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05/01/2017 | FRANCE | N°15/15010

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 4 - chambre 7, 05 janvier 2017, 15/15010


Grosses délivréesRÉPUBLIQUE FRANÇAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 4 - Chambre 7



ARRÊT DU 05 JANVIER 2017



(n° , 11 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : 15/15010



Décision déférée à la Cour : Jugement du 08 Juillet 2015 -Juge de l'expropriation de PARIS - RG n° 14/00016





APPELANTE



SOCIÉTÉ IMMOBILIÈRE D'ECONOMIE MIXTE DE LA VILLE DE PARIS

RCS de Paris n° B 562 086 124

[Adresse 1]>
[Adresse 1]

Représentée par Me Elisabeth PORTOS, avocat au barreau de PARIS, toque : B0752





INTIMÉES



SA COFINFO Société Anonyme à conseil d'administration prise en la personne...

Grosses délivréesRÉPUBLIQUE FRANÇAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 4 - Chambre 7

ARRÊT DU 05 JANVIER 2017

(n° , 11 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : 15/15010

Décision déférée à la Cour : Jugement du 08 Juillet 2015 -Juge de l'expropriation de PARIS - RG n° 14/00016

APPELANTE

SOCIÉTÉ IMMOBILIÈRE D'ECONOMIE MIXTE DE LA VILLE DE PARIS

RCS de Paris n° B 562 086 124

[Adresse 1]

[Adresse 1]

Représentée par Me Elisabeth PORTOS, avocat au barreau de PARIS, toque : B0752

INTIMÉES

SA COFINFO Société Anonyme à conseil d'administration prise en la personne de son Président, domicilié en cette qualité audit siège.

RCS de Paris n° B 3 29 726 22828

[Adresse 2]

[Adresse 2]

Représentée par Me Frédéric DOUËB, avocat au barreau de PARIS, toque : C1272

DIRECTION RÉGIONALE DES FINANCES PUBLIQUES [Localité 1]

Commissariat du gouvernement

[Adresse 3]

[Adresse 3]

Représentée par M. [E], en vertu d'un pouvoir général

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 786 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 24 Novembre 2016, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposé, devant Christian HOURS, Président de chambre, chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Christian HOURS, Président de chambre

Marc BAILLY, Conseiller

Anne DU BESSET, Conseillère

Greffier, lors des débats : Isabelle THOMAS

ARRÊT :- contradictoire

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Christian HOURS, président et par Isabelle THOMAS, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Exposé :

Le 12 août 1997, la société Kentucky, dont la totalité des actions était détenue par la société Cofinfo, a acquis un ensemble immobilier, comprenant 24 logements et trois cellules commerciales, dans deux bâtiments, sis [Adresse 4], à un prix principal correspondant à 779 489 euros.

En juin 1999, la société Global Architecture, qu'elle a missionnée, a finalisé un dossier d'appel d'offres pour la rénovation complète de l'immeuble. Il a été procédé à la rénovation de la façade sur rue.

Fin novembre 1999, l'immeuble a été investi par seize familles sans droit ni titre, dont l'expulsion a été ordonnée, après un délai de trois mois, par ordonnance de référé du 22 mars 2000, signifiée le 26 avril 2000.

Le concours de la force publique a été sollicité en vain, les 23 août 2000, 26 septembre 2002, 17 juin 2003, les 22 et 26 juin 2005.

La société Cofinfo, venue aux droits de la société Kentucky, n'ayant pu réaliser les travaux urgents de remise en état préconisés par la préfecture [Localité 1], celle-ci les a fait réaliser à ses frais, pour un montant de 297 517,99 euros. D'autres travaux ont été effectués ensuite.

Par jugement du 29 octobre 2002, confirmé par arrêt de la cour d'appel de Paris du 29 janvier 2004, le juge de l'expropriation de Paris a fixé à 2 037 000 euros la valeur vénale de l'immeuble, partiellement occupé et condamné la ville à verser la somme de 2 000 euros à la société Kentucky.

Le 9 mars 2006, la Société d'Economie Mixte de la ville de Paris'(SIEMP), chargée par la ville de Paris d'une mission d'éradication de l'habitat insalubre, a décidé d'engager une procédure d'expropriation de l'immeuble sis [Adresse 4], appartenant à la société Cofinfo, en vue d'y réaliser une vingtaine de logements sociaux et trois locaux d'activités en rez-de-chaussée.

Le 3 novembre 2006, la société Cofinfo a adressé une déclaration d'intention d'aliéner l'immeuble au prix de 7'500'000 euros.

Le 5 décembre 2006, la SIEMP a signifié au conseil de la société Kentucky sa décision d'exercer le droit de préemption urbain et proposé d'acquérir cet immeuble pour un montant de 2'500'000 euros.

Selon mémoire du 21 décembre 2006, notifié le 22, la SIEMP a saisi le juge de l'expropriation en fixation de l'indemnité de dépossession.

Par arrêté préfectoral du 28 décembre 2006, l'opération d'aménagement de l'immeuble sis [Adresse 4] a été déclarée d'utilité publique et l'immeuble déclaré cessible immédiatement.

Par jugement en date du 25 juin 2007, le juge de l'expropriation de Paris a fixé l'indemnité de dépossession à la somme de 4'822'348 euros.

Le 11 juillet 2007, un second arrêté préfectoral portant cessibilité de l'immeuble a été pris au profit de la SIEMP, arrêté qui a fait l'objet d'un recours en annulation par la société Cofinfo.

L'immeuble a été exproprié, le 31 octobre 2007, par ordonnance du juge de l'expropriation qui a fait l'objet, le 21 décembre 2007, d'un pourvoi en cassation de la société Cofinfo.

La SIEMP a pris possession de l'immeuble le 4 janvier 2008.

Le 7 janvier 2010, la cour d'appel de Paris, infirmant le jugement du 25 juin 2007, a fixé le montant de l'indemnité de dépossession à la somme de 4'165'000 euros. Le pourvoi contre cet arrêt a été rejeté le 21 juin 2011.

Par arrêt du 4 novembre 2011, confirmé le 30 décembre 2013 par le Conseil d'Etat, la cour administrative d'appel de Paris a annulé l'arrêté préfectoral du 28 décembre 2006 de déclaration d'utilité publique, ainsi que l'arrêté du 11 juillet 2007 déclarant la cessibilité de la parcelle.

Le 26 février 2014, la société Cofinfo a saisi le juge de l'expropriation de Paris en constatation de la perte de base légale de l'ordonnance d'expropriation du 31 octobre 2007, restitution des biens et indemnisation.

Le 23 septembre 2014, la Cour de cassation a annulé l'ordonnance d'expropriation du 31 octobre 2007, en conséquence de l'annulation définitive de la procédure d'expropriation.

La cour statue sur l'appel formé par la SIEMP, le 28 juillet 2015, de la décision de la juridiction de l'expropriation de Paris du 8 juillet 2015, ayant':

- rejeté son exception d'incompétence';

- rejeté son exception d'irrecevabilité ;

- constaté la perte de base légale de l'ordonnance d'expropriation en date du 31 octobre 2007';

- ordonné la restitution à la société Cofinfo de l'immeuble sis [Adresse 4] sans modification de sa situation d'occupation';

- dit que les frais de retranscription du changement de propriétaire de l'immeuble au registre de la conservation des hypothèques seront à la charge de la SIEMP';

- condamné la société Cofinfo à restituer à la SIEMP l'indemnité de 4'165'000 euros qui lui a été versée';

- dit que la restitution à la société Cofinfo de son bien ne peut intervenir qu'après paiement par celle-ci des sommes mises à sa charge, après compensation';

- débouté les parties de leurs autres demandes';

- condamné la SIEMP aux dépens';

Pour l'exposé complet des faits, de la procédure, des prétentions et moyens des parties, il est expressément renvoyé à la décision déférée, aux écritures et aux pièces qui ont été :

- déposées au greffe, le 28 septembre 2015 et le 2 février 2016, par la SIEMP, aux termes desquelles elle demande en définitive à la cour d'infirmer le jugement entrepris et, statuant à nouveau, de :

à titre principal':

- constater que le demandeur n'a pas notifié son mémoire au plus tard à la date de la saisine du juge' et que son courrier de saisine ne précisait pas la date de notification de son mémoire à la SIEMP ; dire en conséquence que la saisine est irrecevable et que la présente instance est devenue sans objet ;à titre subsidiaire':

- constater que l'immeuble ne peut pas être restitué à la société Cofinfo en raison des exigences de l'intérêt général et de l'impossibilité tenant à la nature de l'ouvrage';

- évaluer le préjudice de la société Cofinfo au montant de l'indemnité de dépossession fixée par la cour d'appel de Paris à 4'165'000 euros et déjà payée par la SIEMP';

- dans l'hypothèse où le jugement serait confirmé et la restitution de l'immeuble ordonnée, condamner la société Cofinfo à lui rembourser la somme de 3 612 121 euros ttc au titre des travaux réalisés sur l'immeuble outre le montant de l'indemnité de dépossession perçue, le tout majoré des intérêts au taux légal ;

- dire que la restitution n'interviendra qu'après paiement intégral des sommes mises à la charge de la société Cofinfo, après compensation ;

- débouter la société Cofinfo de l'ensemble de ses demandes contraires ;

- la condamner à lui verser la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- la condamner aux dépens ;

- déposées au greffe le 27 novembre 2015 et adressées le 29 mars 2016, par la société Cofinfo, aux termes desquelles elle forme appel incident et demande en définitive à la cour de':

à titre principal':

- la déclarer recevable en son recours';

- débouter la SIEMP de l'ensemble de ses demandes';

- constater que l'ordonnance d'expropriation du 31 octobre 2007 est dépourvue de base légale';

- confirmer le jugement en ce qu'il a ordonné la restitution de l'immeuble et qu'il a condamné la SIEMP à payer les frais de retranscription du changement de propriétaire de l'immeuble au registre de la conservation des hypothèques';

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il l'a condamnée à rembourser à la SIEMP l'indemnité de dépossession versée soit': 4'165'000 euros';

- ordonner à la SIEMP de restituer l'immeuble';

- condamner la SIEMP à lui payer les indemnités suivantes':

- 3'450'000 euros' au titre de la perte de valeur vénale de l'immeuble du fait de sa location par des baux sociaux': ;

- 1'695'314 euros', au titre de l'emprise irrégulière jusqu'au mois de décembre 2015 inclus';

- 34'756 euros par mois, au titre de l'emprise irrégulière de l'immeuble' jusqu'à sa libération effective';

- 1'700'000 euros'au titre de la perte d'une chance certaine de réaliser une meilleure opération de réhabilitation' ;

- constater qu'elle a décidé de rembourser à la SIEMP la plus-value des travaux qu'elle a réalisés'et la condamner à lui payer la somme de 980'000 euros au titre de la plus-value apportée à l'immeuble du fait de ces travaux ;

- prononcer la compensation légale entre les créances réciproques des parties;

- annexer au 'jugement' à intervenir les baux produits par la SIEMP';

à titre subsidiaire, en cas de refus de restitution de l'immeuble':

- constater que l'ordonnance d'expropriation du 31 octobre 2007 est dépourvue de base légale';

- condamner la SIEMP à lui payer :

- 3'255'000 euros'à titre d' indemnité de dépossession complémentaire';

- 1 695 314 euros au titre de l'emprise irrégulière de son immeuble jusqu'au mois de décembre 2015 inclus ;

- 34'756 euros' par mois jusqu'à la décision à intervenir, au titre de l'emprise irrégulière de l'immeuble ;

- 2'680'000 euros, au titre de la perte d'une chance certaine de réaliser une meilleure opération de réhabilitation de l'immeuble';

- 417'072 euros, au titre du'préjudice résultant de l'impossibilité de percevoir les loyers de l'immeuble pendant la période nécessaire au rachat d'un immeuble et à sa location';

- 1'100'000 euros'au titre de l'indemnité de remploi';

en tout état de cause':

- condamner la SIEMP à lui verser la somme de 20'000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile';

- condamner la SIEMP aux entiers dépens';

- adressées au greffe, le 29 décembre 2015, par le commissaire du gouvernement, aux termes desquelles il demande à la cour de confirmer le jugement.

Motifs de l'arrêt :

Considérant à titre liminaire que l'appel et les écritures des parties devant la cour, lesquelles, dûment notifiées, ont permis un débat contradictoire complet et ne font l'objet d'aucune contestation sur ce point, sont recevables ;

Considérant que la SIEMP, appelante, soutient en premier lieu que la saisine de la juridiction de l'expropriation par la société Cofinfo est irrégulière dès lors qu'elle n'a pas respecté les dispositions de l'article R13-22 du code de l'expropriation, lui ayant notifié son mémoire postérieurement à la saisine et par voie de conséquence sans préciser la date de notification de son mémoire dans son courrier de saisine'; que les articles R 12-5-1 et R 12-5-3 sont complémentaires, le second détaillant la procédure à suivre';

Considérant que la Société Cofinfo réplique qu' aucun mémoire n'était nécessaire pour saisir le juge de l'expropriation, seul le dépôt d'un dossier étant prévu par l'article R 12-5-1 ; que l'article R 12-5-3 du code de l'expropriation n'imposait que d'envoyer une demande par lettre recommandée avec accusé de réception ; que les dispositions de l'article R13-21 imposant de produire un mémoire de saisine dans le cadre d'une procédure en fixation du montant d'une indemnité de dépossession ne sont dès lors pas applicables ; qu'il n'existait dès lors aucune obligation de notification préalable de sa demande conditionnant la recevabilité'de sa saisine, de sorte qu'il ne peut lui être reproché de ne pas avoir mentionné la date de notification dudit mémoire'; que le code a tenu compte de l'impossibilité d'imposer au propriétaire illégalement exproprié de déterminer ses prétentions ab initio, sans visite des lieux et sans communication par l'expropriant de la liste des travaux qu'il a fait réaliser ;

Considérant que la saisine litigieuse du juge de l'expropriation étant antérieure au 1er janvier 2015, il convient d'appliquer les textes en vigueur avant cette date ;

Considérant qu'aux termes de l'article L 12-5 alinéa 2 du code de l'expropriation, en cas d'annulation par une décision définitive du juge administratif de la déclaration d'utilité publique ou de l'arrêté de cessibilité, tout exproprié peut faire constater par le juge que l'ordonnance portant transfert de propriété est dépourvue de base légale et demander son annulation ; que l'alinéa 2 précise qu'après avoir constaté l'absence de base légale de cette ordonnance, le juge statue sur les conséquences de son annulation ;

Considérant que l'article R 12-5-1, inséré dans une sous-section intitulée 'perte de base légale de l'ordonnance d'expropriation', précise que, dans les cas prévus au deuxième alinéa de l'article L12-5, l'exproprié transmet dans le délai de deux mois de la notification de la décision d'annulation du juge administratif, au greffe du juge qui a prononcé l'expropriation, un dossier qui comprend les copies :

- de la décision d'annulation de la déclaration d'utilité publique ou de l'arrêté de cessibilité ;

- de l'ordonnance d'expropriation ;

- le cas échéant, de la convention ou de la décision fixant les indemnités d'expropriation ;

- tous autres documents ou pièces que le demandeur estime utiles ;

Considérant que l'article R 12-5-2 indique que le greffier convoque à l'audience le demandeur, l'expropriant et le commissaire du gouvernement par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, leur adressant copie des pièces déposées par le demandeur ;

Considérant que l'article R12-5-3 précise que la demande de l'exproprié qui entend se prévaloir des dispositions de l'alinéa 2 de l'article L12-5 est formée, instruite et jugée conformément aux dispositions des articles R13-22 et suivants ;

Considérant que l'article R13-22 articule que le demandeur est tenu de notifier son mémoire au défendeur au plus tard à la date de la saisine du juge ; que la demande prévue à l'article R13-21 doit, à peine d'irrecevabilité, préciser la date à laquelle il a été procédé à cette notification; qu'elle doit, lorsqu'elle est faite par l'expropriant, reproduire en caractères apparents les dispositions des articles R13-23, R13-24 (alinéa 1er) et R13-25 ;

Considérant que l'article R13-21 prévoit qu'à défaut d'accord amiable dans le délai d'un mois à partir de la notification des offres de l'expropriant ou de la mise en demeure prévue à l'article précédent, le juge de l'expropriation peut être saisi par la partie la plus diligente ; que l'alinéa 2 indique que la demande est adressée par lettre recommandée avec demande d'avis de réception au greffe de la juridiction du ressort dans lequel sont situés les biens à exproprier ; qu'une copie en double exemplaire du mémoire du demandeur est jointe à cette demande, qui est simultanément notifiée à la partie adverse ;

Considérant que si l'article R12-5-3 renvoie aux dispositions des articles R13-22 et suivants du code de l'expropriation pour la demande, son instruction et son jugement, ces textes doivent être combinés avec les dispositions spécifiques de l'article R 12-5-1 ;

Considérant qu'il n'est pas renvoyé par l'article R12-5-1 aux dispositions de l'article R 13-21, celui-ci apparaissant d'ailleurs concerner les demandes de fixation d'indemnités de dépossession et non les demandes tendant à réparer les préjudices subis en cas d'annulation de déclaration d'utilité publique ou de l'arrêté de cessibilité ; qu'en conséquence la mention de cet article figurant à la deuxième phrase de l'article R 13-22, prévoyant que la demande figurant à l'article R 13-21 doit, à peine d'irrecevabilité, préciser la date à laquelle il a été procédé à la notification du mémoire du demandeur au défendeur, qui doit intervenir au plus tard à la date de la saisine du juge, ne trouve pas à s'appliquer ;

Considérant qu'il s'évince de la combinaison de ces textes que le juge de l'expropriation est valablement saisi par l'envoi dans un délai de deux mois de la signification de l'annulation de la décision administrative par un dossier comprenant les pièces énoncées ; qu'un mémoire doit être adressé au juge au plus tard à la date de la saisine du juge mais que cette dernière prescription n'est pas sanctionnée par l'irrecevabilité qui est réservée aux demandes d'indemnités pour dépossession ;

Considérant que l'irrecevabilité évoquée par la SIEMP serait d'ailleurs peu compréhensible, la personne expropriée à tort devant pouvoir visiter le bien qu'elle entend récupérer pour en apprécier l'état et les modifications qui lui ont été, le cas échéant, apportées afin d'être en mesure de chiffrer son préjudice en toute connaissance de cause ;

Considérant en définitive que la société Cofinfo a bien adressé le dossier prescrit dans le délai précisé ; que, dans la mesure où la SIEMP, qui a pu faire valoir ses moyens de défense, ne justifie d'aucun grief tiré de l'absence de notification du mémoire de la demanderesse préalablement à la saisine du juge, il y a lieu de rejeter la fin de non-recevoir soulevée par la SIEMP ;

Considérant que la SIEMP, soutient ensuite que l'article R 12-5-4 du code de l'expropriation doit être interprété comme donnant la possibilité au juge de refuser la restitution de l'immeuble si l'intérêt général l'exige ou s'il est impossible de restituer l'immeuble compte tenu de sa nature; qu'il y a bien eu réalisation d'ouvrages au sens de l'article R 12-5-4, l'immeuble répondant à une exigence d'intérêt général en étant affecté au logement social ;

Considérant que la Société Cofinfo réplique que :

- l'article 12-5-4 du code de l'expropriation autorise la restitution d'un immeuble illégalement exproprié même si un ouvrage public a été construit'; il n'érige pas l'intérêt général en obstacle à la restitution d'un immeuble mais une fin de non-recevoir à la demande de démolition d'un ouvrage public construit par l'expropriant';

- l'arrêt de la Cour de cassation du 4 décembre 2013, concernant des faits différents, pose le principe que la restitution peut être refusée lorsqu'il est impossible de remettre en l'état les choses et les parties'; que, ne sollicitant pas la remise en état, il n'existe pas d'obstacle matériel au transfert de propriété';

- la SIEMP ne peut se prévaloir d'une présomption en faveur de la non restitution du fait qu'elle ait une mission d'intérêt général car cela conduirait à reconnaître cette présomption pour toute expropriation illégale'; les conventions passées par la SIEMP ne peuvent faire obstacle à la restitution car elles sont résiliables, atteintes d'un vice de consentement et dépourvues de cause depuis l'annulation rétroactive de l'ordonnance d'expropriation';

- le code de la construction et de l'habitation vise une situation différente puisqu'il envisage la vente d'un immeuble conventionné'; or la SIEMP n'est plus propriétaire de l'immeuble et ne saurait donc le vendre'; les conventions signées avec l'État sont censées n'avoir jamais existé et l'immeuble ne possède pas le statut de logement';

- la société Cofinfo réitère son engagement unilatéral de poursuivre aux conditions actuelles les baux qui seront annexés au jugement ;

- le principe «'nemo auditur s'oppose à ce que la SIEMP invoque des agissements comme le conventionnement de l'immeuble et le remplissage de l'immeuble y compris après l'annulation de la procédure d'expropriation, agissements qui traduisent sa volonté délibérée de faire obstacle à la restitution de l'immeuble';

Considérant que l'article R12-5-4 du code de l'expropriation indique que le juge constate l'absence de base légale du transfert de propriété et en précise les conséquences de droit ; que, si le bien n'est pas en état d'être restitué, l'action de l'exproprié se résout en dommages et intérêts ; que s'il peut l'être, le juge désigne chaque immeuble ou fraction d'immeuble dont la propriété est restituée, détermine les indemnités à restituer à l'expropriant et statue sur la demande de l'exproprié en réparation du préjudice causé par l'opération irrégulière ; qu'il précise que la restitution à l'exproprié de son bien ne peut intervenir qu'après paiement par celui-ci des sommes mises à sa charge, après compensation ;

Considérant que ce texte dispose encore que le juge peut aussi prévoir, au choix de l'exproprié, lorsque des ouvrages ou plantations ont été réalisées, et sous réserve des exigences de l'intérêt général ou de l'impossibilité tenant à la nature de l'ouvrage :

- soit leur suppression aux frais de expropriant ;

- soit leur maintien et leur remboursement par l'exproprié à l'expropriant, le remboursement étant effectué, au choix de l'exproprié, soit par le versement d'une somme égale au montant de la plus-value dégagée par ce bien, soit sur la base du coût des matériaux et du prix de la main d'oeuvre estimés à la date du remboursement, compte tenu de l'état dans lequel se trouvent lesdits ouvrages et plantations ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que, comme le soutient la société Cofinfo, les considérations d'intérêt général n'interviennent que dans un second temps, après que le juge ait décidé que l'immeuble est restituable, pour s'opposer à la demande de suppression des ouvrages réalisés dans l'immeuble dont l'expropriation a été déclarée irrégulière ; qu'en l'espèce, la société Cofinfo ne formule aucune demande de démolition d'ouvrage créé (aucun ouvrage n'a en réalité été construit par l'expropriant) ou de travaux d'aménagement, réalisés par la SIEMP dans l'immeuble en cause ;

Considérant qu'il convient de prendre acte de l'engagement de la société Cofinfo de maintenir aux mêmes conditions les baux consentis aux locataires de l'immeuble, afin qu'ils ne soient pas lésés par l'expropriation déclarée irrégulière ;

Considérant que la restitution étant le principe et l'absence de restitution l'exception, la SIEMP ne saurait exciper de son statut de personne privée chargée d'une mission de service public pour s'opposer à la restitution sollicitée, laquelle n'aura pas de conséquence sur les locataires auxquels elle a consenti des baux sociaux sans attendre l'issue du litige en cours ; qu'en juger différemment aboutirait à exonérer toutes les personnes chargées d'une telle mission, des conséquences résultant des irrégularités commises dans la procédure d'expropriation et contreviendrait au droit de propriété des expropriés ; qu'il convient de relever que la SIEMP a renouvelé au moins un bail d'habitation postérieurement à la décision d'annulation de la procédure d'expropriation ;

Considérant par ailleurs que les conventions que la SIEMP aurait signées avec l'Etat ne s'opposent pas à la restitution sollicitée, sauf aux parties à ces conventions à tirer les conséquences de l'irrégularité de l'opération d'expropriation ; qu'enfin les dispositions des articles L443-7, 443-11, 365-2 et R331-4 du code de la construction et de l'habitation, relatives à la vente d'un immeuble conventionné ou à l'agrément nécessaire pour gérer des logements sociaux ne trouvent pas à s'appliquer, la société Cofinfo ne cherchant pas à vendre l'immeuble qu'elle souhaite au contraire récupérer ni à être agréé pour gérer des logements sociaux, l'immeuble revenant dans son patrimoine perdant son caractère de logement social ; qu'il est observé que les locaux d'activité du rez-de-chaussée sont loués dans les conditions de droit commun et que la SIEMP dispose d'un parc locatif suffisamment important pour proposer un relogement aux titulaires de baux d'habitation, la société Cofinfo s'engageant à maintenir les baux des personnes en place qui resteraient ;

Considérant en conséquence que le jugement doit être confirmé en ce qu'il a constaté l'absence de base légale de l'ordonnance d'expropriation et, eu égard au principe d'effectivité des décisions de justice, en ce qu'il a ordonné la restitution de l'immeuble en cause à la société Cofinfo ;

Considérant que la SIEMP affirme sur le plan de la réparation des préjudices invoqués par la société Cofinfo que :

- elle ne peut être tenue de réparer les conséquences de l'occupation irrégulière de l'immeuble par des squatteurs ni du refus par le préfet d'accorder l'assistance de la force publique, ces éléments antérieurs au transfert de propriété ayant déjà donné lieu à indemnisation ;

- les demandes de la société Cofinfo sont incertaines'et les expertises non contradictoires; la valeur vénale du bien n'a pas subi de modification depuis 2007 si ce n'est à la baisse';

- aucune indemnité pour perte de loyers, perte de chance de réaliser un projet et perte de revenu locatif n'est due, le bien étant interdit à l'habitation du fait de la carence de l'expropriée';

- en cas de restitution, la société Cofinfo doit restituer l'indemnité de dépossession augmentée du coût des travaux réalisés par la SIEMP';

Considérant que la Société Cofinfo réplique que :

- les experts ont estimé que du fait de la location de l'immeuble en vertu de baux sociaux, la valeur de l'immeuble n'est que de 4'450'000 euros au lieu de 7'900'000 euros, soit une différence de 3'450'000 euros';

- la somme à rembourser au titre de la plus-value des travaux réalisés par SIEMP est évaluée à la somme de 980'000 euros qui s'explique par la piètre qualité des travaux et une diminution de la surface';

- le projet de réaliser une opération de réhabilitation de l'immeuble était certain et a été rendu impossible en raison de l'attitude hostile des squatters et des refus illégaux du préfet de prêter le concours de la force publique';

- ses décisions légales de renoncer aux ventes volontaires de son immeuble ne peuvent avoir pour conséquence de la priver du droit légitime d'être indemnisée de l'intégralité du préjudice qu'elle a subi du fait d'une procédure d'expropriation illégale';

- la location de l'immeuble aurait été possible dès le mois de juin 2008 si le projet de rénovation avait été repris, de sorte qu'il existe un préjudice de perte de loyers ; des travaux auraient permis de valoriser l'immeuble, ce qui justifie la demande d'une indemnité au titre de la perte d'une chance de réaliser une meilleure valorisation de l'immeuble';

- à titre subsidiaire': le préjudice subi est constitué par le différentiel de valeur vénale du bien entre la date de l'expropriation et celle du jugement'; aucune circonstance de l'affaire ne permet de considérer que l'opération de réhabilitation de l'immeuble n'aurait pu être réalisée ou que l'immeuble aurait été très dégradé par l'incendie du 19 octobre 2007';

Considérant que le commissaire du gouvernement fait valoir que :

- la privation de jouissance ne peut être imputée entièrement à la SIEMP';

- la rénovation complète du bien représente une indemnisation du préjudice subi';

Considérant que l'immeuble, occupé partiellement par des squatteurs avant les opérations d'expropriation a été l'objet d'un incendie survenu dans une chambre de bonne, ce qui a donné lieu à une interdiction d'occupation par arrêté préfectoral du 19 octobre 2007 ; que la reprise de l'immeuble vide a été effectuée, le 24 octobre 2007, au vu d'un constat d'huissier intitulé 'procès-verbal de tentative d'expulsion transformé en reprise des lieux; que cette date a d'ailleurs été retenue par le juge administratif comme marquant la fin de la période de la responsabilité de l'Etat du fait de son refus de donner l'assistance de la Force publique pour l'expulsion des occupants irréguliers ;

Considérant que le transfert de propriété de l'immeuble au profit de la SIEMP est intervenu avec l'ordonnance d'expropriation du 31 octobre 2007, ce qui a nécessairement contrarié les projets de rénovation de ce bâtiment de la société Cofinfo ;

Considérant qu'il ne peut être fait grief à la société Cofinfo de n'avoir pu mener à bien son projet de rénovation avant la mise en oeuvre de la procédure d'expropriation, dès lors que les locaux étaient au moins partiellement squattés par des personnes qui, selon l'attestation d'un chef d'entreprise intervenu entre 2000 et 2006, a témoigné de l'attitude hostile des occupants qui avaient refusé de quitté les lieux, tandis que le préfet de police refusait le concours de la Force publique ;

Considérant qu'il ne saurait être fait grief à la société Cofinfo d'avoir utilisé les possibilités offertes par la loi pour renoncer à la vente de l'immeuble qui avait fait l'objet de deux procédures de préemption ; qu'en effet, elle était parfaitement libre de considérer que le prix obtenu était insuffisant et qu'elle aurait la possibilité de mener à bien une opération de rénovation ; que les choix de gestion de la société Cofinfo ne diminuent en rien le préjudice résultant pour elle de la procédure d'expropriation irrégulière ;

Considérant que les différents préjudices invoqués par la société Cofinfo, comme découlant de l'irrégularité de cette procédure d'expropriation, s'appuient sur des rapports non contradictoires dont les conclusions sont contestées ;

Considérant qu'eu égard à l'importance des sommes en cause, la cour ne dispose pas des éléments suffisants pour trancher les chefs d'indemnisation en litige sans recourir à une mesure d'expertise aux frais avancés par la société Cofinfo, sur les conséquences de l'expropriation irrégulière :

- montant d'une moins-value de l'immeuble en raison des baux sociaux consentis par la SEMP - montant de la perte de loyers pour la société Cofinfo depuis l'ordonnance d'expropriation jusqu'à la restitution de l'immeuble par la SIEMP, compte tenu de la durée des travaux nécessaires pour qu'elle rénove l'immeuble et de leur coût ;

- montant de la perte financière subie par la société Cofinfo compte tenu de la privation de la possibilité de réaliser une rénovation plus intéressante de l'immeuble en augmentant sa surface au lieu de la diminuer ;

- montant de la plus-value apportée par les travaux à l'immeuble par les travaux effectués par la SIEMP et coût de ces travaux ;

Considérant qu'il sera sursis sur le surplus des demandes des parties jusqu'au dépôt du rapport d'expertise judiciaire ;

PAR CES MOTIFS, la cour statuant publiquement par mise à disposition au greffe, contradictoirement et en dernier ressort,

- confirme le jugement du 8 juillet 2015 du juge de l'expropriation de Paris en ce qu'il a :

- rejeté l'exception d'incompétence'soulevée par la SIEMP ;

- rejeté son exception d'irrecevabilité ;

- constaté la perte de base légale de l'ordonnance d'expropriation en date du 31 octobre 2007';

- ordonné la restitution à la société Cofinfo de l'immeuble sis [Adresse 4] sans modification de sa situation d'occupation';

- dit que les frais de retranscription du changement de propriétaire de l'immeuble au registre de la conservation des hypothèques seront à la charge de la SIEMP';

- l'infirme pour le surplus et, avant dire droit plus amplement, ordonne une mesure d'expertise, désigne pour y procéder M. [B] [B], demeurant [Adresse 5], lequel pourra s'adjoindre tous techniciens d'une spécialité différente de la sienne, avec pour mission :

- d'entendre les parties ainsi que tous sachants, se faire remettre tous documents utiles,

- de donner son avis motivé sur les points suivants :

- montant d'une moins-value de l'immeuble en raison des baux sociaux consentis par la SEMP ;

- montant des pertes de loyers pour la société Cofinfo depuis l'ordonnance d'expropriation jusqu'à la restitution de l'immeuble par la SIEMP, compte tenu de la durée des travaux nécessaires pour que la société Cofinfo rénove l'immeuble et de leur

coût ;

- montant de la perte financière compte tenu de la privation de la possibilité pour la société Cofinfo de réaliser une rénovation plus intéressante de l'immeuble avec augmentation de la surface au lieu de sa diminution ;

- montant de la plus-value apportée par les travaux à l'immeuble, par les travaux effectués par la SIEMP et coût de ces travaux;- donner à la cour tous éléments utiles à la solution du litige ;

- dit que l'expert devra adresser aux parties une note de synthèse de ses opérations, leur impartir un délai d'un mois pour lui adresser leurs dires et y répondre dans son rapport définitif qui sera déposé au greffe de la chambre des expropriations de la cour, au plus tard le 30 octobre 2017, l'expertise étant placée sous le contrôle du président de la chambre ;

- dit que la société Cofinfo devra consigner entre les mains du régisseur de la cour la somme de 7 500 euros au plus tard le 15 mars 2017, faute de quoi la désignation de l'expert sera caduque ;

-sursoit à statuer sur les autres demandes des parties jusqu'au dépôt du rapport

d'expertise ;

- renvoie l'affaire à l'audience du 20 avril 2017 pour vérification de la consignation et au 25 janvier 2018 à 9h00 pour plaidoiries ;

- réserve les dépens.

LA GREFFIÈRE LE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 4 - chambre 7
Numéro d'arrêt : 15/15010
Date de la décision : 05/01/2017

Références :

Cour d'appel de Paris G7, arrêt n°15/15010 : Autre décision ne dessaisissant pas la juridiction


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2017-01-05;15.15010 ?
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