RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 3
ARRÊT DU 17 Janvier 2017
(n° , 6 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : S 14/01129
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 06 Janvier 2014 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de MEAUX RG n° 12/01195
APPELANT
Monsieur [I] [F]
[Adresse 1]
[Adresse 1]
né le [Date naissance 1] 1982 à [Localité 1]
comparant en personne,
assisté de Me Nathalie BAUDIN-VERVAECKE, avocat au barreau de MEAUX
INTIMEE
SARL BH CATERING SERVICES
[Adresse 2]
[Adresse 2]
N° SIRET : 411 136 559
représentée par Me Thierry BENKIMOUN, avocat au barreau de MEAUX
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 31 Octobre 2016, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Roselyne NEMOZ, Conseillère, chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Monsieur Daniel FONTANAUD, Président
Madame Roselyne NEMOZ, Conseillère
Madame Laurence SINQUIN, Conseillère
qui en ont délibéré
Greffier : Madame Claire CHESNEAU, lors des débats
ARRET :
- contradictoire
- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile.
- signé par Monsieur Daniel FONTANAUD, Président et par Madame Claire CHESNEAU, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Monsieur [I] [F] a été embauché par la société B.H CATERING SERVICES le 1er octobre 2009 en qualité de chauffeur livreur. Il est ensuite devenu responsable logistique.
Du 8 août au 31 décembre 2012, il a été en arrêt de travail.
Le 9 novembre 2012, monsieur [F] a saisi le Conseil de Prud'hommes de MEAUX en paiement de diverses sommes.
Par jugement du 6 janvier 2014, le Conseil de Prud'hommes a condamné la société B.H CATERING SERVICES à payer à monsieur [F] 2.000 Euros à titre de dommages et intérêts pour défaut de visite médicale et 500 Euros en application des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure civile. Monsieur [F] a été débouté du surplus de ses demandes visant, à titre principal à faire juger qu'il avait été licencié verbalement et à titre subsidiaire à voir prononcer la résiliation judiciaire de son contrat de travail.
Le 3 février 2014, monsieur [F] a interjeté appel de cette décision.
Le 6 mars 2014, monsieur [F] a déclaré un accident de trajet au sujet duquel la société B.H CATERING SERVICES, par lettre du 18 juin 2014 adressée à la CPAM, a émis des réserves en expliquant que monsieur [F], en arrêt maladie depuis le mois d'août 2014, n'avait jamais repris le travail, et que le dernier arrêt maladie qu'elle avait reçu prolongeait son absence jusqu'au 5 mars 2014.
Le 4 mai 2015, monsieur [F] a écrit à la société B.H CATERING SERVICES pour l'informer de la reprise de son poste, son arrêt maladie expirant le 8 mai 2015.
Le 27 juillet 2015, à l'issue de la seconde visite de reprise, monsieur [F] a été déclaré inapte à son poste par le médecin du travail. Le 30 juillet, il a été convoqué un entretien préalable à licenciement, qui s'est tenu le 10 août. Il a été licencié pour inaptitude et impossibilité de reclassement par lettre du 14 août.
La convention collective applicable à la relation de travail est celle des prestataires de service dans le domaine tertiaire. La société B.H CATERING SERVICES occupe habituellement plus de 10 salariés.
Par conclusions visées par le greffe le 31 octobre 2016 au soutien de ses observations orales, et auxquelles il est expressément fait référence en ce qui concerne ses moyens, monsieur [F] demande à la Cour d'infirmer le jugement, sauf en ce qui concerne les dommages et intérêts pour défaut de visite médicale, de constater son licenciement verbal, subsidiairement de prononcer la résiliation judiciaire du contrat de travail et de condamner la société B.H CATERING SERVICES à lui payer les sommes suivantes, avec intérêts au taux légal majoré à compter de la convocation devant le bureau de conciliation et anatocisme :
- 124,31 Euros à titre de reliquat d'indemnité de licenciement ;
- 4.384,44 Euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis et les congés payés afférents ;
- 239,43 Euros à titre de rappel d'heures supplémentaires effectuées en juin 2012 et les congés payés afférents ;
- 720,98 Euros au titre de la prime de travail de nuit et les congés payés afférents ;
- 1.000 Euros à titre de dommages et intérêts pour violation du droit au repos compensateur de nuit ;
- 30.000 Euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse;
- 2.500 Euros en application des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure civile ;
Il a sollicité la remise de bulletins de paye, du certificat de travail et de l'attestation Pôle Emploi conformes sous astreinte.
Par conclusions visées par le greffe le 31 octobre 2016 au soutien de ses observations orales, et auxquelles il est expressément fait référence en ce qui concerne ses moyens, la société B.H CATERING SERVICES demande à la Cour de confirmer le jugement à l'exception de la condamnation prononcée pour absence de visite médicale d'embauche, de débouter monsieur [F] de l'intégralité de ses demandes et de le condamner à lui payer 3.000 Euros en application des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure civile.
MOTIFS
Sur le rappel d'heures supplémentaires
Selon les dispositions de l'article L 3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié d'étayer sa demande quant aux horaires effectivement réalisés pour permettre à l'employeur de répondre ; le juge forme sa conviction au vu des éléments produits par les parties ;
Monsieur [F] verse aux débats ses bulletins de paie des mois d'avril et mai qui font apparaître le paiement d'heures supplémentaires à raison de 31 heures par mois, et ce conformément au tableau des plannings des soirées, lequel mentionne également l'accomplissement d'heures de nuit au cours du mois de juin, reprises dans un tableau établi par les soins de l'intéressé décomptant 16,20 heures supplémentaires en juin, qui n'apparaissent pas sur le bulletin de paie correspondant ;
La société B.H CATERING SERVICES affirme qu'en raison du dépôt de bilan d'un concurrent, elle a connu un surcroît d'activité l'ayant conduite à demander à monsieur [F], à titre exceptionnel, d'effectuer des heures de nuit, mais que celles-ci ont cessé en mai 2012 ; elle prétend que le planning des horaires de travail a été falsifié par monsieur [F], et que les écritures et signatures des mois de juin 2012 ne seraient pas les mêmes que celles des mois d'avril et mai ;
Toutefois, elle ne verse aucune pièce pour justifier de ses allégations sur la livraison des machines qui l'aurait conduite à cesser le travail de nuit et, à l'examen du planning produit, la dissemblance d'écritures et de signatures alléguée n'apparaît aucunement probante ; force est de constater que, de son côté, elle ne donne aucun planning - ni d'ailleurs aucune autre pièce - qui serait de nature à contredire les éléments versés aux débats par monsieur [F] pour étayer sa demande ; aussi, à défaut pour elle de justifier que ces éléments, qui sont suffisamment détaillés et précis pour lui permettre de répondre, ne correspondent pas aux horaires effectivement réalisés par monsieur [F], il convient de faire droit à la demande de ce dernier et de lui allouer la somme de 239,43 Euros à titre de rappel d'heures supplémentaires accomplies en juin 2012 et les congés payés afférents ;
Sur le travail de nuit
La société B.H CATERING SERVICES a contesté les heures de nuit afférentes au mois de juin, mais pas celles accomplies en avril et mai ; elle fait valoir que monsieur [F] ne peut être qualifié de travailleur de nuit au sens des dispositions des articles L 3122-29 et L 3122-39 du code du travail, mais simplement travailleur de nuit occasionnel, bénéficiant à ce titre, selon les dispositions de la convention collective applicable, d'une majoration de salaire de 25% , qui a été appliquée ;
Monsieur [F] expose qu'il lui arrivait souvent 'de travailler pendant les périodes nocturnes' mais ne conteste pas que ces horaires de nuit ne correspondaient pas à ses horaires habituels de travail et ne justifie pas qu'il remplissait les conditions , notamment de durée de travail de nuit, permettant de le qualifier de travailleur de nuit selon les définitions données tant par le code du travail que par la convention collective applicable. Il doit donc être débouté de ses demandes au titre du repos compensateur et de dommages et intérêts pour violation du droit à ce repos compensateur ;
En revanche, sa rémunération au titre de ces heures de nuit devait être majorée de 25% comme cela est admis par la société ;
Il convient, à cet effet, de se référer au 'planning des soirées effectivement réalisé' versé aux débats et signé par monsieur [F], qui seul détaille les horaires de début et fin de travail et permet ainsi de connaître précisément les horaires accomplis après 21 heures ; il en résulte que, pendant la période considérée (avril à juin) monsieur [F] a accompli 198,20 heures de travail la nuit, alors que seules 78 Heures, incluant celles de juin, ont été rémunérées avec une majoration de 25% au titre des heures supplémentaires ; il a donc droit à cette majoration pour 120 heures accomplies la nuit soit, sur la base d'un différentiel de 2,957 Euros, un montant dû de 354,84 Euros et les congés payés afférents ;
Sur le licenciement verbal
Monsieur [F] reproche à l'employeur de s'être abstenu de lui fournir du travail à compter du 2 août 2012, et de lui avoir demandé de rentrer chez lui, procédant ainsi à son licenciement verbal ;
Toutefois, si l'employeur a, en effet, l'obligation de fournir du travail à son salarié, l'inexécution de cette obligation engage sa responsabilité contractuelle et autorise le salarié à prendre acte de la rupture de son contrat de travail ou d'en demander la résiliation aux torts de l'employeur. A défaut, tant que ce dernier ne manifeste pas sa volonté de rompre le contrat, celui-ci se poursuit ;
Monsieur [F] sera donc débouté de ses demandes visant à voir reconnaître un licenciement verbal ;
Sur la résiliation judiciaire du contrat de travail
Lorsque le salarié sollicite la résiliation judiciaire de son contrat de travail et que cette demande a été suivie d'un licenciement avant que le juge ne statue, il convient d'examiner si les faits invoqués à l'appui de la demande de résiliation sont justifiés, la date de la rupture étant, dans tous les cas, celle du licenciement ;
A supposer que la société B.H CATERING SERVICES n'ait pas reçu, comme elle l'affirme, le courrier recommandé en date du 7 août intitulé 'demande d'explication' suite à une réclamation de paiement d'heures supplémentaires, il reste que monsieur [F] a bien déposé une main courante pour ce motif le 3 août, qu'il a été le jour même en arrêt maladie pour, selon ses déclarations, harcèlement moral sur son lieu de travail, ce qui corrobore ses affirmations selon lesquelles il avait un litige avec son employeur au sujet du règlement de ses heures supplémentaires ;
Or il résulte de ce qui précède qu'aucune heure supplémentaire ne lui a été payée en juin, ni même ses heures de nuit alors qu'il travaillait régulièrement depuis trois mois, en dehors de ses horaires de travail, jusqu'à minuit voire plus, à la demande de l'employeur ;
En outre, tout salarié, avant d'être affecté à un travail de nuit doit bénéficier d'une surveillance médicale renforcée pour, selon les dispositions de l'article R 3122-18 du code du travail, permettre au médecin du travail d'apprécier les conséquences éventuelles de ce travail pour la santé et la sécurité notamment du fait des modifications des rythmes chronobiologiques ; si monsieur [F] ne répondait pas à la définition du travailleur de nuit au sens des dispositions du code du travail et de la convention collective, il reste qu'il a bien exécuté un tel travail de nuit pendant au moins trois mois, à la demande de son employeur, subissant de ce fait un changement de son rythme de travail ; dans ces circonstances, la violation par l'employeur de ses obligations minimales relatives à la visite médicale d'embauche et aux visites médicales périodiques revêt un caractère de gravité certain ; ce manquement, que le Conseil de Prud'hommes a justement réparé en allouant à monsieur [F] une somme de 2.000 Euros à titre de dommages et intérêts, ajouté au non paiement des heures supplémentaires et des majorations du travail de nuit, justifie que soit prononcée la résiliation du contrat de travail, avec effet au 14 août 2015 ;
Sur les conséquences de la résiliation judiciaire
Au vu de ses bulletins de salaire et des majorations ci-dessus, le salaire brut mensuel moyen de monsieur [F] au cours des trois derniers mois précédant la rupture doit être fixé à 2.192,22 Euros, conformément à sa demande ;
Monsieur [F] a droit à une indemnité compensatrice de préavis représentant deux mois de salaires, ainsi qu'à une indemnité de licenciement de 1.205,71 Euros, somme de laquelle il convient de déduire celle de 1.046,40 Euros réglée par l'employeur, soit un solde qui sera fixé au montant sollicité de 124,31 Euros ;
Monsieur [F] justifie que, depuis le mois de septembre 2015, il travaille en intérim ; compte tenu de son ancienneté dans l'entreprise, il convient de lui allouer la somme de 14.000 Euros réparation du préjudice causé par le licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
Sur les circonstances vexatoires du licenciement
Monsieur [F] verse aux débats un compte rendu de l'entretien qui s'est déroulé le 10 août 2015 lequel, s'il fait apparaître un comportement agressif et incorrect de la part du directeur, tant vis-à-vis du salarié que du conseiller qui l'assistait, celui-ci n'est pas de nature à donner au licenciement un caractère vexatoire ; monsieur [F] doit être débouté de la demande de dommages et intérêts qu'il a formée de ce chef ;
Sur les autres demandes
Les sommes dues, autres que les dommages et intérêts, fixés par le conseil, portent intérêts au taux légal à compter du 23 novembre 2012, date de la convocation de la société devant le bureau de conciliation ; la majoration des intérêts prévue par l'article L 313-3 du code monétaire et financier ayant lieu de plein droit dans les conditions fixées par cet article, il n'y a pas lieu de l'ordonner ;
La société B.H CATERING SERVICES devra remettre à monsieur [F] des bulletins de paye, un certificat de travail et une attestation Pôle Emploi conformes la décision, sans qu'il soit nécessaire d'ordonner une astreinte ;
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant publiquement et contradictoirement,
Confirme le jugement en ce qu'il a condamné la société B.H CATERING SERVICES à payer à monsieur [I] [F] 2.000 Euros pour absence de visite médicale d'embauche et en ce qu'il l'a débouté de ses demandes relatives au repos compensateur ;
L'infirme sur le surplus et statuant à nouveau ;
Prononce la résiliation judiciaire du contrat de travail avec effet au 14 août 2015 ;
Condamne la société B.H CATERING SERVICES à payer à monsieur [F] les sommes suivantes, avec intérêts de droit à compter du 23 novembre 2012 :
- 239,43 Euros à titre de rappel d'heures supplémentaires accomplies en juin 2012 et 23,94 Euros pour les congés payés afférents
- 354,84 Euros au titre des majorations pour heures de nuit et 35,48 Euros pour les congés payés afférents ;
- 124,31 Euros à titre de solde d'indemnité de licenciement ;
- 4.384,44 Euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis et 438,44 pour les congés payés afférents ;
Ordonne à la société B.H CATERING SERVICES de remettre à monsieur [F] des bulletins de paye, un certificat de travail et une attestation Pôle Emploi conformes à la décision ;
Condamne la société B.H CATERING SERVICES à payer à monsieur [F] la somme de 14.000 Euros à titre de dommages et intérêts pour rupture abusive du contrat de travail ;
Vu l'article 700 du Code de Procédure Civile ;
Condamne la société B.H CATERING SERVICES à payer à monsieur [F] la somme de 2.000 Euros au titre des frais irrépétibles engagés tant en première instance qu'en appel ;
Dit que les intérêts seront capitalisés dans les conditions prescrites par l'article 1343-2 du code civil ;
Déboute les parties de toutes leurs autres demandes, plus amples ou contraires ;
Met les dépens à la charge de la société B.H CATERING SERVICES
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT