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09/03/2017 | FRANCE | N°15/10093

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 5, 09 mars 2017, 15/10093


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 5



ARRÊT DU 09 Mars 2017

(n° , pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : S 15/10093



Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 02 Septembre 2015 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de section RG n° 13/00521





APPELANTE

Madame [D] [U]

[Adresse 1]

[Adresse 1]

[Localité 1]

représentée par Me Laure DENERVAUD, avocat au barreau de P

ARIS, toque : P0013





INTIMEE

SAS SUD EXPERTISE ET AUDIT

[Adresse 2]

[Localité 2]

représentée par Me Deny ROSEN, avocat au barreau de PARIS, toque : P0453







COMPOSITION...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 5

ARRÊT DU 09 Mars 2017

(n° , pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : S 15/10093

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 02 Septembre 2015 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de section RG n° 13/00521

APPELANTE

Madame [D] [U]

[Adresse 1]

[Adresse 1]

[Localité 1]

représentée par Me Laure DENERVAUD, avocat au barreau de PARIS, toque : P0013

INTIMEE

SAS SUD EXPERTISE ET AUDIT

[Adresse 2]

[Localité 2]

représentée par Me Deny ROSEN, avocat au barreau de PARIS, toque : P0453

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 945-1 du Code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 12 Janvier 2017, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Mariella LUXARDO, Présidente, chargée d'instruire l'affaire.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Madame Mariella LUXARDO, Présidente

Monsieur Stéphane MEYER, Conseiller

Madame Isabelle MONTAGNE, Conseillère

qui en ont délibéré

Greffier : Madame Laura CLERC-BRETON, lors des débats

ARRÊT :

- contradictoire

- mis à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,

- signé par Madame Mariella LUXARDO, Présidente et par Madame Christine LECERF, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Mme [U] a été engagée à compter du 8 octobre 2001 par la société Sud Expertise et Audit en qualité d'assistante comptable.

Le salaire de référence non contesté, est de 3.176 € bruts. Au vu de l'attestation Pôle Emploi, la société emploie treize salariés. Elle fait application de la convention collective des cabinets d'experts comptables.

Le gérant de la société M. [M] est décédé en [Date décès 1] 2012. M. [C] associé minoritaire depuis 2009, a été désigné comme gérant à une date non précisée par les parties.

Le 18 juillet 2013, Mme [U] a été convoquée à un entretien préalable, tenu le 7 août 2013, et licenciée le 12 août 2013 pour faute lourde.

Mme [U] a saisi le conseil des prud'hommes de Villeneuve-Saint-Georges aux fins de contester son licenciement.

Par jugement du 2 septembre 2015, le conseil de prud'hommes a rejeté l'ensemble de ses demandes.

La cour est régulièrement saisie d'un appel formé par Mme [U].

Par écritures visées par le greffier et soutenues oralement, Mme [U] demande à la cour de :

- infirmer le jugement du 2 septembre 2015,

- dire que le licenciement est entaché de nullité et en toutes hypothèses sans cause réelle et sérieuse,

- condamner la société Sud Expertise et Audit au paiement des sommes suivantes :

* 79.400 € au titre du caractère illicite du licenciement,

* 952,80 € au titre des congés payés de juin et jusqu'au 24 juillet 2013,

* 2.382 € au titre de la mise à pied conservatoire,

* 238,20 € au titre des congés payés afférents,

* 7.622,40 € au titre de l'indemnité légale de licenciement,

* 6.352 € au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,

* 635,20 € au titre des congés payés afférents,

* 30.000 € à titre de dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail et refus de communiquer les pièces relatives aux heures supplémentaires,

* 5.000 € au titre de la privation du DIF,

* 5.000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Par écritures visées par le greffier et soutenues oralement, la société Sud Expertise et Audit demande à la cour de confirmer le jugement du 2 septembre 2015 et condamner Mme [U] au paiement de la somme de 3.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Par lettre reçue le 16 juillet 2016, Pôle Emploi demande à la cour :

- le remboursement par la société Sud Expertise et Audit à Pôle Emploi, des indemnités de chômage versées à Mme [U] dans la limite de deux mois,

- le paiement de la somme de 500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, la cour, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, renvoie aux conclusions déposées et soutenues à l'audience.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur le licenciement

A l'appui de son appel, Mme [U] fait valoir que son licenciement est nul comme portant atteinte à sa liberté d'expression, liberté fondamentale, dès lors que la société Sud Expertise et Audit entend la sanctionner pour une attestation en justice qu'elle a établie dans le cadre d'un litige opposant le nouveau gérant M. [C] et la famille de M. [M].

En réponse, la société Sud Expertise et Audit soutient que l'attestation établie par Mme [U] à la demande la famille [M], a dépassé les limites de la liberté d'expression, dès lors qu'elle comporte des propos haineux, injurieux et homophobes, mettant en cause la gestion de M. [C], en vue de déstabiliser le cabinet, et par vengeance suite à deux avertissements reçus en mai et juillet 2013.

En droit, la faute grave résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputable au salarié qui constitue une violation délibérée des obligations découlant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise pendant la durée du préavis.

La faute lourde suppose au surplus une intention de nuire à l'employeur ou à l'entreprise.

L'employeur doit rapporter la preuve de l'existence d'une telle faute, après l'avoir énoncée dans la lettre de licenciement, dont les termes fixent les limites du litige.

En l'espèce, la lettre de licenciement du 12 août 2013 est fondée exclusivement sur l'attestation établie le 4 juin 2013 par Mme [U] dans le cadre d'une action engagée devant le tribunal de commerce de Créteil, le 4 juillet 2013 par la famille [M].

Il sera relevé que l'assignation, communiquée par l'intimée, a été délivrée par l'indivision [M] à l'encontre de la SARL Sud Expertise et d'une seconde société, la SARL CF Expertise et Audit, détenue par M. [C].

L'indivision [M] a sollicité la désignation d'un administrateur provisoire au motif qu'il existait un risque de détournement de clientèle de la SARL Sud Expertise, créée par le père de M. [M], au profit de la SARL CF Expertise et Audit, créée par M. [C].

L'assignation indique qu'elle s'appuie sur des éléments confirmés par plusieurs salariés de la société, quatre attestations étant visées dans le bordereau des pièces, annexé à l'assignation, dont celle de Mme [U].

La société Sud Expertise et Audit expose que l'indivision [M] s'est désistée de sa demande en septembre 2013, sans justifier de cette date, et sans précision sur les conditions du désistement, au titre duquel elle soutient s'y être opposé sans le démontrer, alors par ailleurs, qu'il n'est pas contesté que M. [C] a racheté les parts de la famille [M] et qu'il a procédé à une réorganisation de la SARL Sud Expertise devenue la SAS Sud Expertise et Audit.

Il ressort ainsi, au vu des termes de l'assignation, que les salariés de la société Sud Expertise se sont trouvés mêlés à un conflit opposant les associés de la SARL, entre d'une part la famille du gérant avec lequel ils travaillaient depuis de nombreuses années et M. [C], associé minoritaire, arrivé courant 2009.

La situation conflictuelle est en outre confirmée de façon circonstanciée par [N] [M], fille de M. [M], dans une attestation communiquée par Mme [U], celle-ci regrettant que les attestations que les salariées ont remis à sa famille, aient pu motiver leur licenciement par M. [C].

Il n'est donc pas contestable que le licenciement a été prononcé pour des motifs ne tenant pas à la qualité du travail de Mme [U], mais en raison de l'attestation rédigée par celle-ci, M. [C] ayant considéré que les termes utilisés rendaient impossible la poursuite du contrat de travail, et le mettaient personnellement en cause, avec son compagnon, compte tenu de propos homophobes et haineux.

Or, la cour écarte cette interprétation très personnelle que fait M. [C] de l'attestation rédigée par Mme [U].

La cour relève que l'attestation est empreinte d'une charge émotionnelle incontestable, liée au changement de gérant dans la société, au conflit existant dans les relations de travail au sein d'une petite structure familiale, et à la souffrance morale vécue par Mme [U] qui relate avoir été hospitalisée en maison de repos pendant cinq semaines en mai 2012, du fait des conflits existant au travail, événement non contesté par l'intimée.

La cour ne constate pas l'existence de propos homophobes et haineux dès lors que la salariée relate avoir été choquée par la place donnée par M. [C] à son compagnon de 20 ans, au sein du cabinet, dont il est devenu salarié, ayant été nommé à un poste important de responsable du personnel, en remplacement d'une ancienne collègue également concernée par le conflit, et qui a déplacé plusieurs salariés dans des bureaux restreints, occasionnant de mauvaises conditions matérielles de travail.

Les précisions qu'elle donne dans ces termes : 'j'en ai simplement assez de voir les deux tourtereaux s'enlacer, voire plus dès qu'ils en ont l'occasion et ceci sans pudeur' ne peuvent être qualifiés d'homophobes, mais sont l'expression d'une gêne relatée par Mme [U], légitime au regard d'attitudes privées exposées sur les lieux du travail, non contredites par des pièces contraires.

Notamment, pour contester les propos tenus par Mme [U], la société Sud Expertise et Audit produit soit des attestations de clients de M. [C], non pertinentes dans le litige existant au sein du cabinet, soit de salariés récemment recrutés en 2013, qui ne donnent aucune précision sur les conditions de travail existant au sein du cabinet, si ce n'est pour affirmer que l'ambiance y était très agréable, alors que le cabinet était objectivement confronté à des événements graves, résultant du décès du gérant historique, du conflit entre les associés à l'origine de l'assignation devant le tribunal de commerce, et d'un confit opposant plusieurs salariés au nouveau gérant, conduisant à plusieurs licenciements sur une courte période.

Il convient dès lors de considérer que l'attestation rédigée par Mme [U] ne comporte pas d'abus de langage et au surplus que cette attestation trouve son origine dans un conflit opposant les associés de la SARL, employeur qui ne devait pas prendre l'initiative de mêler les salariés à ce conflit.

Il s'ensuit que le licenciement est dépourvu d'une cause réelle et sérieuse.

La cour considère que le litige ne porte pas sur la liberté d'expression comme liberté fondamentale, aucune prise de position publique n'étant en cause, de sorte que la demande de nullité du licenciement est rejetée.

Le jugement du 2 septembre 2015 mérite par suite la réformation.

Compte tenu des éléments de la cause, et notamment de la durée de son emploi au sein de la la société Sud Expertise et Audit et de la situation de Mme [U] qui est toujours au chômage, il convient de fixer l'indemnisation au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse, à la somme de 42.000 €.

Mme [U] doit se voir attribuer également l'intégralité de ses indemnités de fin de contrat et des salaires dont elle a été privées par l'effet du licenciement pour faute lourde.

Sur les heures supplémentaires

En application de l'article L. 3174-4 du code du travail, la preuve des heures de travail effectuées n'incombe spécialement à aucune des parties ; l'employeur doit fournir au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié, et il appartient à ce dernier de fournir préalablement au juge des éléments de nature à étayer sa demande.

Mme [U] sollicite

30.000 € de dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail et refus de communiquer les pièces relatives aux heures supplémentaires, sans produire aucune pièce justificative visant à étayer sa prétention relative au dépassement de la durée légale du travail.

Le jugement sera par suite confirmé en ce qu'il a rejeté les demandes présentées à ce titre.

Sur le préjudice découlant de la privation du droit individuel à la formation

Mme [U] licenciée à tort pour faute lourde, n'a pas été en mesure d'exercer son droit individuel à la formation.

Une indemnité de 300 € lui sera accordée en réparation du préjudice subi.

Sur le remboursement des indemnités de chômage versées à Mme [U]

Les dispositions de l'articles L. 1235-3 du code du travail étant dans le débat, la cour a des éléments suffisants pour fixer à deux mois le montant des indemnités versées à Mme [U], à rembourser par la société Sud Expertise et Audit en application de l'article L. 1235-4 du code du travail aux organismes concernés, parties au litige par l'effet de la loi.

Sur l'application de l'article 700 du code de procédure civile

La société Sud Expertise et Audit devra également verser une indemnité de 3.000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Il convient de rejeter la demande présentée à ce titre par Pôle Emploi, partie au litige par l'effet de la loi, qui n'a pas formalisé de conclusions circonstanciées dans l'affaire.

PAR CES MOTIFS :

LA COUR,

Statuant par arrêt contradictoire, mis à disposition au greffe,

Infirme le jugement du 2 septembre 2015 sauf en ce qu'il a rejeté la demande de nullité du licenciement et de

dommages-intérêts au titre de l'exécution déloyale du contrat de travail ,

Statuant à nouveau,

Dit que le licenciement de Mme [U] par la société Sud Expertise et Audit n'est pas fondé sur une cause réelle et sérieuse,

Condamne la société Sud Expertise et Audit à payer à Mme [U] les sommes suivantes :

* 952,80 € au titre des congés payés de juin et jusqu'au 24 juillet 2013,

* 2.382 € au titre de la mise à pied conservatoire,

* 238,20 € au titre des congés payés afférents,

* 7.622,40 € au titre de l'indemnité légale de licenciement,

* 6.352 € au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,

* 635,20 € au titre des congés payés afférents,

ces sommes produisant des intérêts au taux légal à compter de la réception de la convocation de la société Sud Expertise et Audit devant le Bureau de conciliation

* 42.000 € à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

* 300 € en réparation du préjudice découlant de la privation du droit individuel à la formation

ces sommes produisant des intérêts au taux légal à compter de cet arrêt,

Ordonne le remboursement par la société Sud Expertise et Audit à Pôle Emploi, des indemnités de chômage versées à Mme [U] dans la limite de deux mois,

Rejette les autres demandes des parties,

Condamne la société Sud Expertise et Audit aux entiers dépens et à payer à Mme [U] une indemnité de 3.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Le GREFFIER, Le PRÉSIDENT,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 5
Numéro d'arrêt : 15/10093
Date de la décision : 09/03/2017

Références :

Cour d'appel de Paris K5, arrêt n°15/10093 : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2017-03-09;15.10093 ?
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