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25/01/2017 | FRANCE | N°15/06315

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 9, 25 janvier 2017, 15/06315


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 9



ARRÊT DU 25 Janvier 2017



(n° , 6 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : S 15/06315



Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 07 Mai 2015 par le Conseil de prud'hommes - Formation de départage de PARIS - RG n° 13/04143





APPELANT

Monsieur [D] [L]

[Adresse 1]

[Localité 1]

né le [Date naissance 1] 1978 à [Localité 2]

comp

arant en personne, assisté de Me Coralie BLUM, avocat au barreau de PARIS, B0832



INTIMEE

SNC ATLANTIC BLUE COMPAGNIE exerçant sous l'enseigne L'ALCAZAR

[Adresse 2]

[Localité 1]

représenté...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 9

ARRÊT DU 25 Janvier 2017

(n° , 6 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : S 15/06315

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 07 Mai 2015 par le Conseil de prud'hommes - Formation de départage de PARIS - RG n° 13/04143

APPELANT

Monsieur [D] [L]

[Adresse 1]

[Localité 1]

né le [Date naissance 1] 1978 à [Localité 2]

comparant en personne, assisté de Me Coralie BLUM, avocat au barreau de PARIS, B0832

INTIMEE

SNC ATLANTIC BLUE COMPAGNIE exerçant sous l'enseigne L'ALCAZAR

[Adresse 2]

[Localité 1]

représentée par Me Pascal WINTER, avocat au barreau de PARIS, J009

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 09 novembre 2016, en audience publique, devant la cour composée de :

Madame Catherine SOMMÉ, présidente de chambre

Monsieur Benoît HOLLEAUX, conseiller

Madame Laure TOUTENU, vice-présidente placée

qui en ont délibéré

Greffière : Madame Cécile DUCHE BALLU, lors des débats

ARRET :

- contradictoire

- prononcé par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Madame Catherine SOMMÉ, présidente et par Madame Marion AUGER, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

M. [D] [L] a été engagé par la SNC Atlantic Blue Compagnie, exerçant une activité de restauration sous l'enseigne l'Alcazar, pour une durée indéterminée à compter du 2 novembre 2006, en qualité de chef de rang, statut employé, niveau III, échelon 1, moyennant un salaire de 1 570,22 € brut mensuel. La relation de travail était régie par la convention collective nationale des Hôtels, cafés, restaurants.

Suivant avenant du 31 octobre 2008, le salarié a été promu chef de rang senior, niveau III, échelon 2, moyennant un salaire brut mensuel de 1 813,40 €. Suivant avenant du 1er mars 2012, il a été promu maître d'hôtel senior moyennant un salaire mensuel brut de 2 234,33 €.

Par lettre du 20 février 2013, M. [L] était convoqué pour le 28 février 2013 à un entretien préalable à son licenciement.

Son licenciement lui a été notifié le 5 mars 2013 suivant pour cause réelle et sérieuse, pour avoir «participé à un système de détournement des recettes ».

L'entreprise employait plus de dix salariés à la date de la rupture.

Le 2 avril 2013, M. [L] a saisi le conseil de prud'hommes de Paris et formé des demandes afférentes à la contestation de son licenciement.

Par jugement du 7 mai 2015 notifié le 12 mai 2015, le conseil de prud'hommes de Paris, en sa formation de départage, a dit le licenciement de M. [L] fondé sur une cause réelle et sérieuse, débouté les parties de leurs autres prétentions et condamné M. [L] à payer à la société Atlantic Blue Compagnie la somme de 300 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens.

M. [L] a interjeté appel de cette décision le 23 juin 2015.

Aux termes de ses écritures visées par le greffier et soutenues oralement le 9 novembre 2016, M. [L] demande à la cour d'infirmer le jugement et de :

- constater la prescription des faits

- dire le licenciement sans cause réelle et sérieuse

- condamner la société Atlantic Blue Compagnie à lui payer les sommes suivantes :

'28 314 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, avec intérêts au taux légal et capitalisés depuis le 29 mars 2013

'5 000 € au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile

- débouter la société Atlantic Blue Compagnie de l'ensemble de ses demandes.

La société Atlantic Blue Compagnie reprend les termes de ses conclusions visées par le greffier et demande à la cour de :

- confirmer le jugement en ce qu'il a jugé le licenciement de M. [L] fondé sur une cause réelle et sérieuse, l'a débouté de ses demandes et condamné à lui payer une somme de 300 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- subsidiairement, réduire les demandes à de plus justes proportions

- la dire recevable et bien fondée en son appel incident, et condamner M. [L] à lui payer la somme de 10 000 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait de ses agissements frauduleux

- condamner M. [L] à lui payer une somme de 2 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

En application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des prétentions des parties, la cour se réfère à leurs dernières conclusions visées par le greffier et développées lors de l'audience des débats.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur le licenciement

M. [L] soulève la prescription du licenciement disciplinaire sur le fondement de l'article L 1332-4 du code du travail, en soutenant que l'employeur a deux mois pour éventuellement déclencher une procédure disciplinaire, la procédure étant considérée comme engagée au jour fixé pour la tenue de l'entretien préalable. M. [L] expose que la lettre de licenciement lui reproche d'avoir participé à un système de détournement d'une partie des recettes du bar, que les prétendues infractions ont été découvertes aux termes de l'enquête menée par des "mystery drinkers" en septembre 2012, que les deux seules factures le mettant en cause remontent aux 4 et 18 septembre 2012, que les faits ont été portés à la connaissance de l'employeur dès septembre 2012 et au plus tard le 6 octobre 2012, point de départ de la prescription, que la sanction est intervenue plus de deux mois après la découverte des faits et est prescrite, qu'il n'y a pas eu d'investigations postérieures à septembre 2012.

La société Atlantic Blue Compagnie fait valoir que M. [L] a été licencié non pas en raison des infractions commises aux règles d'encaissement du bar, mais en raison de sa participation à un système de détournement des recettes du bar, qu'en septembre 2012, le contrôle a mis en évidence deux infractions aux règles de facturation et d'encaissement de M. [L], mais qu'elle ne disposait pas de preuve formelle de l'existence du détournement de fonds mis en place par les salariés du bar. La société Atlantic Blue Compagnie ajoute qu'en septembre 2012 de simples anomalies ont été constatées, donnant lieu à plusieurs notes de rappel des procédures, qu'en octobre 2012 une nouvelle anomalie a été découverte, constituant un indice supplémentaire, mais pas une preuve formelle du détournement de fonds opéré par les salariés du bar. Elle expose que la connaissance d'un système de détournement de fonds dans lequel tous les salariés sont impliqués n'est intervenue que plus tard, lorsque M. [U], lui-même salarié du bar, a profité du départ en congés de Mme [S], instigatrice du système, et révélé l'existence du détournement de fonds début février 2013 au directeur, que le délai de deux mois est donc respecté.

Aux termes de l'article L1332-4 du code du travail, aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l'engagement de poursuites disciplinaires au-delà d'un délai de deux mois à compter du jour où l'employeur en a eu connaissance, à moins que ce fait ait donné lieu dans le même délai à l'exercice de poursuites pénales.

En l'espèce, la lettre de licenciement du 5 mars 2013, qui fixe les limites du litige en application des dispositions de l'article L1232-6 du code du travail, est libellée dans les termes suivants :

« [...] Nous vous notifions donc par la présente votre licenciement pour faute pour le motif suivant: participation à un système de détournement d'une partie des recettes du bar.

Il y a quelques temps, une série de contrôles au bar par des "mystery drinker" a mis en évidence de très nombreuses infractions aux règles, c'est à dire des encaissements en espèces sans émission de tickets. Vous faisiez partie des salariés ayant alors commis cette infraction.

Nous avons alors mené des investigations sur les processus d'encaissements et au sein du personnel. Cette enquête interne a permis d'établir qu'un système de détournement d'une partie des recettes en espèces était organisé à grande échelle depuis plusieurs années au bar du restaurant, que vous en faisiez donc parie et en étiez bénéficiaire, les sommes ainsi détournées étant partagées entre tous les membres de l'équipe du bar.

La gravité d'un tel comportement, qui serait d'ailleurs susceptible d'une qualification pénale, se déduit de son simple énoncé. Il est d'autant plus inacceptable qu'il a engendré une perte de recettes susceptible de mettre en danger la survie de la société, pour laquelle tous les autres personnels du restaurant se battent aujourd'hui compte tenu de la gravité de la crise dans la restauration.

Il aurait donc justifié un licenciement pour faute grave. Cependant, pour tenir compte d'une part du fait que vous n'étiez pas l'organisateur de cette fraude et d'autre part de votre ancienneté dans la société où la qualité de votre travail n'a jamais été mise en cause, nous avons décidé de limiter la qualification de la faute à la cause réelle et sérieuse.[...] »

La lettre de licenciement reproche en substance au salarié d'avoir participé à un système de détournement des recettes du bar.

La lettre fait référence à des contrôles au bar par une enquête confiée à Mme [W], consultante, par le biais de "mystery drinkers", ceux-ci ayant révélé des faits constitutifs d'anomalies à l'encontre de M. [L] les 4 et 18 septembre 2012.

Si la lettre fait également état d'investigations sur les processus d'encaissements et d'enquête interne, la société Atlantic Blue Compagnie ne produit pas d'éléments probants quant à la participation de M. [L] à des détournements de recette au niveau du bar à une date postérieure au 18 septembre 2012.

Ainsi, Mme [W] dans son attestation du 4 février 2013 a indiqué avoir informé la direction en ces termes : "j'ai transmis un rapport détaillé de mon intervention de contrôle de gestion du bar à M. [P] avec les pièces comptables justificatives", sans donner de précision sur la date de cette information.

M. [T], directeur de restaurant, dans son attestation en date du 31 juillet 2013, relate également avoir directement constaté des anomalies de caisse le 6 octobre 2012 et avoir à la fin du service reçu les trois barmans et avoir "signalé l'incident à mon supérieur M. [P]".

Seul M. [M], chef de cuisine, met en cause M. [L] nommément dans une attestation en date du 4 février 2013 quant à une commande de plats qui n'étaient pas enregistrés, sans donner de détail sur la date des faits invoqués.

Si M. [U], chef barman, dans son attestation du 9 février 2013, révèle des encaissements irréguliers depuis trois ans, il ne met pas précisément en cause M. [L].

Enfin, l'employeur n'a pas déposé de plainte pénale et les faits reprochés au salarié n'ont pas donné lieu à des poursuites pénales.

Il résulte de l'analyse de ces éléments, que les faits reprochés à M. [L] dans la lettre de licenciement ont été connus de l'employeur dans leur nature et leur ampleur le 6 octobre 2012, et que plus de deux mois se sont écoulés entre le jour où l'employeur en a eu connaissance, point de départ de la prescription, et la convocation à l'entretien préalable au licenciement, interrompant la prescription.

Il y a donc lieu d'accueillir le moyen tendant à la prescription des faits à l'appui du licenciement, la direction ayant été informée des faits fautifs prouvés à l'encontre de M. [L] plus de deux mois avant l'interruption de la prescription, et de dire le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Sur les conséquences indemnitaires de la rupture

Au regard de l'effectif de l'entreprise et de l'ancienneté de plus deux ans du salarié, M. [L] peut prétendre à l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse prévue par les dispositions de l'article L 1235-3 du code du travail, et qui ne peut être inférieure aux six derniers mois de salaire brut.

La cour retient un salaire mensuel brut moyen de 2 360 €, montant non discuté.

Au moment de la rupture, M. [L], âgé de 34 ans, avait plus de six ans d'ancienneté. Il ne produit pas de justificatifs sur sa situation actuelle et n'établit pas le préjudice moral invoqué au titre des circonstances de la rupture. En considération de ces éléments il lui sera alloué la somme de 19 000 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt.

En application des dispositions de l'article L1235-4 du code du travail, il y a lieu d'ordonner le remboursement par la société Atlantic Blue Compagnie des indemnités de chômage versées à M. [L] dans la limite six mois d'indemnités.

Sur la demande de dommages et intérêts pour agissements frauduleux

Seule la faute lourde du salarié peut engager sa responsabilité pécuniaire à l'égard de l'employeur. La société intimée ne peut dès lors qu'être déboutée de sa demande de dommages et intérêts pour agissements frauduleux formée à l'encontre de M. [L].

Sur les autres demandes

Il y a lieu d'ordonner la capitalisation des intérêts, celle-ci étant de droit.

La société Atlantic Blue Compagnie succombant à la présente instance, supportera les dépens de première instance et d'appel et sera condamnée à payer à M. [L] une indemnité destinée à couvrir les frais non compris dans les dépens qu'il a dû engager pour assurer la défense de ses intérêts et qu'il y a lieu de fixer à 2 500 €.

PAR CES MOTIFS

LA COUR,

CONFIRME le jugement seulement en ce qu'il a débouté la SNC Atlantic Blue Compagnie, de sa demande de dommages et intérêts ;

L'INFIRMANT pour le surplus et statuant à nouveau,

DIT le licenciement de M. [D] [L] dépourvu de cause réelle et sérieuse;

CONDAMNE la SNC Atlantic Blue Compagnie à payer à M. [D] [L] la somme de 19 000 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt ;

ORDONNE la capitalisation des intérêts dus pour au moins pour une année entière ;

CONDAMNE la SNC Atlantic Blue Compagnie à rembourser à Pôle emploi les indemnités de chômage versées à M. [D] [L] dans la limite de six mois d'indemnités ;

CONDAMNE la SNC Atlantic Blue Compagnie à payer à M. [D] [L] une somme de 2 500€ en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE la SNC Atlantic Blue Compagnie aux dépens de première instance et d'appel.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 9
Numéro d'arrêt : 15/06315
Date de la décision : 25/01/2017

Références :

Cour d'appel de Paris K9, arrêt n°15/06315 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2017-01-25;15.06315 ?
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