Notification par LRAR aux parties le :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 5 - Chambre 1
ORDONNANCE DU 09 NOVEMBRE 2016
(n°126/2016, 10 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : 15/22537, 15/22539, 15/24388, 15/24399
Décisions déférées :
15/22537 : Ordonnance rendue le 15 Septembre 2015 par le Juge des libertés et de la détention de CRETEIL
15/22539 : Recours à l'encontre du procès verbal du procès de visite et de saisie en date du 24 septembre 2015 dans les locaux et dépendances sis [Adresse 1]
15/24388 : Ordonnance rendue le 15 Septembre 2015 par le Juge des libertés et de la détention de CRETEIL
15/24399 : Ordonnance rendue le 15 Septembre 2015 par le Juge des libertés et de la détention de CRETEIL
Nature de la décision : Contradictoire
Nous, [K] [V], Conseiller à la Cour d'appel de PARIS, délégué par le Premier Président de ladite Cour pour exercer les attributions résultant de l'article L16B du Livre des procédures fiscales, modifié par l'article 164 de la loi n°2008-776 du 04 août 2008 ;
assisté de [W] [R], greffier lors des débats ;
Avons rendu l'ordonnance ci-après :
ENTRE :
SNC PHARMACIE [P]
Immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés de CRETEIL sous le numéro [P]
Agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés ès qualités audit siège
[Adresse 1]
[Adresse 1]
Représentée et ayant pour avocat plaidant Me Eric PLANCHAT de la SCP NATAF ET PLANCHAT, avocat au barreau de PARIS
Appelante et demanderesse au recours
et
DIRECTION NATIONALE D'ENQUÊTES FISCALES
[Adresse 2]
[Adresse 2]
Représentée et ayant pour avocat plaidant Me Jean DI FRANCESCO de la SCP URBINO
Intimée et défenderesse au recours
***
Et après avoir entendu publiquement, à notre audience du 07 septembre 2016, les conseils des parties,
Les débats ayant été clôturés avec l'indication que l'affaire était mise en délibéré au 26 octobre 2016 prorogée au 09 Novembre 2016 pour mise à disposition de l'ordonnance au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.
***
Le 15 septembre 2015, le vice-président, juge des libertés et de la détention (ci-après JLD) de CRETEIL a rendu une ordonnance en application des articles L16 et L 16 B-1 du livre des procédures fiscales (ci-après LPF) à l'encontre de :
- La société en nom collectif (SNC) Pharmacie [P], représentée par M.[G] [P], dont le siège est sis [Adresse 1] , et qui a pour activité l'exploitation d'une « officine de pharmacie ».
Le JLD indiquait dans son ordonnance que la SNC Pharmacie [P] serait présumée minorer son chiffre d'affaires tant en matière d'impôt sur le revenu que de taxes sur le chiffre d'affaires en omettant sciemment de passer l'intégralité de ses écritures comptables.
Et ainsi serait présumée s'être soustraite et/ou se soustraire à l'établissement et au paiement de l'impôt sur les bénéfices et de la taxe sur le chiffre d'affaires (TVA), en se livrant à des achats ou des ventes sans facture, en utilisant ou en délivrant des factures ou des documents ne se rapportant pas à des opérations réelles ou en omettant sciemment de passer ou de faire passer des écritures ou en passant ou en faisant passer sciemment des écritures inexactes ou fictives dans des documents comptables dont la tenue est imposée par le Code général des impôts (articles 54 pour les BIC et 286 pour la TVA).
La requête de la Direction Générale des Finances Publiques (ci-après DGFP) était accompagnée de 19 pièces ou annexes.
S'agissant de la SNC Pharmacie [P] visée par la requête de la DGFP, cette dernière faisait valoir que cette société exerçait dans le domaine de la pharmacie et avait satisfaisait à ses obligations déclaratives.
Selon les indications de l'administration fiscale, ses services auraient le 4 mars 2014 consigné des informations communiquées par une personne souhaitant garder l'anonymat et relatives aux fonctionnalités permissives du logiciel LGPI.
Des recherches effectuées, il ressortirait que le logiciel LGPI ou ' LGPI Global services' mis en place et commercialisé par la société PHARMAGEST INTERACTIVE est un logiciel de gestion officinal alliant modernité et performance. Ladite société, leader français de l'informatique officinale totalisant 43% des parts de marché, a pour siège : [Adresse 3] et pour activité 'les prises de participation, par accords, souscriptions, achats d'actions, gestion, contrôle... recherche et élaboration de concepts et de logiciels'.
La société sus-mentionnée disposerait d'un réseau regroupant 23 établissements sur le territoire national et ayant notamment comme activité le conseil en systèmes et logiciels informatiques ... et l'édition de logiciels système et de réseaux.
S'agissant du logiciel LGPI, il accompagnerait au quotidien le pharmacien dans ses activités de professionnel de santé, de commerçant, de chef d'entreprise, de gestionnaire et de manager.
Selon les informations retranscrites par les services fiscaux, le logiciel développé par la société PHARMAGEST INTERACTIVE SA offrirait au pharmacien la possibilité de supprimer certaines factures comptables et/ou non comptables.
Ainsi le logiciel LGPI Global Services :
-permettrait de supprimer certaines factures, par une suppression des factures comptables (réparation d'une erreur) et disposerait d'un module permettant d'effectuer des suppressions non comptables sans altérer les achats et la gestion des stocks.
-pour réaliser ces suppressions non comptables de factures l'utilisateur activerait le module 'cession d'officine' à partir du menu Utilitaires/listes Cessions d'officines/purge des données, le choix purgerait des données et ferait apparaitre un écran demandant le nom de l'opérateur et son mot de passe, protégeant ainsi l'opération qui ne serait accessible que par le détenteur du mot de passe.
Il s'en déduirait que le logiciel commercialisé sous le nom de LGPI et édité par la SA PHARMAGEST INTERACTIVE serait susceptible de comporter des fonctionnalités permissives directement accessibles à l'aide d'un mot de passe associé à l'utilisateur et remis nominativement. Il pourrait être présumé que le logiciel LGPI serait susceptible de permettre l'annulation d'une partie des recettes journalières sans en conserver de traces informatiques.
Par ailleurs, la DGFP a adressé et obtenu le 3 juin 2015 du Parquet de PARIS, dans le cadre des dispositions des articles L81 et L82 C du LPF, une demande d'autorisation de consulter et de prendre en copie les pièces du dossier PHARMAGEST, N° P15.036.000120.
Des investigations réalisées par les services fiscaux, il ressortirait que la transmission du mot de passe ne s'effectuerait pas de manière automatique mais résulterait d'une demande expresse de l'utilisateur/client de la société PHARMAGEST. Dès lors, les informations communiquées par la personne souhaitant conserver l'anonymat seraient corroborées et il pourrait être présumé que le logiciel LGPI développé et édité par la société PHARMAGEST permettrait l'annulation d'une partie des recettes imposables sans en conserver de traces informatiques.
Il serait en outre établi que la pharmacie [P] est cliente de la société PHARMAGEST INTERACTIVE et disposerait de ce logiciel.
De surcroît, un courriel présent dans le fichier messagerie de Mme [T] [Z], employée de la société PHARMAGEST INTERACTIVE en date du 12 septembre 2008 mentionne en objet « demande de mot de passe cession d'officine » et précise « un client PRIMORIS qui passe LGPI /.../ souhaiterait avoir son code de cession officine. Pourrais-tu le lui faire parvenir pour lundi /.../ », le courriel précisant que le client est la pharmacie [P].
Enfin le 27 juillet 2015 lors d'achats effectués dans la pharmacie SNC Pharmacie [P], une facture a été éditée et à cette occasion il a été constaté qu'à partir de l'espace réservé au public le logo 'LGPI' apparaissait sur les écrans du matériel informatique de caisse. En conséquence il pourrait être présumé que la SNC Pharmacie [P] utiliserait les fonctions permissives du logiciel de caisse LGPI commercialisé par la société PHARMAGEST INTERACTIVE SA et ainsi minorerait son chiffre d'affaires en matière d'impôt sur le revenu et de taxes sur le chiffre d'affaires et dès lors ne procéderait pas à la passation régulière des écritures comptables y afférentes.
Le groupement d'intérêt économique (GIE) VALPHARMA a pour siège social également le [Adresse 1] et pour liquidateur M. [G] [P].
Il pourrait être présumé que les locaux sis [Adresse 1], occupés par la SNC Pharmacie [P] et/ou le GIE VALPHARMA seraient susceptibles de contenir des documents et/ou supports d'information relatifs à la fraude présumée.
En conséquence, la DGFP estime qu'il existerait des présomptions selon lesquelles :
-La SNC Pharmacie [P] serait présumée minorer son chiffre d'affaires tant en matière d'impôt sur le revenu que de taxes sur le chiffre d'affaires, en omettant sciemment de passer l'intégralité de ses écritures comptables .
Et qu'ainsi cette entité serait présumée s'être soustraite et/ou se soustraire à l'établissement et au paiement de l'impôt sur le revenu, ou les bénéfices, ou des taxes sur le chiffre d'affaires, en se livrant à des achats ou des ventes sans facture, en utilisant ou en délivrant des factures ou des documents ne se rapportant pas à des opérations réelles ou en omettant sciemment de passer ou de faire passer des écritures ou en passant ou en faisant passer sciemment des écritures inexactes ou fictives dans des documents comptables dont la tenue est imposée par le Code général des impôts (articles 54 pour les BIC et 286 pour la TVA).
Le JLD de CRETEIL sur la base des éléments laissés à son appréciation, a donc délivré une ordonnance de visite et de saisie prévue à l'article L16 B du LPF.
Les opérations de visite et de saisies se sont déroulées le 24 septembre 2015 dans les locaux et dépendances situés :
- [Adresse 1], susceptibles d'être occupés par la société en nom collectif (SNC) Pharmacie [P]
- [Adresse 4], susceptibles d'être occupés par [G] [P] et/ou [D] [B] épouse [P] et/ou [P] [I] et/ou [P] [G] et/ou [P] [B] et/ou [Q] [C] et/ou [O] [C].
Suite aux appels et au recours formés par la société ,la SNC Pharmacie [P] l'affaire a été audiencée pour être plaidée le 7 septembre 2016 et mise en délibéré pour être rendue le 26 octobre 2016, prorogé au 9 novembre 2016.
Dans l'intérêt d'une bonne administration de la Justice, il convient en application de l'article 367 du Code de procédure civile, et eu égard aux liens de connexité entre certaines affaires de joindre les instances enregistrées sous les numéros RG 15/24399, RG 15/22537, RG 15/24388 (appels) et RG 15/22539 (recours) lesquelles seront regroupées.
Par dernières conclusions en réplique, le conseil de la SNC Pharmacie [P] fait valoir :
A- SUR LES APPELS -
A. Sur la régularité des pièces 1-2 et 1-3
-Sur la possibilité de contester la régularité des pièces en raison de l'irrégularité de la mise en oeuvre du droit de communication
L' appelante soutient qu'il appartient au juge d'appel de vérifier que l'administration a obtenu de manière licite les pièces qu'elle a produite à l'appui de sa requête d'autorisation.
Le constat par le magistrat de l'autorisation de l'exercice du droit de communication ne suffit plus à considérer les pièces produites comme ayant une origine licite.
Ce droit doit avoir été exercé de manière régulière.
-Sur le droit de communication prévu par l'article L 82 C du LPF
Selon l'appelante aux termes de l'article L 82 C du LPF, à l'occasion de toute instance devant les juridictions civiles ou criminelles, le ministère public peut communiquer les dossiers à l'administration des finances.
Or, selon le Conseil d'Etat, au regard des dispositions prévues par l'article 170 du LPF, l'enquête préliminaire qui se déroule sous l'autorité d'un membre du ministère public ne peut pas être considérée comme une instance devant un tribunal, dès lors que le Procureur de la République ne peut pas être qualifié de tribunal de sorte que la régularité de l'exercice du droit de communication, prévu par l'article L 82 C du LPF, est conditionnée par l'intervention d'un juge dans le cadre d'une instance civile ou criminelle.
Elle cite également une décision du tribunal administratif de DIJON à l'appui de son argumentation.
Elle soutient qu'en l'espèce la SNC pharmacie [P], selon l'ordonnance attaquée, aurait pu utiliser les fonctions permissives du logiciel LGPI dès lors qu'elle aurait possédé un mot de passe permettant d'accéder à ces fonctions et que l'ordonnance se fonde sur les pièces 1-2 et 1-3 qui ont été obtenues auprès du parquet de PARIS dans le dossier PHARMAGEST référence n°15.036.000120, Parquet de PARIS, section F2.
Elle conclut qu'en l'absence de toute instance devant une juridiction pénale, l'administration, dans le cadre d'une enquête préliminaire,ne pouvait adresser son droit de communication prévu par l'article L 82 C du LPF et que la production des deux pièces illicites par l'administration doit entrainer l'annulation de l'ordonnance ainsi obtenue dès lors que sans la production de ces pièces, l'autorisation n'aurait pas été accordée.
B- Sur la violation des dispositions prévues par l'article 8 de la convention européenne des droits de l'homme (ci-après CEDH)
La société appelante fait valoir que la procédure de visite et de saisie prévue par l'article L 16 B du LPF constitue une ingérence dans le respect de la vie privée et du domicile qui est en principe proportionnée aux buts légitimes poursuivis et donc compatible avec les stipulations de l'article 8 de la CEDH.
En conséquence, le contrôle de proportionnalité doit donc être exercé par un juge saisi d'un appel à l'encontre d'une ordonnance autorisant une mesure de visite domiciliaire.
Enfin l'article 14 de la loi n° 2013-1117 du 6 décembre 2013 relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière a modifié le texte de l'article L 47 A du LPF pour permettre dans le cadre d'un contrôle inopiné de saisir des fichiers du logiciel de comptabilité informatique.
Dans ces conditions, la visite des locaux de la SNC Pharmacie [P] était disproportionnée par rapport au but poursuivi et l'ordonnance devra être annulée.
C- L'objet de l'ordonnance est incompréhensible
L'ordonnance en date du 15 septembre 2015 est incompréhensible dans sa formulation dès lors qu'il a été utilisé le terme ou à la place de où et ce dans le paragraphe suivant « ' à procéder conformément aux dispositions de l'article L 16 B, aux visites et saisies nécessitées par la recherche de la preuve des agissements présumés dans les lieux désignés ci-après ou des documents et des supports d'informations illustrant la fraude présumée sont susceptibles de se trouver à savoir : (') ».
De ce seul fait l'ordonnance devra être annulée.
D- L'autorisation de visite domiciliaire pré-rédigée par l'administration
L'ordonnance attaquée rendue par le JLD de CRETEIL est rédigée dans des termes strictement identiques à ceux d'une autre ordonnance rendue le même jour par le JLD d'EVRY et visant la même société.
Selon l'appelante, l'ordonnance attaquée paraît avoir été pré-rédigée par la Direction nationale des enquêtes fiscales et les présomptions retenues émanent exclusivement de l'auteur de la demande d'autorisations de visites domiciliaires et ainsi le JLD de CRETEIL n'a donc pas effectué le contrôle effectif et réel du bien fondé de la demande d'autorisation qui lui a été soumise.
Eu égard au non respect des dispositions de l'article 6!1 de la CEDH et des articles 455 et 458 du code de procédure civile, l'appelante demande l'annulation de l'ordonnance querellée.
Par conclusions en réponse en date du 8 juillet 2016, la DGFI fait valoir :
A) Sur les dispositions de l'article L 82 C du LPF (version en vigueur jusqu'au 31/12/2015) et la jurisprudence du Conseil d'Etat (CE 30/12/2014 n°371652) et celle du tribunal administratif de DIJON (13/05/2015 n°14 02341).
Elle indique qu'il est effectif que l'arrêt du Conseil d'Etat précité a considéré, en analysant les conditions d'application de l'ancien article L 170 du LPF (devenu L 188 C), que l'ouverture d'une enquête préliminaire par le ministère public ne pouvait être assimilée à l'ouverture d'une instance devant une juridiction répressive. Il a ainsi censuré la prorogation du délai de reprise opposé par le service vérificateur.
Elle expose que les dispositions de l'ancien article L 170 du LPF (L 188 C) prévoient un délai de reprise exceptionnel en cas d'omissions ou d'insuffisances d'imposition révélées par une instance devant les tribunaux ou par une réclamation contentieuse allant jusqu'à la fin de la dixième année suivant celle de la décision qui a clos l'instance et, au plus tard, jusqu'à la fin de la dixième année qui suit celle au titre de laquelle l'imposition est due.
Au cas particulier, le rapporteur public a placé le débat uniquement sur le terrain du délai exceptionnel de prescription ouvert par l'article L 170 du LPF (L 188 C) en précisant que « la présente affaire vous impose de préciser les contours de la notion d'instance devant les tribunaux au sens de cet article en décidant si l'ouverture d'une enquête préliminaire et l'examen des poursuites par le ministère public méritent, en matière répressive, cette qualification ». Dans cette perspective, le délai spécial de reprise vient en complément du droit de communication ouvert à l'administration fiscale auprès de l'autorité judiciaire et il n'est pas illogique de penser que les dispositions relatives au délai de prescription ne sont pas de même nature que celles relatives au droit de communication. Ces dernières sont en effet des règles de procédure alors que les premières sont des règles de fond.
Selon la DGFP, l'article L 188 C du LPF constitue une disposition dérogatoire au droit commun et doit, par conséquent, être interprété strictement.
L'administration soutient également que le tribunal administratif de DIJON a donné une interprétation erronée de l'article L 82 C et à l'arrêt du Conseil d'Etat une portée qu'en tout état de cause il n'avait pas.
Enfin la loi n° 2015-1786 du 29 décembre 2015 ' article 92 qui a modifié l'article L 188 C en substituant le terme « procédure judiciaire » à celui « d'instance » est venue également modifier les articles L 82 C du LPF dans les mêmes termes.
L'administration considère que la modification des ces deux derniers articles a une valeur simplement interprétative qui ne remet aucunement en cause la légalité des documents obtenus auprès des autorités judiciaires dans le cadre de leurs anciennes rédactions.
En conséquence, la caractère licite des pièces obtenues dans le cadre du droit de communication visé à l'article L 82 C du LPF ne peut être remis en cause et c'est à bon droit que le JLD a pu les retenir dans son ordonnance.
B-Sur le contrôle de proportionnalité et le respect de la CEDH
L'administration conteste les allégations de l'appelante selon lesquelles il existe une absence de contrôle du JLD du fait d'une ordonnance pré-rédigée, identique à une ordonnance rendue par un autre JLD.
Elle considère également qu'elle pouvait recourir aux dispositions de l'article L 47 du LPF plutôt que de mettre en 'uvre la procédure prévue à l'article L 16 B du LPF.
La DGFP cite plusieurs arrêts de la Cour de cassation à l'appui de son argumentation et indique que rien n'autorise l'appelante à suspecter que le juge se soit dispensé de contrôler les pièces qui étaient soumises à son appréciation, avant de rendre, dans le délai de délibéré qu'il avait décidé, l'ordonnance autorisant la mise en 'uvre de la procédure de visite domiciliaire.
Concernant le respect des dispositions de la CEDH, elle cite plusieurs décisions, à savoir celle du 31 août 2010 de la CEDH et plusieurs arrêts de la chambre commerciale de la Cour de Cassation qui ont jugé que les dispositions de l'article L 16 B du LPF assurent conciliation du principe de la liberté individuelle ainsi que du droit d'obtenir un contrôle juridictionnel effectif de la décision prescrivant la visite avec les nécessités de la lutte contre la fraude fiscale, au visa des articles 6§1, 8 et 13 de la convention.
Par ailleurs s'agissant plus particulièrement du contrôle de proportionnalité , l' appelante soutient que l'administration pouvait recourir à la procédure prévue à l'article 47 du LPF, cependant la Cour de cassation a toujours jugé qu'aucune texte n'impose au juge de vérifier si l'administration pouvait recourir à d'autres modes de preuves .
C- Sur l'objet de l'ordonnance
L'administration soutient qu'il ne peut pas être sérieusement prétendu que l'objet de l'ordonnance serait incompréhensible au seul motif de l'absence d'un accent sur le mot « ou ».
En conséquence la DGFP demande de :
- Confirmer en toutes ses dispositions de l'ordonnance rendue le 15 septembre 2015 par le JLD de PARIS
- Rejeter toutes autres demandes, fins ou conclusions
- Condamner l'appelante à lui verser la somme de 2000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
SUR CE
Considéqu'aux termes de l'article L.16 B du LPF, l'autoritéjudiciaire peut autoriser l'administration àeffectuer une visite domiciliaire lorsqu'il existe des préqu'un contribuable se soustrait àl'éou au paiement de l'impôsur le revenu ou les bééou de la taxe sur la valeur ajouté, pour rechercher la preuve de ces agissements ;
Considérant que le juge de l'autorisation n'étant pas le juge de l'impôt, il n'avait pas à rechercher si les infractions étaient caractérisées, mais seulement s'il existait des présomptions de fraude justifiant l'opération sollicitée ;
Considérant que l e débat contradictoire et de l'accès effectif au juge se déroule devant le Premier Président de la Cour d'appel, qu'à la suite à l'arrêt du 21 février 2008 (arrêt RAVON), la Cour européenne des droits de l'homme avait estimé que les sociétés ou les personnes physiques devaient bénéficier d'un contrôle juridictionnel effectif tant sur l'ordonnance d'autorisation que sur les opérations de visite et de saisie;
Considérant que cette évolution jurisprudentielle s'est traduite dans la modification apportée par l'article 164 de la loi 2008-776 du 4 août 2008, qui a instauré dans les textes ce contrôle juridictionnel effectif devant le Premier Président, ce que l'appelante a effectué en contestant à la fois l'autorisation et en exerçant un recours contre les opérations de visite et de saisie;
Considérant qu'aux termes de l'article L.82 C du LPF (version antérieure à la loi du 29 décembre 2015), « à l'occasion de toute instance devant les juridictions civiles ou criminelles, le Ministère Public peut communiquer les dossiers à l'administration des finances »; qu'aux termes de l'article 170 du LPF pour l'application de cette disposition aux juridictions répressives, seule la saisine d'un juge d'instruction ou la saisine directe d'une juridiction pénale doivent être regardées comme un engagement de poursuite ouvrant une instance ; qu'à contrario l'ouverture d'une enquête préliminaire ou l'examen des poursuites par le Ministère Public ne sauraient avoir un tel effet, la notion d'instance étant conditionnée par la présence d'un juge et de parties;
Considérant que le délégué du Premier Président doit, dans le cadre de l'effet dévolutif de l'appel, examiner l'autorisation querellée à la date à laquelle celle-ci a été rendue à savoir le 15 septembre 2015;
Considérant que l'ordonnance contestée se fonde sur les pièces 1-2 et 1-3 qui ont été demandées et obtenues auprès du parquet de PARIS dans le dossier PHARMAGEST référence n°15.036.000120, Parquet de PARIS, section F2 le 3 juin 2015; que l'examen de ces pièces fait apparaître que la société [P] disposait du logiciel permissif LGPI depuis le 15/09/2008 et qu'un courriel de ladite pharmacie avait demandé le mot de passe nécessaire à l'utilisation de la fonction « cession d'officine »;
Considérant que ces pièces obtenues suite au droit de communication sus-mentionné sont mentionnées dans la requête et l'autorisation et qu'elles constituent la motivation essentielle ayant déterminé le premier juge à délivrer son ordonnance de visite et de saisie ;
Considérant qu'il est vain d'invoquer, comme le fait l'administration, les dispositions de l'ancien article 170 du LPF et notamment le droit de reprise exceptionnel lequel ne s'applique pas au cas d'espèce;
Considérant que si la loi n° 2015-1786 du 29 décembre 2015 ' article 92 a modifié l'article L 188 C en substituant le terme « procédure judiciaire » à celui « d'instance » et venue également modifier l' article L 82 C du LPF dans les mêmes termes, celle-ci est postérieure à la fois à la demande de communication de l'administration et à l'ordonnance du juge des libertés et de la détention ;
Considérant en conséquence, que l'obtention des pièces précitées dans le cadre du droit de communication, n'a pas respecté les dispositions de l'article L 82 C du LPF, ancienne rédaction, et a donc vicié la procédure ;
Considérant qu'il convient de faire droit à la demande d'annulation de l'ordonnance délivrée le 15 septembre 2015 par le juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance de CRETEIL et celle subséquente du juge des libertés et de la détention d'EVRY ;
Considérant, eu égard aux arguments ci-dessus développés, qu'il n' y pas de de statuer sur les autres moyens et sur le recours contre les opérations de visite et de saisie à l'encontre de la SNC Pharmacie [P] effectuées le 24 septembre 2015.
PAR CES MOTIFS
Ordonnons la jonction des instances enregistrées sous les numéros RG 15/24399, RG 15/22537, RG 15/24388 (appels) et RG 15/22539 (recours) lesquelles seront regroupées
Annulons l'ordonnance prononcée le 15 septembre 2015 par le juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance de CRETEIL , celle subséquente du juge des libertés et de la détention d'EVRY et les opérations de visite et de saisie en date du 24 septembre 2015
Disons n'y avoir pas lieu de prononcer de condamnation sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile
Condamnons le Directeur général des finances publiques aux dépens.
LE GREFFIER
[W] [R]
LE DÉLÉGUÉ DU PREMIER PRESIDENT
[K] [V]