RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 10
ARRÊT DU 26 Octobre 2016
(n° , 5 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : S 15/13282
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 04 Mars 2013 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de VILLENEUVE SAINT GEORGES RG n° 2011/302
APPELANTE
Madame [S] [K]
[Adresse 1]
[Adresse 1]
née le [Date naissance 1] 1958 à [Localité 1]
représentée par Me Laurence DEPOUX, avocat au barreau de PARIS, toque : R227
INTIMEE
SAS DERICHEBOURG PROPRETE
[Adresse 2]
[Adresse 2]
représentée par Me Nicolas MANCRET, avocat au barreau de PARIS, toque : K0061 substitué par Me Sandra ABOUKRAT, avocat au barreau de PARIS, toque : B859
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 08 Septembre 2016, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Sylvie HYLAIRE, Présidente, chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Madame Sylvie HYLAIRE, Président de chambre
Madame Françoise AYMES-BELLADINA, conseiller
Madame Stéphanie ARNAUD, vice président placé faisant fonction de conseiller par ordonnance du Premier Président en date du 30 juin 2016
qui en ont délibéré
Greffier : Mme Valérie LETOURNEUR, lors des débats
ARRET :
contradictoire
- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.
- signé par Madame Sylvie HYLAIRE, Président de chambre et par Madame Valérie LETOURNEUR, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSÉ DU LITIGE
Selon contrat de travail à durée indéterminée à effet au 1er septembre 2010, Madame [S] [K] a été engagée en qualité de chargée de mission, statut cadre, niveau 5 de la convention collective nationale des entreprises de propreté par la société Derichebourg Propreté qui emploie plus de 10 salariés.
Il était prévu au contrat une rémunération composée d'un salaire de base de 6.000 €, payé sur 13 mois, outre une prime d'expérience de 195,58 € et un avantage en nature (véhicule).
Le contrat précisait également que l'ancienneté acquise dans la profession en vertu de l'article 9.02 de la convention collective était fixée au 17 novembre 1997.
Enfin, était stipulée une période d'essai de 3 mois renouvelable une fois.
Le 15 novembre 2010, la période d'essai a été renouvelée à compter du 1er décembre 2010 avec l'accord exprès de la salariée.
Le 28 février 2011, soit le dernier jour de la période de renouvellement, la société Derichebourg Propreté a adressé à Madame [K] un télégramme téléphoné, confirmé par courrier recommandé du même jour, l'informant de la rupture du contrat.
Un délai de prévenance d'un mois a été payé à Madame [K].
Saisi le 30 mai 2011, le conseil de prud'hommes de Villeneuve-Saint-Georges a, par jugement rendu le 4 mars 2013 :
- estimé que la période d'essai était régulière,
- dit que la rupture est intervenue durant cette période d'essai,
- débouté Madame [K] de toutes ses demandes et l'a condamnée aux dépens.
Par lettre recommandée avec avis de réception adressée le 11 avril 2013, Madame [K] a relevé appel de ce jugement qui lui avait été notifié le même jour.
L'affaire radiée le 5 octobre 2015 a été réinscrite le 23 octobre 2015.
Madame [K] demande à la cour d'infirmer la décision déférée et de :
A titre principal,
- dire que Madame [K] bénéficiant d'une reprise d'ancienneté à compter du 17 novembre 1997, la clause du contrat de travail instaurant une période d'essai est nulle et la rupture du contrat est constitutive d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- condamner la société Derichebourg Propreté à lui payer les sommes suivantes :
* 18.886,74 € au titre de l'indemnité compensatrice de préavis outre 1.886,67 € au titre des congés payés afférents,
* 1.573,89 € à titre de 13ème mois sur préavis,
* 21.123,69 € à titre d'indemnité de licenciement,
* 61.382 € à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
A titre subsidiaire,
- dire que le renouvellement de la période d'essai est irrégulier et que le contrat est devenu définitif le 1er décembre 2010,
- dire que la clause du contrat de travail instaurant une période d'essai est nulle et la rupture du contrat est constitutive d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse;
- condamner la société Derichebourg Propreté au paiement des sommes suivantes :
* 18.886,74 € au titre de l'indemnité compensatrice de préavis outre 1.886,67 € au titre des congés payés afférents,
* 1.573,89 € à titre de 13ème mois sur préavis,
* 61.382 € à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
Plus subsidiairement,
- dire que la période d'essai a été rompue de manière abusive,
- condamner la société Derichebourg Propreté à lui payer les sommes suivantes :
* 61.382 € à titre de dommages et intérêts pour rupture abusive de la période d'essai,
* 295,58 € à titre de rappel de salaire sur délai de prévenance,
En toute hypothèse,
- condamner la société Derichebourg Propreté à lui payer la somme de 147,79 € de rappel de salaire au titre du 13ème mois pour la période du 1er septembre 2010 au 28 février 2011,
- condamner la société Derichebourg Propreté aux dépens ainsi qu'à lui verser la somme de 3.500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
La société Derichebourg Propreté sollicite la confirmation de la décision déférée, le rejet des demandes de Madame [K] ainsi que la condamnation de l'appelante aux dépens outre le paiement de la somme de 2.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens et des prétentions des parties, la cour se réfère à leurs conclusions visées par le greffier et développées lors de l'audience des débats.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la demande de nullité de la période d'essai
Les parties au contrat ont convenu d'une reprise de l'ancienneté acquise par Madame [K] auprès d'un autre employeur.
Cette clause n'est ni l'application de l'article 9.02 de la convention collective, qui concerne l'ancienneté acquise auprès du même employeur, ni celle de l'article 4.7, qui prévoit une prime d'expérience prenant en compte l'ancienneté dans la branche professionnelle.
S'il doit être déduit de cette clause que les parties ont convenu que Madame [K] conserverait dans le cadre du contrat de travail conclu avec son nouvel employeur les avantages issus de l'ancienneté acquise auprès d'un autre employeur, il ne peut en être tiré la conséquence que cette reprise d'ancienneté interdisait à la société Derichebourg Propreté qui n'avait jamais été antérieurement l'employeur de Madame [K] de mettre en oeuvre une période d'essai qui est destinée à permettre d'évaluer les compétences du salarié dans son travail, notamment au regard de son expérience.
Il pouvait donc parfaitement être prévu à la fois la reprise de l'ancienneté de la salariée et la mise en oeuvre d'une période d'essai qui a été organisée par les parties dans le contrat dans des conditions conformes aux dispositions légales et à la convention collective applicable.
En conséquence, Madame [K] sera déboutée de sa demande tendant à voir annuler la clause instaurant une période d'essai et des demandes subséquentes en découlant.
Sur le renouvellement de la période d'essai
Le renouvellement de la période d'essai est prévu par l'article 9 de la convention collective dans les conditions suivantes : 'Dès lors que cela est prévu dans la lettre d'engagement ou le contrat de travail, la période d'essai pourra être renouvelée une fois pour une durée équivalente ou inférieure en cas de nécessité technique et après accord exprès des parties spécifié par écrit.'
Madame [K] a donné son accord exprès et écrit au renouvellement qui était prévu par le contrat.
Elle soutient que ce renouvellement est abusif car il ne reposait sur aucune nécessité technique mais était systématiquement pratiqué par l'entreprise.
La société Derichebourg Propreté conteste cette analyse, soutenant que le renouvellement était nécessaire en raison de la technicité des missions confiées à la salariée, figurant parmi les collaborateurs ayant le niveau de qualification le plus élevé de l'entreprise.
La réponse faite par la directrice des ressources humaines à la supérieure hiérarchique de Madame [K] le 28 décembre 2010 est en contradiction flagrante avec le caractère réel et sérieux du motif invoqué par l'employeur devant la cour. Il y est en effet indiqué :' Je vous confirme qu'il ne s'agit que d'une procédure standard qui ne remet absolument pas en cause la qualité de vos collaborateurs, il s'agit uniquement de se donner une latitude de 6 mois, ce qui est un minimum pour un collaborateur cadre.'
De même les propos tenus par le dirigeant de la société, Monsieur Derichebourg, dans un courriel du 24 février 2011 confortent le caractère coutumier du renouvellement des périodes d'essai puisqu'il indique : 'Nous avons dans le groupe une procédure qui est de renouveler comme vous le savez toutes les promesses d'embauche. Certaines arrivent à échéance et je vous en fais part...'
Cette systématisation du renouvellement des périodes d'essai ressort également des pièces versées aux débats qui démontrent qu'à une période concomitante ou proche, 7 salariés ont vu leur période d'essai renouvelée dans des termes identiques à ceux figurant dans la correspondance adressée à Madame [K] par l'employeur.
Enfin, s'il est fait état de la nécessité technique d'apprécier les compétences de Madame [K], aucune des pièces produites par l'employeur ne permettent de considérer qu'à la date où le renouvellement est intervenu, ces compétences n'avaient pas pu être évaluées ou qu'elles faisaient l'objet de réserves de nature à justifier la prolongation de la période probatoire et ce alors même que Madame [K] disposait déjà d'une expérience de plusieurs années dans le même emploi.
Or, s'il appartient à l'employeur d'apprécier les compétences et aptitudes du salarié, le renouvellement de la période d'essai qui ne répond pas à cette finalité mais repose sur une pratique systématique et sans lien avec la qualité professionnelle des salariés concernés doit être considéré comme abusif.
La décision déférée sera donc réformée en ce qu'elle a débouté Madame [K] de sa demande tendant à voir qualifier le renouvellement de sa période d'essai d'abusif.
En conséquence du caractère abusif du renouvellement de la période d'essai, la rupture du contrat intervenue le 28 février 2011 doit s'analyser en un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse.
Madame [K] est donc fondée à solliciter le paiement de l'indemnité compensatrice de préavis et des congés payés afférents.
Elle est également en droit de solliciter le paiement d'une indemnité de licenciement au regard de son ancienneté telle qu'elle a été reprise dans le contrat à compter du 17 novembre 1997, calculée en application des dispositions de l'article R. 1234-2 du code du travail.
La société Derichebourg Propreté sera en conséquence condamnée à lui payer les sommes suivantes :
- 18.886,74 € bruts au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,
- 1.886,67 € bruts au titre des congés payés afférents,
- 21.123,69 € au titre de l'indemnité de licenciement.
Au regard de la situation de Madame [K], de son âge, de la rémunération perçue, de son ancienneté, des circonstances de la rupture notifiée par télégramme téléphoné le dernier jour de la période d'essai ainsi que de ses difficultés à retrouver un emploi à la suite de la rupture du contrat, il lui sera alloué la somme de 40.000 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse sur le fondement des dispositions de l'article L. 1235-3 du code du travail.
En application des dispositions de l'article L. 1235-4 du Code du travail, il sera ordonné le remboursement par l'employeur à Pôle Emploi des indemnités de chômage versées à la salariée depuis son licenciement dans la limite d'un mois d'indemnités.
Quant au rappel de salaire au titre du 13ème mois, contrairement à ce que soutient Madame [K], le contrat prévoit certes le versement d'un 13ème mois mais par seule référence au salaire de base de 6.000 € bruts, sans y inclure la prime d'expérience et l'avantage en nature.
Par conséquent, il sera fait droit à sa demande au titre du rappel dû sur la période du préavis mais à hauteur de 1.500 €. Sa demande supplémentaire de rappel à ce titre sera en revanche rejetée.
Sur les autres demandes
La société Derichebourg Propreté, qui succombe en appel, sera condamnée aux dépens ainsi qu'au paiement à Madame [K] de la somme de 3.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
LA COUR,
Statuant par un arrêt contradictoire, mis à disposition au greffe,
Confirme le jugement déféré en ce qu'il a débouté Madame [K] de sa demande tendant à voir déclarer nulle la période d'essai prévue à son contrat de travail,
Réformant ladite décision pour le surplus et statuant à nouveau,
Dit que le renouvellement de la période d'essai intervenu à compter du 1er décembre 2010 est abusif,
Dit que la rupture du contrat de travail de Madame [K] intervenue le 28 février 2011 doit s'analyser en un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse,
Condamne la société Derichebourg Propreté à payer à Madame [K] les sommes suivantes :
- 18.886,74 € bruts au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,
- 1.886,67 € bruts au titre des congés payés afférents,
- 21.123,69 € au titre de l'indemnité de licenciement,
- 1.500 € bruts au titre du rappel de 13ème mois sur la période du préavis,
- 40.000 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- 3.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
Ordonne le remboursement par l'employeur à Pôle Emploi des indemnités de chômage versées à la salariée depuis son licenciement dans la limite d'un mois d'indemnités,
Déboute les parties du surplus de leurs prétentions,
Condamne la société Derichebourg Propreté aux dépens.
LE GREFFIER LE PRESIDENT