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26/10/2016 | FRANCE | N°15/10600

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 10, 26 octobre 2016, 15/10600


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 10



ARRÊT DU 26 Octobre 2016



(n° , 10 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : S 15/10600



Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 30 Septembre 2015 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS RG n° 14/06010



APPELANT

Monsieur [A] [S]

[Adresse 1]

[Localité 1]

né le [Date naissance 1] 1971 à [Localité 2]

co

mparant en personne,

assisté de Me Joëlle BERENGUER GUILLON, avocat au barreau de PARIS, toque : C0524





INTIMEE

SA ARTAUD COURTHEOUX ET ASSOCIES

[Adresse 2]

[Localité 3]

N° SIRET : 35...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 10

ARRÊT DU 26 Octobre 2016

(n° , 10 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : S 15/10600

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 30 Septembre 2015 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS RG n° 14/06010

APPELANT

Monsieur [A] [S]

[Adresse 1]

[Localité 1]

né le [Date naissance 1] 1971 à [Localité 2]

comparant en personne,

assisté de Me Joëlle BERENGUER GUILLON, avocat au barreau de PARIS, toque : C0524

INTIMEE

SA ARTAUD COURTHEOUX ET ASSOCIES

[Adresse 2]

[Localité 3]

N° SIRET : 350 835 401

représentée par Me Anne FICHOT, avocat au barreau de PARIS, toque : G0628

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 08 Septembre 2016, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Sylvie HYLAIRE, Présidente, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Madame Sylvie HYLAIRE, Président de chambre

Madame Françoise AYMES-BELLADINA, conseiller

Madame Stéphanie ARNAUD, vice président placé faisant fonction de conseiller par ordonnance du Premier Président en date du 30 juin 2016

qui en ont délibéré

Greffier : Mme Valérie LETOURNEUR, lors des débats

ARRET :

- contradictoire

- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.

- signé par Madame Sylvie HYLAIRE, Président de chambre et par Madame Valérie LETOURNEUR, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSÉ DU LITIGE

Selon contrat de travail à durée indéterminée à effet au 14 juin 2010, Monsieur [A] [S] a été engagé en qualité d'ingénieur d'affaires par la société anonyme Artaud, Courthéoux & Associés (ci-après dénommée société ACA), qui a pour activité l'édition de logiciels et qui emploie plus de 10 salariés.

La relation contractuelle relevait de la convention collective des bureaux d'études techniques, des cabinets d'ingénieurs conseils et des sociétés de conseil (SYNTEC).

Le contrat de travail prévoyait que conformément à l'article L. 3121-45 du code du travail et à l'article 32 de la convention collective applicable, Monsieur [S] était soumis à un forfait annuel en jours (218 jours) et que la rémunération fixée avait un caractère forfaitaire et tenait compte des heures supplémentaires que le salarié serait amené à effectuer.

La rémunération convenue était composée :

- d'un salaire fixe annuel de 55.000 € augmenté à 60.000 € au dernier état de la relation contractuelle,

- de commissions calculées en considération d'objectifs fixés annuellement, selon un pourcentage du chiffre d'affaires HT réalisé, variable selon le secteur (licences, maintenance et prestations), ce pourcentage étant majoré en cas de dépassement des objectifs fixés,

- du remboursement des frais de transport.

Monsieur [S] a démissionné par lettre du 31 janvier 2012 , la rupture prenant effet, selon l'accord des parties, au 29 février 2012.

Le 29 avril 2014, Monsieur [S] a saisi le conseil de prud'hommes de Paris d'une demande en paiement d'un rappel de commissions ainsi que, sur la base de la nullité de la convention forfait jours SYNTEC, d'un rappel de salaires au titre des heures supplémentaires effectuées, du repos compensateur, outre l'indemnisation au titre du travail dissimulé et de l'exécution de mauvaise foi du contrat de travail.

La société ACA a été convoquée devant le bureau de conciliation par lettre reçue le 12 mai 2014.

Par jugement rendu le 30 septembre 2015, la juridiction prud'homale a condamné la société ACA à payer à Monsieur [S] les sommes suivantes, avec intérêts au taux légal à compter de la date de réception de la convocation devant le bureau de conciliation :

- 360,96 € à titre de rappel de commissions outre 36,09 € au titre des congés payés afférents,

- 1.027,48 € à titre de rappel d'heures supplémentaires outre 102,74 € au titre des congés payés afférents,

- 600 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Le conseil, après avoir fixé la moyenne des trois derniers mois de salaire à la somme de 10.450 €, a débouté Monsieur [S] du surplus de ses prétentions et condamné la société ACA aux dépens.

Par lettre recommandée avec avis de réception adressée le 27 octobre 2015, Monsieur [S] a relevé appel de cette décision.

Monsieur [S] demande à la cour de confirmer le jugement entrepris quant aux sommes allouées mais statuant à nouveau, de fixer son salaire brut moyen à la somme de 17.305,15 € ou, subsidiairement, à celle de 10.450 € majorée des sommes de nature salariale dues au titre des condamnations prononcées et de condamner la société ACA à lui payer les sommes suivantes, assorties des intérêts légaux capitalisés :

- 1.332,78 € au titre d'un rappel de congés payés sur les commissions perçues lors de la relation contractuelle,

- un rappel de commissions et congés payés :

* au titre de l'année 2011 : 22.357,98 € et 2.235,80 €,

* au titre de l'année 2012 : 6.839,04 € et 683,91 €,

- au titre de la nullité de la convention de forfait jours :

* à titre principal : 71.324,13 € au titre des heures supplémentaires outre 7.132,40 € au titre des congés payés afférents ainsi que la somme de 15.624,41 € au titre du repos compensateur obligatoire non pris,

* à titre subsidiaire : 26.634,16 € au titre des heures supplémentaires outre 2.663,41 € au titre des congés payés afférents ainsi que la somme de 2.275,98 € au titre du repos compensateur obligatoire non pris,

* à titre de dommages et intérêts pour exécution de mauvaise foi du contrat : trois mois de salaire soit, à titre principal, la somme de 51.915,45 €, soit subsidiairement, celle de 29.877,30 €,

* au titre de l'indemnité pour travail dissimulé : six mois de salaire soit, à titre principal, la somme de 103.830,91 €, soit, subsidiairement, celle de 59.754,60 €

- 2.500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

La société ACA demande à la cour de confirmer le jugement déféré sauf en ce qu'il l'a condamnée en paiement au titre des heures supplémentaires, de débouter Monsieur [S] de l'ensemble de ses demandes et de dire que :

- la prescription biennale de l'action en justice et la prescription triennale des rappels de salaires sont acquises et qu'en conséquence, Monsieur [S] est prescrit dans son action,

- subsidiairement, il est prescrit pour les rappels de salaire antérieurement au 11 mai 2011soit 3 ans avant la saisine du conseil,

- Monsieur [S] a bénéficié des congés payés afférents aux commissions versées en 2010, 2011 et 2012,

- Monsieur [S] a été rempli de l'intégralité de ses droits à titre de commission,

- dire qu'il a bénéficié d'une rémunération forfaitaire supérieure au minimum conventionnel englobant les heures supplémentaires réclamées,

- dire qu'aucune heure supplémentaire ne lui est due,

subsidiairement, dire :

- que la société ACA n'est redevable que de la somme de 1.027,48 € au titre des heures supplémentaires réalisées les 11, 12 et 13 novembre 2011, somme qui a déjà été versée à Monsieur [S],

- qu'il y a lieu de décompter du rappel d'heures supplémentaires sollicité les 27 jours RTT dont a bénéficié Monsieur [S] soit la contre-valeur de 16.016,85 €.

La société ACA sollicite la condamnation de Monsieur [S] au dépens ainsi qu'à lui payer la somme de 3.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens et des prétentions des parties, la cour se réfère à leurs conclusions visées par le greffier et développées lors de l'audience des débats.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la fin de non-recevoir tirée de la prescription

La société ACA soutient que l'action engagée par Monsieur [S] est prescrite en application des dispositions de l'article L. 1471-1 alinéa 1 du code du travail dans sa rédaction issue de la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013 puisqu'elle a été introduite après la promulgation de ladite loi et plus de deux ans après la notification de la démission du salarié et s'inscrit dans le cadre de l'exécution du contrat de travail en ce que notamment les prétentions de Monsieur [S] s'inscrivent autour de la nullité prétendue de son forfait annuel en jours.

Subsidiairement, la société ACA expose que la prescription triennale des salaires rend irrecevable la demande de Monsieur [S] en ce qu'elle porte sur une période antérieure au 11 mai 2011.

En réponse, Monsieur [S] invoque les dispositions transitoires de l'article 21 de la loi, et ajoute qu'en toute hypothèse c'est la prescription triennale de l'article L. 3245-1 du code du travail qui doit s'appliquer en sorte que ses demandes, qui s'inscrivent pour l'essentiel dans le cadre d'une action en paiement de rappel de salaires, sont recevables car il disposait d'un délai de trois ans à compter de la rupture pour agir et qu'il peut ainsi solliciter les sommes dues au titre des trois années précédant la rupture du contrat.

Aux termes de l'article 21 de la loi du 14 juin 2013, les dispositions réduisant les délais de prescription s'appliquent à celles qui sont en cours à compter de la promulgation de la loi, soit le 17 juin 2013, sans que la durée totale de la prescription puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure.

Les demandes de Monsieur [S] portent d'une part, sur des rappels de salaires pour lesquels le point de départ du délai de prescription court à compter de leur date d'exigibilité soit pour les plus anciens juin 2010, d'autre part sur des demandes indemnitaires relatives à l'exécution du contrat conclu le 14 juin 2010, pour lesquelles le point de départ du délai de prescription court à compter de la rupture du contrat soit du 31 janvier 2012.

L'action qui a été introduite le 29 avril 2014, la société ACA ayant été convoquée devant le bureau de conciliation le 12 mai 2014, n'est pas prescrite au regard des règles antérieures au 17 juin 2013 et ni les nouveaux délais applicables, ni la durée prévue par la loi antérieure n'ont été dépassés.

L'action est dès lors recevable.

Sur la demande de rappel de congés payés sur commissions

Monsieur [S] fonde sa demande à ce titre sur le fait que les bulletins de salaire qui lui ont été délivrés ne comportent pas de ligne spécifique aux congés (autres que la date et le nombre de jours pris) et qu'en réalité, durant les congés payés, il n'a été rémunéré que sur la base de son salaire mensuel habituel sans prise en considération des commissions versées au cours de la période de référence.

Il estime qu'il reste ainsi dû une somme de 1.332,70 représentant 10% des commissions durant la période d'août 2010 à mai 2011.

En réponse, la société ACA fait exposer que Monsieur [S] procède à un calcul au mois alors qu'il a pris les congés dûs pour cette période par anticipation dès le mois d'août 2010 tout en voyant sa rémunération maintenue, la règle du 10ème n'étant pas applicable en l'absence de période complète de référence.

Il appartient à l'employeur, en cas de litige, de rapporter la preuve du paiement des sommes dues au titre des congés payés au salarié et le fait que Monsieur [S] ait pris 10 jours de congés par anticipation en août 2010 ne saurait le priver du droit au maintien du salaire qui inclut les commissions perçues.

Or l'indemnité compensatrice de congés payés réglée en février 2012 n'a pris en compte que la rémunération versée sur la période de référence, soit du 1er juin 2011 au 29 février 2012 et il n'est pas démontré que la rémunération versée durant les congés pris en août 2011 a intégré les commissions servies dans la période de référence antérieure soit du mois d'août 2010 au mois de mai 2011, d'autant que les bulletins de paie ne mentionnent pas l'assiette de calcul de l'indemnité de congés payés versée.

Il sera en conséquence fait droit à la demande en paiement formulée par Monsieur [S] à ce titre, à hauteur de la somme de 1.332,78 €.

Sur la demande de rappel de commissions

Au titre de l'année 2011, Monsieur [S] revendique le paiement d'un rappel de commissions au motif que la société ACA ne lui a versé que les commissions de base et ne lui a pas réglé en revanche les commissions complémentaires prévues en cas de dépassement des objectifs.

Il sollicite ainsi la somme correspondante au dépassement de deux des trois objectifs qui lui étaient fixés, soulignant que les dispositions contractuelles ne subordonnent pas l'augmentation du taux de commissionnement à la condition d'un dépassement cumulé de tous les objectifs fixés.

Selon la société ACA, ces sommes ne sont pas dues car le 'taux accélérateur' des commissions ne s'applique que si le salarié dépasse tous ses objectifs initiaux.

Le plan de commissionnement établi pour l'année 2011 (qui reprend les termes du plan appliqué en 2010, seuls les seuils de CA variant) prévoyait :

- des objectifs annuels pour trois activités : licences, maintenance et prestations avec pour chacune d'elles, un objectif de CA net HT à atteindre et un taux de commissionnement fonction de ce CA ;

- l'article 3.3.D intitulé 'Dépassement des objectifs' est ainsi rédigé : 'En cas de dépassement des objectifs fixés, les conditions suivantes sont appliquées :

* taux de commissionnement : 6,50% du CA HT excédant l'objectif annuel sur les licences pour les nouveaux clients ;

* taux de commissionnement : 4,50% du CA HT excédant l'objectif annuel sur les licences pour les clients existants ;

* taux de commissionnement : 2% du CA HT excédant l'objectif annuel sur les prestations'.

La lecture de ce document ne permet pas de l'interpréter comme signifiant que le taux accélérateur ne trouve à s'appliquer que si le salarié a dépassé tous les objectifs fixés et non seulement partie d'entre eux et une telle interprétation ne saurait s'imposer au seul vu des déclarations en ce sens faites par le directeur général de la société.

Il sera donc considéré que les sommes réclamées à ce titre sont dues, la société ACA étant en conséquence condamnée au paiement de la somme de 22.357,98 € bruts à titre de rappel de commissions dues pour l'année 2011 et de celle de 2.235,80 € bruts au titre des congés payés afférents.

Au titre de l'année 2012, Monsieur [S], soutenant que la dispense partielle d'exécution de son préavis a été le fait d'une décision de son employeur et non d'une demande formulée par lui, sollicite le paiement de commissions sur les contrats qui étaient en cours lorsqu'il a démissionné et qui auraient dû être facturés entre les mois de janvier et avril 2012 (date 'normale' de l'expiration de son préavis), détaillant ainsi l'objet de sa demande en paiement :

- CCI territoriale de la Côte d'Opale : 20.000 € de prestations à facturer durant cette période,

- Agence Nationale de Recherche : 250.000 €,

- Hospitalor : 30.000 €,

- PML [Localité 4] : 60.000 €

soit un total de 360.000 € représentant une commission de 2% soit 7.200 € outre 720 € au titre des congés payés afférents dont il convient de déduire les sommes versées en exécution de la décision déférée soit 360,96 € et 36,09 €.

En réponse à cette demande, la société ACA fait observer que Monsieur [S] a renoncé à faire valoir des prétentions concernant deux autres clients (ACPCMA et BRGM) à la suite de courriers échangés entre les parties avant l'introduction de la présente instance mais a finalement sollicité le paiement de commissions sur d'autres contrats.

Or, selon la société ACA, les factures produites pour les contrats pour la période litigieuse, soit de janvier à avril 2012, démontreraient que Monsieur [S] a été rempli de ses droits à commissions par le paiement de la somme de 360,96 € bruts allouée par le conseil de prud'hommes et de celle de 36,09 € versée au titre des congés payés afférents.

Il ressort des documents comptables produits par la société ACA, dont le caractère mensonger n'est pas établi, que seules trois factures n'ont pas donné lieu à commissionnement (3.548 € HT pour la CCI Territoriale de la Côte d'Opale- facture du 31/03/2012, 2 factures des 23/04/2012 d'un montant de 7.225 € HT chacune pour le PML [Localité 4]) générant un droit non contesté à commission de 360,96 € qui a été réglée par la société ACA de même que la somme de 36,09 € due au titre des congés payés.

Monsieur [S] sera donc débouté de sa demande complémentaire à ce titre, la décision déférée étant confirmée de ce chef.

Sur les demandes au titre de la nullité du forfait annuel en jours

Invoquant l'arrêt rendu le 24 avril 2013 par la Cour de cassation, Monsieur [S] demande à la cour de constater la nullité du forfait annuel en jours prévu par l'article 3 de son contrat de travail, réfutant l'argumentation de l'intimée quant à l'insécurité juridique qui résulterait d'une telle décision.

La société ACA, soulignant que la décision sur laquelle Monsieur [S] fonde ses prétentions a été rendue postérieurement à la rupture du contrat, estime que la prise en compte de ce revirement jurisprudentiel constitue une violation du principe d'égalité devant la loi énoncée par l'article 6 de la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés Fondamentales, de l'article 4 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen, du principe de prééminence du droit, de la notion de procès équitable. Elle demande à la cour de limiter l'effet rétroactif de la décision litigieuse au visa de l'article 174 alinéa 2 du Traité de la Communauté Européenne et de dire que les conséquences de cette décision ne doivent pas s'appliquer à une situation antérieure.

La sécurité juridique, invoquée par l'intimée sur le fondement du principe d'égalité et de prééminence du droit, du droit au procès équitable, pour contester l'application d'une solution nouvelle résultant d'une évolution de la jurisprudence, ne peut permettre de consacrer un droit acquis à une jurisprudence figée dès lors que la société ACA, qui s'en prévaut, n'est pas privée du droit à l'accès au juge auquel il n'appartient pas de limiter les effets rétroactifs d'une décision d'annulation, cette compétence relevant du pouvoir législatif.

Aux termes des dispositions des articles L. 3121-38 et suivants du code du travail, la conclusion d'une convention de forfait en jours sur l'année doit être prévue par un accord collectif d'entreprise ou d'établissement et, à défaut par une convention ou un accord collectif de branche. En outre, le dispositif doit, à peine de nullité, respecter les impératifs de protection, de santé, de sécurité et de droit aux repos en prévoyant notamment l'organisation d'un entretien annuel avec l'employeur portant sur la charge de travail du salarié, l'organisation du travail dans l'entreprise, l'articulation entre l'activité professionnelle et la vie personnelle et familiale ainsi que sur la rémunération du salarié.

En l'espèce, l'article 3 du contrat de travail de Monsieur [S] fait référence à l'article 32 de la convention collective applicable et à l'accord d'entreprise concernant la réduction du temps de travail.

La société ACA a versé aux débats un accord d'entreprise de réduction du temps de travail conclu le 25 juin 1999 et un avenant du 30 août 2001 : aucun de ces accords ne contient de disposition particulière de nature à assurer le respect du droit aux repos des salariés.

L'article 32 de la convention collective, qui instaure la possibilité d'un recours au forfait, ne prévoit pas plus de mécanisme permettant de garantir l'exercice effectif du droit au repos des ingénieurs cadres qui y sont soumis.

Enfin, l'article 3 du contrat, s'il rappelle la nécessité du respect du repos hebdomadaire et de l'amplitude journalière maximale de travail, ne met en oeuvre aucune modalité de nature à assurer la mise en oeuvre de ces règles.

La convention de forfait annuel en jours doit donc être déclarée nulle.

La société ACA soutient que nonobstant la nullité de la convention de forfait annuel en jours, les parties avaient convenu d'une rémunération forfaitaire incluant les heures supplémentaires que le salarié serait amené à exécuter dans l'exercice de ses fonctions.

Monsieur [S] fait au contraire valoir que la nullité de la convention de forfait emporte retour au droit commun applicable en matière d'heures supplémentaires.

Si effectivement, l'article 3 alinéa 4 du contrat stipule que 'la rémunération fixée à l'article 6 a un caractère forfaitaire et tient compte des heures supplémentaires que [A] [S] sera éventuellement amené à exécuter dans l'exercice de ses fonctions', le nombre d'heures supplémentaires inclus dans la rémunération prévue est indéterminé et, en outre, les bulletins de paie mentionnent un horaire de 151,6667 heures par mois, soit 35 heures par semaine.

Il ne peut donc être considéré que cette rémunération forfaitaire caractérise une convention de forfait en heures.

Compte tenu de la nullité de la convention de forfait annuel en jours et de l'absence de convention de forfait en heures, Monsieur [S] est en droit de solliciter le paiement des heures supplémentaires effectuées au-delà de la durée légale du temps de travail hebdomadaire dans les conditions prévues par l'article L. 3171-4 du code du travail qui dispose qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accompli, l'employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié et que le juge forme sa conviction au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié.

Au soutien de ses prétentions, Monsieur [S] verse aux débats les pièces suivantes :

- des tableaux détaillés récapitulant les heures effectuées par jours et par semaines durant toute la relation contractuelle,

- les feuilles de temps qu'il complétait chaque semaine sur une version papier remise à l'entreprise qui en récapitulait les données sous un format informatique remis au salarié dont il prétend qu'il n'était pas possible d'y inscrire plus de 8 heures par jour,

- des mails professionnels,

- des feuilles de déplacement.

La société ACA ne reconnaît l'existence d'un dépassement horaire que pour trois jours, les 11, 12 et 13 novembre 2011 soit 24 heures représentant une somme due de 1.027,48 € bruts.

Pour le surplus, elle fait observer d'une part, que ni les mails communiqués ni les feuilles de déplacement versées aux débats ne permettent d'établir la réalité des heures supplémentaires dont le paiement est sollicité.

D'autre part, elle verse aux débats les feuilles de temps signées du salarié, contestant la prétendue impossibilité d'y inscrire un horaire journalier supérieur à 8 heures, feuilles qui démontreraient le caractère excessif des prétentions de Monsieur [S].

Enfin, elle soutient qu'en tout état de cause, il conviendrait de déduire des sommes réclamées la contrepartie financière représentée par les jours de RTT dont a bénéficié le salarié.

Il sera relevé que les feuilles de temps, même signées du salarié, révèlent l'existence d'heures supplémentaires puisqu'elles font état d'un horaire journalier de 8 heures soit, en semaine pleine, de la réalisation 40 heures par semaine.

En outre, la mention systématique d'un horaire journalier de 8 heures, tous les jours travaillés, ne permet pas de considérer que l'horaire y figurant est le reflet de la réalité des heures effectivement accomplies, d'autant plus que pour les trois journées des 11, 12 et 13 novembre 2011 pour lesquelles la société ACA reconnaît un dépassement d'horaire, la feuille de temps ne mentionne aucune heure travaillée.

Par ailleurs, si la plupart des mails produits par le salarié ne permettent effectivement pas de s'assurer de l'amplitude horaire journalière, il ne peut cependant qu'être souligné que nombre d'entre eux, qui sont adressés au-delà de 20 heures ainsi que durant la pause méridienne, font présumer l'existence d'un dépassement de la durée légale du travail s'ils sont mis en relation avec les fiches de déplacement du salarié : à titre d'exemples :

- le 4 janvier 2011, Monsieur [S] justifie d'un départ à l'aéroport [Établissement 1] à 9h10, d'un retour de [Localité 5] le soir à 18h35 et de l'envoi d'un mail professionnel à 23h48, ce qui permet de considérer, si on y ajoute le temps de déplacement pour l'aéroport, que l'horaire figurant au tableau produit par Monsieur [S], soit 17 heures est établi ;

- le 27 janvier 2011, alors que la feuille de temps mentionne un horaire de travail de 8 heures, Monsieur [S] justifie d'un départ à l'aéroport [Localité 6] à 18h45 pour une arrivée à [Localité 7] à 20h05, établissant ainsi la pertinence des 12 heures de travail mentionnées dans le tableau ;

- le 25 février 2011, Monsieur [S] justifie d'un aller-retour à [Localité 7] avec un départ de l'aéroport à 7h20 et un retour à 19h20, établissant ainsi la réalité des 15 heures sollicitées ;

- le 6 mars 2011, soit un dimanche qui n'est pas mentionné comme travaillé sur la feuille de temps, Monsieur [S] justifie d'un déplacement en avion à destination de [Localité 8] pour un retour le lendemain soit à 20h20 ;

- le 31 mars 2011, il est justifié d'un aller-retour à [Localité 9], avec un départ à 7h10 de l'aéroport et un retour à 18h15, établissant la réalité des 13 heures sollicitées ;

- le 11 mai 2011, il est justifié d'un aller-retour à [Localité 7] avec un départ à 11h50 de l'aéroport et un retour à 20h50, justifiant les 12 heures figurant au tableau ;

- le 13 mai 2011, il est justifié d'un aller-retour à [Localité 7] avec un départ à 7h20 de l'aéroport et un retour à 17h05 justifiant les 12 heures figurant au tableau ;

- le 30 mai 2011, il est justifié d'un aller-retour à [Localité 10] avec un départ à 6h08 de l'aéroport et un retour à 16h19, justifiant les 12 heures figurant au tableau ;

- le 5 juillet 2011, il est justifié d'un aller-retour à [Localité 9] avec un départ à 7h10 de l'aéroport et un retour à 20h10, justifiant les 15 heures figurant au tableau, étant précisé que Monsieur [S] était à nouveau en déplacement le lendemain avec un départ à 7h09 et un retour à 17h20.

En considération des pièces produites par le salarié, il sera considéré que les heures supplémentaires dont il sollicite le paiement ont effectivement été réalisées.

Or, tant en raison des horaires des mails échangés que de ceux des déplacements qui étaient pris en charge par la société ACA, celle-ci a nécessairement consenti à ces dépassements de la durée légale du travail et ne peut donc s'affranchir de son obligation de payer au salarié les sommes dues à ce titre.

Le décompte des sommes sollicitées par Monsieur [S], qui a été effectué sur la base du salaire brut horaire moyen perçu durant les périodes concernées, non contesté par la société ACA, n'appelle pas de critiques sauf en ce qui concerne les sommes réclamées au titre du repos compensateur desquelles doivent être déduits les jours de RTT pris par le salarié.

En conséquence, la société ACA sera condamnée à payer à Monsieur [S] les sommes suivantes :

- pour l'année 2010 :

* 229,50 heures supplémentaires : 12.732,87 € bruts outre 1.273,29 € bruts au titre des congés payés afférents,

* aucune somme n'étant accordée au titre du repos compensateur (7 jours de RTT pris par le salarié) ;

- pour l'année 2011 :

* 630,50 heures supplémentaires : 46.761,23 € bruts outre 4.676,12 € bruts au titre des congés payés afférents,

* repos compensateur : 18,75 jours (35,75 - 17 jours de RTT) : 7.112,44 €

- pour l'année 2012 :

* 55 heures supplémentaires soit 11.830,03 € - 3.291,84 € (2 jours de RTT) soit 8.538,19 € bruts outre 853,82 € bruts au titre des congés payés afférents.

Sur la demande au titre de l'exécution déloyale du contrat de travail, d'une part, la mauvaise foi de l'employeur ne peut résulter du seul défaut d'entretien annuel relatif à la charge de travail, d'autant que la relation contractuelle a duré moins de deux ans. D'autre part, Monsieur [S] ne justifie ni même ne précise la nature et l'étendue du préjudice qu'il aurait subi de ce fait.

Il sera donc débouté de sa demande à ce titre.

Sur la demande au titre de l'indemnité pour travail dissimulé, l'application des dispositions des articles L. 8221-5 et L. 8223-1 du code du travail suppose qu'il soit considéré que l'employeur a intentionnellement mentionné sur les bulletins de paie un nombre d'heures de travail inférieur à celui réellement effectué.

Dans la mesure où la dissimulation reprochée à la société ACA repose sur la présente décision emportant nullité de la convention de forfait, le caractère intentionnel de cette dissimulation ne peut être retenu.

Monsieur [S] sera donc débouté de sa demande à ce titre.

Sur les autres demandes

En considération des sommes allouées à Monsieur [S] par le présent arrêt au titre des rappels de commissions, heures supplémentaires et congés payés afférents, la rémunération brute moyenne perçue par Monsieur [S] du mois de janvier 2011 au mois de janvier 2012 sera fixée à la somme de 16.678,30 € bruts par mois.

La société ACA, qui succombe à l'instance, sera condamnée aux dépens ainsi qu'à payer à Monsieur [S] la somme de 1.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et ce, en sus de la somme allouée à ce titre par la décision déférée.

PAR CES MOTIFS

LA COUR,

Statuant par un arrêt contradictoire, mis à disposition au greffe,

Confirme la décision déférée en ce qu'elle a alloué à Monsieur [S] la somme de 360,96 € bruts au titre d'un rappel de commissions dû pour l'année 2012 et celle de 36,09 € bruts au titre des congés payés afférents, estimé fondée dans son principe la demande en paiement de Monsieur [S] au titre des heures supplémentaires réalisées les 11, 12 et 13 novembre 2011 et des congés payés afférents et condamné la société ACA aux dépens ainsi qu'à régler à Monsieur [S] la somme de 600 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Réformant la décision pour le surplus, statuant à nouveau et y ajoutant,

Déclare recevable l'action de Monsieur [S],

Condamne la société Artaud, Courthéoux & Associés à payer à Monsieur [S] les sommes suivantes :

- 1.332,78 € bruts à titre de rappel d'indemnité de congés payés sur commissions,

- 22.357,98 € bruts à titre de rappel de commissions dues pour l'année 2011 et 2.235,80 € bruts au titre des congés payés afférents,

- 68.032,29 € bruts au titre des heures supplémentaires effectuées outre 6.803,23 € bruts au titre des congés payés afférents,

- 7.112,44 € au titre de l'indemnité liée au repos compensateur,

Rappelle que les créances salariales portent intérêts au taux légal à compter de la réception par la défenderesse de sa convocation devant le conseil de prud'hommes soit du 12 mai 2014 et dit que les intérêts dus seront capitalisés année par année dans les termes prévus par l'article 1154 du code civil,

Dit que la rémunération brute moyenne perçue par Monsieur [S] du mois de janvier 2011 au mois de janvier 2012 s'élève, compte tenu des condamnations ci-dessus prononcées, à la somme de 16.678,30 € bruts par mois.

Déboute Monsieur [S] du surplus de ses prétentions,

Condamne la société Artaud, Courthéoux & Associés aux dépens ainsi qu'à payer à Monsieur [S] la somme de 1.000 € au titre des frais irrépétibles engagés en cause d'appel.

LE GREFFIER LE PRESIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 10
Numéro d'arrêt : 15/10600
Date de la décision : 26/10/2016

Références :

Cour d'appel de Paris L1, arrêt n°15/10600 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2016-10-26;15.10600 ?
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