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13/12/2016 | FRANCE | N°16/00713

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 3, 13 décembre 2016, 16/00713


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 3



ARRÊT DU 13 Décembre 2016



(n° , 08 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : S 16/00713



Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 05 Novembre 2015 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS RG n° 13/16835





APPELANTE

Madame [T] [X]

[Adresse 1]

[Localité 1]

née le [Date naissance 1] 1971 à [Localité 2]

comparante

en personne,

assistée de Me Nicolas DE PRITTWITZ, avocat au barreau de PARIS, toque : D0847



INTIMEE

SA [A] [B]

[Adresse 2]

[Localité 3]

N° SIRET : [B]

représentée par Me Jérôme ...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 3

ARRÊT DU 13 Décembre 2016

(n° , 08 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : S 16/00713

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 05 Novembre 2015 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS RG n° 13/16835

APPELANTE

Madame [T] [X]

[Adresse 1]

[Localité 1]

née le [Date naissance 1] 1971 à [Localité 2]

comparante en personne,

assistée de Me Nicolas DE PRITTWITZ, avocat au barreau de PARIS, toque : D0847

INTIMEE

SA [A] [B]

[Adresse 2]

[Localité 3]

N° SIRET : [B]

représentée par Me Jérôme ARTZ, avocat au barreau de PARIS, toque : L0097 substitué par Me Judith DONNEDIEU, avocat au barreau de PARIS, toque : L0097

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 10 Octobre 2016, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Laurence SINQUIN, Conseillère, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Monsieur Daniel FONTANAUD, Président

Madame Roselyne NEMOZ, Conseillère

Madame Laurence SINQUIN, Conseillère

qui en ont délibéré

Greffier : Mme Valérie LETOURNEUR, lors des débats

ARRET :

- contradictoire

- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile.

- signé par Monsieur Daniel FONTANAUD, Président et par Madame Valérie LETOURNEUR, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Exposé du litige

Mme [T] [X], engagée par la société [A] [B] en contrat à durée indéterminée à compter du 16 octobre 2008, en qualité d'assistante de la directrice de magasin, au dernier salaire mensuel brut de 5313,30 euros, a été licenciée pour faute grave par lettre du 4 octobre 2013 énonçant les motifs suivants :

'Depuis le 16 octobre 2008, vous occupez au sein de notre magasin des [Localité 4] la fonction d'assistante de directrice de magasin sous le statut de Cadre, à ce titre vous avez particulièrement en charge la responsabilité de la gestion du stock de la boutique.

Dans le cadre de vos fonctions vous êtes amenée à travailler sur le poste N°6 qui est situé au sous-sol et qui est exclusivement dédié aux mouvements de pur stock, de transferts et de réceptions des marchandises. Ce poste inaccessible à la clientèle n'est en aucun cas un poste d'encaissement.

Constatant un faible taux de rattachement des ventes sur la Boutique, nous en avons recherché les causes. A ce titre, au début du mois de septembre, la Directrice Marketing ainsi que la Direction de l'entreprise ont donc entrepris des investigations et vérifié les mouvements de stock du magasin qui se font sous votre contrôle et ont constaté de nombreuses anomalies sur des mouvements de stock irréguliers, suspects et non autorisés qui consistaient à des ajustements de produits saisis sous forme de transactions de ventes sur ce poste 6.

Ces manipulations consistent à pratiquer des échanges d'articles, échanges neutres sur un plan financier, le prix de vente des produits sortis du stock correspondant toujours au prix des produits entrés mais le nombre de produits pouvant différer. Cependant ces ajustements entraînent un déséquilibre en quantité et en valeur du stock réel avec disparitions de pièces.

Entre janvier 2013 et fin mars 2013, nous avons ainsi relevé 127 transactions de ce genre. Parmi ces 127 opérations, certaines sont tolérées dans la mesure où elles consistent en un échange simple sur la couleur ou la taille dans un même modèle. Mais 35 transactions portant sur un total de 59 produits pour un montant total de 7.468 euros sont strictement interdites car d'une part elles relèvent d'une manipulation de stock visant à en fausser le résultat d'inventaire tant en valeur qu'en quantité, et d'autre part implique que les pièces soient réellement sorties du stock de la boutique sans pour autant être vendues. A ce stade vous n'avez fourni aucune explication plausible à ce sujet notamment quant au fait de savoir où sont réellement passées les pièces ni les raisons pour lesquelles vous avez pratiqué de telles manipulations.

Ces transactions se résument en 5 situations :

1- Situation 1 : Utilisation d'une surmarque suite à une erreur de livraison qui aurait dû être signalée au stock central selon la procédure A.8 du manuel des procédures en vigueur. Conséquence : sortie d'un article physiquement et informatiquement pour faire entrer celui en surmarque, générant ainsi une démarque pour le site expéditeur. C'est le cas des tickets 276 -384-390 -392- 402.

2- Situation 2 : L'échange saisi génère une démarque à l'inventaire dans le magasin des [Localité 4]. C'est le cas des tickets 259 -334-338-365-396-428

3- Situation 3 : Echange d'un produit en surmarque contre un ou plusieurs produits. Ce qui permet de sortir physiquement et informatiquement ces produits du stock sans générer de démarque à l'inventaire. C'est le cas des tickets 368-377-378-393.

4- Situation 4 : Utilisation des stocks négatifs. Le 18 mars 2013, afin de préparer l'inventaire bilanciel du 26/03/2013, une liste des stocks négatifs a été envoyée au magasin des [Localité 4] afin que vous puissiez contrôler et essayer de trouver des explications, en aucun cas pour faire des ajustements informatiques. Or les saisies des 21- 23 et 25 mars ont eu pour effet de gommer un stock négatif en rentrant un produit artificiellement de manière à ramener son stock à 0 en quantité et de faire ainsi sortir un autre produit de même valeur qui lui va disparaître physiquement. Où passe cet article 'C'est le cas des tickets 411-412-416-423-429 -430

5- Situation 5 : L'échange consiste à rapporter un prototype acheté à prix très réduit lors des ventes réservées au personnel en séminaire, l'étiqueter en modèle de production, faire l'entrée en stock sur cette référence de production au prix fort et sortir 1 ou n produits dont le montant total est égal au prix du modèle rentré.

L'ensemble de ces opérations se sont déroulées sous votre responsabilité et sous votre contrôle en qualité de responsable du stock de la boutique et vous ne pouvez les ignorer.

Cette situation 5 vous concerne directement dans la mesure où vous avez acheté en prototype un gilet Gipsy au séminaire de mai 2012 au prix de 40 €. Or sur le ticket 379 du 11/02/2013, nous retrouvons un gilet de même référence retourné au prix de 297euros (= 495 euros (prix de vente) - 198 euros (remise soldes)) en échange d'une veste jacquard. Nous savons également que vous êtes en possession d'un tel article.

C'est également le cas pour le ticket 415 qui concerne des blousons tomette 6 ans et 12 ans.

Lorsque nous vous avons présenté les différents tickets cités ci-dessus, vous les avez à peine regardés et, pour votre défense, vous avez nié être à l'origine de leur saisie. Madame [U], magasinière de notre boutique des [Localité 5], en charge des stocks sous votre responsabilité directe, affirme pourtant le contraire et prétend qu'avec elle vous pratiquiez ces ajustements et même parfois sous son nom. Un certain nombre de tickets saisis le dimanche, jour de repos hebdomadaire de Madame [U], sont d'ailleurs bien sous votre propre nom.

En votre qualité de Cadre responsable du Stock, vous deviez connaître les raisons pour lesquelles de telles pratiques se sont produites et nous fournir toutes les explications nécessaires à notre parfaite compréhension. Or a ce jour tel n'est pas le cas. De plus, en tant que professionnelle confirmée, vous savez pertinemment que ce type de manipulation est complètement irrégulier et n'est pas autorisé dans la mesure où cela a pour effet, outre la disparition des articles, de fausser totalement la réalité du stock.

Vous vous réfugiez derrière la théorie du complot et accusez ainsi d'autres personnes, notamment la directrice, et une conseillère de vente d'avoir réalisé ces opérations douteuses et frauduleuses. Or il s'avère que la majorité des tickets suspicieux est saisie alors que ces personnes sont en repos et donc absentes du magasin.

En tant qu'adjointe de la directrice, et compte tenu de vos missions, vous étiez responsable par délégation de la bonne tenue de ce stock.

Les missions telles que définies dans votre contrat de travail sont d'ailleurs très claires :' participation a la tenue générale des caisses et du stock ; participation à la sécurité du magasin, assistance à la surveillance de l'équipe du magasin tant sur le plan de la discipline que de la formation et de la motivation'.

Vous aviez même été particulièrement missionnée par la directrice de magasin sur la gestion du stock.

Dans votre évaluation du 13 juin 2013, vous précisiez même 'Je me suis énormément investie sur le stock et me consacre complètement à cette tâche'. Ce qui est en contradiction avec les propos que vous avez tenu lors de notre entretien où vous dites ' Je ne sais pas qui a saisi ces opérations. Cela peut être n'importe qui'. Contradictoire également avec les propos de [B] [U], la magasinière, qui précise que seules vous et elle-même saisissiez ces mouvements. Soit vous ne vous êtes pas aperçue de ces mouvements suspects et litigieux et dans ce cas vous avez commis une faute professionnelle grave dans la mesure où vous avez failli à votre obligation de contrôle, soit vous en étiez informée et y avez largement participé, ce qui est le cas au vu des tickets que nous avons, et dans ce cas vous avez transgressé les règles les plus élémentaires de la probité.

Dans les deux cas, votre comportement n'est pas tolérable.

Vous avez également abusé de notre confiance en détournant des cadeaux destinés à la clientèle pour les offrir au personnel de vente (ceintures lors de l'opération de mars 2013, accessoires). Là encore, vous affirmez que ce n'est pas vous qui avez fait ces cadeaux mais les clients eux - mêmes. Les témoignages de vos collègues diffèrent de votre version.

Vous organisez un conciliabule sur une histoire de chaussettes AK187 avec la magasinière [B] [U] et l'hôtesse de caisse, [Y] [Q]. Et étonnamment, les vidéos des cameras ont été effacées sur les jours concernés (du 23 au 25 mars 2013). \/otre version diffère de celle de [Y] [Q] qui indique vous avoir informée de son' erreur de manipulation en caisse' dès le samedi 23 mars. Pour vous c'est seulement le 25/03/2013.

Ce magasin des [Localité 4] est ainsi que vous le savez notre magasin majeur dans le réseau français et international, et nous vous en avions confié la gestion, notamment celle du stock. Nous constatons aujourd'hui que vous avez abusé de notre confiance et procédé à des mouvements de stock frauduleux qui ne se justifient en rien et que vous ne pouvez rationnellement expliquer. Votre défense qui consiste à ne ' rien savoir' et a ne 'rien comprendre' n'est pas acceptable, d'autant qu'elle ne revêt aucune explication sur la disparition des produits...'.

Par jugement du 5 novembre 2015, le Conseil de prud'hommes de PARIS a débouté Mme [X] de ses demandes d'indemnités liées à la rupture de son contrat de travail.

Mme [X] en a relevé appel.

Par conclusions visées au greffe le 10 octobre 2016 au soutien de ses observations orales auxquelles il est expressément fait référence en ce qui concerne ses moyens, Mme [X] demande de dire et juger que son licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse et de condamner la société [A] [B] à lui payer :

- 3.059,81 euros à titre de salaire de mise à pied

- 305.98 euros à titre de congés payés y afférents au taux de 10%

- 15.969,90 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis

- 1.596,99 euros à titre de congés payés y afférents au taux de 10%

- 5.556,16 euros à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement

- 95.819,40euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

-2.500,00 euros à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral distinct

- 2.500,00 euros à titre d'indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

L'intéressée demande également d'ordonner la remise des documents de fin de contrat conformes à l'arrêt, ainsi que les bulletins de salaires conformes, et ce sous astreinte de 50,00 euros par jour de retard et par document à compter du prononcé du jugement.

Par conclusions au soutien de ses observations orales auxquelles il est expressément fait référence en ce qui concerne ses moyens, la société [A] [B] sollicite la confirmation du jugement et demande de débouter l'appelante de ses demandes. A titre subsidiaire, elle demande de limiter la somme qui serait dûe au titre de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse. Enfin, la société sollicite la condamnation de Mme [X] à lui payer 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Pour plus ample exposé des faits, de la procédure et des prétentions des parties, la cour se réfère à leurs conclusions visées par le greffier et développées lors de l'audience des débats.

****

MOTIFS

Sur la rupture

Principe de droit applicable :

Il résulte des articles L.1234-1 et L.1234-9 du code du travail que, lorsque le licenciement est motivé par une faute grave, le salarié n'a droit ni à un préavis ni à une indemnité de licenciement.

La faute grave est celle qui résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié qui constituent une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise.

L'employeur qui invoque la faute grave pour licencier doit en rapporter la preuve.

Selon l'article L.1235-1 du code du travail, en cas de litige relatif au licenciement, le juge, à qui il appartient d'apprécier la régularité de la procédure et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties, au besoin après toutes mesures d'instruction qu'il estime utiles ; si un doute subsiste, il profite au salarié.

Application du droit à l'espèce

Madame [X] réfute les griefs formulés par l'employeur et indique qu'elle n'était pas la responsable de la gestion des stocks du magasin. Elle conteste aussi les propos que la société [A] [B] lui prête et qui sont contenues dans la lettre de licenciement.

En premier lieu, l'intéressée fait valoir à juste titre qu'elle n'était que l'assistante de la responsable du magasin qui était [R] [J] et elle fait observer que Madame [B] [U] a reçu le même jour qu'elle une lettre de licenciement pour faute grave reprenant pour l'essentiel les griefs qui lui sont imputés.

Au vu des pièces versées au débat, Madame [X] a effectivement été embauchée le 16 octobre 2008 en qualité d'assistante de la directrice de magasin et son contrat de travail mentionne seulement sa 'participation' à la tenue du stock. La première vendeuse Madame [Z] avait aussi dans ses tâches la participation à la gestion du stock ainsi que cela ressort de l'avenant à son contrat de travail du 30 octobre 2010.

En revanche, la seule Responsable du stock était contractuellement la directrice du magasin, Madame [J], et non Madame [X]. A cet égard, Madame [J], supérieure hiérarchique de l'intéressée, explique avoir délégué à Madame [X], son adjointe, à la demande de celle-ci, et dans leur intégralité, les fonctions de gestion et de responsabilité du stock.

Néanmoins, cette délégation alléguée n'est pas corroborée par des éléments de preuve. En effet, il ressort de l'entretien d'évaluation de Madame [X] en date du 13 juin 2013 que la salariée s'est 'énormément investie sur le stock' et 'consacrée pleinement à cette tâche' mais ce seul élément ne permet pas de dégager la responsabilité de Madame [J] quant à la gestion du stock, cette dernière étant bien responsable en titre du stock en sa qualité de directrice du magasin.

Cette situation pose la question de l'imputabilité des manipulations effectuées sur le stock telles qu'alléguées par l'employeur, notamment entre Madame [J], directrice, Madame [X], adjointe, et Madame [U], magasinière, laquelle procédait matériellement à la plupart des opérations de saisie sur le stock.

S'agissant du principal grief, l'employeur dénonce une manipulation des stocks selon un système organisé. Il indique avoir été alerté (sans précision sur les circonstances) sur un 'faible taux de rattachement des ventes' (sans s'expliquer sur cette notion). Il indique que la direction a mené des investigations et vérifié les mouvements de stock du magasin mais il n'y a pas de trace d'une enquête dans les pièces produites.

Selon l'employeur, des anomalies se sont révélées sur le poste 6 de la boutique qui est un poste spécifique non dédié à l'encaissement mais aux mouvements de stock, de transferts et de réception des marchandises. C'est à partir de ce poste que Madame [U] effectuait les opérations, Madame [X] effectuant aussi certaines opérations directement sur ce poste. Des témoignages révèlent cependant que ce poste était aussi accessible à d'autres membres du personnel. Des mouvements de stock ont été détectés consistant à pratiquer des échanges d'articles neutres sur un plan financier, mais qui, selon l'employeur, entraînent un déséquilibre du stock réel avec disparition de pièces.

Ainsi, entre janvier 2013 et fin mars 2013, selon l'employeur, 35 transactions non autorisées portant sur 59 produits pour un montant total de 7.468 Euros ont été détectées. S'agissant des différentes opérations constatées, la société produit un tableau explicatif montrant les différents cas de figure : produit en trop suite à une erreur sur livraison, échange entre deux produits de même valeur, échange d'un produits contre plusieurs produits, utilisation des stocks négatifs, étiquetage d'un modèle de prototype au prix fort pour procéder ensuite à un échange avec un produit de même montant. Sur la période considérée, les cinq types d'anomalies sont présents. Par ailleurs, l'employeur produit un extrait de manuel des procédures [A] [B] qui indique la marche à suivre notamment pour les cas d'erreur de livraison (signalement de l'erreur au stock central, alerte du service logistique par fax et établissement d'un formulaire « Erreurs sur livraison » avec indication des écarts entre la marchandise annoncée sur le bon de livraison et celle reçue. Selon l'employeur, la procédure n'était pas suivie dans certains cas et un échange informatique était réalisé entre un produit physiquement réceptionné et un produit présent dans le magasin de même valeur.

A titre d'exemple, du fait de la transaction 384 saisie par [B] [U], une écharpe classique entre en stock et le shorty plumetis qui est du même montant sort du stock.

Au vu des éléments versées, les transactions étaient établies au nom de Madame [U], magasinière, mais aucune preuve sérieuse ne permet de conclure que les opérations étaient menées sur l'instigation de Madame [X].

En réalité, les seules accusations proviennent de l'attestation de la supérieure hiérarchique de Madame [X], Madame [J], qui explique notamment (sans précision sur la date) qu'elle avait mis un pull de côté pour le payer et que Madame [X] lui aurait dit qu'elle l'avait fait passer dans ses ajustements et qu'elle n'avait pas à le payer. Elle explique dans son attestation que Madame [X] a essayé de l'inclure dans la 'combine' mais qu'elle a payé le pull, se 'sentant prise au piège'. S'agissant du grief relatif aux 'ceintures' conservées de façon indue, elle indique que 'les filles ont rendu les ceintures'.

Les autres documents présentés par la société à l'appui des griefs sont des feuilles manuscrites présentées comme des compte-rendu d'entretien préalable de [B] [U] en date du 24 septembre 2013, ainsi que de [Y] [Q] et [T] [X] en date du 23 septembre 2013. Ces documents se présentent comme des 'brouillons' inexploitables et ne permettent pas de constituer des éléments de preuve à l'encontre de Madame [X] ou de quiconque.

Il est observé par ailleurs que d'autres personnes participaient aux entretiens préalables : la présidente Madame [B], Madame [A], directrice marketing et Madame [O], directrice des ressources humaines. Or, l'employeur ne produit aucun témoignage de ces personnes qui auraient pu donner des indications sur les propos tenus au cours des entretiens.

Enfin, Madame [X] produit des témoignages qui contredisent les accusations de l'employeur. Ainsi [O] [V], conseillère clientèle et binôme de [B] [U], atteste que tout était fait dans la transparence dans la boutique. Elle explique que l'ordinateur était aussi accessible par une certaine [P] [H] et que des erreurs de caisses et de transfert de Madame [Z] obligeaient à faire des ajustements de stock. Il n'est versé par l'employeur aucun élément sur cette personne qui, pourtant, aurait eu un rôle dans les faits dénonçés.

Enfin, le fait qu'une plainte pénale ait été déposée par la directrice des ressources humaines le 18 décembre 2013 ne préjuge pas de l'existence de faits imputables à Madame [X], l'employeur n'ayant par ailleurs pas sollicité qu'il soit sursis à statuer dans l'attente du sort réservé à cette plainte.

Ainsi, au vu de l'ensemble des éléments versés au débat, il apparaît que des échanges de produits étaient effectivement effectués, que ces opérations qualifiées 'd'ajustements' n'étaient pas régulières selon l'employeur pour un certain nombre d'entre elles. Il n'est cependant pas établi qu'ils ne correspondaient pas à une pratique courante connue de la directrice du magasin, responsable en titre du stock, et tolérées. Il appartenait dès lors à l'employeur de mener des investigations suffisantes au sein de l'équipe pour déterminer si des fautes justifiant le licenciement avaient été commises et à quel niveau hiérarchique.

Par ailleurs, s'agissant des 'ceintures', le détournement n'est pas établi A cet égard, Madame [P] expose comment les choses se sont passées :

«'Une offre de ceinture a été organisée pour achat de deux articles au mois de mars'2013, certains clients après avoir franchi la caisse ont dit qu'ils n'en souhaite pas et ont offert cet ceinture à quelques vendeuses. [T] [X] nous a informé que si la cliente nous l'offrait,

qu'elle ne voyait pas d'inconvéniant. Moi-même je ne vois pas d'inconvéniant dans cela. C'est comme un pourboire, qu'on ne remets pas dans la caisse'». Par ailleurs, Madame [J] elle même indique que les ceintures ont été restituées. En l'absence d'élément de preuve telle que des attestations de clients, les éléments versés aux débat ne permettent pas d'établir la réalité d'un détournement de cadeaux destinés à la clientèle pour les offrir au personnel de vente imputable à Madame [X] ou à quiconque.

Enfin, le grief visé dans la lettre de licenciement relatif à un 'conciliabule sur une histoire de chaussettes AK187 avec la magasinière [B] [U] et l'hôtesse de caisse, [Y] [Q]' alors que les vidéos des cameras ont été effacées sur les jours concernés (du 23 au 25 mars 2013)3 n'apparaît ni clair, ni sérieux.

En l'état, la preuve de l'imputabilité des irrégularités dénoncés par l'employeur et du comportement fautif de Madame [X] n'apparaissent pas suffisamment établis pour justifier le licenciement de l'intéressée après cinq années au service de la société sans que soit relevées des difficultés et le doute doit en l'état lui profiter, ce qui conduit à infirmer la décision des premiers juges, le licenciement étant en l'espèce dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Evaluation du montant des condamnations

Au vu des pièces et des explications fournies, compte tenu des circonstances de la rupture, du montant de la rémunération versée à Madame [X], de son âge, de son ancienneté, et des conséquences du licenciement à son égard, la cour dispose des éléments nécessaires et suffisants pour fixer à 38000 euros le montant de la réparation du préjudice subi en application de l'article L.1235-3 du code du travail, l'enreprise employant habituellement au moins onze salariés au moment du licenciement.

S'agissant de la période de mise à pied injustifiée du 12 au 24'septembre, la société [A] [B] est condamnée à verser à Madame [X] le salaire correspondant, soit 3.059,81ainsi que 305.98 euros à titre de congés payés y afférents au taux de 10%.

S'agissant de l'indemnité conventionnelle de licenciement, il est accordé à la salariée la somme qu'elle réclame, laquelle n'est pas contestée dans son montant par la société [A] [B] et est en tout état de cause justifiée au vu des pièces versées aux débats (Application de l'article 16 de l'avenant Cadres de la Convention Collective du Commerce de Détail de l'Habillement et des articles textiles applicable pour une ancienneté' de 5 ans, 2 mois et 19 jours sur la base du salaire de référence, soit 5.556,16 euros)..

S'agissant de l'indemnité compensatrice de préavis, il est accordé à Madame [X] les sommes qu'elle réclame lesquelles ne sont pas contestées dans leur montant par la société [A] [B] et sont justifiées au vu des pièces versées aux débats (Application de l'article 13 de l'avenant Cadres de la Convention Collective applicable qui donne droit à un préavis de trois mois lorsque le cadre a dépassé sa période d'essai, soit 15.969,90 €uros outre les congés payés afférents, à savoir la somme de 1.596,99 €uros.

Enfin, Madame [X] ne rapporte pas la preuve d'avoir été victime, dans le cadre de ce licenciement, de conditions brutales ou vexatoires justifiant qu'il lui soit alloué, en sus de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse précédemment allouée, des dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral. Elle est donc déboutée sur ce point.

Sur la demande de remise de documents

Compte tenu des développements qui précèdent, la demande tendant à la remise de documents sociaux conformes est fondée et il y est fait droit dans les termes du dispositif. Il n'y a pas lieu d'ordonner une astreinte en l'état.

Sur le remboursement des indemnités de chômage

S'agissant en l'espèce d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse prononcé en application de l'article 1235-3 du code du travail, Madame [X] ayant plus de deux ans d'ancienneté au moment du licenciement et la société [A] [B] occupant au moins 11 salariés, il convient, en application de l'article L 1235-4 du code du travail d'ordonner d'office le remboursement des allocations de chômage du jour du licenciement au jour de la présente décision dans la limite de quatre mois, les organismes intéressés n'étant pas intervenus à l'audience et n'ayant pas fait connaître le montant des indemnités.

PAR CES MOTIFS

LA COUR,

Statuant par un arrêt contradictoire, mis à disposition au greffe,

INFIRME le jugement en toutes ses dispositions, et statuant à nouveau,

CONDAMNE la société [A] [B] à payer à Madame [T] [X] les sommes de :

- 3.059,81euros au titre du salaire correspondant à la période de mise à pied

- 305.98 euros à titre de congés payés y afférents au taux de 10%.

- 38000 euros euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

- 15.969,90 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis

- 1.596,99 euros au titre des congés payés y afférents,

- 5.556,16 euros à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement

- Y AJOUTANT,

DIT que les condamnations au paiement de créances de nature salariale porteront intérêts au taux légal à compter de la réception par la société de la convocation devant le bureau de conciliation du conseil de prud'hommes et que les condamnations au paiement de créances indemnitaires porteront intérêts au taux légal à compter de la mise à disposition du présent arrêt ;

ORDONNE la remise par la société [A] [B] à Madame [X] de bulletins de paye conformes au présent arrêt

Dit n'y avoir lieu à ordonner une astreinte

CONDAMNE la société [A] [B] à rembourser à Pôle Emploi les indemnités de chômage versées à Madame [X] dans la limite de quatre mois d'indemnités ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNE la société [A] [B] à payer à Madame [X] la somme de 2500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

DEBOUTE les parties du surplus des demandes ,

LAISSE les dépens à la charge de la société [A] [B].

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 3
Numéro d'arrêt : 16/00713
Date de la décision : 13/12/2016

Références :

Cour d'appel de Paris K3, arrêt n°16/00713 : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2016-12-13;16.00713 ?
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