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22/02/2017 | FRANCE | N°14/12663

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 6, 22 février 2017, 14/12663


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 6



ARRÊT DU 22 Février 2017

(n° , pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : S 14/12663



Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 30 Octobre 2014 par le Conseil de prud'hommes - Formation de départage de PARIS RG n° 11/09647





APPELANTE

Madame [W] [M] épouse [W]

[Adresse 1]

[Localité 1]

née le [Date naissance 1] 1957 à LA [Localité 2]


comparante en personne, assistée de Me Georges MEYER, avocat au barreau de PARIS, toque : E1143 substitué par Me Delphine BUZON, avocat au barreau de PARIS, toque : G0185





INTIMEE

S...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 6

ARRÊT DU 22 Février 2017

(n° , pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : S 14/12663

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 30 Octobre 2014 par le Conseil de prud'hommes - Formation de départage de PARIS RG n° 11/09647

APPELANTE

Madame [W] [M] épouse [W]

[Adresse 1]

[Localité 1]

née le [Date naissance 1] 1957 à LA [Localité 2]

comparante en personne, assistée de Me Georges MEYER, avocat au barreau de PARIS, toque : E1143 substitué par Me Delphine BUZON, avocat au barreau de PARIS, toque : G0185

INTIMEE

SA ST DUPONT

[Adresse 2]

[Localité 3]

N° RCS : 572 230 829

représentée par Me Maryse AFONSO, avocat au barreau de PARIS, toque : D1832 substitué par Me Sandra CARNEREAU, avocat au barreau de PARIS, toque : E1981

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 11 Janvier 2017, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Mme Marie-Luce GRANDEMANGE, Présidente de chambre, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Madame Marie-Luce GRANDEMANGE, Présidente

Madame Séverine TECHER, Vice-présidente placée faisant fonction de

conseiller par ordonnance de la première Présidente en date du 2 Décembre

2016

Madame Elisabeth MEHL-JUNGBLUTH, Conseillère

Greffier : Mme Eva TACNET, greffier lors des débats

ARRET :

- contradictoire

- mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.

- signé par Madame Marie-Luce GRANDEMANGE, présidente et par Madame Eva TACNET, greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

RAPPEL DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE

Madame [W] [W] a été embauchée par la SA ST Dupont suivant lettre d'engagement en date du 26 décembre 1989, acceptée le 3 janvier 1990, en qualité de chef de groupe administration des ventes export, statut cadre, avec une prise d'effet le 12 mars 1990. Elle est devenue chef de service administration des ventes (ADV) France et export.

En avril 2010 la SA ST Dupont confiait à la société Théofinances une mission d'étude d'un projet d'externalisation du service de l'administration des ventes, comprenant alors six salariés dont Madame [W]. Par ordonnance en date du 12 octobre 2010 le juge des référés du tribunal de Grande instance de Paris a ordonné à la SA ST Dupont de suspendre toute mesure relative à la mise en 'uvre de l'externalisation de l'administration des ventes tant que le comité central d'entreprise n'aura pas été régulièrement informé et consulté.

Le 20 décembre 2010 Madame [W] était placée en arrêt maladie ordinaire régulièrement prolongé jusqu'au 02 mai 2011.

Le 3 mai 2011 le médecin du travail déclarait Madame [W] inapte à tout poste de travail en une seule visite médicale. Mme [W] faisait l'objet d'un nouvel arrêt maladie à compter du 04 mai 2011.

Par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 1er juin 2011 la SA ST Dupont notifiait à Madame [W] son licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement, après l'avoir convoquée à un entretien préalable le 27 mai précédent..

Le 7 juillet 2011, Madame [W] a saisi le Conseil de Prud'hommes de Paris en annulation de son licenciement pour harcèlement moral, en paiement d'un rappel de salaires jusqu'au 17 septembre 2014, d'indemnités de rupture de dommages-intérêts pour licenciement nul et harcèlement moral, subsidiairement en contestation de la cause réelle et sérieuse de son licenciement.

Par décision en date du 30 octobre 2014, le Conseil de Prud'hommes, sous la présidence du juge départiteur statuant seul, a débouté Madame [W] de l'ensemble de ses demandes et la SA ST Dupont de sa demande reconventionnelle.

Le 17 novembre 2014, Madame [W] a interjeté appel de cette décision.

Par conclusions déposées le 11 janvier 2017, développées oralement et auxquelles il est expressément fait référence, Madame [W] conclut à la réformation du jugement entrepris.

Elle demande à la cour de dire son licenciement nul pour harcèlement moral, subsidiairement sans cause réelle et sérieuse et forme dés lors les demandes en paiement des sommes suivantes à l'encontre de la SA ST Dupont :

- 144'927,30 euros à titre de dommages intérêts pour licenciement nul ou subsidiairement sans cause réelle et sérieuse,

- 14'492,73 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

- 1449,27 euros à titre d'indemnité compensatrice de congés payés sur préavis,

- 48'309,10 euros à titre de dommages-intérêts pour harcèlement moral,

- 7000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Par conclusions déposées le 11 janvier 2017 développées oralement et auxquelles il est expressément fait référence, la SA ST Dupont demande la confirmation du jugement entrepris et la condamnation de Madame [W] à lui payer la somme de 4500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

MOTIVATION

* Sur le harcèlement moral

Aux termes des dispositions de l'article L 1152-1 du code du travail aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

En application de l'article L. 1154-1 du code du travail, il incombe à Mme [W] d'établir la matérialité de faits précis et répétés qui permettent, pris dans leur ensemble, de présumer l'existence d'un harcèlement moral. Dans cette hypothèse, il incombera à l'employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Il n'est pas contesté par l'employeur que ce dernier, à compter du premier trimestre 2010 a envisagé d'externaliser le service d'administration des ventes dont Mme [W] était responsable. Elle en a été informée fin mars 2010, concomitamment aux membres du comité central d'entreprise et, selon M. [I] supérieur hiérarchique de Mme [W] à l'époque, il était indiqué à cette dernière qu'après la suppression des emplois des salariés du service placés sous sa responsabilité il était envisagé de la nommer coordinatrice commerciale ; dans le cadre de ce projet de réorganisation de l'entreprise une mission d'audit était confiée à une société extérieure Théofinances et il est établi que pour pallier aux difficultés de ce service d'administration des ventes l'employeur faisait le choix de recourir à des intérimaires salariés de Théofinances.

Mme [W] produit diverses pièces qui démontrent qu'elle a été informée le vendredi 26 novembre 2010 du recrutement de Mme [Y] sur son poste de responsable du service 'Sales Administration', responsable ou chef du service d'administration des ventes à compter du lundi 29 novembre 2010. Les organigrammes de l'entreprise établis les 08 septembre et 01 décembre 2010 démontrent que Mme [Y] a bien été nommée sur le poste de Mme [W], le directeur des ressources humaines en informait les responsables des services principaux de l'entreprise par un courriel en date du 26 novembre 2010 dans les termes suivants « Nous vous informons que nous avons dégagé à partir de lundi matin, [W] [W] de ses fonctions de responsable de l'administration des ventes. Elle reste dans l'équipe ADV pour assurer la transmission de ses responsabilités a [I] [Y] nouvelle embauche à compter de ce lundi. »

la visite de l'usine de production de l'entreprise par Mme [Y] était organisée et elle était bien présentée en qualité de nouvelle responsable du service ADV.

Les différents courriels produits par Mme [W] établissent la concrétisation de ce transfert de responsabilité auquel Mme [W] a dû contribuer. C'est ainsi par exemple que Mme [Y] demandait à Mme [W] de se rendre disponible pour faire avec elle un point sur les principaux thèmes du service les 17 et 20 décembre 2010.

Mme [W] justifie de la dégradation de son état de santé en lien manifeste avec cette situation professionnelle. Son médecin traitant la plaçait en arrêt maladie à compter du 20 décembre 2010 pour un état dépressif réactionnel qui devait conduire à sa déclaration d'inaptitude en une seule visite par le médecin du travail.

Ces éléments pris dans leur ensemble permettent de présumer une situation de harcèlement moral.

L'employeur justifie de son projet d'externaliser le service de l'administration des ventes. Les choix d'organisation, ou de réorganisation de l'entreprise relèvent du pouvoir de gestion et de direction de l'employeur et sont étrangers à tout harcèlement moral.

En revanche, contrairement à ce que prétend la société le recrutement de Mme [Y] sur le poste de Mme [W] ne relève pas du même projet. C'est également en vain que l'employeur conteste que cette nouvelle embauche ait eu pour finalité de remplacer Mme [W] dans son poste de responsable d'administration des ventes ; les termes, irrespectueux, du courriel du directeur des ressources humaines du 26 novembre, les organigrammes et les courriels produits ne laissent aucun doute à ce sujet.

Or, l'employeur qui de façon soudaine, sans information et préparation préalables, a déchargé la salariée de responsabilités qu'elle assumait depuis des années, lui a demandé de transmettre ses responsabilités à Mme [Y], situation humainement délicate, en la laissant dans l'ignorance totale de son devenir professionnel. En effet alors que la salariée est restée trois semaines dans l'entreprise après l'arrivée de Mme [Y] l'employeur ne justifie pas lui avoir proposé la moindre évolution de poste, lui avoir fourni la moindre explication sur la façon dont il envisageait son avenir au sein de l'entreprise. Cette situation professionnelle très dégradée, particulièrement anxiogène est à l'origine directe de l'inaptitude de la salariée.

Ainsi l'employeur ne justifie pas que ces décisions relèvent d'éléments objectifs étrangers à tout acte de harcèlement moral.

En conséquence réformant le jugement entrepris il convient de dire que Madame [W] a bien été victime de harcèlement moral et de condamner la SA ST Dupont à lui payer la somme de 6 000 € à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice en résultant, ce avec intérêts courant au taux légal à compter de ce jour en application des dispositions de l'article 1231'7 du code civil.

* Sur la rupture du contrat de travail

En application des dispositions de l'article 1152'3 du code du travail le licenciement de Madame [W] est nul et la salariée est en droit de prétendre au paiement des indemnités compensatrices de préavis, de congés payés sur préavis, dont les montants sollicités ne font l'objet d'aucune contestation, ces sommes produisant intérêts au taux légal à compter du 13 juillet 2011, date de la première convocation de la société Dupont devant le conseil de prud'hommes.

Madame [W] est en droit de prétendre à la réparation du préjudice né de la perte de son emploi du fait de son licenciement nul. Le montant de l'indemnité allouée ne peut-être inférieur à 6 mois de salaire, la salariée a perçu en 2010 un salaire mensuel moyen de 4830, 91 € bruts, prime et treizième mois inclus. Elle avait 21 ans d'ancienneté, a retrouvé un emploi le 01 octobre 2011 et percevait en 2012 une rémunération d'un montant mensuel de 4355 € bruts, au chômage depuis mai 2015 elle effectue des missions en intérim. Au regard de ces éléments la SA ST Dupont sera condamnée à lui payer la somme de 60 000 € à titre de dommages intérêts pour licenciement nul.

* Sur les autres demandes

La SA ST Dupont qui succombe conservera la charge de ses frais irrépétibles et sera condamnée aux dépens de la procédure.

L'équité et les circonstances de la cause commandent de faire application de l'article 700 du code de procédure civile au bénéfice de Madame [W] qui se verra allouer la somme de 2000 € à ce titre.

PAR CES MOTIFS

LA COUR,

RÉFORME le jugement déféré en toutes ses dispositions,

et statuant de nouveau,

DIT QUE le licenciement de Madame [W] par la SA ST Dupont est nul,

CONDAMNE la SA ST Dupont à verser à Madame [W] les sommes de 6 000 € à titre de dommages-intérêts pour harcèlement moral et de 60'000 € à titre de dommages-intérêts pour licenciement nul avec intérêts courant au taux légal à compter de ce jour,

CONDAMNE la SA ST Dupont à verser à Madame [W] les sommes de 14'492,73 euros et de 1449,27 euros à titre d'indemnités compensatrices de préavis et de congés payés sur préavis, avec intérêts courant au taux légal à compter du 13 juillet 2011,

Y ajoutant,

CONDAMNE la SA ST Dupont à verser à Madame [W] la somme de 2000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNE la SA ST Dupont aux dépens de la procédure de première instance et d'appel.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 6
Numéro d'arrêt : 14/12663
Date de la décision : 22/02/2017

Références :

Cour d'appel de Paris K6, arrêt n°14/12663 : Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2017-02-22;14.12663 ?
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