RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 4
ARRÊT DU 13 Décembre 2016
(n° , 5 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : S 13/08552
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 06 Mai 2013 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS RG n° 11/05908
APPELANTE
Madame [U] [J]
[Adresse 1]
[Adresse 1]
née le [Date naissance 1] 1962 à [Localité 1]
représentée par Me Stéphane MARTIANO, avocat au barreau de PARIS, toque : C1459 substitué par Me Michel SIGUIER, avocat au barreau de PARIS, toque : C1575
INTIMEE
SARL DENOS
[Adresse 2]
[Adresse 2]
représentée par Me Marielle GAROT, avocat au barreau de PARIS, toque : E0056
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 25 Mai 2016, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Anne PUIG-COURAGE , chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
M. Bruno BLANC, Président
Mme Soleine HUNTER FALCK, Conseillère
Mme Anne PUIG-COURAGE, Conseillère
qui en ont délibéré
Greffier : Madame Chantal HUTEAU, lors des débats
ARRET :
- Contradictoire,
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile et prorogé à ce jour.
- signé par Monsieur Bruno BLANC, Président et par Madame Chantal HUTEAU, Greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire
LA COUR,
La société DENOS a été retenue par le gouvernement libyen, dans le cadre d'un accord entre le gouvernement français et « la Grande Jamahiriya Arabe Libyenne Populaire et Socialiste » prévoyant de « renforcer la coopération entre les deux pays notamment dans le domaine de la santé publique, avec une première place accordée à l'équipement et à la mise en service de l'Hôpital de [Localité 2] », pour assurer tant la formation du personnel libyen que d'assurer directement des missions administratives, para médicales et médicales, avec comme interlocuteur le Docteur [E], directeur libyen du [Établissement 1].
Le 30 décembre 2009, Madame [U] [J], née le [Date naissance 1] 1962, a été engagée par la société DENOS, qui emploie plus de 11 salariés, par contrat à durée indéterminée, en qualité de pharmacienne chef, pour exercer ses fonctions au [Établissement 1] ([Établissement 1]) à compter du 1er février 2010, moyennant une rémunération mensuelle brute de 11 000 euros, aux conditions générales de la convention collective nationale Syntec.
Le 25 février 2011, le contrat de travail a été rompu pour force majeure selon un courrier rédigé dans les termes suivants :
« ...La société DENOS se trouve en effet aujourd'hui confrontée à une situation exceptionnelle à la suite de l'insurrection en cours à [Localité 2] depuis le 17 février dernier.
Les violences qui ont placé [Localité 2] quasiment en état de guerre et le climat d'extrême insécurité dans lequel se sont trouvés les expatriés de cette ville et en Libye ont conduit les autorités françaises ainsi que celles de nombreux autres pays à faire procéder au rapatriement de leurs ressortissants afin de les mettre à l'abri du danger.
Cette situation insurrectionnelle, tout à fait imprévisible et dont l'issue est bien sûr incertaine ne nous permet pas d'envisager de renvoyer des expatriés à [Localité 2] et compromet la poursuite du contrat liant DENOS au [Établissement 1], qui se trouve au moins de fait interrompu.
De plus DENOS est aujourd'hui et pour une durée indéterminée, privée d'interlocuteurs officiels au sein du [Établissement 1] pour continuer à exécuter le contrat liant DENOS au [Établissement 1] à la suite de la disparition de la direction du [Établissement 1].
Ce cas de force majeur nous contraint à notre grand regret, de mettre fin au contrat de travail conclu avec vous qui s'inscrivait dans le cadre du contrat entre DENOS et le [Établissement 1]. »
Le 12 avril 2011,Madame [U] [J] a saisi la juridiction prud'homale d'une contestation de son licenciement et d'une demande en paiement de diverses indemnités.
La cour statue sur l'appel réinterjeté par Madame [U] [J] du jugement rendu par le conseil de prud'hommes de PARIS le 6 mai 2013 qui :
l'a déboutée de l'ensemble de ses demandes ;
a débouté la société DENOS de sa demande reconventionnelle.
Vu les conclusions du 25 mai 2016 au soutien de ses observations orales par lesquelles Madame [U] [J] demande à la cour :
d'infirmer en toutes ses dispositions le jugement entrepris et statuant à nouveau
de fixer la moyenne des trois derniers mois de salaire à la somme de 11 000 euros ;
de dire qu'en l'absence de force majeure, le licenciement est abusif ;
de condamner la société DENOS à lui payer les sommes suivantes : * 66 000 euros à titre de dommages et intérêts pour rupture abusive ;
* 33 000 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis ;
* 3 300 euros au titre des congés payés afférents ; * 2 945,55 euros au titre de l'indemnité de licenciement ;
* 3 000 euros au titre des frais irrépétibles en la condamnant aux dépens ;
Vu les conclusions du 25 mai 2016 au soutien de ses observations orales par lesquelles la société DENOS demande à la cour de:
confirmer en toutes ses dispositions le jugement entrepris ;
de condamner l'appelante à lui payer 5 000 euros au titre des frais irrépétibles.
Sur ce
Sur le salaire de référence :
Il n'est pas contesté que Madame [U] [J] conformément à son contrat de travail, percevait une rémunération mensuelle brute de 8 000 euros à laquelle s'ajoutait une prime d'expatriation de 3 000 euros, qu'il convient donc de retenir la somme de 11 000 euros comme étant son salaire de référence.
Sur la rupture du contrat de travail pour force majeure
Aux termes de l'article L. 1234-12 du code du travail, la cessation de l'entreprise pour cas de force majeure libère l'employeur de respecter le préavis et de verser l'indemnité de licenciement prévue à l'article L. 1234-9.
Les faits constituant des cas de force majeure doivent présenter un caractère imprévisible et insurmontable et entrainer une impossibilité absolue de continuer l'exécution des contrats de travail.
Dans la lettre de licenciement la société DENOS expose qu'elle a été contrainte de rapatrier ses salariés du [Établissement 1] pour assurer leur sécurité, en raison de l'insurrection survenue dans cette ville et plus généralement dans toute la Libye, en février 2011. Elle invoque le caractère imprévisible de cette situation dont l'issue incertaine compromet la poursuite de l'exécution du contrat la liant au [Établissement 1], alors même que Madame [U] [J] a été engagée pour exercer ses fonctions en Libye, dans le cadre du contrat intervenu entre la société DENOS et le [Établissement 1].
Madame [U] [J], sans contester la réalité et la gravité des évènements survenus en Libye le 17 février 2011, alors qu'elle-même se trouvait en congés en France, fait valoir que son contrat n'aurait pu être que suspendu momentanément, l'hôpital de [Localité 2] n'ayant pas été détruit et ayant repris ses activités, notamment avec les personnels travaillant pour DENOS qui n'avaient pas été évacués lors du départ organisé le 21 févier 2011. Elle rappelle qu'elle a été licenciée dès le 25 février 2011, alors même que le 2 mars 2011, le Président de la société DENOS indiquait dans la presse médicale : « Nous souhaitons revenir le plus vite possible à [Localité 2]. Notre contrat ne s'arrête pas parce que nous vivons une période trouble. Tout le monde est volontaire pour repartir ».
Il résulte du texte susvisé que le cas de force majeur ne peut être invoqué que dans le cas d'une « cessation de l'entreprise ». Or en l'espèce, la société DENOS ne produit aucun élément permettant de démontrer que tel était le cas et que sa seule activité était celle qu'elle réalisait dans le cadre du contrat avec le [Établissement 1] en Libye.
En outre, s'il n'est pas contesté que l'interlocuteur habituel pour le [Établissement 1] de la Société DENOS, le Docteur [E], nommé par les autorités gouvernementales contre lesquelles l'insurrection était dirigée, a pris la fuite, la société DENOS ne produit aucune pièce démontrant que le contrat entre elle-même et le [Établissement 1] a été résilié, comme invoqué dans la lettre de licenciement. Il résulte au contraire des propres déclarations de son président le 2 mars 2011, quasiment concomitamment au licenciement de Madame [U] [J], qu'il considérait que le contrat liant sa société au [Établissement 1] « ne s'arrête pas parce que nous vivons une période trouble....Au contraire ces évènements sont des opportunités de travail qui vont s'ouvrir. Cela peut améliorer les conditions de travail qui étaient très difficiles en Libye».
Ainsi, si le rapatriement des salariés pouvait s'entendre dans le cadre de l'obligation de sécurité à laquelle l'employeur est tenu, la société DENOS ne démontre pas l'impossibilité durable d'exercice sur place d'autant que le [Établissement 1] a continué son activité comme le démontrent les courriels échangés dès le 2 mars 2011 entre Madame [U] [J] et ses collègues restés sur place et continuant à travailler au sein de cet hôpital, en particulier Mesdames [B] [G], et [O] [S], elles-mêmes collaboratrice de la société DENOS, alors même que les autorités françaises remettaient en 'uvre, à partir d'avril 2011, le départ d'équipes médicales vers cette ville de Libye.
La cour considère en conséquence que la preuve d'un cas de force majeure imprévisible, insurmontable et rendant impossible l'exécution du contrat de travail n'est pas rapportée. Le licenciement de Madame [U] [J] étant dépourvu de cause réelle et sérieuse sera déclaré abusif au regard de son ancienneté dans l'entreprise, inférieure à 2 ans.
Sur les conséquence financières de la rupture
La cour ayant considéré le licenciement abusif, il convient de rétablir la salariée dans ses droits.
Sur l'indemnité de préavis
Il convient de constater qu'au regard de son contrat de travail, Madame [U] [J] aurait dû bénéficier d'un préavis d'une durée de 3 mois, il convient donc de lui allouer une somme de 33 000 euros à titre d' indemnité compensatrice de préavis, outre 3 300 euros au titre des congés payés afférents.
Sur l'indemnité de licenciement
Madame [U] [J] sollicite à ce titre une indemnité à hauteur de 2 945,55 euros. Après examen des bulletins de salaire et des calculs présentés à la procédure, il convient de faire droit à sa demande dans son intégralité.
Sur l'indemnité pour licenciement abusif
A la date du licenciement, [U] [J] percevait une rémunération mensuelle brute moyenne de 11 000 euros, avait 49 ans et bénéficiait d'une ancienneté de 1 an et 4 mois au sein de l'entreprise. Si elle ne produit aucun élément permettant d'établir qu'elle n'a pas retrouvé rapidement d'emploi et a dû solliciter le bénéfice d'allocations de chômage, il n'est pas contesté que son contrat s'est interrompu de manière particulièrement brutale. Il convient d'évaluer à la somme de 10 000 euros le montant de l'indemnité allouée au titre du licenciement abusif en application de l'article L.1235-5 du code du travail.
Sur les frais irrépétibles
L 'équité et la situation économique respective des parties justifient qu'il soit fait droit à la demande du salarié en application de l'article 700 du code de procédure civile dans la mesure énoncée au dispositif.
Il y a lieu de dire que l'employeur conservera à sa charge ses frais irrépétibles.
PAR CES MOTIFS,
DÉCLARE l'appel recevable,
INFIRME le jugement entrepris,
et statuant à nouveau
DIT que le salarié mensuel de référence de Madame [U] [J] est de 11 000 euros ;
DIT le licenciement de Madame [U] [J] abusif,
CONDAMNE la société DENOS à payer à Madame [U] [J] les sommes suivantes :
* 33 000 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis ;
* 3 300 euros au titre des congés payés afférents ;
* 2 945,55 euros à titre d'indemnité de licenciement ;
* 10 000 euros à titre d'indemnité pour licenciement abusif ;
* 1 500 euros au titre des frais irrépétibles ;
DIT que les sommes à caractère salarial porteront intérêt au taux légal à compter du jour où l'employeur a eu connaissance de leur demande, et les sommes à caractère indemnitaire, à compter et dans la proportion de la décision qui les a prononcées.
DEBOUTE les parties du surplus de leurs demandes,
CONDAMNE la société DENOS aux entiers dépens.
LE GREFFIER LE PRESIDENT