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10/03/2017 | FRANCE | N°15/14305

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 5 - chambre 11, 10 mars 2017, 15/14305


Grosses délivréesRÉPUBLIQUE FRANÇAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 5 - Chambre 11



ARRÊT DU 10 MARS 2017



(n° , 10 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : 15/14305



Décision déférée à la Cour : Jugement du 05 Juin 2015 -Tribunal de Commerce de Paris - RG n° J2013000584







APPELANTE



SAS MAN DIESEL & TURBO FRANCE, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés audit siège en

cette qualité

Immatriculée au RCS de Bobigny sous le numéro 562 037 838

[Adresse 1],

[Adresse 1],

[Adresse 1]

[Localité 1]



Représentée par Me Delphine POIDATZ KERJEAN de l'...

Grosses délivréesRÉPUBLIQUE FRANÇAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 5 - Chambre 11

ARRÊT DU 10 MARS 2017

(n° , 10 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : 15/14305

Décision déférée à la Cour : Jugement du 05 Juin 2015 -Tribunal de Commerce de Paris - RG n° J2013000584

APPELANTE

SAS MAN DIESEL & TURBO FRANCE, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés audit siège en cette qualité

Immatriculée au RCS de Bobigny sous le numéro 562 037 838

[Adresse 1],

[Adresse 1],

[Adresse 1]

[Localité 1]

Représentée par Me Delphine POIDATZ KERJEAN de l'ASSOCIATION LEBRAY & Associés, avocat au barreau de PARIS, toque : R189

Représentée par Me Stéphane BONIFASSI de l'ASSOCIATION LEBRAY & Associés, avocat au barreau de PARIS, toque : R189

INTIMÉES

SNC ENERGIES ANTILLES, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés audit siège en cette qualité

Immatriculée au RCS de Paris sous le numéro 414 277 152

[Adresse 2]

[Adresse 2]

Représentée par Me Michel PITRON de l'AARPI GIDE LOYRETTE NOUEL AARPI, avocat au barreau de PARIS, toque : T03

Représentée par Me Jean-Sébastien BAZILLE de l'AARPI GIDE LOYRETTE NOUEL AARPI, avocat au barreau de PARIS, toque : T03

SA CREDIT INDUSTRIEL ET COMMERCIAL (CIC), prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés audit siège en cette qualité

Immatriculée au RCS de Paris sous le numéro B 542 016 381

[Adresse 3]

[Adresse 3]

Représentée Me Fanny DESCLOZEAUX de la SELARL CARBONNIER LAMAZE RASLE ET ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : P0298

SAS CONTOURGLOBAL FRANCE, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés audit siège en cette qualité

Immatriculée au RCS de Paris sous le numéro 523 986 982

[Adresse 2]

[Adresse 2]

Représentée par Me Michel PITRON de l'AARPI GIDE LOYRETTE NOUEL AARPI, avocat au barreau de PARIS, toque : T03

Représentée par Me Jean-Sébastien BAZILLE de l'AARPI GIDE LOYRETTE NOUEL AARPI, avocat au barreau de PARIS, toque : T03

SARL CONTOURGLOBAL LUXEMBOURG, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés audit siège en cette qualité

Immatriculée au RCS de Luxembourg sous le numéro B 140 282

[Adresse 4]

[Adresse 4]

LUXEMBOURG

Représentée par Me Michel PITRON de l'AARPI GIDE LOYRETTE NOUEL AARPI, avocat au barreau de PARIS, toque : T03

Représentée par Me Jean-Sébastien BAZILLE de l'AARPI GIDE LOYRETTE NOUEL AARPI, avocat au barreau de PARIS, toque : T03

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 786 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 08 Décembre 2016, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposé, devant M. Patrick BIROLLEAU, Président de la chambre, et Mme Michèle LIS SCHAAL, Présidente de chambre.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

M. Patrick BIROLLEAU, Président de la chambre, chargé du rapport

Mme Michèle LIS SCHAAL, Présidente de chambre

M. François THOMAS, Conseiller, désignée par Ordonnance du Premier Président pour compléter la Cour

qui en ont délibéré

Greffier, lors des débats : Madame Sandrine CAYRE

ARRÊT :

- contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par M. Patrick BIROLLEAU, président et par M. Patricia DARDAS, greffière à laquelle la minute du présent arrêt a été remise par le magistrat signataire.

Faits et procédure

Par contrat du 21 novembre 1997, la société Energies Antilles a confié à la société SEMT Pieistick, désormais dénommée Man & Turbo France (Man), la réalisation et la construction d'une centrale de production d'énergie électrique sur un terrain situé dans la zone industrielle de Jarry, en Guadeloupe. Ledit contrat prévoyait également l'exploitation et la maintenance de la centrale pendant une durée de 20 ans à compter de la réception par la société Man qui a sous-traité cette activité à sa filiale à 100 %, la société Centrales Diesel Expor.

En contrepartie d'un taux de production d'électricité de 89 % minimum, la société Energies Antilles s'est engagée à verser une rémunération annuelle à la société Man, révisable chaque année. L'article 24 du contrat prévoit la mise en 'uvre au bénéfice de la société Energies Antilles de deux garanties bancaires souscrites auprès de la banque Crédit Industriel et Commercial (CIC) ' une garantie à première demande dans la limite de la somme de 1.524.490,17 euros et une garantie solidaire dans la limite de la somme de 3.048.980,34 euros ' en cas d'inexécution par la société Man de ses obligations contractuelles.

Le 14 mai 2003, la société Centrales Diesel Expor a été contrainte de conclure avec les organisations syndicales l'application du Statut national du personnel des Industries Electriques institué par la loi du 8 avril 1946. Les surcoûts engendrés par l'application de ce statut ont été pris en charge par la société Man et cette dernière a alors considéré que la perte financière qui en résultait remettait en cause l'équilibre du contrat conclu avec la société Energies Antilles.

En raison de mouvements de grève en 2008 et 2009, la société Man n'a pu tenir ses engagements de fournitures d'électricité, cette situation conduisant la société ENERGIE ANTILLES à réclamer à Man le paiement de pénalités pour un montant de 5.250.173 euros HT euros. Contestant ces pénalités, les sociétés Man et Centrales Diesel Expor ont assigné le 14 janvier 2011 la société Energies Antilles devant le juge des référés du tribunal de commerce de Paris qui a dit d'y avoir lieu à statuer.

Par courrier du 4 janvier 2012, la société Energies Antilles a appelé les deux garanties bancaires pour la somme de 4.752.660 euros. Après que le juge des référés ait, par une ordonnance du 29 février 2012, à nouveau rejeté la demande de la société Man visant à interdire la libération des garanties, la banque CIC a versé la somme de 1.525.490,17 euros à titre d'exécution de la première garantie.

Par assignation délivrée à la société Energies Antilles et à la banque CIC le 15 mars 2012, la société Man a saisi le tribunal de commerce de Paris d'une demande tendant à juger les pénalités réclamées par la société Energies Antilles non dues et l'appel de la garantie infondé. Par acte du 3 mai 2013, la société Man a assigné en intervention forcée et en garantie la société Contourglobal France puis la société Contourglobal Luxembourg par acte du 14 juin 2013.

Par jugement rendu le 5 juin 2015, le tribunal de commerce de Paris a :

- jugé recevable les interventions forcées des sociétés Contourglobal France et Contourglobal Luxembourg dans la procédure ;

- débouté la société Man de toutes ses demandes ;

- condamné in solidum la société Man et la banque CIC à payer à la société Energies Antilles la somme de 3.048.980,34 euros au titre de la seconde garantie ;

- condamné la société Man à payer à la société Energies Antilles la somme de 780.975,49 euros au titre des pénalités restant dues ;

- condamné la société Man à payer à la société Energies Antilles les intérêts sur ces sommes au taux PIBOR 1 mois + 4 points à partir du 22 octobre 2010 ;

- débouté la société Man de ses demandes de dommages et intérêts ;

- condamné la société Man à payer à la société Energies Antilles la somme de 10.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamné la banque CIC à payer à la société Energies Antilles la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- ordonné l'exécution provisoire ;

- condamné la société Man aux dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 152,64 euros dont 25,22 euros de TVA.

La société Man a régulièrement interjeté appel de ce jugement.

Prétentions des parties

La société Man, par dernières conclusions signifiées le 22 novembre 2016, demande à la Cour de :

A titre principal,

- juger que l'article 18 du contrat du 21 novembre 1997 libère la société Man de ses obligations contractuelles en cas de force majeure sans qu'il soit besoin de démontrer la présence des caractéristiques prétoriennes de la force majeure ;

- juger que le contrat du 21 novembre 1997 fait obstacle à la facturation de pénalités par la société Energies Antilles pour tout type de grèves ;

- juger que les mouvement sociaux subis par la société Man du 26 juin 2008 au 4 août 2008, du 20 janvier 2009 au 4 mars 2009 et du 18 mars 2009 au 8 avril 2009 sont des grèves et qu'ils constituent donc un cas de force majeure selon les termes de l'article 18 du contrat ;

- en conséquence ordonner le remboursement par la société Energies Antilles de la somme de 6.302.357,80 euros correspondant au montant payé par la société Man au titre des pénalités ;

- ordonner le remboursement par la société Energies Antilles de la somme de 10.000 euros payée par la société Man au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

A titre subsidiaire,

- juger que l'article 14.1 du contrat du 21 novembre 1997 exclut la facturation de pénalités pour tout type de grève ;

- juger que les mouvement sociaux subis par la société Man du 26 juin 2008 au 4 août 2008, du 20 janvier 2009 au 4 mars 2009 et du 18 mars 2009 au 8 avril 2009 sont des grèves et qu'ils constituent donc un cas de force majeure selon les termes de l'article 14.1 du contrat ;

- en conséquence, juger que le contrat du 21 novembre 1997 fait obstacle à la facturation de pénalités par la société Energies Antilles pour tout type de grève ;

- ordonner le remboursement par la société Energies Antilles à la société Man de la somme de 6.302.357,80 euros correspondant au montant payé par la société Man au titre des pénalités ;

- ordonner le remboursement par la société Energies Antilles de la somme de 10.000 euros payée par la société Man au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

A titre très subsidiaire,

- juger que l'article 14.1 du contrat du 21 novembre 1997 est une clause pénale ;

- juger que les pénalités réclamés par la société Energies Antilles sont Manifestement excessives ;

- réduire le montant des pénalités à la somme d'un euro symbolique ;

- ordonner le remboursement par la société Energies Antilles à la société Man de la somme de 6.302.357,80 euros correspondant au montant payé par la société Man au titre des pénalités ;

- ordonner le remboursement par la société Energies Antilles de la somme de 10.000 euros payée par la société Man au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

En tout état de cause,

- débouter les sociétés Energies Antilles, Contourglobal France et Contourglobal Luxembourg de l'ensemble de leurs demandes, fins et prétentions ;

- condamner in solidum les sociétés Energies Antilles, Contourglobal France et Contourglobal Luxembourg à rembourser les sommes dues à la société Man au titre des pénalités et intérêts dans les conditions ci-dessus exposées ;

- condamner solidairement les sociétés Energies Antilles, Contourglobal France et Contourglobal Luxembourg à payer à la société Man la somme de 40.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner solidairement les sociétés Energies Antilles, Contourglobal France et Contourglobal Luxembourg aux entiers dépens.

Sur les demandes principales, elle soutient que les parties à un contrat peuvent prévoir qu'un certain nombre d'événements, dont la grève, soient en toute circonstances assimilés à des cas de force majeure. Elle explique qu'il ressort des dispositions de l'article 18 du contrat que les sociétés Energies Antilles et Man n'ont pas entendu donner à la force majeure sa définition prétorienne mais ont au contraire visé précisément et limitativement les événements qu'elles considéraient comme étant des cas de force majeure.

Elle rappelle qu'il ne fait pas de doute que les parties ont voulu considérer la grève comme un cas de force majeure puisque le contrat concerne un secteur et un territoire où le risque de grève est important. Elle souligne en outre que si les parties ont pris le soin de prévoir des clauses de force majeure, c'est qu'elles entendaient aller au delà de la simple définition jurisprudentielle de la force majeure.

Elle rappelle enfin que l'article 18 du contrat mentionne à la fois les cas de grève interne et de grève externe, si bien qu'il ne peut faire aucun doute qu'une grève, telle qu'elle soit et telle que l'a connu à trois reprises la société Man, soit assimilée à un cas de force majeure au sens de cet article.

Sur les demandes subsidiaires, la société Man soutient que l'article 14.1 du contrat prévoit que les pénalités sont dues en cas de défaut de production sauf les cas visés à l'article 18. Elle explique que les parties ont pris soin de viser les cas expressément listés par l'article 18 et non pas de manière générale la force majeure.

Sur les demandes très subsidiaires, elle indique que l'article 14.1 du contrat prévoit la réparation par la société Man de la perte éprouvée et du gain manqué de la société Energies Antilles, que cet article présente les mêmes caractéristiques qu'une clause pénale puisqu'il s'agit d'un engagement de payer une somme supplémentaire aux obligations contractuelles pesant sur la société Man, d'une sanction à l'inexécution du contrat et d'une contrainte à l'exécution du contrat. Elle en déduit que le montant de cette clause pénale peut être réduit, d'autant que la société Energies Antilles ne rapporte pas de preuve suffisante permettant d'établir avec exactitude le montant des pénalités.

La société CIC, par ses dernières conclusions signifiées le 25 novembre 2015, demande à la Cour de :

- infirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Paris le 5 juin 2015 en toutes ses dispositions ;

Statuant à nouveau,

- juger que les sociétés Man et Energies Antilles ont prévu une clause de force majeure à l'article 18 du contrat, aux termes de laquelle le débiteur n'est pas tenu de démontrer que le fait serait irrésistible, imprévisible et extérieur, et qui tient lieu de loi entre les parties ;

- juger que ladite clause prévoit que la responsabilité de la société Man ne saurait être recherchée dans les cas de grèves et de cessation concertée de travail autre que celle du propre personnel de l'entreprise ;

- juger que les mouvements sociaux internes subis par la société Man du 26 juin au 4 août 2008 et du 18 mars au 8 avril 2009 sont des grèves au sens donné par la jurisprudence et qu'ils constituent donc un cas de force majeure selon les termes de l'article 18 du contrat ;

- juger que la société Energies Antilles ne conteste pas que le mouvement social intervenu du 20 janvier au 4 mars 2009 est un cas de force majeure au sens de l'article 18 du contrat ;

En conséquence,

- juger que les pénalités réclamées par la société Energies Antilles à la société Man, et partant à la société CIC, garant solidaire de l'appelante, ne sont pas dues ;

- débouter la société Energies Antilles de l'ensemble de ses deMandes en ce qu'elles sont dirigées contre la société CIC ;

- condamner la société Energies Antilles à restituer à la société CIC la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile de première instance ;

- condamner la société Energies Antilles à payer à la société CIC la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

La société CIC souligne qu'en mentionnant expressément la grève dans la clause de force majeure contenue à l'article 18 du contrat, les sociétés Energies Antilles et Man entendaient éviter l'application des critères jurisprudentiels de la force majeure, qui, appliqués à la grève, ne sont précisément jamais remplis. Elle explique qu'une interprétation de l'article 18 du contrat renvoyant à la définition jurisprudentielle de la force majeure reviendrait à admettre que les parties auraient sciemment convenu d'un cas de force majeure irréalisable.

Les sociétés Energies Antilles, Contourglobal France et Contourglobal Luxembourg, par dernières conclusions signifiées le 7 novembre 2016, demandent à la Cour de :

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné in solidum la société Man et la banque CIC à payer à la société Energies Antilles la somme de 3.048.980 euros au titre de la deuxième garantie ;

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné la société Man à payer à la société Energies Antilles la somme de 780.975,49 euros au titre des pénalités restant dues ;

- dire les sociétés Energies Antilles, Contourglobal France et Contourglobal Luxembourg recevable en leur appel incident ;

- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a réduit de 237.513,21 euros le montant de la pénalité due à la société Energies Antilles par la société Man ;

statuant à nouveau,

- condamner la société Man à payer à la société Energies Antilles la somme de 237.513,21 euros au titre des pénalités restant dues au titre de la perte de chiffre d'affaires ;

- condamner la société Man à payer à la société Energies Antilles les intérêts contractuels de retard sur cette somme à compter du 23 octobre 2010 ;

En tout état de cause,

- débouter la société Man et la banque CIC de l'ensemble de leurs demandes ;

- condamner la société Man et la banque CIC à payer à la société Energies Antilles la somme de 15.000 euros chacune au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens

Sur la force majeure, elles soutiennent que la survenance des grèves ne justifiait pas que la société Man soit exonérée de pénalités contractuelles, que l'énumération d'événements de l'article 18 du contrat est non limitative, et donc simplement illustrative de la notion de force majeure, sans que la mention d'un cas en particulier n'entraîne automatiquement une assimilation à la force majeure. Elles soutiennent donc que les conditions jurisprudentielles de la force majeure doivent être réunies pour caractériser un cas de force de majeure au sens de l'article 18 du contrat puisque les parties n'ont pas expressément retirer au juge le pouvoir de vérifier in concreto si les conditions de la force majeure sont réunies.

Elles soulignent que le premier et le dernier mouvement de grève n'étaient pas imprévisibles, mais résultaient au contraire du refus persistant de la société Man de satisfaire aux revendications salariales, que ces mouvements n'étaient pas davantage irrésistibles et extérieurs puisque leur fait générateur était interne à l'entreprise et concernait le strict périmètre de la direction de la société Man. Elles admettent au contraire que la grève survenue du 20 janvier au 4 mars 2009 était un événement revêtant l'ensemble des caractères de la force majeure puisque la satisfaction des revendications nécessitait une intervention de l'Etat, que le mouvement de grève s'est étendu à toute la Guadeloupe et à tous les secteurs et que le fait générateur résultait de l'augmentation générale des prix. Elles rappellent que la société Energies Antilles n'a donc réclamé aucune pénalité pour le non-respect des engagements de fourniture d'électricité lié à ce mouvement.

Sur le montant des pénalités, elles affirment que les montants demandés n'ont jamais varié et que la méthode de calcul a toujours été très clairement indiquée. Elles rappellent que la sanction prévue par la clause pénale ne dépend pas de l'existence d'un préjudice et que l'article 14.1 du contrat doit donc lui permettre de recevoir les pénalités sur le simple constat de l'inexécution contractuelle de la société Man. Elles expliquent, toutefois, que le montant des pénalités ne peut être réduit comme excessif dès lors qu'il est directement indexé sur le préjudice subi par la société Energies Antilles, résultant de la perte constatée dans son chiffre d'affaires.

Il est expressément référé aux écritures des parties pour un plus ample exposé des faits, de leur argumentation et de leurs moyens.

MOTIFS

Considérant qu'il n'est pas contesté que, durant les exercices 2007/2008 et 2008/2009, le volume d'énergie électrique fourni par la centrale électrique exploité par la société Man s'est avéré inférieur aux quantités contractuellement fixées ; que Man justifie cette situation par trois mouvements sociaux ayant affecté la centrale sur cette période ;

Considérant que Man soutient, à titre principal, que ces grèves sont constitutives de cas de force majeure exonératoires des pénalités contractuellement dues ;

Considérant que l'article 1148 du code civil, dans sa rédaction applicable à la cause, prévoit qu' 'il n'y a lieu à aucun dommages-intérêts lorsque, par suite d'une force majeure ou d'un cas fortuit, le débiteur a été empêché de donner ou de faire ce à quoi il était obligé ou a fait ce qui lui était interdit' ;

Considérant que l'article 14 du contrat du 21 novembre 1997 'Pénalites - primes' stipule en son paragraphe 14.1 :

'(a) Production d'électricité active et réactive

Si, sauf les cas visés à l'article 18 du Titre III ci-après, l'électricité fournie par la Centrale n'atteint pas, au cours d'une année, ['] les quantités fixées par le Contrat d'Achat EDF, [MAN] sera redevable à [EA] d'une indemnité égale à la pénalité définie par le Contrat d'Achat EDF".

(a bis) Production d'électricité

"Si, sauf les cas visés à l'article 18 du Titre III ci-après, l'électricité fournie par la Centrale n'atteint pas, au cours d'une année, ['] les productions garanties, [MAN] sera redevable à EA d'une indemnité égale au chiffre d'affaires non réalisé par EA (nombre de kWh correspondant à l'insuffisance constatée multiplié par le tarif d'achat EDF applicable selon la période tarifaire considérée), déduction faite du coût de fioul non utilisé' ;

Que l'article 18 du même contrat '[Localité 2] majeure' prévoit :

'[MAN] ne sera pas responsable des conséquences constitutives de cas de force majeure, tels émeutes, grèves, cessation concertée de travail autre que celle du propre personnel de l'entreprise, guerres ou hostilités (déclarées ou non), actes terroristes, incendie, inondations, ou autres catastrophes naturelles, contamination par radioactivité ou matières toxiques, dangereuses ou polluantes, insuffisance de fourniture par des tiers, actes d'autorité publique, manquement ou décision unilatérale d'EDF ou du fournisseur du fioul, modifications de normes, perturbations ou interruptions du service public, ou encore qualité du fioul non conforme aux spécifications jointes en annexe 7.' ;

Considérant qu'il ne résulte d'aucune mention de l'article 18 précité que les parties aient entendu déroger au droit commun et que serait expressément retiré au juge tout pouvoir d'appréciation ; qu'il résulte du terme 'tels' annonçant l'énumération d'événements qualifiés de force majeure que la liste est essentiellement illustrative de la notion de force majeure ; que la seule référence générale aux événements énumérés - notamment 'grèves', 'actes d'autorité publique', 'modifications de normes', 'perturbations du service public', 'guerre déclarée', 'contamination par radioactivité' - hors de toute précision quant à leurs circonstances et à leurs liens avec l'activité de la centrale électrique, est insuffisante à emporter assimilation expresse de ces événements à des cas de force majeure ; que le 3ème alinéa de l'article 18 ('Dans le cas où, néanmoins, l'entreprise ne pourrait remplir ses obligations, les obligations de chacune des parties seront alors suspendues pendant la durée de la force majeure et reprendra effet dès qu'aura disparu la cause ayant provoqué son interruption, et les obligations de l'une ou des deux parties affectées par la force majeure seront prorogées automatiquement d'une durée égale à celle de la force majeure...) renvoie non aux évènements énumérés au 1er alinéa, mais à la force majeure ; que, dans ces conditions, la clause de l'article 18 ne dispense nullement le débiteur qui entend s'exonérer d'établir que les caractères d'imprévisibilité et d'irrésistibilité de la force majeure sont réunis ;

Considérant que sont dans le débat les grèves dites n° 1 (du16 juin au 4 août 2008), n° 2 (du 20 janvier au 4 mars 2009) et n° 3 (du18 mars au 8 avril 2009) ;

Considérant que, si le caractère de force majeure de la grève n° 2, qui est intervenue du 20 janvier au 4 mars 2009 et qui a paralysé l'ensemble des Antilles Françaises, n'est pas contesté par les parties, les grèves n° 1 et 3, au titre desquelles Energies Antilles a appelé les pénalités contractuelles, ne présentent pas un tel caractère :

- ni la grève n° 1, qui a duré du 16 juin au 4 août 2008 et a eu pour origine l'application de la loi TEPA en faveur du travail, de l'emploi et du pouvoir d'achat du 21 août 2007 aux personnels des industries électriques et gazières, grève qui n'était en l'espèce :

ni imprévisible, Man ne soutenant pas qu'elle aurait éclaté de façon inopinée et les difficultés ayant conduit à la grève étant connues de Man depuis le début de l'année 2008, ainsi que cela ressort de la lettre de Man à Energies Antilles en date du 18 juin 2008 (pièce Man n° 35) ;

ni irrésistible, la situation financière de Man ne révélant aucune impossibilité de sortir du conflit social et l'appelante ne contestant pas que ses autres usines avaient été en mesure de faire droit aux revendications présentées ;

- ni la grève n° 3, du 18 mars au 8 avril 2009 : cette grève, dont le caractère inopiné n'est pas allégué, a été limitée à la centrale de Jarry et a été motivée par des revendications découlant de la grève n° 2 (paiement des jours de la grève n° 2, mise en application de l'accord BINO (accord régional interprofessionnel signé à l'issue de la grève n° 2), qu'elle n'a, dans ces circonstances, présenté aucun caractère d'imprévisiblité, ni d'irrésistibilité ;

Que le jugement entrepris sera en conséquence confirmé en ce qu'il a dit que les grèves n° 1 et n° 3 ne présentaient pas le caractère de la force majeure ;

Sur les pénalités réclamées

Considérant que Man ne saurait soutenir que l'article 14.1 du contrat n'est pas applicable en cas de grève, cet article renvoyant aux 'cas visés à l'article 18", lesquels incluent la notion de force majeure, dont la Cour retient qu'elle n'est pas en l'espèce caractérisée ;

Considérant qu'en application de l'article 14.1, Energies Antilles a droit, en cas de défaut de production, au versement de pénalités correspondant à une pénalité égale à la pénalité payée par Energies Antilles à EDF et à une pénalité égale à la perte de chiffre d'affaires d'Energies Antilles après déduction de la consommation de fioul ;

Qu'Energies Antilles réclame à Man les pénalités suivantes :

- au titre de l'exercice 2007-2008 (facture du 22 décembre 2009, pièce Energies Antilles n° 7) :

pénalités dues par Energies Antilles à EDF : 338.402,84 euros ;

perte de chiffre d'affaires subi par Energies Antilles : 126.342,00 euros ;

consommation de fioul économisé : - 122.959,00 euros ;

pénalité réclamée à Man : 341.785,84 euros, arrondie à 341.786,00 euros ;

- au titre de l'exercice 2008-2009 (facture du 22 octobre 2010, pièce Energies Antilles

n° 8) :

pénalités dues par Energies Antilles à EDF : 4.752.660,00 euros ;

perte de chiffre d'affaires subi par Energies Antilles : 2.044.241,79 euros ;

consommation de fioul économisé : - 1.546.728,58 euros ;

pénalité réclamée à Man : 5.250.173,21 euros ;

soit un total de 5.591.959,21 euros ;

Considérant que l'indemnité de résiliation est stipulée pour contraindre l'exploitant de la centrale à l'exécution du contrat et réparer forfaitairement le préjudice subi en cas de défaut de production ; qu'elle est constitutive d'une pénalité au sens de l'article 1152 du code civil et est donc susceptible de réduction dans les conditions prévues par cet article ;

Mais considérant qu'Energies Antilles justifie des sommes payées à EDF ; que les montants réclamés à ce titre ne présentent aucun caractère manifestement excessif ;

Que, sur la perte de chiffre d'affaires subie par Energies Antilles, Man ne conteste pas le principe d'un tel préjudice ('le seul préjudice d'Energies Antilles qui pourrait être considéré comme démontré (') est la perte de chiffre d'affaires d'Energies Antilles dont le montant est de 500.896,37 euros' : 'chiffre d'affaires moins consommation de fioul sur chaque période soit : (126.342 EUR - 122.959 EUR) + (2.044.241,79 EUR - 1.546.728,58 EUR) - conclusions Man page 32) ; que, sur les montants, Man prend en compte les montants invoqués par Energies Antilles (d'une part 126.342 euros, d'autre part 2.044.241,79 euros) ; qu'il n'est donc pas établi que les montants réclamés à ce titre soit manifestement excessifs ;

Que le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a condamné :

- in solidum Man et le CIC à payer à Energies Antilles la somme de 3.048.980 euros au titre de la garantie n° 20050707370 ;

- Man à payer à Energies Antilles la somme de 780.975,49 euros au titre des pénalités restant dues ;

Que la Cour infirmera le jugement entrepris en ce qu'il a réduit de 237.513,21 euros le montant de la pénalité due à la société Energies Antilles par Man, au titre l'indemnisation de la perte de chiffre d'affaires et condamnera Man à payer à Energies Antilles la somme de 237.513,21 euros, avec intérêts contractuels sur cette somme ;

Considérant que l'équité commande de faire application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi que précisé au dispositif ;

PAR CES MOTIFS

La Cour statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,

CONFIRME le jugement entrepris, sauf en ce qu'il a réduit de 237.513,21 euros le montant de la pénalité due à la société Energies Antilles au titre l'indemnisation de la perte de chiffre d'affaires,

STATUANT A NOUVEAU du chef infirmé,

CONDAMNE la SAS Man & Turbo France à payer à la SNC Energies Antilles la somme de 237.513,21 euros, avec intérêts au taux PIBOR 1 mois + 4 points à partir du 22 octobre 2010,

CONDAMNE, en application de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel :

- la SAS Man & Turbo France à payer à la SNC Energies Antilles la somme de 8.000 euros,

- le CIC à payer à la SNC Energies Antilles celle de 2.000 euros,

CONDAMNE la SAS Man & Turbo France aux dépens d'appel qui seront recouvrés conformément à l'article 699 du code de procédure civile.

Le greffier Le président


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 5 - chambre 11
Numéro d'arrêt : 15/14305
Date de la décision : 10/03/2017

Références :

Cour d'appel de Paris J2, arrêt n°15/14305 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2017-03-10;15.14305 ?
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