Grosses délivréesRÉPUBLIQUE FRANÇAISE
aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 4 - Chambre 7
ARRÊT DU 23 FEVRIER 2017
(n° , 7 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : 16/04475
Décision déférée à la Cour : Jugement du 24 Novembre 2015 -Juge de l'expropriation de BOBIGNY - RG n° 15/00248
APPELANTE
LA COMMUNE DE LA COURNEUVE
[Adresse 1]
[Adresse 2]
[Adresse 3]
Représentée par Me Bernard GALDIN-GASTAUD, avocat au barreau de PARIS, toque : C1735
INTIMÉES
SARL GLOBUS FRANCE
N° SIRET : 333 147 767 00037
[Adresse 4]
[Adresse 5]
Représentée par Me Sandra OHANA de l'AARPI OHANA ZERHAT Cabinet d'Avocats, avocat postulant au barreau de PARIS, toque : C1050
et Me Jean-Yves LEGOFF, avocat plaidant au barreau de Pontoise (85)
DIRECTION DÉPARTEMENTALE DES FINANCES PUBLIQUES DE LA SEINE ST DENIS COMMISSAIRE DU GOUVERNEMENT
France domaine
[Adresse 6]
[Adresse 7]
Représentée par M. [V] [O] en vertu d'un pouvoir général
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 786 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 19 Janvier 2017, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposé, devant M. Christian HOURS, président de chambre, chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
M. Christian HOURS, président de chambre
Mme Anne du BESSET, conseillère
M. Marc BAILLY, conseiller
Greffier, lors des débats : Mme Isabelle THOMAS
ARRÊT :
- contradictoire
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par M. Christian HOURS, président et par Mme Isabelle THOMAS, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Exposé :
La SARL Globus France exploitait un fonds de commerce d'alimentation de produits slaves dans une boutique située [Adresse 8]), en vertu d'un bail commercial ayant pris effet le 1er janvier 1994 et s'étant terminé le 31 décembre 2002.
Après avoir acquis les murs à la fin de l'année 2002, la commune de [Localité 1] a conclu un bail avec la SARL Globus France au mois de mars 2003 prenant effet au 1er janvier 2003 et expirant le 31 décembre 2011.
La commune de La Courneuve a délivré à la société Globus France un congé avec refus de renouvellement le 29 juin 2011, l'immeuble étant destiné à la démolition pour être situé dans le périmètre d'une opération d'aménagement du carrefour des Quatre [Localité 2], menée conjointement par la ville et la communauté d'agglomération Plaine Commune.
La commune de La Courneuve a saisi la juridiction de l'expropriation de Seine-Saint-Denis par un mémoire daté du 19 avril 2013.
Par arrêt du 4 juin 2015, la cour d'appel de Paris, infirmant le jugement du 16 décembre 2014, a déclaré le juge de l'expropriation compétent pour connaître de l'indemnisation de la société Globus France.
La cour statue sur l'appel formé, le 12 février 2016, par la commune de [Localité 1] de la décision sur le fond de la juridiction de l'expropriation du 24 novembre 2015, ayant :
- dit n'y avoir lieu à statuer sur la demande concernant le relogement ;
- dit n'y avoir lieu d'écarter des débats le rapport de l'expert, M [J] ;
- fixé à 310 400 euros l'indemnité totale d'éviction se décomposant comme suit :
- indemnité principale : 263 646 euros
(659Â 116 euros CA TTC x 40 %) ;
- indemnité de remploi : 25 214 euros ;
- indemnité pour perte de stock : 5 000 euros ;
- indemnité pour trouble commercial : 13 731 euros ;
- indemnité de déménagement : 2 800 euros ;
- dit que la Sarl Globus France ne pourra se réinstaller à proximité ;
- réservé les droits de la société Globus France en matière de préjudice de licenciement ;
- dit n'y avoir lieu à statuer sur la production de document lié au paiement et à la prise de possession ;
- condamné la commune de La Courneuve à payer la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamné la commune de La Courneuve au paiement des dépens de la présente procédure.
Pour l'exposé complet des faits, de la procédure, des prétentions et moyens des parties, il est expressément renvoyé à la décision déférée et aux écritures des parties qui ont été :
- adressées au greffe, les 10 mai et 20 décembre 2016, par la commune de La Courneuve, aux termes desquelles elle demande en définitive à la cour d'infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a fixé une indemnité d'éviction en valeur perte de fonds et, statuant à nouveau, de :
- juger nul et de nul effet l'acte d'acquiescement-quittance du 18 décembre 2015;
- à défaut, juger que le dol rend inopposable à la commune la stipulation relative à la renonciation aux voies de recours ;
- la juger recevable et bien fondée en son appel et en ses écritures récapitulatives responsives ;
- fixer l'indemnité d'éviction à la somme de 30 000 euros en valeur déplacement du fonds, soit :
- frais de réinstallation : 7 730 euros arrondis à 8 000 euros
(38,65 m2 x 200 €) ;
- frais de déménagement : 966 € portés à 2 800 euros selon jugement de 1ère instance
(38,65 m2 x 25 €) ;
- frais de double loyer : 1927 euros arrondis à 2 000 euros
(11 680 € x 2/12 mois) ;
- perte sur salaires : 3Â 000 euros ;
- perte de clientèle : néant ;
- perte pour trouble commercial : 10 000 euros portés à 13 731 euros selon jugement ;
- condamner la SARL Globus à payer la somme de 5 000 euros au titre des frais irrépétibles sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens d'appel ;
- adressées au greffe le 10 août 2016 et déposées le 16 janvier 2017 par la SARL Globus France, sous réserve de leur recevabilité examinée infra, aux termes desquelles elle demande à la cour de :
- déclarer la commune de La Courneuve irrecevable en son appel ;
- confirmer le jugement entrepris ;
- condamner la commune de la Courneuve à lui payer la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts ;
- juger que, sur signification de l'arrêt à intervenir, Me [Z] [I] Notaire, [Adresse 9] et la Caisse des dépôts et Consignations devront lui remettre les indemnités d'éviction mises à la charge de la commune de La Courneuve ;
- débouter la commune de La Courneuve de l'ensemble de ses demandes ;
- condamner la commune de La Courneuve à lui payer la somme de 5 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, au titre de ses frais irrépétibles d'appel et à supporter les entiers dépens de première instance et d'appel ;
- adressées au greffe, le 21 juin 2016, par la commissaire du gouvernement, aux termes desquelles elle propose à la cour de confirmer la décision entreprise, sauf s'il était établi que la société évincée s'est réinstallée à proximité, auquel cas l'indemnité d'éviction serait nulle, dès lors que le différentiel entre le loyer versé et le loyer du marché local récent est négatif.
A l'audience, le conseil de la Commune de la Courneuve a demandé à la cour de vérifier la recevabilité des écritures de la société Globus France, prises le 10 août 2016, en raison de leur décalage important avec ses propres écritures du 10 mai 2016.
Motifs de l'arrêt :
Considérant que le mémoire d'appel de la commune de la Courneuve a été adressé le 10 mai 2016, soit dans les trois mois de la déclaration d'appel du 12 février 2016 ; qu'il est recevable ;
Considérant que ce mémoire d'appel a été notifié à la société Globus France le 8 juin 2016 selon l'accusé de réception signé par le destinataire figurant au dossier ;
Considérant qu'il ressort du tampon apposé par les services de la poste sur l'enveloppe d'envoi des conclusions de la société Globus France que celles-ci ont été envoyées le 10 août 2016, soit plus de deux mois après qu'elle a reçu les écritures de la commune de la Courneuve ;
Considérant qu'aux termes de l'article R 311-26 du code de l'expropriation applicable au litige, l'intimé, à peine d'irrecevabilité relevée d'office, dépose ou adresse au greffe de la cour ses conclusions et les documents qu'il entend produire dans un délai de deux mois à compter de la notification des conclusions de l'appelant ;
Considérant que force est de constater que le délai d'ordre public de deux mois a été dépassé, de sorte que les conclusions de la société Globus France du 18 août 2016 ne sont pas recevables, ainsi que celles qu'elle a prises postérieurement ;
Considérant que l'appel de la commune de la Courneuve interjeté dans le mois de la seule signification valable du jugement entrepris, faite le 15 janvier 2016 avec l'indication des voies de recours correctes, est recevable ;
Considérant sur le fond que la commune de la Courneuve soutient que la Sarl Globus n'a pas respecté l'acte notarié d'acquiescement-quittance signé par elles, qui forme un tout indissociable ; qu'elle n'a pas libéré les locaux, le 18 janvier 2016, comme prévu, mais seulement le 22 janvier 2016, pour se rendre dans un local situé à 350 mètres alors qu'elle s'était engagée à ne pas se réinstaller à proximité ; que l'acte doit être considérée comme nul en considération du principe de loyauté des contrats et de l'adage 'fraus omnia corrumpit, l'acte ayant été vicié par le comportement dolosif de la société Globus' qu'il existe une communauté d'associés et d'intérêts entre la société Globus France, intimée et la société Globus Développement, tenant le commerce voisin, qui interdit de soutenir que les deux sociétés sont étanches ; qu'au surplus une extension de la destination des lieux a été faite par la société Globus Développement et que ses statuts ont été modifiés pour lui permettre d'accueillir l'activité de vente de tous produits alimentaires qui était celle de Globus France ; qu'il en résulte que l'exploitant s'est ainsi réinstallé dans une boutique voisine moins de quatre semaines après la connaissance du jugement de sorte que ces agissements de la Sarl Globus France sont constitutifs d'une escroquerie au jugement qu'elle se réserve également de poursuivre au pénal ; qu'aucune indemnisation n'est due pour le transfert du fonds dès lors que le loyer du marché est inférieur au loyer actuel ; que seuls les frais de réinstallation des équipements non amortis des locaux délaissés, les frais de déménagement, de double-loyer, de perte sur salaires, de trouble commercial peuvent donner lieu à indemnité pour une somme totale de 30 000 euros ;
Considérant que le montant de l'indemnité d'éviction de la société Globus Plus a été déterminé par le premier juge selon la méthode de la valeur du fonds, en considérant qu'elle ne se réinstallera pas à proximité, de sorte qu'elle ne conservera pas sa clientèle ou la plus grande partie de celle-ci ; qu'il lui était d'ailleurs fait interdiction de se réinstaller à proximité ;
Considérant que le jugement rendu avait l'agrément des parties puisque celles-ci ont décidé de signer le 18 décembre 2015, un acte d'acquiescement-quittance, où les parties se déclaraient prêtes à l'exécuter, demandant au notaire d'établir l'acte de quittance constatant le paiement de l'indemnité d'éviction ;
Considérant que la société Globus France s'engageait à quitter les locaux au plus tard le 18 janvier 2016 à 14 heures (soit un mois après le séquestre de l'indemnité de 314 400 euros, fixée par le juge entre les mains du notaire) et à ne pas réinstaller de fonds de même nature dans le secteur de l'opération d'aménagement des Quatre [Localité 2] ; qu'il était encore prévu que le séquestre sera déchargé de sa mission par les remise des fonds à la société Globus sur la justification de la libération des lieux à la date et aux conditions convenues, laquelle résultera d'un document contradictoirement établi par les parties qui devra être remis au notaire soussigné ou à la caisse des dépôts et consignations en cas de contestation ;
Considérant que la commune de la Courneuve a fait effectuer un constat d'huissier par Me [G], dont il résulte que la société Globus était encore en activité, le 19 janvier 2016, la boutique du [Adresse 8] étant ouverte au public et qu'une première affiche était apposée sur la porte indiquant : 'nouvelle adresse [Adresse 10], une deuxième affiche avec la même information se trouvant sur la vitrine ;
Considérant qu'un nouveau constat d'huissier dressé par Me [G], le 2 février 2016 au 129 avenue Jean Jaurès, mentionne que cette nouvelle adresse (celle indiquée sur la porte et la vitrine du [Adresse 8]), abritant un commerce dont l'objet est la vente de produits alimentaires venant d'Europe de l'Est ; est éloignée approximativement de 350 mètres de l'ancienne, ce que confirme un plan de situation à l'échelle 3,5 cm = 150 m) ; qu'en outre, l'huissier a reconnu la vendeuse comme étant celle rencontrée lors de son constat précédent au [Adresse 8] ;
Considérant qu'il apparaît que le magasin du [Adresse 10] se trouvant à proximité de l'ancien et du secteur d'aménagement des Quatre [Localité 2], comme le montre la carte de situation, est tenu par une société par action simplifiée Globus Développement, dirigée par la même personne que la société Globus Plus, laquelle est associée de la société Globus Développement au côté d'autres membres de la famille [T] ; que le gérant des deux sociétés en est aussi un actionnaire important ;
Considérant que dès le 4 mars 2015, la société Globus Developpement a obtenu l'accord des bailleurs pour une extension de la destination des lieux à l'activité d'import-export de tous produits alimentaires, tout comme ses associés vont consentir en assemblée générale du 18 décembre 2015 à l'extension de son objet social à la vente de tous produits alimentaires ;
Considérant qu'il ressort de ce qui précède que les sociétés Globus Développement et Globus Plus, dirigées par la même personne, ayant un actionnariat proche, se sont entendus pour que la clientèle de la société Globus France puisse se déplacer sur la société Globus Développement toute proche, ce transfert étant également organisé par voie d'affiches sur le magasin qui allait fermer et par l'emploi de la même vendeuse dans la nouvelle adresse pour y vendre des produits identiques ;
Considérant que la société Globus Plus a manifestement agi de concert avec la société Globus Développement en fraude des droits de la commune de la Courneuve, laquelle n'avait pas à effectuer une enquête sur les liens entre les deux sociétés, pour obtenir l'indemnisation de son éviction sur la valeur de l'entier fonds de commerce alors qu'elle n'aurait dû l'obtenir que sur la base du droit au bail ; que cette attitude exempte de toute bonne foi présente un caractère dolosif qui entraîne à tout le moins dans le cadre de cette procédure l'inopposabilité à la commune de la Courneuve de l'accord du 18 décembre
2015 ;
Considérant que la clientèle du magasin Globus Plus n'ayant pas été perdue puisqu'elle est recueillie par une structure présentant une communauté d'intérêts avec elle, il convient d'indemniser l'éviction de la société Global Plus en valeur déplacement du fonds selon la méthode du différentiel de loyers entre le loyer qui était réglé et le loyer du marché ;
Considérant qu'il résulte tant du rapport [J], dont les conclusions ont pu être contradictoirement débattues par les parties que de la propre appréciation du commissaire du gouvernement que la valeur du loyer résultant du bail, était supérieur à celle résultant du marché (11 680,21 euros pour la première selon M.[J], alors que celle résultant du marché, de 350 euros le m², aboutit à une somme de 9 500 euros), de sorte qu'il n'existe pas de préjudice découlant de la seule perte du droit au bail ; que l'indemnité d'éviction et l'indemnité de remploi doivent en conséquence être fixées à zéro euro ;
Considérant que doivent être indemnisés les frais de réinstallation selon la somme proposée par la commune de la Courneuve à hauteur de 38,65 m² x 200 euros, soit une somme arrondie à 8 000 euros, ainsi que les frais de déménagement pour la somme de 2 800 euros, laquelle a été retenue par le premier juge et n'est pas contestée par l'appelante ;
Considérant qu'il convient d'allouer l'équivalent de deux mois du loyer en vigueur pour indemniser les frais de double-loyers, à hauteur de 2 000 euros, ainsi qu'une perte sur salaire de 3 000 euros, un trouble commercial de 13 731 euros, ces sommes étant proposées par l'appelante, laquelle observe en revanche à juste titre qu'il n'y a pas lieu à prévoir de frais de licenciement, la salariée ayant été employée immédiatement dans le nouveau magasin, ni de perte sur les stocks de marchandises qui ont pu être transférés ;
Considérant en définitive qu'eu égard aux éléments nouveaux apparus en cause d'appel la décision du premier juge doit être confirmée sur l'indemnité pour trouble commercial et sur l'indemnité de déménagement et infirmée pour le surplus ;
Considérant que la société Globus Plus doit être condamnée à payer à la commune de la Courneuve la somme de 2 000 euros pour compenser les frais irrépétibles qu'elle a exposés en cause d'appel ;
Considérant que la société Global Plus doit être condamnée à supporter les dépens d'appel;
PAR CES MOTIFS, la cour statuant publiquement par mise à disposition au greffe, contradictoirement et en dernier ressort,
- déclare recevable l'appel de la commune de la Courneuve ;
- déclare irrecevables les conclusions de la société Globus France du 10 août 2016 et ses conclusions postérieures ;
- déclare l'accord du 18 décembre 2015 inopposable à la commune de la Courneuve ;
- confirme le jugement du 24 novembre 2015 du juge de l'expropriation de Seine Saint Denis sur l'indemnité pour trouble commercial, l'indemnité de déménagement, les frais irrépétibles et la charge des dépens ; l'infirme pour le surplus ;
- statuant à nouveau, fixe de la façon suivante les autres indemnités revenant à la société Global Plus :
- indemnité principale d'éviction :0 euro ;
- indemnité de remploi : 0 euro ;
- frais de réinstallation : 8 000 euros ;
- frais de double-loyers : 2 000 euros ;
- perte sur salaire : 3 000 euros ;
- y ajoutant :
- condamne la société Globus Plus à payer à la commune de la Courneuve la somme de 2 000 euros pour compenser les frais irrépétibles qu'elle a exposés en cause d'appel ;
- la condamne à supporter les dépens d'appel.
La greffière Le président