Grosses délivrées RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 4 - Chambre 1
ARRÊT DU 24 MARS 2017
(no , 6 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : 15/15898
Décision déférée à la Cour : Jugement du 10 Juin 2015 -Tribunal de Grande Instance de CRETEIL - RG no 14/01493
APPELANTE
SAS G2AM agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
No SIRET : 421 243 718
ayant son siège au 22-24, rue d'Urmont d'Urville - 75116 PARIS
Représentée par Me Frédéric LALLEMENT de la SCP SCP BOLLING - DURAND - LALLEMENT, avocat au barreau de PARIS, toque : P0480
Assistée sur l'audience par Me Jean-michel HATTE, avocat au barreau de PARIS, toque : D0539, substitué sur l'audience par Me Gwénaëlle LEROY, avocat au barreau de PARIS, toque : D0539
INTIMÉE
Société d'Economie Mixte SADEV 94 (SOCIETE D'AMENAGEMENT ET DE DEVELOPPEMEN T DES VILLES ET DU DEPARTEMENT DU VAL DE MARNE)
No SIRET : 341 21 4 9 71
ayant son siège au 31 rue Anatole France - 94306 VINCENNES CEDEX
Représentée et assistée sur l'audience par Me Michaël MOUSSAULT de l'AARPI DS AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : T07, substitué sur l'audience par Me Clément MORTINI, avocat au barreau de PARIS, toque : T07
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 786 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 22 Février 2017, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposé, devant M. Dominique GILLES, Conseiller, chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Madame Dominique DOS REIS, Présidente
Madame Christine BARBEROT, Conseillère
Monsieur Dominique GILLES, Conseiller
qui en ont délibéré
Greffier lors des débats : Monsieur Christophe DECAIX
ARRÊT : CONTRADICTOIRE
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Madame Dominique DOS REIS, Présidente, et par Monsieur Christophe DECAIX, greffier auquel la minute de la décision à été remise par le magistrat signataire.
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La commune de Villeneuve-le-Roi a concédé à la société d'économie mixte SADEV 94 l'aménagement de la zone d'aménagement concerté (ZAC) des Voeux Saint Georges qu'elle avait créée par délibération de son conseil municipal du 25 mai 1989.
Pour les besoins de sa mission, la société SADEV 94, propriétaire des terrains, a conclu avec la société par actions simplifiée G2AM, par acte sous seing privé du 31 juillet 2009, une convention intitulée "promesse synallagmatique de vente et d'achat" relativement à un ensemble de parcelles, d'une contenance de 29 998 m², destiné à la construction d'un centre commercial, moyennant le prix de 3 767 790 € . Cet avant-contrat était conclu sous les conditions suspensives d'obtention de l'autorisation d'aménagement commercial, et d'obtention de permis de construire purgé du recours des tiers et du délai de retrait administratif. La date de caducité de la promesse initialement fixée au 15 octobre 2010 a été reportée par avenants successifs jusqu'au 30 mars 2012. Conformément aux termes de l'avant-contrat, la société G2AM a versé deux fois la somme de 157 489,50€, la première fois le jour de la promesse et la seconde fois lors du dépôt du permis de construire.
L'acte authentique de vente n'a jamais été signé.
Par acte extrajudiciaire du 6 décembre 2013, la Société G2AM a assigné la société SADEV 94 aux fins de nullité de l'avant-contrat, pour défaut d'enregistrement de celui-ci qualifié de promesse unilatérale de vente, et de restitution des sommes versées.
C'est dans ces conditions que par jugement du 10 juin 2015 le tribunal de grande instance de Créteil a :
- dit que le contrat conclu le 31 juillet 2009 entre les parties est une promesse synallagmatique de vente,
- rejeté la demande de nullité,
- condamné la Société G2AM à payer la somme de 3 000€ à la société SADEV 94 en vertu de l'article 700 du code de procédure civile,
- rejeté la demande de la société G2AM formée sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné la Société G2AM aux dépens,
- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire.
La société G2AM a relevé appel de ce jugement par déclaration reçue au greffe de la Cour le 22 juillet 2015.
Par conclusions du 28 juillet 2016, la société G2AM appelante demande à la Cour de :
- vu l'article 1589-2 du code civil ;
- infirmer le jugement querellé ;
- constater que l'acte sous seing privé signé le 31 juillet 2009 constitue une promesse unilatérale de vente ;
- constater que celle-ci n'a fait l'objet d'aucun enregistrement selon les dispositions susvisées du code civil ;
- en conséquence
- prononcer la nullité de la promesse de vente ;
- condamner la société SADEV 94 à payer à la société G2AM la somme de 314 979 €
avec intérêt au taux légal à compter de la délivrance de l'assignation, au titre de la restitution de l'indemnité d'immobilisation ;
- condamner la société SADEV 94 à payer à la société G2AM la somme de 5 000 € au
titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'à supporter la charge des entiers dépens.
Par conclusions du 31 août 2016, la société SADEV 94 prie la Cour de :
- constater que la promesse litigieuse est une promesse synallagmatique de vente :
- constater que cette promesse n'avait donc pas à faire l'objet d'un enregistrement ;
- rejeter la demande de nullité ;
- rejeter la demande d'indemnisation de la société G2AM ;
- rejeter toute les autre demandes de celle-ci ;
- confirmer le jugement entrepris ;
- condamner l'appelante à lui payer la somme de 5 000€ sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens "et notamment la taxe d'appel".
SUR CE
LA COUR
Pour asseoir la qualification de promesse synallagmatique de vente le tribunal a essentiellement retenu :
- l'intitulé explicite de l'acte sous seing privé ;
- les termes de l'article 1 qui énoncent que " le bénéficiaire s'engage à acquérir sous les conditions générales et suspensives prévues ci-après" ;
- le parallélisme entre les obligations du promettant et du bénéficiaire ;
- le consentement à la vente donné par le bénéficiaire excluant toute possibilité d'un éventuel droit d'option ;
- la portée limitée de la référence incidente à un droit d'option à une certaine date dans les dispositions de l'article 10 du contrat ; à ce sujet, le tribunal a estimé que la date ainsi visée était celle du 15 janvier 2010, prise pour date limite de réalisation de la condition suspensive relative à l'autorisation d'aménagement commercial ; il en a tiré argument pour considérer que si une date de levée d'option avait été véritablement définie, le droit d'option aurait dû pouvoir s'exercer après la réalisation de l'ensemble des conditions suspensives, ce qui ne résultait pas de l'article 10 ;
- la portée limitée de la référence à une vente qualifiée d'éventuelle à l'article 10, ce caractère éventuel ne s'appliquant en réalité qu'à la réalisation des conditions suspensives, et non au consentement à la vente ;
- le caractère logique, dans cette perspective synallagmatique, des dispositions contractuelles prévoyant, en cas de caducité de la promesse que le promettant retrouve sa liberté et que le bénéficiaire récupère son indemnité d'immobilisation dans le cas où la condition suspensive ne serait pas réalisée pour une cause extérieure aux parties.
L'appelant fait valoir à l'appui de la qualification de promesse unilatérale que :
- l'article 1 mentionne un engagement à acquérir, mais seulement sous les conditions générales et suspensives définies au contrat, qui incluent une faculté de renoncer à acquérir en payant une indemnité d'immobilisation ;
- l'article 9 mentionne une possible renonciation du bénéficiaire à acquérir ;
- l'article 10 mentionne expressément et clairement le caractère éventuel de la vente, et non de la réalisation des conditions suspensives, ainsi qu'une date de levée d'option pour acquérir qui a été méconnue par le tribunal ;
- la disposition relative au fait que le promettant retrouve sa liberté et que le bénéficiaire puisse récupérer son indemnité d'immobilisation prouve a contrario que le bénéficiaire n'était pas obligé d'acquérir ;
- la promesse prévoit le versement de deux indemnités d'immobilisation qui constituent le prix de la promesse et justifient un certain caractère synallagmatique annoncé par le titre qui, pour autant ne signifie pas une obligation d'acquérir et, en ce sens, ne lie pas le tribunal ;
- le déséquilibre des obligations réciproques corrobore le caractère unilatéral de la promesse de vente, étant observé que le vendeur n'avait pas la possibilité de poursuivre l'exécution forcée de la vente ;
- la requalification par le premiers juges de l'indemnité d'immobilisation en clause pénale caractérise une dénaturation du contrat.
L'intimé a essentiellement repris à son compte l'argumentation du tribunal et conteste le prétendu déséquilibre des obligations des parties, notamment par le fait que ce sont des acomptes que la société G2AM aurait versé.
En droit, il est nécessaire d'interpréter l'avant-contrat, qui comporte certaines dispositions mal accordées à son intitulé, aux fins de déterminer s'il s'agit ou non d'une promesse unilatérale soumise à peine de nullité à l'obligation d'enregistrement dans les 10 jours de l'article 1589-2 du code civil. Le juge ne peut jamais dénaturer une convention sous prétexte de l'interpréter.
L'article 1 de ce contrat énonce que le promettant promet de vendre au bénéficiaire qui s'engage à acquérir, sous les conditions générales et suspensives définies à la suite. Les conditions de la vente figurent à l'article 4 qui commence par : "En cas de réalisation de la vente" et qui se poursuit pas l'énoncé des conditions habituelles distribuées en désignant les parties par les qualités de bénéficiaire et de promettant. Les conditions suspensives sont énoncées à l'article 10 qui désigne également les parties par leurs qualités de promettant et de bénéficiaire, mais surtout commence par : "les parties soumettent formellement la réalisation de la vente éventuelle aux conditions suspensives ci-après exprimées sans lesquelles elles n'auraient pas contracté".
A l'article 10, il est indiqué que la condition suspensive d'autorisation d'aménagement commercial sera réalisée lorsque la décision d'autorisation de la CDAC ou de la CNAC aura acquis un caractère définitif ; la clause précise les événements, à l'issue des délais de publication, de nature à caractériser ce caractère définitif : il s'agit dans chaque cas d'une attestation de non recours. La clause prévoit ensuite qu'en cas de recours la "date fixée ci-dessus pour la levée de l'option"sera de plein droit prorogée d'une période de 7 mois afin de permettre à la CNAC de statuer, et, en cas de recours contentieux, afin de permettre au promettant et au bénéficiaire d'étudier les motifs des recours et de négocier le cas échéant le désistement des requérants. La clause précise que passé ce délai éventuellement ainsi prorogé, la promesse sera "réputée caduque de plein droit", que "le promettant retrouvera sa liberté et le bénéficiaire récupérera son indemnité d'immobilisation sans délai". Il doit être relevé que, contrairement à ce que le tribunal a retenu, la "date fixée ci-dessus pour la levée de l'option" ne peut pas être le 15 janvier 2010, qui n'est que la date limite du dépôt du dossier de demande d'autorisation ; sauf à dénaturer la convention, cette date fixée pour la levée de l'option ne peut être que la date à compter de laquelle l'autorisation de la CDAC ou de la CNAC devait être considérée comme définitivement accordée. Il s'en déduit donc que l'article 10 ne contient pas de disposition ambiguë de nature à laisser penser que la référence à une date limite pour lever l'option ne correspondrait pas à l'intention commune des parties. Celles-ci ont clairement prévu une date limite pour la levée de l'option qui est bien postérieure à la date de réalisation des conditions suspensives.
L'article 11 de la convention énonce que si l'acte de vente authentique n'est pas réalisé dans le délai d'un mois à compter de la justification de la dernière des conditions suspensives et au plus tard le 15 octobre 2010, la promesse litigieuse sera caduque et le sort de l'indemnité d'immobilisation sera réglé comme à l'article 8. Il s'agit en réalité de l'article 9 qui prévoit que le prix de vente défini à l'article 6 (mais il s'agit en réalité de l'article 8) sera payable dans les conditions suivantes :
- un "acompte" représentant 5% du prix hors taxe "à titre d'indemnité d'immobilisation versée le jour de la signature" de la promesse ; précision expresse étant faite que dans le cas où le bénéficiaire renoncerait à s'engager à acquérir dans les conditions prévues à l'article 1, cette somme deviendra acquise au promettant à titre d'indemnité forfaitaire pour l'immobilisation du terrain ;
- un "acompte" représentant 5% du prix hors taxe le jour du dépôt du permis de construire, sans mention cette fois des termes "indemnité d'immobilisation" ; précision expresse étant faite qu'au cas où le bénéficiaire ne manifesterait pas son intention d'acquérir dans les délais et condition stipulés, l'ensemble des conditions suspensives étant réalisé, cette somme restera acquise au promettant à titre d'indemnité forfaitaire pour l'immobilisation au profit du bénéficiaire du terrain objet de la promesse.
Il résulte des termes mêmes de l'avant-contrat que nulle obligation d'acquérir n'existait à la date de la signature, puisqu'expressément celui-ci permet au bénéficiaire de ne pas s'engager à acquérir, sous la seule contrepartie de l'abandon de 5% du prix de vente hors taxe à titre d'indemnité d'immobilisation, laquelle n'est que la contrepartie de l'exclusivité consentie par le promettant. Après le dépôt de la demande de permis de construire, l'obligation d'acquérir apparemment contractée n'est pas effective, puisque le promettant a consenti à renoncer à l'exécution forcée en contrepartie d'une indemnité d'immobilisation.
Il doit être encore souligné que si le bénéficiaire pouvait renoncer à acquérir sous la seule sanction de perdre les sommes versées représentant 10% du prix de vente hors taxe, le promettant, lui, ne pouvait pas renoncer à vendre, et pouvait donc y être contraint d'après les voies du droit commun. Il s'agit là d'un déséquilibre significatif dans les prestations réciproques des parties.
Il résulte de l'ensemble de ces éléments que la société G2AM n'a jamais souscrit d'obligation d'acquérir mais a seulement acquis l'exclusivité pour lever une l'option, et ce en dépit de l'intitulé de l'avant contrat.
Dans ces conditions, il convient de considérer que l'avant-contrat sous seing privé est une promesse unilatérale de vente.
Le jugement querellé sera donc infirmé.
La promesse unilatérale de vente n'ayant pas été enregistrée dans les 10 jours de sa signature par le bénéficiaire, elle doit être déclarée nulle en application des dispositions de l'article 1589-2 du code civil.
La société SADEV 94 devra en conséquence restituer les sommes versées par la société G2AM à titre d'indemnité d'immobilisation, soit un total en principal de 314 979 €, outre les intérêts au taux légal sur cette somme à compter de l'assignation du 6 décembre 2013.
La société SADEV 94, qui succombe, supportera la charge des dépens qui pourront être recouvrés comme prévu à l'article 699 du code de procédure civile.
La société SADEV 94 en équité doit être condamnée à payer à la société G2AM la somme de 3 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
Infirme le jugement querellé,
Statuant à nouveau :
Dit que l'acte sous seing privé du 31 juillet 2009 signé par la société SADEV 94 et la société G2AM constitue en réalité une promesse unilatérale de vente,
Constate que cette promesse unilatérale n'a pas été enregistrée dans les 10 jours de son acceptation par le bénéficiaire,
La déclare en conséquence nulle et de nul effet,
Condamne la société SADEV 94 à payer à la société G2AM la somme de 314 979 €, outre les intérêts au taux légal sur cette somme à compter du 6 décembre 2013,
Condamne la société SADEV 94 à payer à la société G2AM une somme de 3 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne la société SADEV 94 aux dépens qui pourront être recouvrés conformément à l'article 699 du code de procédure civile,
Rejette toute autre demande.
Le Greffier, La Présidente,