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10/01/2017 | FRANCE | N°15/09328

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 4, 10 janvier 2017, 15/09328


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS







COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 4



ARRÊT DU 10 Janvier 2017

(n° , 5 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : S 15/09328



Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 09 Juin 2015 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS section encadrement RG n° 12/11912







APPELANTE



Madame [U] [M]

[Adresse 1]

[Localité 1]

née le [Date naissance 1] 19

65 à [Localité 2]

comparante en personne, assistée de Me Florence LAUSSUCQ-CASTON, avocat au barreau de PARIS, toque : E2034







INTIMEE



SOCIETE COMMERZBANK AKTIENGESELLSCHAFT liquidateur du...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 4

ARRÊT DU 10 Janvier 2017

(n° , 5 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : S 15/09328

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 09 Juin 2015 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS section encadrement RG n° 12/11912

APPELANTE

Madame [U] [M]

[Adresse 1]

[Localité 1]

née le [Date naissance 1] 1965 à [Localité 2]

comparante en personne, assistée de Me Florence LAUSSUCQ-CASTON, avocat au barreau de PARIS, toque : E2034

INTIMEE

SOCIETE COMMERZBANK AKTIENGESELLSCHAFT liquidateur du GIE DRESDNER KLEINWORT FRANCE

[Adresse 2]

[Localité 3]

représentée par Me Eric MANCA, avocat au barreau de PARIS, toque : P0438 substitué par Me Nathalie LENGAIGNE, avocat au barreau de PARIS, toque : P0438

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 25 Octobre 2016, en audience publique, devant la Cour composée de :

M. Bruno BLANC, Président

Mme Soleine HUNTER FALCK, Conseillère

Mme Roselyne GAUTIER, Conseillère

qui en ont délibéré

Greffier : Madame Chantal HUTEAU, lors des débats

ARRET :

- Contradictoire,

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile, et prorogé à ce jour.

- signé par Monsieur Bruno BLANC, Président et par Madame Chantal HUTEAU, Greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire

La société GIE DRESDNER KLEINWORTH FRANCE a une activité de banque d'investissement. L'entreprise est soumise à la convention collective de la banque ; elle comprend plus de 11 salariés. La moyenne mensuelle des salaires de [U] [M] s'établit à 14.619 €.

[U] [M], née en 1965, a été engagée par contrat à durée indéterminée par le GIE DRESDNER KLEINWORT FRANCE le 26.06.2007 en qualité de Responsable vente et marketing au sein de DRESDNER KLEINWORT SECURITIES FRANCE, cadre de niveau HC, avec le titre corporate de Managing director, à temps complet ; en termes de rémunération, il était prévu qu'elle serait composée d'une rémunération annuelle brute fixe de 170.000 €, et pour l'année 2007, d'un bonus garanti de 730.000 € outre une prime exceptionnelle de 480.000 € brut versée en 2 échéances soit 240.000 € en mars 2008 et 240.000 € en mars 2009 ; enfin il était prévu un bonus discrétionnaire 'dont le montant sera chaque année déterminé par la Direction de la société où vous exercez vos fonctions au vu des résultats de ladite société, du Groupe Dresdner en général, et en fonction de votre contribution personnelle à sa bonne marche'.

Un avenant a été signé le 01.10.2007 relatif aux conditions d'allocation d'un véhicule de fonctions.

M. [T], Responsable ressources humaines du Groupe, a, dans un courriel adressé le 20.10.2008, indiqué que les bonus seraient communiqués le 19.12.2008 mais aussi que : 'l'enveloppe des bonus pour les fonctions (support) sera comparable à celle de l'an dernier avec les ajustements dus au changement du nombre d'employés', 'les montants individuels de bonus continueront à être discrétionnaires et déterminés par les managers responsables et le montant octroyé l'an dernier ne doit pas être considéré comme une indication du niveau de bonus pour 2008".

Un bonus discrétionnaire de 250.000 € brut a été attribué à titre provisionnel à [U] [M] pour l'année 2008 dans le courrier d'attribution de ce bonus en date du 19.12.2008 ; il y était précisé que ce bonus provisionnel qui comprenait une clause dite 'clause MAC' ou 'Material adverse change clause', restait fonction d'une 'révision dans l'hypothèse où le chiffre d'affaires et les bénéfices de l'entreprise feraient apparaître des écarts substantiels supplémentaires par rapport aux prévisions pour les mois de novembre et décembre 2008 lors de la préparation des résultats financiers annuels pour 2008, c'est à dire que les bénéfices de DRESDNER KLEINWORT ne doivent pas se détériorer de manière substantielle sur cette période. Cela sera vérifié par [Q] [B] en janvier 2009. Dans l'hypothèse où de tels écarts substantiels seraient identifiés, le groupe se réserve le droit de revoir le bonus provisoire attribué et, si nécessaire, d'en réduire le montant.

Les bonus sont assujettis aux prélèvements sociaux obligatoires.

Vous recevrez un état détaillé vous confirmant votre bonus final dans la devise locale en février 2009. Le paiement aura lieu en même temps que votre salaire fixe avec la paie de février 2009.'

Dans un courriel du 18.02.2009 a été adressé à l'ensemble des collaborateurs du Groupe un message rédigé par M. [A] et E. [D] selon lequel, en raison des chiffres négatifs prévus pour COMMERZBANK et la société GIE DRESDNER KLEINWORTH FRANCE pour 2008, les conseils d'administration de ces deux sociétés avaient décidé qu'aucun bonus ne serait versé pour 2008, ce qui signifiait qu'aucun bonus supérieur au salaire annuel fixe ne serait versé aux salariés de DRESDNER BANK ; les primes garanties contractuellement seraient versées ; il était rappelé que le paiement des bonus dépendait avant toute chose des performances.

Ce message a été relayé par M. [W], CEO de DRESDNER KLEINWORT, qui avait remplacé S. [B], le même jour ; en ce qui concerne cette société, le dirigeant a déclaré que le montant des bonus provisoires communiqué aux salariés en décembre, qui était subordonné aux objectifs de résultats financiers de l'entreprise, seraient réduits de 90% proportionnellement au montant provisoire indiqué, ce qui correspondait à un mois de salaire de base versé chez COMMERZBANK.

Le 25.02.2009, la rémunération variable et le bonus cash discrétionnaire de [U] [M] ont été fixés chacun à 25.000 € ; il était précisé :

'Ce récapitulatif fait suite à la lettre d'attribution provisoire du 19 décembre 2008 et tient compte des ajustements basés sur les changements indiqués par [A] [W] le 18 février 2009".

[U] [M] a été licenciée par le GIE DRESDNER KLEINWORT FRANCE le 10.11.2009 pour motif économique avec dispense de préavis, en raison des difficultés économiques rencontrées dans le Groupe et de leur répercussion sur le GIE et afin d'assurer la sauvegarde de la compétitivité et de la continuité du Groupe, le poste de [U] [M] devant être supprimé.

Le CPH de Paris a été saisi par [U] [M] le 29.10.2012 en contestation du montant versé au titre du bonus 2008.

La cour est saisie de l'appel interjeté le 23.09.2013 par [U] [M] du jugement rendu le 09.06.2015 par le Conseil de Prud'hommes de Paris section Encadrement chambre 3, qui a débouté la salariée de l'ensemble de ses demandes et l'a condamnée aux dépens.

[U] [M] demande à la cour d'infirmer le jugement dans toutes ses dispositions et de condamner son employeur au paiement de :

- 225.000 € à titre de rappel de bonus au titre de l'exercice 2008,

- et 5.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile

avec capitalisation des intérêts.

De son côté, la société GIE DRESDNER KLEINWORTH FRANCE représentée par la société COMMERZBANK AKTIENGESELLSCHAFT demande de confirmer le jugement, de débouter l'appelant de toutes ses demandes et de condamner [U] [M] à payer la somme de 2.500 € pour frais irrépétibles.

SUR CE :

Il est expressément fait référence aux explications et conclusions des parties visées à l'audience.

Sur le rappel de bonus 2008 :

Lorsque l'employeur et le salariés sont convenus d'une rémunération variable, il incombe au juge de la déterminer en fonction des critères visés au contrat de travail et des accords conclus les années précédentes, et, à défaut, des données de la cause ; cette rémunération ne représente pas une libéralité et le versement du bonus constitue une obligation contractuelle pour l'employeur, même si le montant est déterminé par lui chaque année de façon discrétionnaire et non pas un engagement unilatéral pris par l'employeur.

En l'espèce, il ressort des éléments produits qu'une rémunération annuelle variable de caractère discrétionnaire devait être versée contractuellement à [U] [M], comme étant liée aux 'résultats de ladite société, du Groupe Dresdner en général, et en fonction de (sa) contribution personnelle à sa bonne marche', et donc explicitement tant en fonction de sa performance propre que des résultats de l'entreprise et de ceux du groupe auquels elle appartenait.

Il est clairement indiqué dans le courrier d'attribution du bonus 2008 en date du 19.12.2008 que le montant indiqué était provisionnel et restait lié aux bénéfices devant être enregistrés par DRESDNER KLEINWORT pour l'exercice considéré ; ainsi ce montant pouvait être révisé, et le cas échéant réduit, au vu des 'prévisions pour les mois de novembre et décembre 2008 lors de la préparation des résultats financiers annuels pour 2008" ; il ne s'agit pas, comme l'affirme la salariée, d'un bonus différé.

Cependant [U] [M] fait valoir les prises de position de S. [B], PDG de DKIB, en date du 18.08.2008 ; ce dernier a alors défini de manière claire et non équivoque une enveloppe globale de bonus destiné au front office et aux fonctions support, fixée alors à 400 millions €, ce qu'a rappelé M. [T], Responsable ressources humaines du groupe dans son courriel du 20 octobre, et ce qui a été également confirmé dans un premier temps le 04.12.2008 lors de la réunion du conseil d'administration de DRESDNER BANK qui a néanmoins introduit la 'clause MAC'.

Il s'agit là d'un engagement unilatéral de l'employeur qui l'engageait sis à vis de ses collaborateurs et dont la dénonciation devait respecter cumulativement les conditions d'information d'une part des institutions représentatives du personnel et d'autre part du salarié, individuellement, ce, moyennant le respect d'un délai de prévenance suffisant à compter de la date de cette double information.

Ce n'est que le 18.02.2009 que l'employeur a fait savoir à tous les membres du personnel que les bonus individuels pour l'année 2008 seraient réduits systématiquement de 90%, sans que soit démontrée l'information des institutions représentatives à ce stade, et sans qu'un délai de prévenance suffisant soit respecté puisque l'année 2008 s'était d'ores et déjà écoulée.

Par suite, le montant global de cet engagement ne pouvait pas être diminué sans qu'aient été respectées préalablement les conditions précitées.

Par ailleurs, l'évaluation de [U] [M] pour l'année 2008 fait état de performances globalement très bonnes, et révèle que les objectifs prescrits avaient été atteints et même davantage dès lors que son propre budget avait été dépassé de 10 millions d'euros.

S'il ressort des documents produits que la société GIE DRESDNER KLEINWORTH FRANCE et le Groupe ont connu des difficultés financières exceptionnelles résultant de la crise financière qui s'est développée sur les marchés financiers en 2008, l'employeur ne donne aucun élément sur les modalités de calcul du bonus individuel octroyé en définitive à la salariée qui avait pour sa part atteint ses propres objectifs et les avait dépassés, cette part variable ne pouvant être réduite arbitrairement et pour l'ensemble des salariés concernés sans disctinction à 10% de ce qui avait été initialement envisagé de manière provisionnelle.

L'arrêt rendu sur appel du tribunal de travail de Francfort sur le Main (Allemagne) le 21.10.2009 dont se prévaut l'employeur ne prend pas en compte pour sa part l'engagement unilatéral pris par la direction du Groupe, et se fonde notamment, au nom de l'équité, sur la précarité de la situation financière de l'entreprise en février 2009, qui n'a cependant été déterminée que postérieurement (page 18) ; il ne reconnaît pas de valeur contraignante aux déclarations formulées par la direction du groupe 'dans le but déclaré de conserver ses effectifs pendant la crise'.

Il ressort également du jugement rendu le 09.05.2012 par la High Court of Justice - Queen's Bench Division de Londres (Royaume Uni) que, la direction du Groupe ayant, en mars 2008, décidé de la sortie de la banque d'investissement par la vente de DKIB et ayant provoqué par là-même une vague d'incertitude parmi le personnel, un programme de fidélisation avait été mis en place par la direction consistant dans une proposition d'incitation et de compensation pour 2008, avec la constitution d'un 'pool' de rétention minimum de bonus destiné, et donc réservé, aux employés du front office à hauteur de 400 millions € au niveau du groupe, ainsi que cela avait été présenté par S. [B], PDG de DKIB, le 18.08.2008, ce 'pool' devant être alloué à ce personnel sur une base discrétionnaire au vu de la performance non seulement de l'entreprise mais aussi des salariés. Ce jugement révèle que S. [B] n'a pas procédé à la vérification des écarts substantiels qu'il devait opérer en janvier 2009 (§289) et que DRESDNER BANK AG n'a pas établi que la réduction des bonus était nécessaire ; il est fait état de ce que l'employeur a, au delà des intérêts contractuels des salariés, pris en compte ceux des actionnaires et de l'opinion publique (§276).

En conséquence, au vu de ces éléments il convient de faire droit à la demande de [U] [M] et de condamner la société GIE DRESDNER KLEINWORTH FRANCE représentée par la société COMMERZBANK AKTIENGESELLSCHAFT au paiement de la somme de 225.000 € au titre du bonus 2008, avec intérêts de droit et capitalisation en application de l'article 1154 du code civil.

Il serait inéquitable que [U] [M] supporte l'intégralité des frais non compris dans les dépens tandis que la société GIE DRESDNER KLEINWORTH FRANCE représentée par la société COMMERZBANK AKTIENGESELLSCHAFT qui succombe doit en être déboutée.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement contradictoirement :

Déclare l'appel recevable ;

Infirme le jugement rendu le 09.06.2015 par le Conseil de Prud'hommes de Paris section Encadrement chambre 3,

Statuant à nouveau,

Condamne la société GIE DRESDNER KLEINWORTH FRANCE représentée par la société COMMERZBANK AKTIENGESELLSCHAFT à payer à [U] [M] la somme de 225.000 € à titre de rappel de bonus au titre de l'exercice 2008,

Dit que cette somme à caractère salarial portera intérêt au taux légal à compter du jour où l'employeur a eu connaissance de la demande, avec capitalisation des intérêts ;

Condamne la société GIE DRESDNER KLEINWORTH FRANCE représentée par la société COMMERZBANK AKTIENGESELLSCHAFT aux dépens d'appel, et à payer à [U] [M] la somme de 2.000 € en vertu de l'article 700 CPC au titre des frais irrépétibles exposés en cause d'appel.

LE GREFFIER LE PRESIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 4
Numéro d'arrêt : 15/09328
Date de la décision : 10/01/2017

Références :

Cour d'appel de Paris K4, arrêt n°15/09328 : Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2017-01-10;15.09328 ?
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