Grosses délivréesRÉPUBLIQUE FRANÇAISE
aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 5 - Chambre 3
ARRÊT DU 01 MARS 2017
(n° , 07 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : 15/04289
Décision déférée à la Cour : Jugement du 18 Décembre 2014 -Tribunal de Grande Instance de Paris - RG n° 13/14649
APPELANTE :
SARL VILLA TOKYO, prise en la personne de ses représentants légaux
Immatriculée au RCS de Paris sous le numéro 398 404 368
[Adresse 1]
[Adresse 1]
Représentée par Me Judith BENGUIGUI, avocat au barreau de PARIS, toque : C2254
INTIMÉS :
[N] [O] épouse [C] décédée le [Date décès 1] 2015
Monsieur [B] [C] agissant en sa qualité de nu-propriétaire et d'héritier de [N] [O] épouse [C] décédée le [Date décès 1] 2015
Né le [Date naissance 1] 1950 à [Localité 1]
[Adresse 2]
[Adresse 2]
Représentés par Me Frédéric LALLEMENT de la SCP SCP BOLLING - DURAND - LALLEMENT, avocat au barreau de PARIS, toque : P0480, avocat postulant
Assistés de Me Laurent TRICOT, avocat au barreau de PARIS, toque : G0449, avocat plaidant
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 786 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 10 Janvier 2017, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposé, devant Madame Marie-Brigitte FRÉMONT, Conseillère, chargée d'instruire l'affaire, laquelle a été entendue en son rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Madame Chantal BARTHOLIN, présidente de chambre
Madame Agnès THAUNAT, présidente
Madame Marie-Brigitte FREMONT, Conseillère
qui en ont délibéré
Greffier : lors des débats : Madame Anaïs CRUZ
ARRÊT :
- contradictoire,
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,
- signé par Madame Chantal BARTHOLIN, présidente de chambre et par Madame Anaïs CRUZ, greffier présent lors du prononcé.
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Par acte sous seing privé du 16 juin 1992, Monsieur [X] [C] et Madame [N] [O] épouse [C] ont donné à bail, en renouvellement, des locaux commerciaux situés [Adresse 1] à la SARL Madinina.
Les locaux sont désignés comme constitués d'une boutique au rez-de-chaussée avec monte charge, d'une arrière boutique avec escalier intérieur desservant le premier sous-sol et d'un WC et, au fond, une pièce (transformée en cuisine par la société preneuse au cours du bail précédent) et, au sous-sol, de deux caves. Le bail est à destination de restaurant-bar.
Par acte du 12 août 1994, Maître [Q], administrateur judiciaire de la société Madinina, a cédé les actifs de la société à la société Villa Tokyo, cession comprenant le droit au bail.
Par acte du 5 novembre 2002, M. et Mme [C] ont renouvelé le bail pour une durée de 9 ans à compter du 1er décembre 2000.
Par jugement du 11 juin 2002, confirmé par arrêt de la cour d'appel de Paris du 11 décembre 2003, le tribunal de grande instance de Paris a condamné sous astreinte, à la demande du Syndicat des copropriétaires, le preneur et le bailleur Mme [C] à remettre en état les lieux à la suite de travaux exécutés par le preneur qui a percé la sortie de secours et déplacé des conduits d'extraction.
Par arrêt du 15 novembre 2012, la cour d'appel de Paris a liquidé l'astreinte à la somme de 50.000 euros.
Par acte du 21 décembre 2012, M. [B] [C] et Mme [N] veuve [C] ont fait délivrer à la locataire un commandement, visant la clause résolutoire, de démolir les conduits.
La société Villa Tokyo a assigné Mme [N] [C] devant le tribunal de grande instance de Paris afin notamment de voir annuler ledit commandement.
Le Syndicat des copropriétaires de l'immeuble a fait assigner, devant le juge des référés, la société Villa Tokyo et Mme [C] afin d'être autorisé à démolir les ouvrages érigés dans la cour intérieure de l'immeuble et par ordonnance du 2 décembre 2013, le juge des référés s'est déclaré incompétent compte tenu de la procédure diligentée au fond, à laquelle le Syndicat des copropriétaires a été assigné en intervention forcée et M. [B] [C] est intervenu volontairement.
Par acte du 15 décembre 2009, la société Villa Tokyo a sollicité le renouvellement de son bail.
Par jugement du 17 mai 2011, le juge des loyers commerciaux a constaté que le bail s'était renouvelé à compter du 1er janvier 2010, ordonné une expertise et fixé le loyer provisionnel au montant du loyer contractuel.
La société locataire sollicitait la fixation du loyer annuel à la somme de 27.535,60 euros et les bailleurs à celle de 46.000 euros.
L'expert Monsieur [N] a déposé son rapport le 28 novembre 2012, fixant la valeur locative en renouvellement de loyer déplafonné à la somme de 43.300 € HT HC et en loyer renouvelé plafonné à la somme de 30.363,89 € / an.
Par jugement en date du 18 décembre 2014, le Tribunal de Grande Instance de PARIS a :
- rejeté la demande de jonction,
- fixé à la somme de 43.300 euros le montant annuel en principal du loyer renouvelé le 1er janvier 2010,
- condamné la société Villa Tokyo au paiement des intérêts légaux sur les suppléments de loyers arriérés à compter du 28 décembre 2010,
- ordonné la capitalisation de ceux-ci étant précisé que la demande a été formée le 28 décembre 2010,
- rejeté la demande tendant à obtenir la remise des quittances,
- déclaré irrecevables les autres demandes reconventionnelles formées par la locataire,
- rejeté les demandes fondés sur l'article 700 du code de procédure civile,
- fait masse des dépens, qui comprendront les frais d'expertise, et dit qu'ils seront supportés par moitié par chacune des parties,
- ordonné l'exécution provisoire.
La SARL Tokyo a relevé appel de cette décision le 24 février 2015.
Madame [N] [O] veuve [C], usufruitière, est décédée le [Date décès 1] 2015, laissant comme seul héritier son fils [B] [C], alors nu-propriétaire, qui retrouve la pleine propriété des lots de copropriété loués à la société Villa Tokyo au [Adresse 3].
Par dernières conclusions signifiées le 13 décembre 2016, la SARL Villa Tokyo demande à la cour, au visa des articles L. 145-33 et L 145-34 et R. 145-2 et suivants du Code de commerce, de :
' infirmer le jugement rendu le 18 décembre 2014 en toutes ses dispositions,
Et statuant à nouveau :
' Constater que la preuve de la date de la modification alléguée incombe au bailleur, demandeur au déplafonnement,
' Constater que les Consorts [C] n'apportent pas la preuve dont ils ont la charge de la réalisation des travaux modificatif des lieux loués pendant la période de référence, soit entre le 1er décembre 2000 et le 1er janvier 2010,
' Constater l'acte sous seing privé du 5 novembre 2002 constitue un nouveau bail,
' Constater, en conséquence, qu'à cette occasion les Consorts [C] ont indéniablement pu se convaincre de la configuration exacte des locaux qu'ils ont nécessairement donnés en location en connaissance de cause,
' Dire et juger que les travaux invoqués n'entraînent pas le déplafonnement du loyer du bail renouvelé,
' En conséquence dire et juger qu'aucune modification notable des caractéristiques des locaux n'est intervenue au cours de la période considérée, présentant a fortiori un impact favorable sur le commerce considéré, selon la jurisprudence de la Cour de cassation,
' En conséquence, débouter les consorts [C] de leur demande de fixation du loyer à une valeur locative,
En conclusion :
' Dire et juger que le loyer de renouvellement est soumis au plafonnement dont le montant annuel est fixé à 30.363,89 euros (TRENTE MILLE TROIS CENT SOIXANTE TROIS EUROS ET QUATRE VINGT NEUF CENTIMES) à compter du 1er janvier 2010, toutes autres clauses, charges et conditions demeurant maintenues sous réserve du réajustement du dépôt de garantie,
' Subsidiairement, fixer le montant du loyer du bail renouvelé à compter du 1er janvier 2010 à la valeur locative soit à la somme annuelle en principal de 34.300 € (TRENTE QUATRE MILLE TROIS CENT EUROS), toutes autres clauses, charges et conditions demeurant inchangées sous réserve du réajustement du dépôt de garantie,
' Condamner les consorts [C] à régler à la Société Villa Tokyo la somme de 5.000 € (CINQ MILLE EUROS) sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
' Condamner les consorts [C] aux entiers dépens, en ce compris les frais d'expertise, dont distraction pour ceux d'appel au profit de Maître Judith Benguigui, Avocat à la Cour, en application des dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.
Par dernières conclusions en date du 4 janvier 2017, M. [C], au visa des L 145-1 et R 145-1 du code de commerce, demande à la cour de :
- Déclarer la société Villa Tokyo recevable mais mal fondée en son appel,
- La débouter de toutes ses demandes, fins et conclusions contraires, principales et reconventionnelles,
- Dire et juger qu'il n'y a pas lieu à application du plafonnement pour la fixation du prix du loyer du bail renouvelé au 1er janvier 2010,
- Dire et juger que la société Villa Tokyo a acquiescé au principe de ce déplafonnement,
- Donner acte à Monsieur [B] [C] du décès de sa mère au [Date décès 1] 2015 et du fait qu'il reprend l'instance en son seul nom,
Sur l'appel incident,
- Confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a écarté la jonction des procédures et écarter tout désistement d'instance de la part des bailleurs,
- Fixer le montant du loyer du bail renouvelé à compter du 1er janvier 2010 à la somme de 53.991 € / an HC et HT, subsidiairement à la somme arrêtée par l'Expert à 43.300 €/ an HC et HT, aux clauses et conditions du bail,
En tout état de cause,
- Condamner la société Villa Tokyo au paiement des intérêts en vertu de l'article 1155 du code civil à compter du mémoire introductif d'instance, subsidiairement du premier mémoire en ouverture de rapport de Monsieur [N], les intérêts produisant eux-mêmes intérêts dans la mesure où ils seront dus pour une année entière, conformément à l'article 1154 du code civil,
- Débouter la société Villa Tokyo de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions reconventionnelles et contraires, notamment à titre de dommages et intérêts,
- Condamner la société Villa Tokyo à payer aux consorts [C] la somme de 15.000 € au titre de l'article 700 code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel, y compris devant le Juge des Loyers commerciaux et la présente instance, qui comprendront les frais de l'expertise, dont distraction sera faite au profit de la SCP BDL, Avocats associés à la Cour, aux offres de droit, et au besoin conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
SUR CE
Sur le déplafonnement du loyer :
L'expert a relevé que les travaux de modification suivants ont été effectués par la locataire :
- suppression d'un WC situé dans l'arrière-salle du rez-de-chaussée,
- création d'une zone sanitaire double en sous-sol en lieu et place d'une ancienne réserve.
Il a considéré que ce transfert en sous-sol et doublement des sanitaires clientèle constituent une modification des caractéristiques des lieux loués.
La SARL Villa Tokyo rappelle que la preuve de la date de la modification des lieux au cours du bail expiré incombe au bailleur, demandeur au déplafonnement, et que ce dernier ne rapporte pas cette preuve ; que tout au contraire, elle affirme que ces travaux ont été réalisés par le locataire précédent avant la cession du fonds de commerce intervenue en août 1994, et verse aux débats une attestation de conformité de matériaux rédigée par une société intervenue dans les lieux loués, qui comporte un plan de l'époque du rez-de-chaussée des locaux, sur lequel ne figurent déjà plus de WC. Elle en conclut que la modification des locaux n'étant pas intervenue au cours du bail expiré, ne peut constituer un motif de déplafonnement au sens des articles R. 145-2 et suivants du code de commerce. Elle ajoute que ces modifications étaient nécessairement connues des bailleurs puisque, lorsqu'ils ont consenti un nouveau bail à la SARL Villa Tokyo le 5 novembre 2002, ils ont pu à cette occasion se convaincre de la configuration exacte des locaux ; que cet acte comportant de nouvelles dispositions ne constitue pas un simple renouvellement mais bien un nouveau bail qui fait novation entre les parties, avec les conséquences qui en découlent.
M. [C] réplique que le document produit ne rapporte pas la preuve de l'époque de réalisation des travaux. Il soutient que les consorts [C] n'ayant pas été avisés de ces travaux occultes portant modification des caractéristiques des locaux loués avant l'échéance du bail expiré, ils étaient recevables et bien fondés à invoquer ces motifs pour obtenir le déplafonnement du loyer lors du premier renouvellement consécutif à la connaissance qu'ils ont eu de l'existence de ces modifications.
Il affirme que si, comme le soutient la locataire, les consorts [C] ont accepté en concluant le nouveau bail du 5 novembre 2002, les modifications réalisées par la société Villa Tokyo, ils peuvent alors se prévaloir de ces travaux réalisés par le preneur avec son assentiment lors du second renouvellement suivant ces modifications, au 1er janvier 2010.
Constitue une exception à la règle du plafonnement du loyer, une modification notable des éléments de la valeur locative mentionnés aux 1er et 4ème de l'article L.145-33 du code du commerce, intervenue pendant le cours du bail expiré.
Le bailleur soutient que ces travaux constituent à la fois des travaux de modification des caractéristiques des lieux loués et des travaux d'amélioration réalisés par le locataire, qui peuvent être pris en considération, dans le cadre de l'article R.145-8 alinéa 2 du code du commerce, comme motif de déplafonnement à l'occasion du deuxième renouvellement.
Or quelque soit la nature des travaux litigieux - modification des lieux loués et / ou amélioration, pour se prévaloir du déplafonnement du loyer, il appartient au bailleur d'établir la date à laquelle est intervenue la modification des lieux loués.
Il convient de relever que même si les travaux décrits par l'expert ont été effectués sans l'accord du bailleur, en infraction à l'article 4 du bail du 5 novembre 2002, qui interdit au preneur de 'faire aucun changement de distribution, démolition quelconque, ni construction de quelque nature que ce soit, sans le consentement exprès et par écrit des propriétaires', ils sont néanmoins de nature à justifier le déplafonnement à l'occasion soit du premier renouvellement soit du second renouvellement consécutif à leur réalisation.
Le bail décrit les lieux loués comme suit :
- au rez de chaussée : une boutique avec monte-charge et arrière boutique avec escalier intérieur desservant le premier sous-sol et WC, et au fond, une pièce,
- au sous-sol, deux caves.
La description des lieux qui est faite dans le bail datant du 5 novembre 2002 diffère peu de la description faite dans le bail précédent du 16 juin 1992 et mentionne toujours l'existence des WC au rez-de-chaussée, mais il ne peut être exclu comme souligné par l'expert que la désignation des lieux loués soit reprise du bail précédent, même lorsqu'elle ne rend plus compte de leur consistance réelle au jour de leur prise d'effet.
Le bailleur a du reste, en contradiction avec cette description faite des lieux loués, affirmé dans un dire adressé à l'expert par son conseil le 30 octobre 2012, que les travaux de transformation des lieux ont été entrepris, non durant la période du bail écoulé, mais au cours du bail précédent.
Le document dont se prévaut la locataire pour établir que les travaux de modification des locaux sont antérieurs à 2000 est une attestation de conformité de matériaux (panneaux décor, portes coupe feu et faux plafond) établie le 2 mars 1998 par l'entreprise J.Habib, jointe à un plan des lieux et des travaux envisagés. Or ce plan sommaire, puisqu'il ne mentionne pas les différentes pièces existantes (boutique, arrière-boutique, bureau, WC), est insuffisant à démontrer que les sanitaires avaient déjà été déplacés à cette date.
Il s'ensuit en l'état des pièces produites aux débats qu'aucun élément tangible ne vient dater de façon certaine l'époque à laquelle les travaux de suppression des sanitaires en rez-de-chaussée, de transformation de la réserve du sous-sol et de création de doubles sanitaires accessibles au public ont été réalisés, de sorte que le bailleur ne pouvant justifier de leur réalisation soit au cours du bail expiré, soit au cours du bail précédent, il n'y a pas motif à déplafonnement.
Le loyer en renouvellement plafonné sera fixé, comme le sollicite le preneur, à la somme de 30.363,89 euros (1.952 € x 1.498 / 1083) à compter du 1er janvier 2010.
Sur les autres demandes :
Les intérêts de retard dus sur les arriérés éventuels courront à compter du 28 décembre 2010, date de l'assignation, et leur capitalisation aura lieu dans les conditions de l'article 1154 du code civil.
L'équité ne commande pas de faire application de l'article 700 du code de procédure civile.
Les dépens d'appel seront mis à la charge de M. [C].
PAR CES MOTIFS
Infirme le jugement, à l'exception de ses dispositions relatives à la demande de jonction, aux intérêts de retard et à leur capitalisation, à l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens,
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Donne acte à Monsieur [B] [C] de ce qu'il reprend la procédure en son seul nom, suite au décès de sa mère Madame [N] [O] veuve [C] ;
Dit n'y avoir lieu à déplafonnement du loyer ;
Fixe le loyer en renouvellement plafonné dû par la SARL Villa Tokyo à compter du 1er janvier 2010 à la somme annuelle de 30.363,89 euros HT HC, toutes autres clauses, charges et conditions demeurant maintenues sous réserve du réajustement du dépôt de garantie ;
Rejette les demandes faites au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Dit que les dépens d'appel seront supportés par M. [B] [C] et recouvrés en application de l'article 699 du code de procédure civile.
LE GREFFIER LA PRÉSIDENTE