,
En conséquence,
Condamner l'association tutélaire de Seine-et-Marne à lui payer les sommes suivantes :
* 300,91 € au titre de la mise à pied du 17 avril 2012,
* 30 € au titre des congés payés afférents,
* 1.203,62 € au titre de la mise à pied du 4 au 20 mars 2013,
* 120,36 € au titre des congés payés afférents,
* 4.346,54 € au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,
* 434,65 € au titre des congés payés afférents,
* 6.881,99 € au titre de l'indemnité conventionnelle de licenciement,
* 32.600 € à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
* 3.000 € en application de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991,
Ordonner la remise des documents de travail conformes.
Par écritures visées par le greffier et soutenues oralement, l'association tutélaire de Seine-et-Marne demande à la cour de :
Confirmer le jugement,
Y ajoutant,
Condamner Madame [Y] au paiement de la somme de 1.500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, la cour renvoie aux conclusions déposées et soutenues à l'audience, conformément à l'article 455 du code de procédure civile.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur le bien-fondé des griefs imputés les 17 avril 2012 et 20 mars 2013
La lettre du 17 avril 2012 qui prononce à l'encontre de Mme [Y] une mise à pied disciplinaire de trois jours, est fondée sur deux griefs :
- dossier de Mme [L] [Q] : paiement tardif après plusieurs relances de la note d'honoraires de l'avocat Me [M] ;
- le 25 février 2012, entrée dans les locaux de l'association à 21h30.
Concernant le premier grief, Mme [Y] conteste son refus de payer la note d'honoraires de Me [M] . Elle fait valoir qu'il y a eu un échange avec son responsable sur le paiement de la note qui était élevée, que la majeure ne disposait pas de liquidités pour payer et que la note a été réglée lorsque l'accord de la majeure protégée a été obtenu le 23 mars 2012.
L'association tutélaire de Seine-et-Marne soutient en réplique, que Mme [Y] a pris l'initiative de mandater un autre avocat alors qu'elle avait reçu instruction de payer la note de Me [M], ce qui a crée un climat de défiance à l'égard de cet avocat, et alors que les compte de la majeure protégée permettait d'honorer le paiement.
Concernant le deuxième grief, Mme [Y] fait valoir qu'elle a dû entrer dans les locaux de l'association un samedi matin car elle devait accomplir une démarche urgente dans l'intérêt d'un majeur et ajoute qu'il était habituel que les délégués puissent accéder aux locaux en dehors des heures de travail.
L'association tutélaire de Seine-et-Marne soutient que Mme [Y] est entrée dans les locaux le samedi à 21h30 ce qui a déclenché l'alarme, et ce en violation du règlement intérieur, sans y avoir été autorisée par un membre de la direction.
La lettre de licenciement du 20 mars 2013 est également fondée sur deux griefs :
- dossier de M. [W] [A] : absence totale de démarches depuis l'ouverture de la mesure de protection depuis 18 mois : défaut d'information des organismes bancaires, d'ouverture d'un compte de fonctionnement, d'entretien avec le majeur, d'inventaire des biens, de compte-rendu d'entretien, et ce alors qu'il existait un risque de spoliation par sa fille ;
- paiements pour le compte des majeurs protégés supérieurs au plafond de 750 €, le 11 décembre 2012 pour M. [A], et le 20 février 2013 pour M. [C].
Concernant le premier grief, Mme [Y] conteste les griefs et fait valoir qu'elle avait rencontré M. [A] à plusieurs reprises, en précisant qu'il avait été convenu avec son chef de service et avec le juge des tutelles de lui laisser son chéquier. Par ailleurs, elle fait valoir que les paiements supérieurs au plafond de 750 €, avaient été autorisés par l'association.
L'association tutélaire de Seine-et-Marne se prévaut des griefs visés dans la lettre du 20 mars 2013 en observant qu'aucune démarche n'avait été faite en faveur de M. [A] 18 mois après l'ouverture de la mesure de protection et conteste avoir donné les autorisations pour effectuer les paiements supérieurs au plafond de 750 €.
La cour relève que les griefs reprochés à Mme [Y] tant dans la lettre du 17 avril 2012, que dans la lettre de licenciement constituent des violations délibérées de la salariée à ses obligations professionnelles qui ont donné lieu à des sanctions disciplinaires.
Il appartient à l'employeur de rapporter la preuve de la matérialité des fautes imputées à Mme [Y], lesquelles n'apparaissent pas caractérisées au vu des pièces produites par les parties.
A titre liminaire, il convient de relever que Mme [Y] communique des pièces qui attestent des difficultés de fonctionnement de l'association sur la période considérée, avec notamment des conflits importants ayant surgi entre le directeur général de l'association et les institutions représentatives du personnel, et que plusieurs salariés avaient fait l'objet de licenciements contestés devant les juridictions prud'homales.
Aussi, Mme [Y] avait communiqué dès le première instance une attestation de son responsable de service M. [O], datée du 20 octobre 2014, l'audience du bureau de jugement s'étant déroulée le 8 avril 2015, aux termes de laquelle la salariée 'avait toujours respecté les règles établies par l'association, qu'elle était bien intégrée à l'équipe, et avait dû surmonter comme tous ses collègues des difficultés soudaines qui avaient perturbé la bonne marche des dossiers, qu'elle avait su s'adapter pour rétablir les situations.'
En appel, Mme [Y] communique une attestation de M. [O], datée du 24 janvier 2017, qui indique qu'étant à la retraite depuis le 1er juillet 2015, il peut témoigner librement, sans craindre les représailles du directeur général M. [K].
M. [O] atteste que Mme [Y] avait laissé le chéquier à M. [A] avec son accord et celui du juge des tutelles. Pour les paiements supérieurs au plafond, comme pour l'entrée dans les locaux de l'association en dehors des heures d'ouverture, M. [O] atteste que les délégués peuvent faire ces actes avec l'autorisation de leur responsable, et que Mme [Y] était l'une des délégués avec laquelle il avait le plus de relations et qu'elle lui demandait son avis.
Par ailleurs, une élue secrétaire du CHSCT de l'association, atteste du climat social très conflictuel existant au sein de l'association entre octobre 2011 et février 2014, et du fait que Mme [Y] aurait été 'la cible' du directeur général avec d'autres salariés.
D'autres salariées ont établi des attestations sur l'honneur dans le même sens, l'association tutélaire de Seine-et-Marne ne donnant aucune contradiction sur le contexte existant au sein de l'association sur la période des faits imputés à Mme [Y] entre février 2012 et mars 2013.
Compte tenu de ces éléments de contexte, la cour n'a pas trouvé dans les pièces produites par l'association la preuve des fautes imputées à la salariée.
S'agissant du dossier de Mme [L] [Q], les pièces produites établissent qu'il existait un débat au sein de l'équipe sur la nécessité de maintenir Me [M] et de payer la facture d'honoraires du 12 janvier 2012 d'un montant de 5.980 euros alors que l'avocat avait déjà perçu la somme de 33.987,88 € en 2010 et 2011.
Les échanges de mails démontrent que Mme [Y] qui argumentait pour proposer un changement de conseil courant février 2012, compte tenu de la qualité des prestations au regard de l'importance des frais, s'est vue notifier le 13 mars 2012 une injonction de payer la note d'honoraires, émanant du juriste de l'association.
Mme [Y] expose que la facture a été payée le 21 mars 2012, après l'accord recueilli auprès de la majeure protégée, l'association ne produisant pas d'élément de preuve contraire.
Au vu de ces éléments, la cour relève que Mme [Y] a respecté cette injonction et qu'à tout le moins, elle agissait dans le cadre de ses fonctions de mandataire judiciaire et ce dans l'intérêt de la majeure protégée, pour apprécier l'opportunité d'engager une dépense importante.
Le prononcé d'une sanction disciplinaire dans ces conditions n'était pas fondé.
S'agissant de l'entrée dans les locaux de l'association le 25 février 2012 à 21h30, il n'est pas produit de pièce probante à l'exception du règlement intérieur de l'association qui subordonne les entrées dans les locaux en dehors des heures d'ouverture, à l'autorisation du chef de service.
Compte tenu de l'attestation délivrée par M. [O], il convient de considérer que la salariée avait obtenu cette autorisation alors au surplus qu'il n'est pas contesté que cette démarche avait été faite dans l'intérêt d'un majeur protégé.
S'agissant des griefs imputés dans le cadre du licenciement, et en particulier du suivi de M. [W] [A], l'association tutélaire produit seulement les pièces issues du dossier du tribunal d'instance, à savoir le signalement de l'assistante sociale, le rapport du médecin spécialiste et l'ordonnance du juge des tutelles désignant l'ATSM en date du 3 octobre 2011.
Il n'est produit aucun élément de preuve sur le défaut de suivi de la mesure, telle qu'une relance du juge des tutelles ou de la famille, ni même d'une relance interne au service avant la mise en oeuvre de la procédure de licenciement le 4 mars 2013.
La cour relève en outre une contradiction dans les griefs imputés à la salariés, entre le reproche de ne pas avoir mis en place la mesure, et le paiement d'une facture de 1.273 € le 11 décembre 2012 dans l'intérêt de M. [A].
M. [O] atteste qu'au moment du licenciement, il n'avait pas été mis en place des procédures internes concernant l'ouverture des dossiers, et que Mme [Y] avait agi avec son accord et celui du juge des tutelles.
M. [O] atteste également que tous les délégués faisaient des paiements pour des montants supérieurs à
750 €, avec son accord, l'association ne produisant aucun élément de preuve d'un refus d'autorisation pour les paiements faits pour le compte de M. [A] et de M. [C].
Enfin, l'association tutélaire de Seine-et-Marne ne produit aucun élément défavorable à l'encontre de Mme [Y], qui avait six ans d'ancienneté au moment du licenciement, émanant d'une autre institution sociale, des familles ou du juge des tutelles.
En définitive, en considération de ces éléments, la matérialité des faits à l'origine de la mise à pied disciplinaire du 17 avril 2012 et du licenciement, n'est pas établie.
Il convient par suite d'annuler la sanction disciplinaire et de dire que le licenciement n'est pas fondé sur une cause réelle et sérieuse.
Par suite, le jugement sera infirmé dans toutes ses dispositions.
Sur les conséquences financières
Mme [Y] est en droit d'obtenir le paiement des rappels de salaire correspondant aux mises à pied, ainsi que les indemnités de rupture de son contrat.
S'agissant de l'indemnisation du licenciement sans cause réelle et sérieuse, au vu des éléments de la cause, et notamment de la durée de son emploi au sein de l'association tutélaire de Seine-et-Marne et du contexte brutal de la rupture, Mme [Y] doit se voir octroyer la somme de 20.000 €.
Sur le remboursement des indemnités de chômage versées àMme [Y]
Les dispositions de l'articles L.1235-3 du code du travail étant dans le débat, la cour a des éléments suffisants pour fixer à 6 mois le montant des indemnités versées à Mme [Y], à rembourser par l'association tutélaire de Seine-et-Marne en application de l'article L. 1235-4 du code du travail aux organismes concernés, parties au litige par l'effet de la loi.
Sur l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991
Il convient d'accorder à Mme [Y] une indemnité de 3.000 € sur le fondement de ce texte.
PAR CES MOTIFS
LA COUR,
Statuant par arrêt réputé contradictoire, mis à disposition et en dernier ressort,
Infirme le jugement du 20 août 2015 en toutes ses dispositions,
Statuant à nouveau,
Annule la mise à pied disciplinaire du 17 avril 2012,
Dit que le licenciement de Mme [Y] par l'association tutélaire de Seine-et-Marne n'est pas fondé sur une cause réelle et sérieuse,
Condamne en conséquence l'association tutélaire de Seine-et-Marne à payer à Mme [Y] les sommes suivantes :
* 300,91 € au titre de la mise à pied du 17 avril 2012,
* 30 € au titre des congés payés afférents,
* 1.203,62 € au titre de la mise à pied du 4 au 20 mars 2013,
* 120,36 € au titre des congés payés afférents,
* 4.346,54 € au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,
* 434,65 € au titre des congés payés afférents,
* 6.881,99 € au titre de l'indemnité conventionnelle de licenciement,,
ces sommes produisant des intérêts au taux légal à compter de la réception de la convocation de l'association tutélaire de Seine-et-Marne devant le Bureau de conciliation
* 20.000 € à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
cette somme produisant des intérêts au taux légal à compter de cet arrêt,
Ordonne la remise par l'association tutélaire de Seine-et-Marne des documents sociaux conformes à cette décision,
Ordonne le remboursement par l'association tutélaire de Seine-et-Marne à Pôle Emploi, des indemnités de chômage versées à Mme [Y] dans la limite de 6 mois,
Rejette les autres demandes des parties,
Condamne l'association tutélaire de Seine-et-Marne aux entiers dépens et à payer àMme [Y] une indemnité de 3.000 € sur le fondement de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT