RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 6
ARRÊT DU 14 Décembre 2016
(n° , pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : S 15/06919 EMJ
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 03 Avril 2015 par le Conseil de prud'hommes - Formation de départage de VILLENEUVE SAINT GEORGES RG n° 12/00973
APPELANT
Monsieur [F] [O]
[Adresse 1]
[Adresse 1]
né le [Date naissance 1] 1969 à [Localité 1]
comparant en personne, assisté de Me Eric MOUTET, avocat au barreau de PARIS, toque : E0895
INTIMEE
SA AIR FRANCE
[Adresse 2]
[Adresse 2]
représentée par Me Aurélien BOULANGER, avocat au barreau de PARIS, toque : T03 substitué par Me Alexis TRESCA, avocat au barreau de PARIS, toque : A0686
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 07 Novembre 2016, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Elisabeth MEHL-JUNGBLUTH, Conseillère, chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Monsieur Benoît DE CHARRY, Président
Madame Céline HILDENBRANDT, Vice-présidente placée
Madame Elisabeth MEHL-JUNGBLUTH, Conseillère
Greffier : Mme Eva TACNET, greffière lors des débats
ARRET :
- contradictoire
- mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.
- signé par Monsieur Benoît DE CHARRY, président et par Madame Eva TACNET, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
RAPPEL DES FAITS, PROCÉDURE ET MOYENS DES PARTIES
Monsieur [F] [O] a été embauché par la SA AIR FRANCE par contrat de travail à durée indéterminée à temps complet à effet au 24 avril 1989 en qualité de tourneur sur l'aéroport d'ORLY.
Il a été promu en dernier lieu au poste de technicien atelier niveau B01, échelon 08 de la convention collective nationale du transport aérien personnel au sol, applicable aux relations entre les parties et occupait en dernier lieu ses fonctions dans la zone réservée de l'aéroport de [Établissement 1].
Par courrier du 4 avril 2005, la société a résilié le contrat de travail de Monsieur [F] [O] à effet à la date de présentation de celui-ci, au motif que, par décision en date du 14 mars 2012, le secrétaire général pour le préfet pour la sécurité et la sûreté des plates-formes aéroportuaires de [Établissement 1] et du Bourget, l'a informée que le préfet de la Seine-Saint-Denis s'est opposé à la délivrance de son titre d'accès en zone réservée de l'aéroport [Établissement 1], titre indispensable à l'exercice de ses fonctions de technicien révision moteurs et que cette décision administrative rend impossible la poursuite de son contrat de travail.
Contestant le bien fondé de la résiliation de plein droit de son contrat de travail, Monsieur [F] [O] a saisi le conseil de prud'hommes de Villeneuve-Saint-Georges qui, par jugement du 6 février 2015, auquel la cour se réfère pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, l'a débouté de l'ensemble de ses demandes.
Monsieur [F] [O] a régulièrement interjeté appel de ce jugement.
L'affaire a été plaidée à l'audience du 7 novembre 2016. Les parties ont soutenu oralement leurs conclusions visées ce jour par le greffier.
Monsieur [F] [O] demande à la cour de dire que la clause de résiliation automatique du contrat de travail insérée dans son contrat est nulle, que les éléments constitutifs du fait du prince ne sont pas établis, que la rupture s'analyse dès lors en un licenciement sans cause réelle et sérieuse et en conséquence de condamner la SA AIR FRANCE à lui payer les sommes suivantes :
* 7 801,08 euro à titre d'indemnité compensatrice de préavis,
*780,11 euros à titre d'indemnité compensatrice de congés payés sur préavis,
*35 914,25 euros à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement,
ces sommes avec intérêts au taux légal à compter de la saisine du conseil de prud'hommes capitalisation des intérêts échus sur le fondement de l'article 1154 du Code civil,
*2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
En réponse, la SA AIR FRANCE demande à la cour de confirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Villeneuve-Saint-Georges du 3 avril 2015 et en conséquence de dire que la rupture de contrat de travail est intervenue du 'fait du prince', en application d'une clause contractuelle et débouté Monsieur [F] [O] de l'ensemble de ses demandes, outre de le condamner à lui payer la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Il est référé pour de plus amples exposés des prétentions et demandes des parties aux conclusions des parties déposées et visées ce jour.
MOTIFS
Vu le jugement du conseil de prud'hommes, les pièces régulièrement communiquées et les conclusions des parties, soutenues oralement à l'audience.
Sur la rupture du contrat de travail
Alors que Monsieur [F] [O], embauché par la société Air France le 27 avril 1989 occupait des fonctions de technicien révision moteurs en zone réservée de l'aéroport de [Établissement 1] et devait de ce fait en application de l'article R213 '3 du code de l'aviation civile et sous peine d'exposer l'employeur à des sanctions pénales prévues à l'article R282 ' 1 du code de l'aviation civile, détenir un titre de circulation délivré par le préfet, renouvelé périodiquement et matérialisé par un badge d'accès à la zone réservée de l'aéroport, l'employeur a été informé le 14 mars 2012 par la préfecture de la Seine-Saint-Denis que le préfet avait décidé de retirer l'habilitation à Monsieur [F] [O].
La SA AIR FRANCE estimant qu'il s'agissait d'un fait du prince, motif autonome de rupture résultant de l'application du droit commun des contrats en son article 1148 du Code civil et prévu dans le contrat de travail du salarié qui précise que celui-ci sera automatiquement résilié si les services de la police de l'air refuse de lui délivrer une carte d'accès au terrain, s'est prévalu de ce refus d'habilitation pour conclure à la résiliation automatique et de plein droit du contrat.
Elle s'est dispensé en conséquence du respect de toute procédure de licenciement et du paiement des indemnités de rupture.
Mais une clause du contrat de travail ne peut valablement décider qu'une circonstance quelconque constituera une cause de licenciement de sorte que la clause contractuelle de résiliation de plein droit du contrat de travail contenue dans le contrat de travail de Monsieur [F] [O], au cas où il perdrait son autorisation, est de nul effet et il appartient au juge d'apprécier si les faits invoqués justifient la rupture du contrat.
Par ailleurs le fait du prince, invoqué par la société, se définit, en matière de rupture du contrat de travail, comme une intervention ou un acte de l'administration imprévisible dans la relation contractuelle entre un employeur et un salarié, ayant pour effet de rendre impossible pour l'un ou l'autre contractant, l'exécution du contrat de travail, puisque réunissant les conditions de la force majeure.
Or en l'espèce si le retrait de l'habilitation résulte d'une décision de la préfecture du 14 mars 2012, sans qu'il ne soit démontré, ni même allégué, que la société a pris une part quelconque dans celle-ci ou qu'elle trouve sa cause dans la relation contractuelle entre la société et Monsieur [F] [O], il ne constitue pas pour autant en soi, un cas de force majeure, dans la mesure où il ne répond pas au caractère d'imprévisibilité dans la mesure où le retrait d'une habilitation, en raison du comportement du salarié titulaire de l'habilitation, ne constitue pas une hypothèse rare ni même raisonnablement imprévisible comme le soutient l'employeur qui d'ailleurs en a prévu la probabilité dès la conclusion du contrat.
En l'absence de fait du prince, et même si le retrait constitue une difficulté étrangère à la volonté de l'employeur qui ne l'a pas provoqué et à laquelle il doit se soumettre, il lui appartenait d'en tirer toutes conséquences en cherchant de manière sérieuse et loyale un autre poste compatible avec les capacités de l'intéressé, et à défaut de proposition possible, ou en cas de refus du salarié, de le licencier.
En conséquence la rupture du contrat notifiée au salarié au motif de la perte de son habilitation s'analyse en un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Sur les indemnités de rupture
Le calcul des indemnités de rupture se fera en application du principe de l'option la plus avantageuse prévue par l'article R 2134-4 du code du travail sur la moyenne des 12 derniers mois de salaire au vu de l'attestation de pôle emploi, de 3 900,54 euros.
Un licenciement sans cause réelle et sérieuse ouvre droit à une indemnité compensatrice de préavis en application de l'article L1234-1 du code du travail que le salarié est fondé à réclamer dans la mesure où la société ne l'a pas mis en mesure d'exercer ses fonctions pendant la durée de 2 mois correspondant à la période de préavis conventionnelle en rompant le contrat à effet immédiat à la date de réception du courrier.
A ce titre sa créance s'élève dès lors la somme de 7801,88 euros.
En outre est accordée au salarié l'indemnité conventionnelle de licenciement calculée en application de l'article 20 de la convention collective nationale dui personnel au sol des entreprises de transport aérien, offrant à ce salarié disposant d'une ancienneté de 22 ans et 11 mois au moment où son contrat a été rompu, 1/5 de mois par année de présence pendant 5 ans puis 2/ 5 de mois soit la somme totale de 35 914,25 euros.
Enfin en application de l'article L1235-3 du code du travail, si un licenciement intervient pour une cause qui n'est ni réelle, ni sérieuse et qu'il n'y a pas réintégration du salarié dans l'entreprise, il est octroyé au salarié une indemnité qui ne peut être inférieure aux salaires des 6 derniers mois.
Considérant alors l'ancienneté du salarié, son âge, la perte des avantages sociaux dont il disposait au sein de l'entreprise, son salaire moyen et l'absence de justification par le salarié de sa situation professionnelle postérieure à son licenciement , la cour trouve les éléments pour le condamner à payer à Monsieur [F] [O] la somme de 60 000 euros.
Sur les frais irrépétibles
Il n'est pas inéquitable de condamner la SA AIR FRANCE à payer à Monsieur [F] [O] la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et de am débouter de ses prétention à ce titre.
Parties succombante la SA AIR FRANCE est condamnée au paiement des dépens.
PAR CES MOTIFS
LA COUR,
INFIRME le jugement du conseil de prud'hommes de Villeneuve-Saint-Georges en toutes ses dispositions,
STATUANT à nouveau et ajoutant,
DIT que la rupture du contrat s'analyse en un licenciement sans cause réelle et sérieuse,
CONDAMNE la SA AIR FRANCE à payer à Monsieur [F] [O] les sommes suivantes:
*7 801,08 euro à titre d'indemnité compensatrice de préavis,
*780,11 euros à titre d'indemnité compensatrice de congés payés sur préavis,
*35 914,25 euros à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement,
ces sommes avec intérêts au taux légal à compter de la saisine du conseil de prud'hommes,
*60 000 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse avec intérêt au taux légal à compter de ce jour,
ORDONNE la capitalisation des intérêts échus,
CONDAMNE la SA AIR FRANCE à payer à Monsieur [F] [O] la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
DÉBOUTE les parties du surplus de leur demande,
CONDAMNE la SA AIR FRANCE aux dépens de première instance et d'appel.
LA GREFFIÈRE LE PRÉSIDENT