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23/11/2016 | FRANCE | N°14/10399

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 5 - chambre 4, 23 novembre 2016, 14/10399


Grosses délivrées RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 5 - Chambre 4



ARRÊT DU 23 NOVEMBRE 2016



(n° , 10 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : 14/10399



Décision déférée à la Cour : Jugement du 02 Avril 2009 -Tribunal de Commerce de CRETEIL - RG n° 2007F00279

Arrêt du 8 février 2012 - Cour d'Appel de PARIS - RG n° 09/13590

Arrêt du 28 mai 2013 - Cour de Cassation - RG n°550 F-D

Arrê

t du 9 juillet 2013 - Cour de Cassation - RG n° 805 F-D





APPELANTE



SAS EDTO

ayant son siège social [Adresse 1]

[Localité 1]

prise en la personne de ses représenta...

Grosses délivrées RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 5 - Chambre 4

ARRÊT DU 23 NOVEMBRE 2016

(n° , 10 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : 14/10399

Décision déférée à la Cour : Jugement du 02 Avril 2009 -Tribunal de Commerce de CRETEIL - RG n° 2007F00279

Arrêt du 8 février 2012 - Cour d'Appel de PARIS - RG n° 09/13590

Arrêt du 28 mai 2013 - Cour de Cassation - RG n°550 F-D

Arrêt du 9 juillet 2013 - Cour de Cassation - RG n° 805 F-D

APPELANTE

SAS EDTO

ayant son siège social [Adresse 1]

[Localité 1]

prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

Représentée par Maître Anne GRAPPOTTE-BENETREAU de la SCP GRAPPOTTE BENETREAU, avocats associés, avocat au barreau de PARIS, toque : K0111

Ayant pour avocat plaidant Maître Yann MICHEL, plaidant pour ASEVEN, avocat au barreau de Paris, toque P196

INTIMÉES

SAS HOLDING LORIGUET

ayant son siège social [Adresse 2]

[Adresse 2]

[Localité 2]

prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

Représentée par Maître Frédéric LALLEMENT de la SCP BOLLING - DURAND - LALLEMENT, avocat au barreau de PARIS, toque : P0480

Ayant pour avocat plaidant Maître Prisca WUIBOUT, avocat au barreau de SAINT ETIENNE.

SAS VACO

ayant son siège social [Adresse 2]

[Localité 2]

prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

Représentée par Me Frédéric LALLEMENT de la SCP BOLLING - DURAND - LALLEMENT, avocat au barreau de PARIS, toque : P0480

Ayant pour avocat plaidant Maître Prisca WUIBOUT, avocat au barreau de SAINT ETIENNE.

SARL OCF

ayant son siège social [Adresse 3]

[Localité 2]

prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

Représentée par Me Frédéric LALLEMENT de la SCP BOLLING - DURAND - LALLEMENT, avocat au barreau de PARIS, toque : P0480

Ayant pour avocat plaidant Maître Prisca WUIBOUT, avocat au barreau de SAINT ETIENNE.

SELARL MJ prise en la personne de Maître [A] [J], ès qualités de Mandataire Liquidateur de la SARL OCF.

ayant son siège social [Adresse 4]

[Localité 2]

Représentée par Me Frédéric LALLEMENT de la SCP BOLLING - DURAND - LALLEMENT, avocat au barreau de PARIS, toque : P0480

Ayant pour avocat plaidant Maître Prisca WUIBOUT, avocat au barreau de SAINT ETIENNE.

SARL GUILLAUMAT ET PIEL

ayant son siège social [Adresse 5]

[Localité 3]

prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

Représentée par Maître Jacques BELLICHACH, avocat au barreau de PARIS, toque : G0334

SAS OUTILLAGE ELBE

ayant son siège social [Adresse 6]

[Localité 4]

prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

Régulièrement assignée, non représentée

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 21 Septembre 2016, en audience publique, devant la Cour composée de :

Madame Dominique MOUTHON VIDILLES, Conseillère, faisant fonction de Présidente, rédacteur

Madame Christine ROSSI, Conseillère

Madame Véronique RENARD, Conseillère, appelées d'une autre chambre afin de compléter la Cour en application de l'article R.312-3 du Code de l'Organisation Judiciaire,

qui en ont délibéré,

Un rapport a été présenté à l'audience par Madame Dominique MOUTHON VIDILLES dans les conditions prévues par l'article 785 du code de procédure civile,

Greffier, lors des débats : M. Vincent BRÉANT

ARRÊT :

- réputé contradictoire,

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Madame Dominique MOUTHON VIDILLES, Conseillère, pour la Présidente empêchée et par Monsieur Vincent BRÉANT, greffier auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

FAITS ET PROCÉDURE

La société Edto exerce une activité de négoce de matériels électriques et d'outils coupants et perforants pour le bois. Elle commercialise également un porte-outil dénommé «Rotoprofil ».

Cette société a fusionné, le 8 juillet 2002, avec la société Outillage Développement, à effet rétroactif au 1er janvier 2002. La société Outillage Développement avait elle-même repris, depuis le 1er juillet 2001, les contrats de travail de plusieurs salariés d'une société s'ur, la société Uffop, faisant partie du même groupe, le groupe [L]. Cette reprise résultait de la décision, prise par M. [L] qui succédait, en avril 1994, à M. [Q] à la tête du groupe, de fusionner l'ensemble des sociétés de négoce de son groupe au sein de la société Edto. Ces contrats de travail avaient donc été transférés à la société Edto à compter du 1er janvier 2002.

La société Outil Coupant Forezien (Ocf), à la suite de sa constitution et de son commencement d'exploitation, le 22 mai 2002, a embauché, en juillet 2002, Madame [A], épouse de M. [A], ancien salarié de la société Uffop, ainsi que son fils. Puis, plusieurs anciens salariés de la société Uffop, repris par la société Edto, ont été embauchés par la société Ocf, ces recrutements s'étant échelonnés sur plusieurs mois : en juillet 2002 (M. [P]), septembre 2002 (MM [R], [Z] et Mme [F], ainsi que M. [I] au sein de la société Vaco), novembre 2002 (M. [M]), janvier 2003 (MM [V] et [K]) et février 2004 (M. [A]). M. [X], démissionnaire au 15 avril 2002, aurait travaillé pour la société Ocf par le biais d'une entreprise uni-personnelle appelée TAC Mab.

Suspectant des pratiques de concurrence déloyale de la part de la société Ocf, la société Edto a sollicité des mesures d'instruction qui lui ont été accordées par ordonnance du 12 décembre 2002 du tribunal de grande instance de Montbrison, désignant Maître [O], huissier de justice, pour les réaliser. Celui-ci a été chargé de se rendre au siège social des sociétés Ocf, Vaco et Vaco France, afin, notamment, de prendre connaissance du fichier client de la société Ocf, de le comparer au fichier client de la société Edto, et de prendre connaissance de tous plans, dessins et modèles des outils coupants commercialisés par les sociétés Ocf, Vaco et Vaco France. Par ordonnance du 26 février 2003, deux experts ont été désignés : l'un, le laboratoire Pourquery, pour comparer le porte-outil Rotoprofil de la société Edto avec ceux commercialisés par la société Ocf, l'autre, M. [C], pour expertiser le fichier clientèle des deux sociétés.

S'estimant confortée par les rapports des experts déposés respectivement les 30 décembre 2003 et 21 juillet 2006, la société Edto a saisi le tribunal de commerce de Créteil, qui, par jugement du 2 avril 2009, a :

- dit la société Edto recevable à agir,

en conséquence,

- débouté les sociétés Ocf, Vaco, Holding [G], Guillaumat et Piel et Outillage Elbe de leurs fins de non-recevoir,

- dit que la société Edto n'a pas établi que les sociétés Ocf, Vaco et Holding [G] se soient livrées à un débauchage massif et simultané de ses salariés,

- constaté un transfert de clientèle au profit de la société Ocf sur l'initiative des salariés embauchés,

- constaté que des agissements répréhensibles ont été initiés par certains de ces salariés, soit directement alors qu'ils étaient encore sous contrat, soit indirectement en ne réalisant pas de vente avant leur départ de la société Edto à l'avantage de la société Ocf,

- dit que la société Ocf a bénéficié en connaissance de cause des agissements ci-dessus et s'est donc livrée à une concurrence déloyale,

- dit toute fois qu'il n'a pas été établi de stratagèmes imputables aux sociétés Ocf, Vaco ou Holding [G] destinés à détourner les clauses de non concurrence applicables à certains de ces salariés,

- constaté que la société Ocf n'a pas fait réaliser une copie servile du porte-outils Rotoprofil, mais un porte-outil pouvant permettre une captation de clientèle dans le cadre d'une concurrence déloyale,

- constaté que les sociétés Guillaumat et Piel et Outillage Elbe n'ont pas fabriqué ou commercialisé de copie servile du Rotoprofil,

en conséquence,

- condamné la société Ocf à payer à la société Edto les sommes de :

' 34.143,48 euros au titre de la perte de chiffre d'affaires antérieure au départ des salariés de la société Edto déboutant pour le surplus,

' 356.000 euros au titre de la perte de chiffre d'affaires postérieure au départ des dits salariés,

- débouté la société Edto de sa demande fondée sur une reproduction servile du Rotoprofil,

- fait interdiction, en tant que de besoin, aux sociétés Ocf, Vaco, Holding [G], Guillaumat et Piel et Outillages Elbe, de fabriquer ou commercialiser tout modèle de porte-outils copié servilement sur celui vendu par les sociétés Edto et Sunsteel sous astreinte de 500 euros par jour, débutant un mois après signification du présent jugement et pendant trois mois, le tribunal se réservant de la liquider,

- débouté la société Edto de sa demande de dommages et intérêts pour préjudice moral et les sociétés Ocf, Vaco, Holding [G] et Outillage Elbe de leurs demandes fondées sur le caractère abusif de la procédure dont elles ont fait l'objet,

- débouté la société Edto de sa demande relative à la parution dans la presse du présent jugement,

- condamné la société Ocf à payer la somme de 10.000 euros à la société Edto sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, déboutant pour le surplus ainsi que de ses demandes contre les sociétés Vaco et Holding [G] de ce chef,

- débouté les sociétés Ocf, Holding [G], Vaco, Outillage Elbe et Guillaumat et Piel de leurs demandes à ce titre,

- dit n'y avoir lieu d'ordonner l'exécution provisoire,

- condamné la société Ocf aux dépens, en ce compris les frais d'expertise et de constat.

La société Ocf a fait l'objet d'un jugement de liquidation judiciaire rendu le 3 juin 2009 par le tribunal de commerce de Saint-Etienne, Maître [Y], étant désigné en qualité de mandataire liquidateur, puis Maître [J], par jugement du 29 juin 2011. La société Edto a déclaré ses créances le 28 juillet 2009. Le 15 janvier 2014, le même tribunal a prononcé la clôture de la procédure de liquidation de la société Ocf pour insuffisance d'actifs. Par ordonnance du 28 juillet 2016, Maître [J] a été désigné mandataire ad hoc pour représenter la société Ocf devant la présente cour.

Antérieurement, le 26 juin 2009, les sociétés Vaco et Holding [G], conjointement avec Me [Y] agissant ès qualités, ont interjeté appel du jugement prononcé le 2 avril 2009 par le tribunal de commerce de Créteil, à l'encontre des sociétés Edto, Guillaumat et Piel et Outillage Elbe.

Par arrêt du 2 février 2012, la cour d'appel de Paris (chambre 5-4) a :

- infirmé le jugement déféré en toutes ses dispositions,

statuant à nouveau,

- débouté la société Edto de l'ensemble de ses demandes,

y ajoutant,

- débouté les sociétés Vaco, Holding [G], Outillage Elbe et Maître [J], ès qualités de liquidateur de la société Ocf du surplus de leurs demandes respectives,

- condamné la société Edto aux dépens de première instance et d'appel avec recouvrement dans les conditions de l'article 699 du code procédure civile,

- condamné la société Edto à payer à chacune des sociétés Vaco, Holding [G], Guillaumat et Piel, Outillage Elbe et à Maître [J], ès qualités de liquidateur de la société Ocf, la somme de 2.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Saisie d'un pourvoi formé par la société Edto, la chambre commerciale de la Cour de cassation, par arrêt du 28 mai 2013, modifié le 9 juillet 2013,acassé et annulé l'arrêt déféré « sauf en ce que, infirmant le jugement, il rejette les demandes de la société Edto au titre de la vente d'un porte-outil » avant de renvoyer le litige devant la cour d'appel de Paris autrement composée.

Vu l'appel interjeté par la société Edto ;

Vu les dernières conclusions notifiées et déposées le 5 septembre 2016 par la société Edto, appelante, par lesquelles il est demandé à la cour de :

- constater le débauchage massif, systématique et rapproché des salariés VRP de la société Edto par les sociétés Ocf, Vaco SAS et Holding [G], toutes dirigées par le même dirigeant [G],

- constater le transfert concomitant de la clientèle de la société Edto vers et au profit des sociétés Ocf, Vaco et Holding [G],

- constater encore que cette concurrence déloyale a été initiée par les salariés de la société Edto encore en poste au sein de cette dernière, de manière tant directe par la vente de produits au bénéfice de la société Ocf qu'indirecte par l'absence de vente au préjudice de la société Edto,

- constater aussi que les salariés débauchés ont immédiatement transféré l'intégralité de la clientèle de la société Edto vers les sociétés Ocf, laquelle exerçait son activité, au moins jusqu'en fin d'année 2002, dans les mêmes locaux que la société Vaco et avec un numéro de téléphone commun appartenant à la société Vaco,

- constater également que les sociétés Ocf, Vaco SAS et Holding [G] ont mis en place divers stratagèmes pour contourner de mauvaise foi les clauses de non concurrence liant certains salariés de la société Edto à ses anciens salariés,

- constater de surcroît que la société Ocf a réalisé par l'intermédiaire des sociétés Guillaumat et Piel et Outillage Elbe une copie similaire au modèle de porte-outil dénommé Rotoprofil conçu et développé par le Groupe [L] et commercialisé à titre exclusif par la société Edto, en reprenant son mode de fixation spécifique,

- dire que les sociétés Ocf, Vaco et Holding [G] se sont rendues coupables d'actes de concurrence déloyale au préjudice de la société Edto,

en conséquence,

- condamner in solidum la société Ocf représentée par son mandataire ad hoc, ainsi que les sociétés Vaco SAS et Holding [G] au paiement, au profit de la société Edto, des sommes de :

' 600.000 euros à titre de dommages et intérêts pour le préjudice subi du fait de la perte de chiffre d'affaires liée au détournement de clientèle, en raison de ces actes de concurrence déloyale,

' 250.000 euros à titre de dommages et intérêts pour le préjudice moral subi du fait du comportement abusif et de mauvaise foi des sociétés Ocf, Vaco SAS et Holding [G] depuis 2002,

- ordonner la parution dans deux journaux spécialisés et un journal généraliste de l'arrêt à intervenir, aux frais de la société Ocf représentée par son mandataire ad hoc, ainsi que des sociétés Vaco SAS et Holding [G],

- condamner in solidum la société Ocf représentée par son mandataire ad hoc et les sociétés Vaco SAS et Holding [G], au paiement de la somme de 30.000 euros au profit de la société Edto, sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

Vu les dernières conclusions notifiées et déposées le 08 août 2016 par la Selarl MJ, prise en la personne de Maître [J], agissant en qualité de mandataire ad hoc de la société Ocf désigné à cette fonction par ordonnance du 28 juillet 2016, et les sociétés Vaco et Holding [G], intimées, par lesquelles il est demandé à la cour de :

- débouter purement et simplement la société Edto de l'ensemble de ses demandes relatives à un prétendu débauchage « massif, systématique et rapproché des salariés VRP»,

- déclarer irrecevable comme se heurtant à l'autorité de chose jugée et à titre subsidiaire, mal fondée, toute demande relative à une prétendue copie d'un porte outils dénommé Rotoprofil,

- débouter purement et simplement la société Edto de l'ensemble de ses demandes,

- déclarer irrecevable toute demande de condamnation à l'égard de la société Ocf qui fait l'objet d'une liquidation judiciaire clôturée,

- condamner la société Edto à verser à chacune des trois concluantes une somme de 50.000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive,

- condamner la société Edto à verser à chacune des trois concluantes une somme de 15.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la société Edto aux entiers dépens de l'instance, dont distraction au profit de la SCP Bolling Durand Lallement, avocat constitué ;

Vu les dernières conclusions notifiées et déposées le 24 juin 2016 par la société Guillaumat et Piel, intimée, par lesquelles il est demandé à la cour de :

- mettre hors de cause la société Guillaumat et Piel,

- condamner la société Edto ou tout autre succombant au paiement envers la société Guillaumat et Piel de la somme de 3.500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens de la présente procédure d'appel sur renvoi, dont le montant pourra être recouvré par Maître Jacques Bellichach, conformément aux dispositions de l'article 699 du code procédure civile ;

SUR CE,

La société Edto prétend démontrer la matérialité des nombreux actes de concurrence déloyale perpétrés à son encontre par les sociétés Ocf, Vaco et Holding [G], ayant conduit au débauchage massif de ses salariés, avec détournement de sa clientèle, mais également à la reproduction de son porte-outil Rotropofil. Elle sollicite la réparation du préjudice qu'elle aurait subi du fait de cette concurrence déloyale.

Les sociétés Ocf, Vaco et Holding [G] s'opposent à chacune de ces demandes et sollicitent d'une part, la confirmation du jugement de première instance en ce qu'il n'a retenu aucun débauchage massif des salariés et aucune faute à la charge des sociétés Vaco et Holding [G], et d'autre part, son infirmation en ce qu'il a condamné la société Ocf.

De son côté, la société Guillaumat et Piel demande à la cour de prononcer sa mise hors de cause dans cette affaire.

Sur le débauchage des salariés de la société Edto par les sociétés Ocf, Vaco et Holding [G], ayant pour effet de désorganiser son activité et détourner sa clientèle

La société Edto soutient en premier lieu que la preuve du caractère massif et simultané du débauchage de ses employés par les sociétés Ocf, Vaco et Holding [G] se matérialise par le fait qu'au début de l'année 2003, la totalité du personnel salarié de la société Ocf, créée seulement quelques mois plus tôt, était entièrement constituée d'anciens salariés de la société Edto et de deux membres de la proche famille de l'un de ses anciens directeurs d'établissement, lui-même alors personnellement tenu à l'époque par le jeu d'une clause de non concurrence mais embauché ensuite en qualité d'attaché de direction.

La société Edto soutient en second lieu que ce débauchage massif et simultané a eu pour effet d'opérer un détournement de sa clientèle au profit des sociétés Ocf, Vaco et Holding [G], comme le relève M. [C], dans son rapport d'expertise du 30 juin 2003 : «710 des 1062 clients de Ocf étaient auparavant clients de EDTO et (...) le transfert de ces clients communs chez OCF résulte essentiellement du départ de 6 VRP d'EDTO vers OCF dans le courant du 2ème semestre 2002.».

Mais les intimées soulignent à juste titre qu'aucun des salariés visés dans la requête initiale n'était assujetti à une clause de non concurrence, le seul salarié astreint à une pareille clause étant M. [A] lequel ne l'a pas violée puisque son engagement se terminait le 30 décembre 2003 et qu'il a été embauché par la société Ocf le 2 février 2004.

Par ailleurs, il ne saurait être utilement reproché aux différents salariés recrutés par la société Ocf d'avoir fait usage du savoir qu'ils avaient acquis chez leur précédent employeur. Il ne saurait d'avantage être reproché à la société Ocf d'avoir bénéficié du dit savoir-faire, la preuve d'un débauchage massif ou de man'uvres déloyales de captation de ces salariés n'étant pas rapportée. Il n'est pas démontré de débauchage de salariés par la société Ocf, les nombreux départs de la société Edto s'expliquant par la restructuration des sociétés du groupe par fusion, en particulier Edto/Uffop et les VRP qui jouissaient d'une exclusivité sur leur secteur, s'étant vu imposer un partage territorial. En outre, sur la quarantaine de salariés qui ont ainsi quitté la société Edto, entre juillet 2001, date de la restructuration du groupe [L], et décembre 2003, seuls 11 ont rejoint Ocf, après avoir régulièrement mis fin à leurs contrats de travail.

Il y a donc lieu de confirmer le jugement entrepris, en ce qu'il a jugé que «l'embauche de salariés de la société EDTO par la société OCF et la société Vaco n'a pas eu de caractère massif et simultané».

Sur les modalités du détournement de clientèle commis par les sociétés Ocf, Vaco et Holding [G]

La société Edto soutient en premier lieu que le détournement en amont de sa clientèle a été réalisé directement, par l'intermédiaire de ventes faites par les salariés encore liés à la société Edto, mais au nom et pour le compte de leur futur employeur Ocf. Elle rappelle à ce titre que le salarié qui exerce une activité concurrente de celle de son employeur pendant la durée de son contrat de travail, laquelle inclut la période de préavis, commet un manquement à son obligation générale de loyauté. Si cette activité fautive a été exercée au profit d'une tierce société ayant connaissance du fait que le salarié était toujours lié contractuellement à son précédent employeur, la concurrence déloyale de cette société est démontrée.

La société Edto verse à ce titre aux débats des éléments permettant, selon elle, de rendre compte du détournement de clientèle par M. [M], ancien VRP de la société Edto, pendant une durée de 5 mois de son préavis et de la mise en place, par la société Ocf, de codes VRP «secrets» ne permettant pas d'identifier le réel intermédiaire commercial entre cette société et ses clients pour camoufler les premières ventes réalisées à son profit par trois VRP encore réputés travailler au profit exclusif de la société Edto (MM. [R], [P] et [M]).

Les sociétés Ocf, Vaco et Holding [G] soutiennent que la société Edto ne fait aucunement la démonstration que différents VRP auraient travaillé pour le compte de la société Ocf avant leur départ et précisent en ce sens que la facture versée aux débats par la société Edto permettant, soit disant, de rendre compte du détournement de clientèle par M. [M], ancien VRP de la société Edto, pendant une durée de 5 mois, ne fait pas expressément mention de M. [M]. Les sociétés Ocf, Vaco et Holding [G] démentent à ce sujet l'existence de soit-disant codes VRP «secrets» et font remarquer que le code 3 qui, selon l'expert, correspondrait à M. [P], fait en réalité référence au département de l'Eure, que M. [P] n'a jamais eu d'ailleurs à prospecter.

Or, il résulte des pièces du dossier que M. [M], démissionnaire en juillet 2002 mais en période de préavis jusqu'au 31 octobre 2002, a reconnu avoir, pendant les cinq derniers mois de son préavis, envoyé des clients à la société Ocf et qu'une facture du 6 août 2002 de la société Ocf, adressée à une entreprise faisant partie de sa clientèle, le mentionnait expressément en qualité de représentant, alors qu'à cette date, il était encore le salarié de la société Edto. Il y a lieu de souligner qu'entre le 6 août 2002, date d'envoi de cette facture, et le 23 décembre 2002, date des mesures d'instruction réalisées par Me [O], à l'initiative de la société Edto, la mention du nom de M. [M] a été effacée, ce qui explique que celui-ci n'apparaisse pas sur l'exemplaire appréhendé par l'huissier de justice. Il résulte de l'expertise réalisée par M. [C], nommé par ordonnance du tribunal de grande instance de Montbrisson du 26 février 2003, que l'activité de M. [M] a chuté de 67.000 euros durant le second semestre 2002, par rapport au premier semestre 2002, ce qui constitue un indice de sa faible implication dans la société Edto, durant ses derniers mois d'activité au sein de cette société.

M. [X] a, de même, reconnu avoir travaillé au détriment des sociétés Uffop et Edto, alors qu'il était encore sous l'empire de clauses de non concurrence. L'expertise a révélé l'existence de trois factures émises par la société OCF, les 6 septembre 2002, 17 décembre 2002 et 9 janvier 2003, le mentionnant comme «représentant OCF» et adressées au client «TAC MAB».

Il est donc démontré que la société Ocf utilisait les services de deux salariés, alors qu'elle avait connaissance que ceux-ci étaient encore liés à la société Edto, ce qui constitue un acte de concurrence déloyale.

En revanche, si la société Ocf a réalisé des affaires, d'un montant négligeable, avant d'avoir embauché les six salariés de la société Edto, à l'aide de représentants de commerce identifiés par un code chiffré mais anonymes, il ne saurait en être inféré, en l'absence de tout élément de preuve, que les salariés en cause de la société Edto se cachaient derrière ces identifiants et avaient, avant même de quitter leur employeur, commencé à travailler pour la société Ocf. Par ailleurs, si l'activité de la société Ocf a démarré rapidement grâce au nouvel apport des six VRP embauchés dans le second semestre, ce démarrage rapide témoigne de l'attractivité de la nouvelle société et non d'une prospection anormale. Aucune man'uvre déloyale ne résulte de l'intégration, le 2 février 2004, au sein de la société Ocf, de M. [A], celui-ci ayant respecté la clause de non concurrence le liant à son ancien employeur jusqu'au 31 décembre 2003 et la preuve n'étant pas rapportée qu'il aurait, en relation avec la société Ocf, cherché à encourager les autres salariés à quitter la société Edto par des procédés déloyaux. La preuve de l'implication de la société Vaco dans les agissements des salariés n'est pas davantage rapportée. De la même façon, il n'est pas démontré que la réalisation d'un chiffre d'affaires très bas par MM. [M], [V] et [K], avant leur départ d'Edto, résulte de manoeuvres déloyales au profit de la société Ocf, mais peut s'expliquer par le fort ralentissement de l'activité de la société Edto, les VRP en cause ayant perdu, du fait de la fusion des réseaux commerciaux des trois sociétés du groupe [L], une part importante de leur clientèle. Enfin, si la société Edto fait valoir qu'il ressort du rapport d'expertise que les VRP qui représentaient la force de vente de la société Edto, ont purement et simplement transféré, du jour au lendemain, la clientèle de leur ancien employeur vers la société Ocf, elle ne démontre pas que ce transfert, conséquence logique du transfert de ces VRP, soit le résultat de man'uvres déloyales.

Le jugement entrepris sera donc confirmé en ce qu'il a estimé que l'utilisation par la société Ocf des services de deux salariés, alors qu'elle avait connaissance que ceux-ci étaient encore liés à la société Edto, constitue un acte de concurrence déloyale.

Sur l'imitation du mode fixation du Rotoprofil

La société Edto fait valoir que, commercialisant depuis 1995 à titre exclusif le porte-outil Rotoprofil fabriqué au sein du Groupe Oclid dont elle est membre, la copie du mode de fixation spécifique de ce porte-outil par les sociétés Ocf, Vaco et Holding [G] constitue un acte de concurrence déloyale, par confusion, par économies injustifiées et par parasitisme économique, leur ayant permis de parachever durant l'année 2002 le captage illicite de la clientèle de la société Edto et qu'il importe peu à cet égard le fait que cette dernière puisse ou non se prévaloir d'un droit privatif actuel ou passé sur cet objet.

Mais les sociétés Ocf, Vaco et Holding [G] font valoir, à juste titre que la demande en concurrence déloyale de la société Edto au titre du Rotoprofil doit être déclarée irrecevable, dans la mesure où l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 8 février 2012 qui l'avait jugée infondée est définitif sur ce point, comme l'a retenu la Cour de cassation dans son arrêt du 28 mai 2013.

Sur la réparation du préjudice subi au titre de la concurrence déloyale

Si la société Edto évalue le préjudice résultant de la perte de chiffre d'affaires antérieure au départ de ses salariés à la somme de 150.000 euros de dommages et intérêts, la seule faute de la société Ocf démontrée à son égard est celle d'avoir utilisé les services de deux salariés qui lui étaient encore liés. Le chiffrage du préjudice en résultant ne peut donc être effectué sur la base retenue par la société Edto, beaucoup plus large. Il sera évalué à une part de la baisse d'activité de M. [M] au sein de la société Edto, sur les quatre mois ayant précédé son départ, concernant les clients détournés, qualifiés de «communs», évaluée à 6.600 euros par la société Edto, somme à laquelle il convient d'ajouter le détournement de la clientèle de leur employeur durant cette même période. La cour dispose des éléments nécessaires pour évaluer l'indemnisation du préjudice de la société Edto à ce titre à la somme de 10.000 euros.

Aucune somme ne sera allouée pour perte de chiffre d'affaires postérieure au départ de ces deux salariés, la preuve n'étant pas rapportée qu'ils aient procédé, dans des conditions déloyales à la prospection de leur ancienne clientèle au sein de la société Edto.

Sur la demande de réparation du préjudice moral de la société Edto

La société Edto ne démontre pas en quoi elle aurait subi un préjudice moral du fait de l'attitude d'obstruction de la société Ocf, au demeurant nullement établie. Cette demande sera donc rejetée.

Sur la demande de publication de l'arrêt à intervenir

La société Edto sollicite la publication du présent arrêt. Toutefois, cette mesure de publication n'apparaît pas nécessaire pour assurer une plus ample réparation du dommage de sorte que cette demande sera également rejetée.

Sur la demande des intimées pour procédure abusive

Les intimées ne démontrent pas que la société Edto ait fait un usage abusif de la voie de l'appel. Leurs demandes pour procédure abusive seront donc rejetées.

Sur les demandes de la société Guillaumat et Piel

La société Guillaumat et Piel sollicite sa mise hors de cause dans cette affaire en relevant d'une part qu'aucune responsabilité n'avait été retenue à son encontre dans l'arrêt d'appel rendu le 8 février 2012 et que cela n'a pas été contesté par la Cour de cassation dans son arrêt du 23 mai 2013, d'autre part qu'aucune demande à son encontre n'est formulée dans les écritures des parties principales et enfin, que sur le fond, ce litige, qui tourne autour de la question d'un débauchage de salariés, ne la concerne en rien.

Il y a lieu de mettre la société Guillaumat et Piel hors de la cause.

Sur les dépens et les demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile

Il sera fait masse des dépens de première instance et d'appel qui seront partagés par moitié entre la société Edto et la société Ocf représentée par Maître [J], mandataire ad hoc.

En équité, les demandes formées au titre de l'article 700 du code de procédure civile seront rejetées.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant sur renvoi après cassation :

MET hors de cause la société Guillaumat et Piel,

CONFIRME le jugement, sauf en ce qu'il a constaté un transfert de clientèle au profit de la société Ocf sur l'initiative des salariés embauchés, en ce qu'il a condamné la société Ocf à payer à la société Edto les sommes de 34.143,48 euros et 356.000 euros ainsi que celle de 10.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens, constaté que le porte-outil pouvait permettre une captation de clientèle dans le cadre d'une concurrence déloyale et fait interdiction aux sociétés Ocf, Vaco, Holding [G], Guillaumat et Piel et Outillage Elbé de fabriquer ou commercialiser tout modèle de porte-outils copié servilement sous astreinte de 500 euros par jour,

L'INFIRME sur ces points,

STATUANT à nouveau,

FIXE la créance de la société Edto à l'encontre de la société Ocf représentée par Maître [J], ès qualités de mandataire ad hoc, à la somme de 10.000 euros,

DÉCLARE irrecevable la demande de la société Edto au titre de la concurrence déloyale résultant de la réalisation du porte-outil Rotoprofil,

DÉBOUTE les parties de leurs demandes plus amples ou contraires,

FAIT masse des dépens de première instance et dit qu'ils seront partagés par moitié entre la société Edto et la société Ocf, représentée par Maître [J], ès qualités de mandataire ad hoc,

REJETTE les demandes formées au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Et y ajoutant,

DÉBOUTE la société Edto de ses demandes de réparation de son préjudice moral et de publication de l'arrêt,

DÉBOUTE Maître [J], ès qualités de mandataire ad hoc de la société Ocf, et les sociétés Vaco et Holding [G] de leurs demandes pour procédure abusive,

FAIT masse des dépens d'appel et dit qu'ils seront partagés par moitié entre la société Edto et la société Ocf, représentée par Maître [J], ès qualités de mandataire ad hoc,

AUTORISE Maître Jacques Bellichach, avocat, à recouvrer les dépens dans les conditions de l'article 699 du code procédure civile,

DIT n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile.

Le GreffierConseillère faisant fonction de Présidente

Vincent BRÉANTDominique MOUTHON VIDILLES


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 5 - chambre 4
Numéro d'arrêt : 14/10399
Date de la décision : 23/11/2016

Références :

Cour d'appel de Paris I4, arrêt n°14/10399 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2016-11-23;14.10399 ?
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