Grosses délivréesRÉPUBLIQUE FRANÇAISE
aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 1 - Chambre 1
ARRET DU 08 NOVEMBRE 2016
(n° , 5 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : 15/19327
Décision déférée à la Cour : Jugement du 22 Mai 2015 -Tribunal de Grande Instance de PARIS - RG n° 12/17513
APPELANT
Monsieur [L] [S] né le [Date naissance 1] 1989 à [Localité 1] - [Localité 2] (Cote d'Ivoire)
[Adresse 1]
[Localité 2] 01
COTE D'IVOIRE
représenté par Me Stéphanie CALVO, avocat au barreau de PARIS, toque : A0599
INTIME
Le MINISTÈRE PUBLIC agissant en la personne de Monsieur le PROCUREUR GÉNÉRAL près la Cour d'Appel de PARIS
élisant domicile en son parquet au [Adresse 2]
représenté par Monsieur AUFERIL, substitut général
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 786 et 910 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 30 septembre 2016, en audience publique, le rapport entendu, l'avocat de l'appelant et le Ministère Public ne s'y étant pas opposé, devant Madame SALVARY, conseillère, chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de:
Madame GUIHAL, conseillère, faisant fonction de présidente
Madame SALVARY, conseillère
Monsieur MULLIEZ, conseiller, appelé pour compléter la cour conformément aux dispositions de l'ordonnance de roulement portant organisation des services rendue le 22 août 2016 par Madame le premier président de la cour d'appel de PARIS
Greffier, lors des débats : Madame Mélanie PATE
MINISTÈRE PUBLIC : représenté lors des débats par Monsieur AUFERIL, avocat général, qui a développé oralement ses conclusions écrites
ARRET :
- CONTRADICTOIRE
- prononcé publiquement par Madame Dominique GUIHAL, conseillère, faisant fonction de présidente de chambre.
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Madame Dominique GUIHAL, conseillère, faisant fonction de présidente et par Madame Mélanie PATE, greffier présent lors du prononcé.
Vu le jugement du tribunal de grande instance de Paris en date 22 mai 2015 qui a débouté le ministère public de sa demande de sursis à statuer, déclaré M. [L] [S], né le [Date naissance 1] 1989 à [Localité 1] (Côte d'Ivoire) irrecevable à faire la preuve qu'il a, par filiation, la nationalité française, constaté qu'il est réputé avoir perdu la nationalité française le 1er octobre 2008, ordonné la mention prévue à l'article 28 du code civil et mis les dépens à la charge de M. [L] [S] ;
Vu l'acte d'appel en date du 29 septembre 2015 et les conclusions signifiées au ministère public le 9 septembre 2016 par lesquelles M. [L] [S] demande à la cour d'infirmer le jugement, de dire qu'il est de nationalité française, d'ordonner les mentions prévues aux articles 28 et 28-1 du code civil, et de mettre les frais et dépens à la charge de l'Etat ;
Vu les conclusions du ministère public signifiées à l'appelant le 29 mars 2016 sollicitant la confirmation du jugement en ce qu'il a dit M. [L] [S] irrecevable à revendiquer la nationalité française par filiation et constaté qu'il avait perdu la nationalité française à une date qu'il appartiendra à la cour de fixer, d'ordonner la mention prévue par l'article 28 du code civil, de laisser les frais irrépétibles et les dépens à la charge de l'appelant ;
SUR QUOI
Sur l'application de l'article 30-3 du code civil
Considérant qu'aux termes de l'article 30-3 du code civil, 'lorsqu'un individu réside ou a résidé habituellement à l'étranger, où les ascendants dont il tient par filiation la nationalité sont demeurés fixés pendant plus d'un demi-siècle, cet individu ne sera plus admis à faire la preuve qu'il a, par filiation, la nationalité française si lui-même et celui de ses père et mère qui a été susceptible de la lui transmettre n'ont pas eu la possession d'état de Français. Le tribunal devra dans ce cas constater la perte de la nationalité française dans les termes de l'article 23-6" ;
Que l'article 23-6 du même code dispose que 'le jugement détermine la date laquelle la nationalité française a été perdue. Il peut décider que cette nationalité a été perdue par les auteurs de l'intéressé et que ce dernier n'a jamais été français' ;
Considérant que le ministère public fait valoir que M. [L] [S] se dit français par sa mère, [Y] [T], née le [Date naissance 1] 1960 à [Localité 3], en Guinée; que l'appelant a résidé en Côte d'Ivoire depuis sa naissance et que sa mère n'a jamais résidé en France ; qu'il est en conséquence justifié, à la date de l'assignation, d'une fixation des ascendants de l'appelant à l'étranger depuis plus d'un demi-siècle ; que ni Mme [Y] [T], ni l'appelant ne disposent d'éléments de possession d'état de Français ; que les conditions cumulatives de l'article 30-3 du code civil sont ainsi réunies sans que la situation, cristallisée au jour de l'assignation du procureur de la République devant le tribunal de grande instance, ne puisse être 'régularisée' en cours de procédure, y compris à la suite d'un jugement rendu le 22 mai 2015 constatant la nationalité française de Mme [Y] [T], laquelle ne constitue pas en tout état de cause un élément de possession d'état de Français ;
Considérant que M. [L] [S] soutient à titre principal que les articles 23-6 et 30-3 du code civil ne sont pas applicables à sa situation en relevant, d'un part, que les personnes natives ou ressortissantes d'un territoire anciennement sous souveraineté française n'entrent pas dans le champ d'application des articles 23-6 et 30-3 du code civil et que l'appelant relève des dispositions dérogatoires du chapitre VII, d'autre part, que le jugement définitif rendu le 22 mai 2015 constatant la nationalité française de la mère de l'appelant est opposable erga omnes et a un caractère déclaratif, donc rétroactif, qui a profité à M. [L] [S] dont la mère était française le jour de sa naissance, enfin que la date supposée de perte de la nationalité française par M. [L] [S], qu'il s'agisse de celle retenue par le tribunal (1er octobre 2008) ou de celle proposée par le ministère public (13 février 2010) ne repose sur aucun fondement juridique;
Qu'à titre subsidiaire, M. [L] [S] fait valoir que la fin de non-recevoir posée par l'article 30-3 du code civil a fait l'objet d'une régularisation conformément aux dispositions de l'article 126 alinéa 1 du code de procédure civile puisque par jugement du 22 mai 2015 la mère de l'appelant a été déclarée de nationalité française, ce qui caractérise sa possession d'état de Française, à l'instar de la transcription de l'acte de naissance français de l'intéressée le 1er février 2016 par le consulat de France en Guinée et l'établissement de son passeport français le 23 mars 2016, qu'aucune disposition n'impose que les éléments de possession d'état soient acquis à la date anniversaire des 50 ans des Indépendances ou de l'ascendant visé par l'article 30-3 du code civil ou encore à la date introductive d'instance ; qu'une autre analyse serait constitutive d'une rupture d'égalité de traitement entre les Français selon leur lieu de naissance ; que de même, le principe d'égalité devant la loi interdit d'enfermer l'action déclaratoire de nationalité dans un délai alors que l'action du ministère public pour faire constater l'extranéité d'un individu n'en connaît pas ;
Considérant que les dispositions de l'article 30-3 du code civil sont applicables aux personnes natives ou ressortissants des territoires anciennement sous souveraineté française, aucune distinction n'étant à faire selon les circonstances dans lesquelles le demandeur et ses ascendants se sont établis ou sont demeurés fixés à l'étranger; que l'existence de dispositions spécifiques en matière d'effets sur la nationalité française de l'accession à l'indépendance d'anciens départements ou territoires d'outre-mer de la République, prévues au chapitre VII, ne rend pas inapplicables aux intéressés les disposition prévues par l'article 30-3 du code civil inséré dans la section relative à la preuve de la nationalité devant les tribunaux au sein du Titre I bis -chapitre VI du code civil, intitulé 'Du contentieux de la nationalité' ; que la référence aux 'Français d'origine par filiation', dont l'appelant entend tirer la non application de l'article 30-3 du code civil à sa situation , ne ressort pas de ces dispositions mais de celles de l'article 23-6 du même code auquel l'article 30-3 ne renvoie que pour fixer les modalités de constat de la perte de la nationalité française ; qu'en tout état de cause, cette expression vise à distinguer la nationalité française d'origine 'par la naissance en France' (section II du chapitre II du Titre I bis du code civil) de celle 'de la nationalité française d'origine 'par filiation' (section I du chapitre II du Titre I bis du code civil) qui seule est concernée par les articles 23-6 et 30-3 du code civil, et nullement à exclure les personnes 'originaires' de territoires anciennement sous souveraineté française ;
Considérant que M. [L] [S] se dit français par filiation au visa de l'article 18 du code civil en sa qualité de fils de Mme [Y] [T] épouse [S], elle même française pour être la fille de parents français ce que le tribunal de grande instance de Paris a reconnu par jugement définitif du 22 mai 2015 ;
Considérant qu'il n'est pas contesté que M. [L] [S] est né et a toujours vécu en Côte d'Ivoire ; qu'en atteste le certificat de résidence établi le 15 octobre 2012 par la préfecture de police d'[Localité 2] (Côte d'Ivoire) qui le dit domicilié à [Localité 1] et être 'en résidence régulière' à [Localité 2] depuis la naissance, domicile indiqué également par l'intéressé dans l'assignation délivrée devant le tribunal de grande instance de Paris le 13 septembre 2012 ;
Considérant que la condition légale relative à la résidence de l'appelant est donc remplie ;
Considérant que M. [L] [S] ne présente par ailleurs aucun élément de possession d'état de Français ;
Considérant que la mère de M. [L] [S] vit à l'étranger depuis sa naissance survenue le [Date naissance 1] 1960 à [Localité 3] en Guinée, ce territoire ayant accédé à l'indépendance le 1er octobre 1958 ; que le tribunal relève à juste titre que la propriété d'un appartement acquis en France en 1989 par Mme [Y] [T] ne prouve pas que celle-ci y a fixé sa résidence ; qu'elle s'est mariée à [Localité 2] en Côte d'Ivoire le 31 octobre 1985, que ses trois enfants y sont nés en 1987, 1989 et 1994 ; que le certificat de résidence établi le 15 octobre 2012 par la préfecture de police d'[Localité 2], mentionne qu'elle est domiciliée à [Localité 1] (Côte d'Ivoire) et qu'elle a sa résidence régulière à [Localité 2] depuis 1979 ; qu'elle résidait donc à l'étranger le 14 février 2010, soit plus d'un demi-siècle après sa naissance;
Qu'il s'en suit que la condition posée par l'article 30-3 du code civil tenant à la fixation à l'étranger de l'ascendant de l'appelant dont ce dernier tient par filiation la nationalité française est acquise à la date du 14 février 2010 ;
Considérant que le fait que Mme [T] ait été reconnue française par filiation par jugement définitif du tribunal de grande instance de Paris en date du 22 mai 2015, sur une saisine de l'intéressée en date du 13 septembre 2012, ne suffit pas à caractériser une possession d'état de Français durant la période antérieure au 14 février 2010 ;
Considérant que les seuls autres éléments invoqués par l'appelant pour établir la possession d'état de Français de sa mère (tels la transcription de son acte de naissance le 1er février 2016 par le consulat de France en Guinée et l'établissement de son passeport français le 23 mars 2016) sont tous postérieurs à ce jugement ; qu'ils ne sauraient donc être pris en compte pour anéantir les effets de la perte par M. [L] [S], à la date du 14 février 2010, de sa nationalité française, sans qu'aucune 'régularisation' ne puisse intervenir en cours de procédure ;
Que par ailleurs les dispositions de l'article 30-3 du code civil, qui ne constituent pas un délai de prescription de l'action mais ont trait au régime probatoire de la nationalité française, ne viennent pas rompre l'égalité devant la loi selon qu'il s'agirait d'une action négatoire ou déclaratoire de nationalité française tel qu'allégué par l'appelant; qu'elles n'introduisent pas davantage une inégalité de traitement entre Français selon leur lieu de naissance ;
Qu'il convient donc de confirmer le jugement en ce qu'il a dit M. [L] [S] irrecevable à faire la preuve qu'il a, par filiation, la nationalité française mais de l'infirmer en ce qu'il a retenu comme date de perte de la nationalité française celle du 1er octobre 2008 pour lui substituer celle du 14 février 2010 ;
PAR CES MOTIFS
Confirme le jugement en toutes ses dispositions à l'exception de celles relatives à la date à laquelle M. [L] [S] est réputé avoir perdu la nationalité française ;
Statuant à nouveau de ce chef :
Constate que M. [L] [S] est réputé avoir perdu la nationalité française le 14 février 2010;
Condamne M. [L] [S] aux dépens.
LA GREFFIÈRE LA CONSEILLÈRE, faisant fonction de présidente