Grosses délivrées REPUBLIQUE FRANCAISE
aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 1 - Chambre 1
ARRET DU 14 MARS 2017
(n° , 5 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : 15/19525
Décision déférée à la Cour : Sentence rendue le 17 Août 2015 par le Tribunal arbitral de PARIS
DEMANDERESSE AU RECOURS :
SNC FOREZIENNE D'ENTREPRISES
prise en la personne de ses représentants légaux
[Adresse 1]
[Adresse 1]
représentée par Me Patricia HARDOUIN de la SELARL 2H Avocats à la cour, avocat postulant du barreau de PARIS, toque : L0056
assistée de Me Renaud DUBOIS, avocat plaidant du barreau de PARIS,
DÉFENDERESSE AU RECOURS :
SAS GUINTOLI
prise en la personne de ses représentants légaux
[Adresse 2]
[Adresse 2]
représentée par Me Matthieu BOCCON GIBOD de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, avocat postulant du barreau de PARIS, toque : C2477
assistée de Me Caroline DUCLERCQ, avocat plaidant du barreau de PARIS
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 14 février 2017, en audience publique, le rapport entendu, devant la Cour composée de :
Madame GUIHAL, Présidente
Madame SALVARY, Conseillère
Monsieur LECAROZ, Conseiller
qui en ont délibéré
Greffier, lors des débats : Madame Patricia PUPIER
ARRET :
- CONTRADICTOIRE
- prononcé publiquement par Madame Dominique GUIHAL, présidente
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Madame Dominique GUIHAL, présidente et par Madame Mélanie PATE, greffier présent lors du prononcé.
Le lot 'terrassements généraux' de l'aménagement de la [Adresse 3] a été confié à un groupement d'entreprises composé des sociétés SAEM et Borie SAE, lequel a sous-traité une partie des travaux aux sociétés Forézienne d'entreprises (SFE) et Guintoli.
Ces dernières ont passé entre elles, pour l'exécution de ce marché, une convention de société en participation et une convention de groupement momentané d'entreprises solidaires. Conclues le 26 février 1993, les deux conventions prévoyaient une répartition des droits d'associés et du montant des travaux de 55 % pour la SFE et de
45 % pour Guintoli, la première étant gérante de la société en participation et mandataire du groupement, tandis que la seconde assurait la direction des travaux. Les deux conventions comportaient une clause d'arbitrage suivant le règlement de la Fédération nationale des travaux publics (FNTP).
Le 19 février 1997, le maître d'ouvrage a assigné le groupement des maîtres d'oeuvre, la SAEM, Borie SAE, la SFE, Guintoli, le contrôleur technique Socotec et le bureau d'étude géotechnique SOPENA, ainsi que leurs assureurs, afin d'être indemnisé du préjudice résultant d'un glissement de terrain survenu le 6 novembre 1995.
L'expertise ordonnée en référé a imputé le sinistre à l'insuffisance de drainage et de captage des eaux souterraines lors de travaux de terrassement effectués très rapidement sur un terrain en forte pente. Par un jugement du 9 février 2010, le tribunal de grande instance de Paris a déclaré responsables, à hauteur de 2,50 % chacun, les membres du groupement de maîtres d'oeuvre, le bureau d'étude et le contrôleur technique, à hauteur de 35 % le groupement solidaire composé de la SAEM et de Borie SAE, à hauteur de
15 % la SFE et à hauteur de 40 %, Guintoli. Il a condamné in solidum l'ensemble des intervenants et leurs compagnies d'assurance à payer au maître de l'ouvrage une somme de 7.017.373 euros HT en principal.
Ce jugement, en ce qui concerne les dispositions relatives à la SFE et à Guintoli, a été confirmé par un arrêt de cette cour du 14 septembre 2012.
Cette décision a été partiellement cassée par un arrêt du 21 octobre 2014 sur les seules dispositions concernant la société Axa. En revanche, au moyen de la société Guintoli tiré du défaut de réponse à ses conclusions qui soutenaient que la répartition de la dette au sein du groupement SFE ne relevait pas du juge étatique mais d'une juridiction arbitrale, la troisième chambre civile a répondu : 'Mais attendu que la cour d'appel ayant statué sur la demande du maître d'ouvrage tendant à voir déterminer la part de responsabilité de chacun des membres d'un groupement n'ayant pas la personnalité morale, le moyen ne peut être accueilli'.
A la suite du jugement du tribunal de grande instance de Paris, Guintoli a engagé la procédure de règlement des différends prévue par les conventions du 26 février 1993 la liant à la SFE. Le 9 juillet 2013, faute de solution amiable, elle a introduit une demande d'arbitrage auprès du Comité de médiation et d'arbitrage des travaux publics afin de voir juger que la contribution à la dette devait être réglée, conformément aux prévisions contractuelles, à concurrence de 55 % pour la SFE et de
45 % pour elle-même.
Par une sentence rendue à Paris 25 juillet 2014, le tribunal arbitral composé de MM. [Q] et [X], arbitres, et de M. [W], président, a dit que l'action de Guintoli n'était pas prescrite et sursis à statuer dans l'attente de l'arrêt de la Cour de cassation.
Par une sentence rendue à Paris le 17 août 2015, le tribunal arbitral a rejeté la fin de non-recevoir tirée de l'autorité de chose jugée, dit que la contribution à la dette devait être répartie entre SFE et Guintoli à concurrence de 55 % pour la première et de 45 % pour la seconde, enfin, dit que la SFE devrait rembourser à Guintoli le surplus que cette dernière aurait payé au-delà de cette répartition contractuelle en cas d'exécution par le maître d'ouvrage ou l'un de ses subrogés de la décision des tribunaux étatiques.
La SFE a formé un recours contre cette seconde sentence le 2 octobre 2015.
Par des conclusions signifiées le 4 janvier 2017 elle demande à la cour d'en prononcer l'annulation, de renvoyer l'affaire à la mise en état pour permettre aux parties de se prononcer sur un nouvel arbitrage ou pour conclure sur le fond, et, en toute hypothèse, de condamner Guintoli à lui rembourser les frais d'arbitrage et à lui payer la somme de 10.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile. Elle invoque l'irrégularité de la composition du tribunal arbitral, faute de déclaration des relations entre les arbitres et le conseil de Guintoli, membre du comité juridique de la FNTP (article 1492, 2° du code de procédure civile) et la contrariété de la sentence à l'ordre public tenant à la méconnaissance de l'autorité de chose jugée par le jugement du 9 février 2010 et par l'arrêt confirmatif du 14 septembre 2012 (article 1492, 5° du code de procédure civile).
Par des conclusions signifiées le 24 janvier 2017, Guintoli demande à la cour principalement, de dire que le recours est irrecevable et subsidiairement, qu'il est mal fondé, de le rejeter et de condamner la partie adverse à lui payer 10.000 euros de dommages-intérêts pour procédure abusive et la même somme en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Elle soutient que le premier grief est présenté tardivement et qu'au surplus, la participation de son avocat au comité juridique de la FNTP est notoire et ne caractérise aucune proximité avec les arbitres. Elle fait valoir, en second lieu, que la prohibition de la révision au fond des sentences interdit à la cour de réexaminer la question de l'autorité de chose jugée qui a été tranchée par les arbitres dont la décision est elle-même revêtue de l'autorité de chose jugée, qu'en toute hypothèse, les conditions d'identité de parties, d'objet et de cause ne sont pas réunies en l'espèce, et qu'en outre, il n'y a aucune contrariété entre la sentence et les décisions étatiques.
SUR QUOI :
Sur le premier moyen d'annulation tiré de l'irrégularité de la constitution du tribunal arbitral (article 1492, 2° du code de procédure civile) :
La SFE fait valoir que Me Lapp, conseil de Guintoli dans la procédure arbitrale, est l'un des quatre avocats membres du comité juridique de la FNTP et qu'il bénéficie à ce titre d'une influence intellectuelle et/ou d'une proximité avec les arbitres; que cette circonstance, qui était de nature à créer une doute raisonnable quant à l'indépendance et l'impartialité du tribunal arbitral n'a pas été mentionnée par les arbitres dans leurs déclarations d'indépendance. La SFE soutient que la situation de Me Lapp auprès de la FNTP n'était nullement notoire mais ne pouvait être découverte que par une complexe recherche sur le site internet de la Fédération, recherche à laquelle elle ne s'était livrée que lorsqu'elle avait réalisé que Guintoli n'avait eu recours aux services de Me Lapp que pour l'instance arbitrale et qu'elle avait conservé son conseil habituel, la SCP de Angelis, devant les juridictions étatiques; que les dispositions de l'article 1466 du code de procédure civile ne pouvaient donc lui être opposées.
Considérant qu'aux termes de l'article 1466 du code de procédure civile : 'La partie qui, en connaissance de cause et sans motif légitime, s'abstient d'invoquer en temps utile une irrégularité devant le tribunal arbitral est réputée avoir renoncé à s'en prévaloir';
Considérant qu'il a été porté à la connaissance de la SFE par la requête d'arbitrage du 9 juillet 2013, que Guintoli avait fait choix, pour l'instance arbitrale, de Me Lapp et non de la SCP de Angelis, son avocat constitué devant le tribunal de grande instance puis devant la cour d'appel de Paris;
Considérant que la SFE n'a, à aucun moment au cours de l'instance arbitrale, formulé de réserves sur la composition du tribunal et notamment sur une éventuelle proximité de ses membres avec Me Lapp, alors que la participation de ce dernier au comité juridique de la FNTP est une information consultable sur le site de cette fédération au terme d'une recherche qui, contrairement à ce que prétend la recourante, est d'une grande simplicité;
Considérant que la SFE soutient qu'elle aurait découvert après la reddition de la sentence du 17 août 2015, que Guintoli n'avait nullement renoncé aux services de la SCP de Angelis devant les juridictions étatiques et qu'elle avait par conséquent choisi Me Lapp, non pas en raison de médiocres prestations de son conseil habituel devant le tribunal de grande instance et la cour d'appel, mais en considération des services particuliers que Me Lapp pouvait lui procurer du fait de sa situation auprès de la FNTP;
Mais considérant que la SFE ne démontre pas que Guintoli aurait, à quelque moment que ce soit, changé de conseil devant les juridictions étatiques, de sorte qu'il n'a pu lui échapper, dès le début de la procédure arbitrale, que la partie adverse avait fait choix de Me Lapp pour cette seule instance; qu'il s'en déduit que si ce choix lui avait paru suspect, elle aurait dû en faire état dès qu'elle l'a connu;
Considérant, dès lors, qu'en excipant tardivement de griefs dont elle n'établit pas qu'elle n'en aurait pas eu ou pu avoir connaissance antérieurement, la SFE a manqué à son obligation de loyauté procédurale, de sorte qu'elle est irrecevable à critiquer la sentence en reprochant aux arbitres une méconnaissance de leur obligation de révélation;
Que le moyen tiré de l'irrégularité de la composition du tribunal arbitral ne peut être accueilli;
Sur le second moyen d'annulation tiré de la violation de l'ordre public (article 1492, 5° du code de procédure civile) :
La recourante soutient que la sentence méconnaît l'autorité de chose jugée par le jugement du 9 février 2010 et par l'arrêt confirmatif du 14 septembre 2012.
Considérant que l'autorité de chose jugée n'est pas d'ordre public sauf au cours d'une même instance quand il est statué sur les suites d'une précédente décision irrévocable;
Considérant que la saisine par le maître de l'ouvrage des juridictions étatiques pour voir prononcer sur les responsabilités contractuelles et délictuelles des locateurs d'ouvrage, de leurs sous-traitants, et des compagnies d'assurance, d'une part, et, d'autre part, la saisine d'une juridiction arbitrale pour statuer sur la contribution à la dette de deux sous-traitants liés par une convention de société en participation et par une convention de groupement momentané d'entreprises solidaires, constituent deux instances distinctes, de sorte que le moyen tiré de l'autorité de chose jugée par l'arrêt de la cour d'appel du 14 septembre 2012 n'est pas d'ordre public et ne peut donc être invoqué à l'appui d'un recours en annulation de la sentence;
Considérant, au demeurant, qu'il n'y a pas d'inconciliabilité entre la décision de la cour d'appel qui statue sur l'obligation à la dette à l'égard du maître de l'ouvrage et la sentence arbitrale qui règle sa répartition conventionnelle entre deux sous-traitants;
Que le second moyen ne peut donc être accueilli;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le recours en annulation doit être rejeté;
Sur la demande de dommages-intérêts pour procédure abusive :
Considérant qu'il n'est pas démontré que l'exercice des voies de recours ait dégénéré en abus; que la demande de ce chef sera rejetée;
Sur l'article 700 du code de procédure civile :
Considérant que la SFE, qui succombe, ne saurait bénéficier des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et sera condamnée sur ce fondement à payer à Guintoli la somme de 10.000 euros;
PAR CES MOTIFS :
Rejette le recours en annulation de la sentence rendue à Paris entre les parties le 17 août 2015.
Rejette la demande de dommages-intérêts pour procédure abusive.
Condamne la SNC Forézienne d'entreprises aux dépens et au paiement à la SAS Guintoli de la somme de 10.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE