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15/02/2017 | FRANCE | N°15/00228

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 5 - chambre 4, 15 février 2017, 15/00228


Grosses délivrées RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS







COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 5 - Chambre 4



ARRÊT DU 15 FÉVRIER 2017



(n° , 13 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : 15/00228



Décision déférée à la Cour : Arrêt du 16 Décembre 2014 -Cour de Cassation de PARIS - RG n° 1138FS-P+B

Arrêt du 23 mai 2013 - Cour d'Appel de PARIS Pôle 5 Chambre 5 - RG 12/01166

Jugement du 12 janvier 2012 - Tribunal de Commerce de L

ille - RG n°2011/03836





APPELANT



Maître [T] [X] ès qualités de mandataire judiciaire à la liquidation judiciaire de la société GREEN SOFA DUNKERQUE

ayant son siège...

Grosses délivrées RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 5 - Chambre 4

ARRÊT DU 15 FÉVRIER 2017

(n° , 13 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : 15/00228

Décision déférée à la Cour : Arrêt du 16 Décembre 2014 -Cour de Cassation de PARIS - RG n° 1138FS-P+B

Arrêt du 23 mai 2013 - Cour d'Appel de PARIS Pôle 5 Chambre 5 - RG 12/01166

Jugement du 12 janvier 2012 - Tribunal de Commerce de Lille - RG n°2011/03836

APPELANT

Maître [T] [X] ès qualités de mandataire judiciaire à la liquidation judiciaire de la société GREEN SOFA DUNKERQUE

ayant son siège social [Adresse 1]

[Adresse 1]

prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

Représenté par Maître Charles-Hubert OLIVIER de la SCP LAGOURGUE & OLIVIER, avocat au barreau de PARIS, toque : L0029

Ayant pour avocat plaidant Maître Philippe BERTEAUX de la SELEURL Philippe Berteaux Avocat, avocat au barreau de PARIS, toque : P0346

INTIMES

MONSIEUR Le MINISTRE DE L'ECONOMIE DE L'INDUSTRIE ET DU NUMÉRIQUE

Domicilié au siège de la [Adresse 2]

[Adresse 2]

M Le Ministre de l'économie ayant pour représentant muni d'un pouvoir Madame [E] [H] [I]

Société IKEA SUPPLY AG société de droit étranger

ayant son siège social [Adresse 3]

[Adresse 3] (Suisse)

prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

Représentée par Maître Edmond FROMANTIN, avocat au barreau de PARIS, toque : J151

Ayant pour avocat plaidant Maître Laurent DOLFI, avocat au barreau de PARIS, toque : W11

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 4 Janvier 2017, en audience publique, devant la Cour composée de :

Madame Irène LUC, Présidente de chambre, rédacteur

Madame Dominique MOUTHON VIDILLES, Conseillère

Monsieur François THOMAS, Conseiller

qui en ont délibéré,

Un rapport a été présenté à l'audience par Madame Irène LUC dans les conditions prévues par l'article 785 du code de procédure civile,

Greffier, lors des débats : M. Vincent BRÉANT

ARRÊT :

- contradictoire,

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Madame Irène LUC, Présidente et par Monsieur Vincent BRÉANT, greffier auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

FAITS ET PROCÉDURE 

La société Green Sofa Dunkerque (ci-après « GSD ») avait pour activité la fabrication de sièges et canapés. Elle était, jusqu'en 2011, dénommée société [N] Dunkerque et, jusqu'à la modification de son actionnariat intervenue au même moment, elle faisait partie du groupe de sociétés [N], l'un des leaders français de la fabrication de meubles. Ce groupe exploitait différentes unités de production, dont les sites de [Localité 1] dans le Nord et Berteaucourt dans la Somme.

La société Ikéa Supply AG (ci-après « Ikéa ») est une société de droit suisse qui est regroupée avec d'autres au sein du groupe de sociétés Ikéa. Son activité consiste à assurer l'approvisionnement des magasins du groupe de distribution Ikéa en meubles.

Les deux sociétés entretenaient des relations commerciales suivies depuis 1993, ce qui n'est pas contesté.

A partir de 1997, le site de [Localité 1] de la société GSD a été entièrement dédié au client Ikéa en vue d'optimiser les coûts de structure. Le site de Berteaucourt continuait de son côté à produire les sièges et canapés pour les autres distributeurs de meubles. En 2007, ce site a été vendu par le groupe [N].

La société GSD fabriquait plusieurs familles de produits pour Ikéa, vendus sous les dénominations Tullsta, Hagalund, Karlstad et Ektorp, cette dernière représentant, à elle seule, plus de 50% du chiffre d'affaires réalisé entre les parties.

En 2008, prétextant des problèmes de qualité, la société Ikéa a suspendu à deux reprises les commandes et livraisons de la qualité Ektorp (en avril 2008 pour 3 semaines et ensuite du 20 octobre au 22 décembre 2008).

Par courrier du 5 janvier 2009, la société Ikéa a lancé un appel d'offres auprès de ses fournisseurs actuels et potentiels, afin de sélectionner les meilleurs offrants capables de produire la gamme des canapés et fauteuils. La société GSD a présenté des offres.

Lors d'une réunion du 29 avril 2009, la société Ikéa a fait savoir à la société GSD que, compte tenu de la crise et de la baisse des ventes de canapés dans ses magasins, ses achats auprès d'elle allaient diminuer pour atteindre environ 13 millions d'euros pour l'année fiscale 2010 (soit pour la période du 1er septembre 2009 au 31 août 2010). Après différents échanges par lesquels M. [N] a fait part des difficultés que cette baisse engendrerait pour le site de [Localité 1], un protocole d'accord a été conclu entre les parties, le 13 juillet 2009, au terme duquel la société Ikéa a versé à la société GSD une indemnité de 580.000 euros. Celui-ci énonce : « les volumes actuels de vente et d'achat sont inférieurs (aux) volumes initialement prévus » et « afin de remédier aux coûts supplémentaires engendrés pour [N] du fait que les volumes de vente et d'achat ont été inférieurs à ce qui était prévu (I), Ikea Supply s'engage comme acte de bonne volonté, à payer une somme forfaitaire de 580 000 € dans le délai de trente jours à compter de la réception de la facture dudit montant. Les parties se déclarent totalement satisfaites du présent accord transactionnel, aucune des parties n'a, concernant des volumes d'achat et de vente, plus aucune réclamation à formuler à l'encontre de l'autre partie, et il est entendu que le paiement n'inclut aucune indemnisation pour d'éventuels problèmes futurs ». La mention « (I) » renvoie à une note de bas de pages manuscrite selon laquelle « pour précisions : « les (') volumes d'achat et de vente ont été inférieurs à ce qui était prévu' » et « le remède convenu se rapporte à la période s'achevant le 31 août 2010 ».

A l'issue de l'appel d'offres, la société GSD a été retenue pour des volumes inférieurs à ceux qu'elle escomptait et un chiffre d'affaires prévisionnel de 10.543.000 euros de commandes lui a été alloué. Après différents échanges, la société Ikéa a consenti, le 9 décembre 2009, à ne pas appliquer le résultat de l'appel d'offres immédiatement et à ce que la société GSD continue à la livrer aux mêmes conditions de prix et pour les mêmes volumes jusqu'à la fin du mois d'août 2010, date à laquelle les deux sociétés reprendraient leurs négociations.

Par courrier du 31 mai 2010, M. [N] s'est inquiété du manque de visibilité sur les montants de l'activité de l'usine pour la fin de l'année 2010 et l'année 2011. A la suite d'une réunion tenue le 29 juin 2010, un accord a été conclu le 24 août 2010 prévoyant la fin de la collaboration entre les parties le 31 décembre 2012, moyennant un engagement d'approvisionnement en diminution progressive : « le vendeur et Ikea ont accepté que le Contrat d'Approvisionnement n°00801538 soit résilié avec effet au 31 décembre 2012 (le Terme), date à laquelle les deux parties seront libérées de toute obligation au titre du Contrat d'Approvisionnement. Le vendeur reconnaît qu'il a été informé par Ikea que la relation commerciale passée entre les parties s'achèvera à compter du 31 décembre 2012 et le Vendeur considère qu'une telle information lui a été suffisamment communiquée à l'avance. L'objet de cet accord et d'organiser la relation entre Ikéa et le vendeur au cours de la période allant du 1er septembre 2010 au 31 décembre 2012. ». Dans le cadre de ce protocole d'accord, la société Ikea Supply a contracté à l'égard de la société GSD un engagement d'approvisionnement selon un volume global de 24,5 millions d'euros, couvrant la période du 1er septembre 2010 au 31 décembre 2012, soit un courant d'affaires annuel respectivement de 11 millions d'euros pour la période du 1er septembre 2010 au 31 août 2011, 9 millions d'euros pour la période 1er septembre 2011 au 3 août 2012 et de 4,5 millions d'euros pour la période du 1er septembre 2012 au 31 décembre 2012.

L'accord se termine par la mention suivante : « le Vendeur déclare être pleinement rempli dans tous ses droits relativement au contrat d'approvisionnement n° 00801538. En conséquence, le Vendeur renonce irrévocablement à toute réclamation, droit ou action quelqu'en soit leur nature ou les motifs qui serait la conséquence de la résiliation du contrat d'approvisionnement et plus généralement de la résiliation de la relation commerciale avec Ikea (') ».

Par lettre du 20 mai 2011, la société GSD a fait part à la société Ikéa de ce qu'elle constatait une baisse importante de sa marge sur coûts variables (4% comparée à 16% en moyenne les années précédentes), entraînant un résultat négatif évalué à 1.547.000 euros pour 2011, et lui a demandé une augmentation de ses prix de vente de 17% avec effet rétroactif au 1er janvier 2011. Par courriel du 24 mai 2011, la société Ikéa a rejeté cette demande mais a indiqué demeurer ouverte pour discuter d'ajustements éventuels basés sur les coûts des matières premières et non sur les pertes générales de l'entreprise.

Par courrier du 9 juin 2011, M. [Z], désigné par le Président du tribunal de commerce de Dunkerque mandataire ad hoc avec la mission d'assister la société GSD dans la conduite de négociations avec Ikéa, aux fins de parvenir à un accord commercial qui assurerait l'avenir de la société, a renouvelé cette demande en la portant à 21,5%. Il a reçu la même réponse de la part de la société Ikéa.

Parallèlement, par courrier du 17 août 2011, la société GSD a sollicité du pôle C de la DIRRECTE, une enquête sur les agissements de la société Ikéa.

Procédure devant le tribunal de commerce de Lille (jugement du 12 janvier 2012)

C'est dans ce contexte que, le 6 septembre 2011, la société GSD a fait assigner la société Ikéa en paiement de dommages-intérêts pour rupture brutale des relations commerciales, ainsi que pour lui avoir imposé un déséquilibre significatif dans leurs relations commerciales.

Le ministre chargé de l'économie est intervenu à la procédure, sur le fondement des articles L. 470-5 et R. 470-1 du code de commerce, pour demander la condamnation de la société Ikéa, d'une part, pour rupture brutale partielle de la relation commerciale établie avec la société GSD, d'autre part, pour lui avoir imposé un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties, au paiement d'une amende civile de 100.000 euros.

Par jugement du 12 janvier 2012, le tribunal de commerce de Lille a :

-reçu l'intervention du ministre chargé de l'économie sur le fondement de l'article 470-5 du code de commerce,

-débouté la société Green Sofa Dunkerque et le ministre de l'économie de l'ensemble de leurs demandes, fins et prétentions,

-condamné la société Green Sofa Dunkerque et le ministre de l'économie à verser chacun la somme de 7.500 euros (Sept Mille Cinq cents euros) à la société Ikea Supply AG sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

-condamné la société Green Sofa Dunkerque aux entiers dépens, en ce compris les frais de greffe liquidés à la somme de 93,29 euros (Quatre-vingt-treize euros et vingt-neuf centimes).

Le tribunal a estimé qu'aucune pratique soumettant ou tentant de soumettre la société GSD à un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties n'était imputable à la société Ikea Supply AG, après avoir constaté que l'accord du 24 août 2010 avait été totalement respecté par Ikea Supply et avait fait l'objet de plusieurs mises à jour signées de GSD, sans que cette société manifeste un désaccord avant le 20 mai 2011.

Il a également jugé que la rupture, par la société Ikea Supply, de la relation commerciale établie avec la société GSD n'était pas fautive au sens de l'article L.442-6, I, 5° du code de commerce. La société Ikea ayant manifesté son intention de mettre un terme à cette relation lors du lancement de l'appel d'offres du 5 janvier 2009, qui « évoquait clairement l'objectif de sélectionner parmi les fournisseurs actuels et nouveaux ceux qui seraient retenus pour la fourniture de la gamme de canapés et fauteuils », le préavis qui a couru à compter de cette date et jusqu'à la résiliation totale des relations commerciales, le 31 décembre 2012, d'une durée de 48 mois, a été considéré comme suffisant pour permettre à la société GSD de réorganiser son activité. Le tribunal a motivé cette appréciation par la prise en considération de deux « accords transactionnels » conclus entre les parties. Le premier, conclu le 13 juillet 2009, avait pour objet le versement d'une indemnité transactionnelle de 580 000 euros versée à GSD en compensation des coûts supplémentaires engendrés chez GSD par une baisse des commandes de la société Ikea, cette baisse des commandes pour 2009 et 2010, annoncée le 29 avril 2009 par Ikea à son fournisseur, étant, selon le tribunal, le résultat des baisses de vente de fauteuils et canapés d'Ikea en France, d'une part, et des problèmes de qualité rencontrés par GSD en 2008 ayant entraîné l'arrêt de commandes à deux reprises, d'autre part. Le second, conclu le 24 août 2010, avait pour objet de convenir le désengagement progressif d'Ikea jusqu'à la rupture définitive du 31 décembre 2012. Au vu de ces éléments, le tribunal a considéré que la rupture n'avait été ni brutale ni imprévisible et que les accords transactionnels fixant les modalités du désengagement d'Ikea ainsi que les compensations financières pour pallier aux baisses de volumes n'étaient pas contraires à la loi et étaient opposables à la société GSD, relevant au passage que le fournisseur n'avait formulé un grief de rupture brutale à l'encontre d'Ikea, qu'après avoir lu les conclusions de la DIRRECTE.

Procédure devant la cour d'appel de Paris (arrêt du 23 mai 2013)

Le 19 janvier 2012, la société Green Sofa Dunkerque a interjeté appel du jugement du tribunal de commerce de Lille.

Par jugement du 20 mars 2012, le tribunal de commerce de Dunkerque a placé la société Green Sofa Dunkerque en redressement judiciaire, converti en liquidation judiciaire par jugement du 23 novembre 2012.

Par un arrêt du 23 mai 2013, la cour d'appel de Paris a :

-infirmé le jugement rendu entre les parties par le tribunal de commerce de Lille, le 12 janvier 2012, en ce qu'il a débouté la société Green Sofa Dunkerque et le ministre de l'économie de leurs demandes fondées sur l'article L.442-6,1,5° du code de commerce, en ce qu'il les a condamnés à verser à la société Ikéa Supply AG, chacun, la somme de 7500 euros et en ce qu'il a condamné la société Green Sofa Dunkerque aux dépens de l'instance,

statuant à nouveau

-dit que la société Ikéa Supply AG a rompu de manière brutale ses relations commerciales avec la société Green Sofa Dunkerque,

-dit que la durée du préavis qui aurait dû être de 15 mois doit être doublée en application des dispositions de l'article L.442-6,I,5°) puisque la relation commerciale portait sur la fabrication de produits de marque de distributeur,

-condamné la société Ikéa Supply AG à payer à Maître [X], en qualité de mandataire judiciaire à la liquidation judiciaire de la société Green Sofa Dunkerque la somme de 4 933 500 euros, outre intérêts au taux légal à compter du prononcé du présent arrêt,

-condamné la société Ikéa Supply AG au paiement d'une amende civile de 50.000 euros,

-rejeté les autres demandes plus amples ou contraires des parties,

-condamné la société Ikéa Supply Ag à payer à Maître [X], ès qualités, la somme de 25 000 euros,

-condamné la société Ikéa Supply AG aux dépens de première instance et d'appel.

La cour a confirmé le jugement entrepris sur le déséquilibre significatif. S'agissant de l'existence d'une rupture brutale, elle a estimé que le préavis écoulé entre le 5 janvier 2009 et le 31 décembre 2012, caractérisé par une diminution importante du volume des commandes, n'était pas conforme aux exigences de l'article L.442-6, I, 5°. La circonstance que les parties aient aménagé le désengagement progressif de la société Ikea a été écartée par la cour, celle-ci soulignant à propos de l'accord du 24 août 2010 : « si cette convention concrétise bien un accord passé entre les sociétés Ikea et GDS pour un dénouement progressif de la relation commerciale existant entre elles, elle ne saurait néanmoins empêcher le contrôle juridictionnel du respect de la réalité du préavis au travers des volumes d'échanges pendant sa durée. Raisonner autrement reviendrait, en effet, à accepter des dérogations conventionnelles à l'article L442-6, I, 5°, ce qui n'est pas possible s'agissant d'une disposition d'ordre public économique ».

Procédure devant la Cour de cassation (arrêt du 16 décembre 2014)

Saisie d'un pourvoi en cassation formé par la société Ikéa Supply AG, la chambre commerciale de la Cour de cassation, par un arrêt du 16 décembre 2014, a :

-cassé et annulé, « mais seulement en ce que, infirmant le jugement sur les demandes de la société Green Sofa Dunkerque et du ministre de l'économie fondées sur l'article L.442-6, I, 5° du code de commerce, il dit que la société Ikéa Supply AG a rompu de manière brutale ses relations commerciales avec la société Green Sofa Dunkerque et que la durée du préavis, qui aurait dû être de quinze mois, doit être doublée en application des dispositions de l'article L.442-6, I, 5° puisque la relation commerciale portait sur la fabrication de produits de marque de distributeur, condamne la société Ikéa Supply AG à payer à M. [X], en qualité de mandataire judiciaire de la société Green Sofa Dunkerque, la somme de 4 933 500 euros, outre les intérêts au taux légal, condamne la société Ikéa Supply AG au paiement d'une amende civile de 50 000 euros, l'arrêt rendu le 23 mai 2013, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée ».

La chambre commerciale a statué ainsi en jugeant, aux visas de l'article L.442-6,I, 5° du code de commerce, ensemble les articles 1134, 2044 et 2046 du code civil, que « si le premier texte institue une responsabilité d'ordre public à laquelle les parties ne peuvent renoncer par anticipation, il ne leur interdit pas de convenir des modalités de la rupture de leur relation commerciale, ou de transiger sur l'indemnisation du préjudice subi par suite de la brutalité de cette rupture », et que par conséquent la cour d'appel a violé les textes susvisés en écartant l'accord du 24 août 2010 dont se prévalait Ikea au motif qu'un accord ne saurait déroger aux dispositions d'ordre public de l'article L.442-6,I, 5° du code de commerce.

Elle a par ailleurs estimé que la cour n'avait pas tiré les conséquences légales de ses constatations selon lesquelles les parties étaient convenues, par le protocole d'accord du 13 juillet 2009, de l'indemnisation du préjudice subi par la société Green Sofa Dunkerque par suite de la rupture partielle de leur relation commerciale pendant la période du 1er septembre 2009 au 31 août 2010, en concluant que « ce protocole ne (valait) donc pas approbation par cette société (la société GSD) d'une diminution progressive des commandes et ne (pouvait) être invoqué comme signifiant l'acceptation d'un désengagement progressif des commandes de la société Ikea ».

C'est dans ce contexte que la cour d'appel de Paris est saisie de l'appel interjeté par Maître [X], ès qualités de mandataire judiciaire à la liquidation judiciaire de la société Green Sofa Dunkerque, après la cassation intervenue.

Par ordonnance du conseiller de la mise en état rendue avant l'ouverture des plaidoiries du 4 janvier 2017, les conclusions d'intervention volontaire de salariés de la société GSD, tendant à ce que, dans l'hypothèse d'une condamnation d'Ikea, la cour la condamne à leur verser une partie de l'indemnité mise à sa charge sous forme de primes de licenciement, ont été déclarées irrecevables. Cette ordonnance fait l'objet d'un déféré.

La Cour,

Vu l'appel interjeté par Maître [X], ès-qualités, et ses dernières conclusions notifiées et déposées le 15 novembre 2016, par lesquelles il est demandé à la cour de :

-infirmer en toutes ses dispositions le jugement entrepris,

-condamner la société Ikea Supply AG à verser à Maître [X], mandataire judiciaire à la liquidation judiciaire de la société Green Sofa Dunkerque, la somme de 9.645.000 euros à titre de dommages et intérêts sur le fondement de l'article L.442-6, I, 5° du code de commerce pour rupture brutale et partielle par la société Ikea Supply AG de sa relation commerciale établie avec la société Green Sofa Dunkerque au titre de la perte de marge sur coûts variables,

-débouter la société Ikea Supply AG de toutes ses prétentions, fins et conclusions,

-condamner la société Ikea Suply AG à verser à Maître [X], ès-qualités, la somme de 50.000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

-la condamner aux entiers dépens ;

Vu les dernières conclusions notifiées et déposées le 5 décembre 2016 par la société Ikéa Supply AG, intimée, par lesquelles il est demandé à la cour de :

-déclarer irrecevable la demande nouvelle présentée en appel par Maître [X] ès qualités, visant à voir condamner la société Ikéa Supply AG à lui verser la somme de 9.645.000 euros à titre de dommages-intérêts sur le fondement de l'article L.442-6-1 5ème du code de commerce,

subsidiairement,

-déclarer cette demande irrecevable comme étant prescrite,

encore plus subsidiairement,

-déclarer cette demande irrecevable comme se heurtant à l'autorité de la chose jugée attachée aux transactions conclues entre les parties les 13 juillet 2009 et 24 août 2010,

à titre infiniment subsidiaire,

-déclarer cette demande mal fondée

-déclarer la demande du ministre de l'économie irrecevable comme se heurtant à l'autorité de la chose jugée des transactions des 13 juillet 2009 et 24 août 2010 et, subsidiairement, mal fondée,

en tout état de cause,

-confirmer le jugement du tribunal de commerce de Lille du 12 janvier 2012, dont appel,

-condamner Maître [X] ès qualités et le ministre de l'économie à verser chacun à la société Ikea Supply AG la somme de 50.000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

-condamner Maître [X] ès qualités aux entiers dépens ;

Vu les dernières conclusions notifiées et déposées par le ministre de l'économie et des finances, intimée, par lesquelles il est demandé à la cour de :

-infirmer le jugement déféré,

-constater que l'article L.442-6, I, 5° du code de commerce ne fait pas obstacle à ce que les parties aménagent contractuellement la rupture de leur relation commerciale dès lors que ces aménagements contiennent des concessions réciproques, sont équilibrés et ne contreviennent pas aux dispositions d'ordre public de cet article,

-constater que les accords du 13 juillet 2009 et du 24 août 2010 ne sont pas valables car ils ne contiennent pas de concessions réciproques, ne sont pas équilibrés et contreviennent ainsi aux dispositions de l'article L.442-6, I, 5° du code de commerce,

-constater, en tout état de cause, que ces accords ne sont pas opposables à l'action autonome du ministre fondée sur l'article L.442-6, I, 5° du code de commerce,

-constater que la rupture brutale des relations commerciales mise en 'uvre par la société Ikea Supply vis-à-vis de la société Green Sofa Dunkerque est fautive au sens de l'article L.442-6, I, 5° du code de commerce,

-juger que les pratiques susvisées constituent un trouble à l'ordre public économique,

en conséquence :

-prononcer une amende civile d'un montant de 100.000 euros ;

SUR CE,

Sur la demande de Maître [X]

L'appelant, Maître [X], ès qualités de liquidateur judiciaire de la société GSD, soutient être fondé à demander une indemnisation pour la rupture brutale et partielle des relations commerciales établies entre les sociétés Ikea et GSD à compter de janvier 2007 et jusqu'au 31 août 2009. Il soutient que le protocole d'accord du 13 juillet 2009 ne couvre que la baisse de volumes d'achat d'Ikea intervenue pour la période du 1er septembre 2009 au 31 août 2010, ce qui prive ce protocole de toute autorité de chose jugée pour une période antérieure à celle-ci. La société GSD aurait subi sans préavis une baisse brutale de ses commandes au cours de l'année 2007, bien avant le déclenchement de l'appel d'offres en janvier 2009, étant précisé qu'une baisse des commandes de l'ordre de 30,41% caractériserait bel et bien une rupture partielle de la relation commerciale. L'appelant expose que la baisse de commandes constatée sur la période allant du 1er septembre 2007 au 31 août 2009 s'est opérée en l'absence de tout accord de désengagement progressif du client Ikea conclu avec la société GSD, cette baisse de commandes ne pouvant être justifiée par les litiges qualité invoqués par la société Ikea ou par une baisse d'activité générale dans le secteur des canapés.

La société Ikéa soulève l'irrecevabilité des demandes de la société GSD, s'agissant de demandes nouvelles et, à titre subsidiaire, en raison de leur prescription, et, à titre encore plus subsidiaire, en raison des transactions intervenues entre les sociétés GSD et Ikéa les 13 juillet 2009 et 24 août 2010. Sur le fond, elle relève que la société GSD ne produit à l'appui de ses affirmations aucune pièce et aucun chiffre permettant à la cour d'apprécier une éventuelle baisse des commandes d'Ikéa à compter du 1er janvier 2007 ou pendant l'année 2007 ni d'en mesurer le caractère significatif.

Sur la recevabilité de la demande de Maître [X]

La société Ikea fait valoir que Maître [X], ès qualités, prétendait devant les Premiers Juges que la société Ikea avait rompu brutalement et partiellement leurs relations commerciales établies à compter du 5 janvier 2009, alors qu'il soutient devant la cour que la rupture partielle serait intervenue dès le 1er janvier 2007, ce qui constituerait une demande nouvelle.

L'appelant réfute cette irrecevabilité en exposant que les demandes portées devant la cour reposent sur le même fondement juridique de l'article L.442-6, I, 5° du code de commerce et ont un objet identique, à savoir l'allocation de dommages-intérêts en raison d'une rupture brutale de la relation commerciale qui liait la société GSD et le client Ikea.

XXX

L'article 564 du code de procédure civile dispose : « A peine d'irrecevabilité relevée d'office, les parties ne peuvent soumettre à la Cour de nouvelles prétentions si ce n'est pour opposer la compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l'intervention d'un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d'un fait ».

L'article 565 du même code dispose que « Les prétentions ne sont pas nouvelles dès lors qu'elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge, même si leur fondement juridique est différent ». Par ailleurs, l'article 566 prévoit que « Les parties peuvent aussi expliciter les prétentions qui étaient virtuellement comprises dans les demandes et défenses soumises au premier juge et ajouter à celles-ci toutes les demandes qui en sont l'accessoire, la conséquence ou le complément ».

Maître [X], ès qualités, demande à la cour de constater que la baisse substantielle du niveau des commandes passées par la société Ikea auprès de la société GSD, entre le 1er septembre 2007 et le 31 août 2009, constitue une rupture partielle de la relation commerciale entre les deux sociétés, qui s'est opérée sans préavis et n'a jamais été contractualisée, la période concernée étant antérieure aux périodes visées par les accords des 13 juillet 2009 et 24 août 2010. Cette demande a pour objet d'obtenir une indemnisation sur le fondement de l'article L.442-6, I, 5° du code de commerce.

S'il est exact que la demande portée initialement devant les Premiers Juges visait à faire constater une rupture brutale partielle des relations commerciales entre les deux sociétés à compter du 5 janvier 2009, date à laquelle la société Ikea a décidé de procéder à la sélection de ses fournisseurs par la procédure d'appel d'offres, la nouvelle demande tend aux mêmes fins que la demande initiale, à savoir obtenir sur le fondement de l'article L. 442-6, I, 5°, une indemnisation pour rupture brutale partielle des relations commerciales entre les deux partenaires.

La prétention de la société GSD s'inscrit dans le même cadre factuel et juridique, que celui abordé en première instance, et vise une situation juridique identique, la seule circonstance que la seconde demande ait visé un déférencement « rampant », pendant les années 2007 et 2008, et non une rupture partielle annoncée le 1er janvier 2009, et donc une période temporelle distincte, ne saurait entraîner une modification de cette appréciation. Il y a donc lieu de déclarer cette demande recevable.

Sur l'exception de prescription

L'intimée soutient, à titre subsidiaire, que si la cour devait considérer la demande comme recevable, celle-ci serait prescrite, dans la mesure où la réalisation du dommage a eu lieu plus de cinq ans avant le dépôt des conclusions de la société GSD devant la cour.

L'appelant soutient que l'exception de prescription doit être rejetée dans la mesure où la prescription a été interrompue par ses conclusions de première instance du 28 septembre 2011, dans lesquelles il a formé ses demandes en rupture brutale.

XXX

L'article L. 110-4 du code de commerce prévoit que «'Les obligations nées à l'occasion de leur commerce entre commerçants, ou entre commerçants et non-commerçants se prescrivent par cinq ans si elles ne sont pas soumises à des prescriptions spéciales plus courtes.'».

La société GSD impute à la société Ikéa une pratique de rupture brutale et partielle des relations commerciales couvrant la période du 1er septembre 2007 au 31 aout 2009, dans ses conclusions des 28 avril et 15 novembre 2016.

A supposer le point de départ de la prescription de ces pratiques fixé au 30 avril 2010, soit à l'expiration du préavis de 40 mois dont la société GSD revendique le bénéfice, hypothèse la plus favorable à la société GSD, celle-ci a expiré le 30 avril 2015. Les deux demandes des 28 avril et 15 novembre 2016 de la société GSD sont donc hors délai et ne peuvent avoir interrompu la prescription.

Selon l'article 2241 du code civil, «'La demande en justice, même en référé, interrompt le délai de prescription ainsi que le délai de forclusion'». L'article 2242 prévoit que «'l'interruption résultant de la demande en justice produit ses effets jusqu'à l'extinction de l'instance'».

La société Ikea soulève à juste titre que l'interruption de prescription du fait de l'introduction d'une demande en justice ne peut être étendue à des prétentions issues d'un fait ou d'un acte distinct. Or, la demande initiale de la société GSD, du 28 septembre 2011, ne couvrait que la période courant de janvier 2009 au 31 décembre 2012, et donc des faits distincts au plan temporel et matériel. Il convient donc de constater que la pratique de déréférencement fautive imputée à Ikea du 1er septembre 2007 au 31 décembre 2008 est couverte par la prescription, seule la période du 1er janvier 2009 au 31 août 2009 ne l'étant pas, puisque cette période est comprise dans les conclusions du 28 septembre 2011.

Sur le fond

La société GSD n'établissant pas en quoi les pratiques d'Ikea, durant la seule période du 1er janvier 2009 au 31 août 2009, caractériseraient une rupture brutale et partielle des relations commerciales établies entre GSD et Ikea, sa demande sera rejetée.

Il convient de souligner, à titre surabondant, que même à supposer sa demande non prescrite pour la période antérieure, les éléments versés aux débats ne démontrent pas davantage cette pratique.

La société GSD, par l'intermédiaire de Maître [X], prétend que la société Ikea aurait rompu brutalement et partiellement ses relations commerciales avec GSD à partir du 1er janvier 2007, mais s'appuie pour sa démonstration sur une comparaison entre les volumes de commandes d'Ikea pour la période comprise entre le 1er septembre 2007 et le 31 août 2009 et le niveau des commandes de l'exercice fiscal compris entre le 1er septembre 2006 et le 31 août 2007. Cette comparaison la conduit à affirmer que le montant des commandes d'Ikea aurait baissé de 30,41% sur cette période.

Mais si le chiffre d'affaires de l'exercice fiscal 2008 (1er septembre 2007 ' 31 août 2008), d'un montant de 21,480 M  euros est bien inférieur au chiffre d'affaires de l'exercice 2007 (1er septembre 2006 ' 31 août 2007), soit 24,054 M  euros de 10% environ, il convient de relever qu'il est à peu près équivalent au chiffre d'affaires réalisé au cours de l'exercice fiscal 2006 (1er septembre 2005 jusqu'au 31 août 2006), soit 22,267 M  euros, de sorte qu'on ne peut constater pour l'exercice fiscal 2008 un infléchissement suffisamment important des commandes pour caractériser une rupture partielle brutale des relations commerciales.

Par ailleurs, au cours de l'année civile 2008, deux incidents graves de qualité sont intervenus qui ont conduit la société Ikea à suspendre la commande de certains produits auprès de la société GSD pendant une période de trois semaines au printemps 2008 et de deux mois à l'automne 2008. Si l'appelant conteste l'impact de ces incidents sur les baisses de son chiffre d'affaires, en indiquant que les incidents de production se seraient élevés à 14.405 euros et à 249.000 euros sur l'exercice 2008-2009 et prétend que ces baisses ont eu pour seul objectif d'arrêter les commandes auprès de la société GSD et d'avantager un autre fournisseur la société Aquinos, la société Ikea objecte à juste titre que les incidents-qualité sur l'exercice 2008-2009 ont concerné près de 2500 canapés et fauteuils produits par la société GSD et que ce volume considérable d'incidents justifiait le lancement d'un audit et la suspension temporaire des commandes auprès de GSD jusqu'à ce que la cause des désordres ait été établie et qu'il y ait été remédié.

Par ailleurs, si Maître [X] soutient également que la baisse du chiffre d'affaires de GSD serait la conséquence d'une volonté d'Ikéa de favoriser son concurrent la société Aquinos, laquelle aurait bénéficié du chiffre d'affaires retiré à la société GSD, il convient de souligner que la montée en charge de la société Aquinos ne remonte pas à 2007, date à laquelle la société GSD fixe la date de la rupture des relations commerciales avec la société Ikéa, mais à 2009 voire 2010 c'est-à-dire à une date largement postérieure à la date alléguée de rupture partielle des relations commerciales.

Il résulte de ce qui précède que la société GSD, en la personne de Maître [X], ne démontre pas une quelconque rupture brutale partielle des relations commerciales par la société Ikea au 1er janvier 2007, voire même au 31 août 2007, et encore moins au 1er janvier 2009.

Sur les demandes du ministre de l'économie et des finances

Le ministre soutient que la Cour de cassation n'a fait que confirmer la possibilité pour les partenaires commerciaux de convenir, dès lors que ce n'est pas par anticipation, des modalités de la rupture de leurs relations commerciales établies et de l'indemnisation du préjudice en résultant. Mais la Cour de cassation n'interdirait pas au juge de vérifier le caractère équilibré de ces accords aménageant la rupture des relations commerciales. Il expose à cet égard que les deux accords en cause ne sont pas valables, dans la mesure où ils ne respectent pas l'équilibre des rapports entre les partenaires commerciaux, ne contiennent pas de concessions réciproques et ne garantissent pas l'absence de conséquences excessives pour la société GSD, ce dont il résulte que la rupture brutale serait caractérisée. Le ministre soutient en tout état de cause que les accords ne lui sont pas opposables, dans la mesure où son action est d'ordre public et en vertu de l'effet relatif des conventions. Le ministre conclut donc que la rupture n'a pris effet que le 24 août 2010, et que le délai de préavis courant jusqu'au 31 décembre 2012 était insuffisant au regard de la durée et de la nature des relations, des perspectives de réorganisation de l'activité et de la commercialisation sous marque de distributeur, et n'était pas effectif puisqu'il ne garantissait pas le maintien des relations dans leurs conditions antérieures.

La société Ikea soutient que, contrairement à ce que prétend le ministre, la Cour de cassation a estimé que, dès lors que la rupture des relations commerciales entre les parties est consommée, rien ne les empêche de convenir entre elles des conséquences de ladite rupture et qu'une fois un tel accord conclu, le litige a trouvé sa solution et il n'appartient plus alors au juge d'apprécier si le préavis de rupture a été suffisant. L'intimée soutient également que contrairement à ce que prétend le ministre, les accords du 13 juillet 2009 et du 24 août 2010 comprennent bel et bien des concessions réciproques. L'intimée soutient également que c'est à tort que le ministre estime que la rupture des relations commerciales a été brutale puisqu'il est clair que la société GSD a bénéficié d'un préavis de près de 48 mois entre le mois de janvier 2009 et le 31 décembre 2012.

Si l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce institue une responsabilité d'ordre public à laquelle les parties ne peuvent renoncer par anticipation, il ne leur interdit pas de convenir des modalités de la rupture de leur relation commerciale, ou de transiger sur l'indemnisation du préjudice subi par suite de la brutalité de cette rupture. Mais il résulte de l'article 2044 du code civil que « La transaction est un contrat par lequel les parties, par des concessions réciproques, terminent une contestation née, ou préviennent une contestation à naître. Ce contrat doit être rédigé par écrit ». La transaction ne peut être annulée que si les concessions sont non réciproques, certaines présentant un caractère "dérisoire".

Il convient donc de vérifier si les accords précités instaurent des concessions réciproques et non dérisoires entre les parties et ont été valablement conclus.

Sur l'accord du 13 juillet 2009

Selon le ministre, cet accord n'a pas été conclu librement par la société GSD, qui pensait, encore à l'époque, que ses relations commerciales allaient perdurer avec la société Ikea et qui, en situation de dépendance totale, ne pouvait refuser de signer. Il prétend que les concessions n'étaient pas réciproques, le versement à la société GSD d'une somme représentant seulement 10 % des commandes prévues étant dérisoire.

Mais il résulte du courrier dénué de toute ambiguïté adressé le 5 janvier 2009 par la société Ikea à ses fournisseurs, dont la société GSD, qu'elle avait décidé de procéder par appels d'offres pour la sélection de ses fournisseurs. Il est donc inexact de prétendre que le consentement de la société GSD aurait été trompé lorsqu'elle a signé l'accord susvisé. Au surplus, le ministre de l'économie ne démontre pas que le consentement de la société GSD aurait été contraint par la violence.

Il n'est au surplus pas démontré que le versement par la société Ikea à la société GSD d'une indemnité de 580.000 euros, représentant 10% du montant de la baisse de commandes à intervenir, serait une concession « manifestement dérisoire et acceptée par GREEN SOFA DUNKERQUE uniquement pour limiter les conséquences négatives sur son activité et celle de ses salariés ».

Il convient de rappeler qu'au moment où la société Ikea a prévenu la société GSD de ce qu'elle ne pourrait pas maintenir le niveau actuel des commandes et que celui-ci serait ramené à 13.000.000 d'euros pour la période comprise entre le 1er septembre 2009 et le 31 août 2010 (pour l'exercice 2010), la société Ikea a demandé à la société GSD de chiffrer le montant de la compensation que celle-ci souhaitait recevoir dans ce cadre, ce qu'elle a fait. Le montant de 580.000 euros est précisément celui qui a été communiqué par la société GSD à la société Ikea et que la société Ikea n'a pas négocié. Ce montant représente 10 % de la diminution des commandes annoncée par Ikea à GSD.

Cet accord comporte donc bien des concessions de la part des deux parties, à savoir, en premier lieu de la part de la société Ikéa, qui a versé une indemnité substantielle à la société GSD, et, réciproquement, de la part de la société GSD qui a accepté une somme inférieure à la perte de marge qu'elle subirait, mais moyennant un versement immédiat, par anticipation de la perte à intervenir.

Il ne peut dans ces conditions être sérieusement prétendu par le ministre que l'accord du 13 juillet 2009 ne comprendrait pas des concessions réciproques.

Sur l'accord du 24 août 2010

Le ministre expose que cet accord ne prévoit aucune indemnisation de la société GSD. Faute de concessions réciproques, il ne serait donc pas opposable.

Mais en l'espèce, le ministre ne démontre pas en quoi les concessions faites par la société Ikéa au titre de la transaction du 24 août 2010 seraient "dérisoires".

Si l'on retient en effet, comme l'avait fait la cour d'appel dans son précédent arrêt, qu'un préavis de 15 mois doublé, s'agissant de produits de marque de distributeur, soit 30 mois, aurait été suffisant, les relations commerciales entre les sociétés Ikéa et GSD auraient dû s'achever le 5 juillet 2011 (30 mois à compter de janvier 2009). Si l'on retient le préavis de 18 mois doublé selon le ministre ou de 20 mois doublé selon la société GSD, le préavis aurait du s'achever en janvier 2012 ou en mai 2012.

En poursuivant ses relations jusqu'au 31 décembre 2012, soit au-delà du préavis qui aurait été jugé suffisant par la cour, le ministre ou l'appelant, et en maintenant le niveau des commandes auprès de la société GSD à 11.000.000 d'euros pour la première période de 12 mois, à 9.000.000 d'euros pour la seconde période de 12 mois et de 4.500.000 d'euros pour la période de 4 mois écoulée entre le 1er septembre 2012 et le 31 décembre 2012 (correspondant ainsi à un chiffre d'affaires annuel de 13.500.000 d'euros), la société Ikéa a bien donné une concession importante à la société GSD, qui, de son côté, en contrepartie, disposait de la possibilité de retrouver d'autres donneurs d'ordres par une libération progressive de son outil de production.

La transaction conclue le 24 août 2010 est donc régulière.

Sur l'action du ministre

Il convient de souligner que ces accords sont bien opposables au ministre, contrairement à ce qu'il soutient, sous réserve de leur régularité, ici non remise sérieusement en cause.

En effet, si le ministre invoque la mission qui lui est confiée de faire respecter l'ordre public économique, consacrée par la possibilité de demander à la juridiction saisie d'infliger une amende civile à l'auteur de la rupture brutale des relations commerciales, il convient de souligner que l'arrêt de la Cour de cassation du 16 décembre 2014 a cassé l'arrêt de la cour de céans qui lui était déféré, non seulement quant à la condamnation à une somme de 4.933.500 euros à titre de dommages-intérêts qui avait été allouée à la société GSD, mais également quant à l'amende civile à laquelle la société Ikea avait été condamnée. Cette cassation est intervenue au motif que la cour d'appel n'avait pas respecté l'autorité de la chose jugée qui s'attachait aux deux transactions conclues entre les sociétés Ikéa et GSD. Il s'ensuit que, pour la Cour de cassation, ces deux accords transactionnels font obstacle tant à l'allocation de dommages-intérêts à la société GSD qu'à la condamnation de la société Ikéa au paiement d'une amende civile.

PAR CES MOTIFS

DÉCLARE recevable la demande de Maître [X] ès qualités,

LA DÉCLARE prescrite, s'agissant de la période du 1er septembre 2007 au 31 décembre 2008,

LA REJETTE au fond,

CONFIRME le jugement entrepris en toutes ses dispositions,

DÉBOUTE le ministre de sa demande tendant à voir écarter les deux accords transactionnels et à voir prononcer une amende civile à l'encontre de la société Ikéa,

CONDAMNE Maître [X], ès qualités, aux dépens de l'instance,

CONDAMNE Maître [X], ès qualités et le ministre de l'économie, à payer chacun à la société Ikea Supply AG la somme de 15.000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Le GreffierLa Présidente

Vincent BRÉANT Irène LUC


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 5 - chambre 4
Numéro d'arrêt : 15/00228
Date de la décision : 15/02/2017

Références :

Cour d'appel de Paris I4, arrêt n°15/00228 : Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2017-02-15;15.00228 ?
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