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29/03/2017 | FRANCE | N°13/08046

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 10, 29 mars 2017, 13/08046


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS







COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 10



ARRÊT DU 29 Mars 2017



(n° , 9 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : S 13/08046



Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 29 Juillet 2013 par le Conseil de Prud'hommes de PARIS RG n° 12/10763





APPELANTE

Madame [D] [Q]

née le [Date naissance 1] 1973 à [Localité 1]

[Adresse 1]

[Adresse 1]

[Adresse 1]

reprÃ

©sentée par Me Stéphane LAUBEUF, avocat au barreau de PARIS, toque : P0083 substitué par Me Pauline OLEWNICZAK, avocat au barreau de PARIS





INTIMEE

CARMF - CAISSE AUTONOME DE RETRAITE DES MEDECINS DE ...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 10

ARRÊT DU 29 Mars 2017

(n° , 9 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : S 13/08046

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 29 Juillet 2013 par le Conseil de Prud'hommes de PARIS RG n° 12/10763

APPELANTE

Madame [D] [Q]

née le [Date naissance 1] 1973 à [Localité 1]

[Adresse 1]

[Adresse 1]

[Adresse 1]

représentée par Me Stéphane LAUBEUF, avocat au barreau de PARIS, toque : P0083 substitué par Me Pauline OLEWNICZAK, avocat au barreau de PARIS

INTIMEE

CARMF - CAISSE AUTONOME DE RETRAITE DES MEDECINS DE FRANCE

[Adresse 2]

[Adresse 2]

représenté par Me Denis PELLETIER, avocat au barreau de PARIS, toque : R006

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 07 Février 2017, en audience publique, devant la Cour composée de :

Madame Sylvie HYLAIRE, Président de chambre

Madame Françoise AYMES-BELLADINA, conseiller

Madame Stéphanie ARNAUD, vice président placé faisant fonction de conseiller par ordonnance du Premier Président en date du 28 novembre 2016

qui en ont délibéré

Greffier : Mme Caroline CHAKELIAN, lors des débats

ARRET :

- contradictoire

- prononcé par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Madame Sylvie HYLAIRE, président de chambre et par Madame Christelle RIBEIRO, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSÉ DU LITIGE

Selon un contrat à durée indéterminée le 1er avril 2008, Madame [D] [Q] a été engagée, en qualité de gestionnaire de retraite au sein du service prestations-réversions, par la Caisse autonome de retraite des médecins de France, ci-après dénommée CARMF.

La CARMF est une institution de sécurité sociale qui gère, conformément aux articles L. 641-1 et L. 642-1 du code de la sécurité sociale, les régimes légaux d'assurance vieillesse et invalidité-décès obligatoires des médecins. Elle emploie plus de 10 salariés et applique un accord collectif d'entreprise du 1er octobre 1995.

Par courrier en date du 6 novembre 2011, remis en mains propres par un représentant du personnel, Madame [Q] a informé le directeur de la caisse du 'profond malaise qui se serait installé dans le service au sein du duquel elle exerçait ses fonctions' et a demandé un changement d'affectation. La CARMF a répondu, par courrier en date du 15 mars 2012, à Madame [Q] qu'il n'existait pas d'emploi disponible au sein de l'entreprise qu'elle serait susceptible d'occuper.

Le 22 mars 2012, Madame [Q] réitérait ses doléances auprès du directeur de la caisse et communiquait son courrier à l'inspection du travail.

Madame [Q] a été placée en arrêts de travail régulièrement renouvelés à compter du 6 janvier 2012.

Convoquée le 17 avril 2012 à un entretien préalable fixé au 27 avril suivant, Madame [Q] a été licenciée, par lettre recommandée avec accusé de réception du 23 mai 2012, pour absences répétées perturbant le bon fonctionnement de l'entreprise et nécessitant son remplacement définitif. Madame [Q] a été dispensée d'exécuter son préavis de deux mois.

Madame [Q] a saisi le conseil des prud'hommes de Paris le 1er octobre 2012 d'une contestation de son licenciement et a soutenu avoir été victime de faits constitutifs de harcèlement moral.

Par jugement rendu le 29 juillet 2013, le Conseil des prud'hommes de Paris a débouté Madame [Q] de l'ensemble de ses demandes et l'a condamnée aux dépens.

Madame [Q] a relevé appel par lettre recommandée avec avis de réception adressée le 20 août 2013 et demande à la cour d'infirmer le jugement rendu par le conseil des prud'hommes de Paris en toutes ses dispositions, de dire que son licenciement est nul ou sans cause réelle et sérieuse et de condamner la CARMF à lui payer les sommes suivantes, assorties des intérêts à taux légal à compter de la date de saisine de conseil et avec exécution provisoire :

- 207,75 € au titre du rappel de prime de vacances outre 20,80 € au titre des congés payés afférents,

- 667,58 € au titre du rappel de prime de gestion outre 66,75 € au titre des congés payés afférents,

- 817,20 € à titre de rappel de la prime d'assiduité outre 81,72 € au titre des congés payés afférents,

- 2.026,73 € au titre du rappel de préavis outre 202,70 € au titre des congés payés afférents,

- 25.000 € à titre de dommages et intérêts en application de l'article L. 1152-1 du code du travail,

- 25.000 € à titre de dommages et intérêts en application de l'article L. 1152-4 du code du travail,

- 50.000 € au titre de l'indemnité pour licenciement nul et subsidiairement sans cause réelle et sérieuse,

- 2.500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Madame [Q] sollicite également la délivrance des documents de fin de contrat conformes à la décision à intervenir, sous astreinte de 50 €, par document et par jour de retard, à compter du délai d'un mois suivant la notification du jugement, le conseil se réservant le droit de liquider l'astreinte.

La CARMF demande à la cour, de confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions, de débouter en conséquence Madame [Q] de ses demandes et de la condamner aux dépens de première instance que d'appel.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens et des prétentions des parties, la Cour se réfère à leurs conclusions visées par le greffier et développées lors de l'audience des débats.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur le harcèlement moral

L'employeur, tenu d'une obligation de sécurité de résultat, doit assurer la protection de la santé des travailleurs dans l'entreprise et notamment prévenir les faits de harcèlement moral.

Dès lors que de tels faits sont avérés, la responsabilité de l'employeur est engagée, ce dernier devant répondre des agissements des personnes qui exercent de fait ou de droit une autorité sur les salariés.

Selon les dispositions de l'article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

L'article L. 1154-1 prévoit, qu'en cas de litige, si le salarié concerné présente des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement et, au vu de ces éléments, il incombe à l'employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.

Au soutien de ses prétentions, Madame [Q] invoque les faits suivants :

- la division prestations-réversions dans laquelle elle était affectée était, comme celle de la division allocataires, organisée autour d'un système de management autoritariste, reposant sur la dévalorisation, l'intimidation et l'humiliation de ses salariés ;

- elle devait supporter des corrections gratuites et incessantes de ses supérieurs hiérarchiques, consistant à lui faire systématiquement refaire 3, 4 voire 5 fois un courrier type, pourtant validé précédemment, les corrections portant sur des motifs futiles, chaque relecture étant l'occasion de nouvelles corrections tout aussi inutiles et injustifiées en sorte que les courriers mettaient plusieurs semaines voire plusieurs mois avant d'être validés ;

- elle devait faire face à une charge de travail écrasante, devant remplacer de nombreux salariés absents ainsi qu'une secrétaire ayant démissionné et n'ayant pas été remplacée ;

- cette situation avait été dénoncée par les représentants du personnel ;

- lorsqu'elle a attiré l'attention de sa hiérarchie, elle a été victime de représailles consistant à lui retirer des délégations de signature,

- elle subissait des pressions de Mesdames [J] et [I], ses supérieures hiérarchiques, pour l'inciter à démissionner,

- la direction n'a pas donné suite à sa demande de changement de poste alors même qu'il y avait des emplois disponibles susceptibles de lui être proposés,

- cette situation a provoqué la dégradation de son état de santé.

Pour étayer ses affirmations, Madame [Q] produit notamment les pièces suivantes :

- 9 courriers comportant des corrections,

- des attestations de Mesdames [O], [G] et [S], anciennes collègues du même service, et celles de Mesdames [K], [E] et de Monsieur [D], anciens collègues du service allocataires, qui évoquent avoir été victimes de faits similaires à ceux invoqués par Madame [Q], notamment dans les termes suivants :

* Madame [G], employée d'avril à octobre 2008 au service prestations-reversions déclare : 'Lors des retours de corrections, les courriers étaient constamment revus et modifiés alors qu'il s'agissait de courriers types que j'utilisais. Au début, je mettais ces mauvais retours sur la période de formation mais les mois s'écoulaient et il y avait toujours autant de corrections. De plus Mme [Y] optait pour un ton humiliant et me rabaissant. Ces termes exacts étaient les suivants : 'ce travail n'est ni fait, ni à faire !', 'Vous ne comprenez donc rien'. Je venais au travail le ventre noué dès le matin ...Le comportement de Mme [Y] ne choquait a priori personne puisque tout le monde l'acceptait par résignation. Et bien que je puisse accepter des remontrances sur mon travail, je ne pouvais accepter cette façon de faire. De ce fait, plus d'une fois, j'ai également donné mon point de vue et cela m'a valu d'être convoquée auprès de Mme [Z] (chef de la division) pour une mise en garde... Durant cette même période, j'ai adressé un courrier à l'inspection du travail... Mme [A] qui est l'inspectrice qui a suivi de dossier s'est déplacée au sein des locaux afin de rencontrer le personnel. Aucune personne n'a osé témoigner de peur de perdre sa place. Et, d'après les dires, Mme [Z] avait rassemblé tout le personnel avant l'arrivée de Mme [A] en les menaçant que quiconque parlerait serait puni...';

* Madame [S], employée du même service de novembre 2007 à mars 2009, déclare : '...Un employé (dont l'identité ne nous avait pas été communiquée) avait déposé une plainte pour harcèlement moral à l'encontre d'un manager du service. La responsable du service, Madame [Z], qui ne semblait pas non plus connaître l'auteur de la plainte, a alors réuni l'ensemble du personnel de notre service afin de nous informer qu'elle désapprouvait vivement un tel agissement. Lors de cette réunion, Madame [Z] s'exprimait avec colère. Son discours était sans équivoque possible : elle nous demandait de ne pas soutenir la ou les personnes à l'origine d'une telle plainte et nous 'invitait' à ne pas déposer plainte nous aussi.

... Bien que nous croulions littéralement sous le travail (nous avions environ 160 dossiers à gérer en moyenne par personne), nos courriers de réponse faisaient l'objet de corrections successives. Les corrections concernant l'analyse des dossiers étaient bien évidemment justifiées. Cependant, les principales corrections concernaient la mise en forme des courriers. En effet, un courrier pouvait être corrigé et réimprimé pour un saut de ligne, un soulignement, etc... En outre, ces corrections n'étaient pas cohérentes : la mise en forme de courriers validés lors d'envois précédents faisaient également fréquemment l'objet de nouvelles corrections...' ;

* Madame [O], employée du même service, qui a quitté l'entreprise dans le cadre d'une rupture conventionnelle en octobre 2012, après avoir dénoncé des faits de harcèlement, déclare : 'Mes courriers étaient systématiquement corrigés, jusqu'à 6 fois parfois et le vocabulaire devant être utilisé changeait en permanence, bien que mes courriers étaient faits à partir de modèles d'autres courriers précédemment corrigés. La plupart de ces corrections étaient inutiles, injustifiées et infantilisantes. Elles me faisaient perdre totalement confiance en moi. Les conditions de travail étaient extrêmement difficiles à cause d'une surcharge de dossiers anormalement élevés par rapport aux autres gestionnaires..'.

Les attestations émanant des collègues du service allocataires témoignent de faits similaires ;

- des mails de sa supérieure hiérarchique entre octobre 2010 et septembre 2011 relatifs à l'organisation du service qui font apparaître des modifications hebdomadaires de la répartition des tâches ;

- les offres d'emploi affichées dans l'entreprise les 23 janvier 2012 (gestionnaire prévoyance et rédacteur liquidateur) et le 13 février 2012 (assistant recouvrement contentieux), la candidature de Madame [Q] à ce dernier poste qui ne semble avoir reçu aucune réponse ainsi qu'un courrier de l'employeur du 15 mars 2012 qui, faisant réponse à son souhait exprimé à plusieurs reprises de changer de service, lui indique qu'il n'y a aucun emploi disponible qu'elle soit susceptible d'occuper ;

- les comptes-rendus des réunions du comité d'entreprise et du CHSCT où sont évoqués dès 2009 (CE du 25/11/2009), les difficultés des services allocataires et prestations-reversions en terme de charge de travail et d'ambiance, le turn-over très important du personnel dans ces services ainsi que les plaintes de plusieurs salariés quant à leurs conditions de travail ;

* le compte-rendu du CHSCT du 14 décembre 2010 souligne à nouveau ce turn-over au service Prestations-Reversions, le médecin du travail confirmant que les salariés de ce service se plaignent du mal-être au sein de cette division, pouvant aussi être en lien avec leurs interlocuteurs (malades, veuves) et suggérant une évaluation, sur laquelle l'employeur émet des réserves sur ces points qui ne lui 'paraissent fondés sur aucun élément objectif', le compte rendu relatant que certains salariés déclarent ne pouvoir l'exprimer sous peine 'd'être violemment rembarrés verbalement';

* le compte-rendu du CHSCT du 5 avril 2012 où sont directement évoquées les 'corrections répétées, au rouge, des courriers' et où est suggérée la création de 'Books';

* le compte-rendu du CHSCT du 20 novembre 2012 au cours duquel le directeur reconnaît une évolution de la charge de travail importante et indique prévoir une embauche supplémentaire pour le services prestations-reversions ;

- la lettre du 25 avril 2012 de l'inspection du travail sollicitant une enquête sur la situation de Madame [Q] ;

- la lettre du 9 novembre 2012 de l'inspecteur du travail sollicitant des explications de la CARMF sur les 'risques psycho-sociaux' dénoncés par le CHSCT ;

- des documents médicaux ;

Ces éléments laissent présumer l'existence d'un harcèlement moral.

La CARMF conteste tout harcèlement moral et invoque les éléments suivants :

- sur les corrections prétendument abusives et systématiques : elle souligne que la salariée ne produit que 8 courriers, dont elle estime que les corrections étaient justifiées, sur 509 lettres expédiées de janvier 2009 à janvier 2012 outre d'autres travaux écrits ;

- sur la surcharge de travail :

* la CARMF fait observer que Madame [Q] ne traitait pas plus de dossiers que ses collègues et que si la secrétaire de la section où elle travaillait a démissionné, une gestionnaire supplémentaire a été recrutée pour alléger la tâche des gestionnaires en place ;

* les courriels répartissant les tâches étaient destinés à tenir compte des absences ;

* Madame [Q] disposait de délégations de signatures ;

* les emplois publiés ne correspondaient pas à son profil ;

* le lien de causalité entre la dégradation de son état de santé et le harcèlement moral dont elle aurait été victime n'est pas établi par les documents médicaux produits ;

- faute d'établir des faits dont elle aurait été personnellement victime, Madame [Q] invoque un harcèlement managerial que conteste la CARMF :

* des mesures ont été prises pour remédier à la charge de travail (tel que cela a été indiqué dans le courrier en réponse à l'interpellation de l'inspection du travail) et, en décembre 2012, il a été prévu l'embauche d'un salarié ;

* les attestations versées aux débats ne sont pas probantes : Madame [O] avait un problème d'organisation dans son travail, Madame [S] a souhaité réorienté sa carrière et l'enquête menée à la suite de la plainte de Madame [G] n'a pas abouti ;

* le turn-over au sein du service est démenti ;

* plusieurs salariés attestent de bonnes conditions de travail ;

* la CARMF a mis en place le document unique d'évaluation des risques et notamment des risques psycho-sociaux.

Au soutien de ses allégations, la CARMF produit notamment les pièces suivantes :

- les justificatifs de l'embauche d'une secrétaire en septembre 2010 en remplacement de la précédente,

- un tableau récapitulant les entrées et sorties de personnel entre le 1er janvier 2011 et le 30 novembre 2012 faisant apparaître 7 départs et 7 entrées au cours de cette période ;

- les attestations de 18 salariés du service prestations-Reversions ;

- le rapport de Madame [W] concernant Madame [O] ;

- l'enquête réalisée en 2008 par le CHSCT suite à la plainte de Madame [G].

*

Sur la surcharge de travail alléguée par la salariée, la cour relève que les éléments relatés par la salariée ne sont pas contredits par l'employeur : le fait que Madame [Q] ait eu le même nombre de dossiers que les autres employés ne signifie pas que sa charge de travail n'était pas excessive.

Or, d'une part, cette surcharge de travail est dénoncée non seulement par les attestations versées aux débats par la salariée mais également par certains des témoignages produits par l'employeur :

C'est ainsi que Madame [U] indique avoir quitté son emploi en novembre 2010 en raison de la charge de travail conséquente du fait d'une masse de dossiers importante même si elle explique ensuite avoir compris la particularité de ce travail lors de son retour à la CARMF en mai 2011 et la difficulté d'être à l'écoute d'interlocuteurs en situation difficile.

Madame [N] évoque également cette charge de travail et les exigences de leurs interlocuteurs.

Les contraintes particulières du service ont d'ailleurs été relayées, dans le compte-rendu du CHSCT du 14 décembre 2010, par le médecin du travail qui suggérait 'une évaluation' de la situation qui a néanmoins été refusée par l'employeur sans que celui-ci ne justifie ce refus.

D'autre part, au cours de la réunion du CHSCT du 20 novembre 2012, l'employeur lui-même a expressément reconnu cette surcharge, évoquée de manière récurrente au cours des réunions des instances représentatives du personnel ; au cours de cette réunion, le directeur reconnaît une évolution de la charge de travail importante et indique prévoir une embauche supplémentaire pour le services prestations-reversions.

Enfin, la succession des courriels adressés par la supérieure hiérarchique de Madame [Q], entre octobre 2010 et septembre 2011, aux salariés du service témoigne de modifications incessantes des modalités de répartition des tâches, au regard, comme d'ailleurs le souligne l'employeur lui-même, des départs et remplacements nécessaires de salariés absents, une telle situation étant nécessairement facteur de déstabilisation pour les salariés concernés.

Or, si la CARMF soutient avoir mis en place des mesures pour remédier à cette situation, force est de constater d'une part, que cette allégation ne repose que sur ses seules affirmations : en particulier, si la CARMF fait état de la mise en place de 'books' en réponse à l'interpellation de l'inspecteur du travail, ces courriers semblent n'avoir été révisés pour la plupart qu'en mai 2012 et en mars 2013 (pièce n° 66 de la CARMF), soit postérieurement aux faits dénoncés par la salariée et d'ailleurs, au cours du CHSCT du 5 avril 2012, il était fait le constat de l'absence de ces books.

De même, le document produit quant aux entrées et sorties de personnels (pièce n°64 de la CARMF) consistant en un tableau unilatéralement établi par l'intimée, qui n'est revêtu d'aucune force probante, ne permet de s'assurer ni de la réalité des remplacements des salariés partis ni de l'absence de turn-over important pourtant évoqué à plusieurs reprises au cours des réunions du CHSCT et ce, alors même qu'une sommation de communiquer le registre du personnel lui a été

adressée le 5 juillet 2013.

Par ailleurs, s'agissant des corrections apportées aux courriers, ces faits, dénoncés par Madame [Q], sont également relatés de manière précise et circonstanciée par les attestations que celle-ci verse aux débats et ont été de manière quasi-systématique évoqués au cours des réunions du CHSCT : or, même si Madame [Q] ne produit que quelques exemplaires de lettres corrigées, la cour relève que, si certaines corrections y figurant sont justifiées par des éléments techniques, apparaissent également des corrections de pure forme, contrairement à ce que soutient la CARMF.

En outre, si la CARMF justifie de la réponse apportée suite au rapport établi le 9 novembre 2012 par l'inspecteur du travail, aucune explication n'est donnée sur l'absence de réponse donnée aux courriers du 6 novembre 2011 et du 22 mars 2012 de la salariée et, notamment, à ses demandes de changements de services : or, si la CARMF affirme que les postes publiés en janvier et février 2012 ne correspondaient pas au profil de la salariée, l'examen de ces offres ne permet pas de considérer que cette affirmation est pertinente.

Il ressort de l'ensemble de ces éléments que les faits établis par Madame [Q] ne sont que très partiellement justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Quant aux éléments médicaux produits par Madame [Q], le certificat du Docteur [H] fait état de manifestations somatiques type palpitations ou troubles intestinaux en rapport avec un stress important ainsi que de troubles du sommeil que, contrairement à ce que semble soutenir la CARMF, le médecin ne date pas de 2007 (précisant seulement qu'il suit Madame [Q] depuis 2007).

Par ailleurs, Madame [Q] justifie avoir été placée en arrêt de travail pour dépression à compter de septembre 2011, puis de manière ininterrompue pour le même motif à compter de janvier 2012.

Or, il résulte du courrier adressé le 14 mai 2012 au médecin du travail par le docteur [B], médecin du service de pathologie professionnelle de l'hôpital [Établissement 1], qu'il était préconisé un avis d'inaptitude avec reclassement au sein de l'entreprise 'en dehors du contexte relationnel d'origine', traduisant ainsi le lien entre la situation professionnelle et la pathologie subie par Madame [Q].

Il sera donc considéré que les faits de harcèlement moral sont établis et, en considération des éléments médicaux produits, il sera alloué à Madame [Q] la somme de 3.000 € en réparation du préjudice subi à ce titre, étant relevé qu'il n'est pas justifié d'un préjudice distinct résultant de l'inobservation conjuguée des dispositions des articles L. 1152-1 et L. 1152-4 du code du travail.

Sur le licenciement

Le licenciement reposant sur les arrêts de maladie en lien avec les faits de harcèlement moral doit être déclaré nul en application des dispositions de l'article L.1152-2 du code du travail.

Madame [Q] sollicite un rappel de salaire d'un mois au titre de l'indemnité compensatrice de préavis estimant, qu'au regard de son coefficient, elle devait bénéficier d'un préavis de trois mois en application de l'accord d'entreprise du 1er octobre 1995.

L'article 18 de cet accord ne prévoit un préavis de trois mois, en cas de licenciement, que pour les agents de maîtrise et pour les cadres.

Or, même si Madame [Q] bénéficiait du coefficient 286, supérieur au coefficient minimum applicable aux cadres (285) en vertu de l'article 4 de l'accord, sa classification dans cette catégorie ne peut résulter de ce seul élément alors qu'elle relève de par son emploi de la catégorie 'employé qualifié'.

Madame [Q] sera en conséquence déboutée de sa demande à ce titre.

Sa demande au titre du rappel de salaire du préavis de trois mois n'étant pas accueillie, Madame [Q] doit être déboutée de ses demandes subséquentes de rappels de salaires au titre de la prime de vacances et de la prime de gestion.

Les arrêts de maladie de Madame [Q] trouvant leur cause dans les manquements de l'employeur à ses obligations, la demande formulée au titre de la prime d'assiduité est fondée.

La CARMF sera en conséquence condamnée à lui payer la somme de 817,20 € bruts à ce titre outre 81,72 € bruts au titre des congés payés afférents.

Compte tenu de l'effectif de l'entreprise, des circonstances de la rupture, du montant de la rémunération versée au salarié, de son âge, de son ancienneté, de sa capacité à trouver un nouvel emploi eu égard à sa formation et à son expérience professionnelle et des conséquences du licenciement à son égard, tels qu'ils résultent des pièces et des explications fournies, la cour est en mesure d'allouer à Madame [Q] des dommages et intérêts d'un montant de 30.000 € en réparation du préjudice subi du fait de la rupture.

Sur les autres demandes

Il sera ordonné à la CARMF de délivrer un bulletin de paie et une attestation Pôle Emploi, rectifiés en considération du rappel de prime d'assiduité alloué à la salariée, dans le délai de 2 mois à compter de la notification de la présente décision, sans que la mesure d'astreinte sollicitée ne soit justifiée en l'état.

La CARMF, qui succombe à l'instance, sera condamnée aux dépens ainsi qu'à payer à Madame [Q] la somme de 2.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Le présent arrêt n'étant susceptible que d'un pourvoi en cassation, dépourvu d'effet suspensif, il n'y a pas lieu d'ordonner l'exécution provisoire.

PAR CES MOTIFS,

La cour,

Infirme le jugement entrepris,

Statuant à nouveau,

Dit que le licenciement de Madame [Q], consécutif à des faits de harcèlement moral, est nul,

Condamne la Caisse autonome de retraite des médecins de France à payer à Madame [Q] les sommes suivantes :

- 817,20 € bruts à titre de rappel de prime d'assiduité outre 81,72 € bruts au titre des congés payés afférents,

- 3.000 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait du harcèlement moral,

- 30.000 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait du licenciement nul,

- 2.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Ordonne à la Caisse autonome de retraite des médecins de France de délivrer un bulletin de paie et une attestation Pôle Emploi, rectifiés en considération du rappel de prime d'assiduité alloué à la salariée, dans le délai de 2 mois à compter de la notification de la présente décision,

Rappelle que les créances salariales portent intérêts au taux légal à compter de la réception par la défenderesse de sa convocation devant le conseil de prud'hommes tandis que les créances indemnitaires portent intérêts au taux légal à compter de la notification de la décision en fixant tout à la fois le principe et le montant,

Déboute les parties du surplus de leurs prétentions,

Condamne la Caisse autonome de retraite des médecins de France aux dépens.

LE GREFFIERLE PRESIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 10
Numéro d'arrêt : 13/08046
Date de la décision : 29/03/2017

Références :

Cour d'appel de Paris L1, arrêt n°13/08046 : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2017-03-29;13.08046 ?
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