Grosses délivrées REPUBLIQUE FRANCAISE
aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 1 - Chambre 3
ARRET DU 25 OCTOBRE 2016
(n° 601 , 7 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : 16/04830
Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 19 Février 2016 -Tribunal de Grande Instance de PARIS - RG n° 16/50974
APPELANTE
Madame [E] [Z] épouse [G]
[Adresse 1]
[Adresse 1]
née le [Date naissance 1] 1967 à [Localité 1] (MAROC)
Représentée et assistée de Me Frédéric BIBAL de l'ASSOCIATION ARPEJ', avocat au barreau de PARIS, toque : J103
INTIMES
FONDS DE GARANTIE DES VICTIMES DES ACTES DE TERRORISME ET D'AUTRES INFRACTIONS
[Adresse 2]
[Adresse 2]
Représenté par Me Hélène FABRE de l'ASSOCIATION Hélène FABRE, Carole SAVARY, Patricia FABBRO, avocat au barreau de PARIS, toque : P0124
assisté de Me Patricia FABBRO, plaidant pour de l'ASSOCIATION Hélène FABRE, Carole SAVARY, Patricia FABBRO, avocat au barreau de PARIS, toque : P0124
CAISSE NATIONALE DES BARREAUX FRANCAIS (CNBF)
[Adresse 3]
[Adresse 3]
assignée à personne morale habilitée le 15 juillet 2016
REGIME SOCIAL DES INDEPENDANTS (RSI)
[Adresse 4]
[Adresse 4]
assigné à étude le 15 juillet 2016
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 12 Septembre 2016, en audience publique, devant la Cour composée de :
Madame Martine ROY-ZENATI, Présidente de chambre
Mme Mireille QUENTIN DE GROMARD, Conseillère
Madame Anne-Marie GRIVEL, Conseillère
qui en ont délibéré
Greffier, lors des débats : Mlle Véronique COUVET
ARRET :
- PAR DEFAUT
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Madame Martine ROY-ZENATI, président et par Mlle Véronique COUVET, greffier.
Par acte du 13 janvier 2013, Mme [E] [G] a saisi le président du tribunal de grande instance de Paris statuant en référé pour obtenir la condamnation du Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions -FGTI- à lui verser la somme de 100.000 € à titre de provision à valoir sur l'indemnisation définitive de son préjudice.
Elle exposait que le 9 janvier 2015, elle se trouvait devant le magasin 'Hypercacher' de [Localité 2] au moment où le terroriste [H] [X] y entrait ; qu'elle s'était réfugiée dans son véhicule garé à proximité où elle était restée prostrée pendant une partie de la prise d'otages jusqu'à ce que les policiers l'aident à quitter les lieux ; qu'elle a été reçue le jour même dans les locaux de la Brigade de répression du banditisme par une psychologue.
Elle expliquait avoir développé un stress post-traumatique et qu'elle était astreinte de manière très régulière à un suivi psychiatrique et que les répercussions de l'attentat l'empêchaient de poursuivre son activité professionnelle.
Par décision contradictoire du 19 février 2016, le juge des référés du tribunal de grande instance de Paris a :
- rejeté la demande de provision présentée par Mme [E] [G] à l'encontre du Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions ;
- ordonné une expertise comptable ;
désigné en qualité d'expert, Madame [W] [B] avec pour mission de se faire communiquer tous les documents utiles, notamment comptables et fiscaux relatifs à l'exercice professionnel de Mme [G], déterminer les pertes de bénéfices imputables aux arrêts de travail prescrits à Mme [G] et fournir tous les éléments d'évaluation du préjudice économique et financier subi par Mme [G] à la suite de faits du 9 janvier 2015 ;
- ordonné une expertise médicale ;
désigné en qualité d'expert, Monsieur [W] [P] avec pour mission de :
1° - Convoquer les parties ou leur conseil en les informant de la faculté de se faire assister par le médecin-conseil de leur choix,
2° - Déterminer l'état de Mme [E] [G] avant le 9 janvier 2015,
3° - Relater les constatations médicales faites après les faits ainsi que l'ensemble des interventions et soins,
4° - Examiner Mme [G], enregistrer les doléances et décrire les constatations ainsi faites,
5° - Décrire en détail les lésions initiales et leur évolution,
6° - Dire si les anomalies constatées lors de l'examen sont la conséquence des faits en cause ou d'un état ou d'un accident antérieur ou postérieur ;
7° - Fixer la date de consolidation,
8° - Dire si Mme [G] a perdu son autonomie personnelle,
9° - Donner un avis détaillé sur la difficulté ou l'impossibilité pour l'intéressée de poursuivre l'exercice de sa profession ou d'opérer une reconversion,
10° - Donner un avis détaillé sur l'importance des souffrances physiques et des atteintes esthétiques et sur l'existence d'un préjudice sexuel,
11° - Dire s'il existe un préjudice d'agrément ;
- laissé les dépens à la charge de Mme [E] [G].
Par acte du 23 février 2016, Mme [E] [G] a interjeté appel de cette décision.
Par ses conclusions transmises le 13 mai 2016, elle demande à la cour de :
- la déclarer recevable et bien fondée en son appel ;
- infirmer partiellement la décision entreprise ;
- dire que la dissimulation intentionnelle de l'inscription de Mme [G] sur la liste unique des victimes est constitutive pour le Fonds de garantie d'un abus de droit ;
- condamner le Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions à lui verser 1 euro au titre de l'abus de droit ;
- condamner le Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions à lui verser la somme de 100.000 € à titre de provision à valoir sur l'indemnisation définitive de son préjudice
- compléter la mission d'expertise confiée au docteur [W] [P] ;
- condamner le Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions à lui verser la somme de 3 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner le Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions aux dépens de première instance et d'appel.
Elle fait valoir que le Fonds de garantie a commis un abus de droit devant la juridiction de première instance en dissimulant intentionnellement au juge son inscription sur la liste unique des victimes constituée par le parquet.
Elle ajoute que cette dissimulation présente un caractère abusif compte tenu du rôle institutionnel du Fonds de garantie dans l'indemnisation des victimes d'attentats et de sa fragilité psychologique dont celui-ci avait connaissance lorsqu'il a commis cette dissimulation, qui devra donner lieu à l'octroi d'un euro de dommages-intérêts.
Sur la provision sollicitée, elle soutient que sa qualité de victime de l'attentat de janvier 2015 n'est pas sérieusement contestable, et que la liste unique des victimes pose une présomption quant à la qualité de victime des personnes mentionnées et inverse ainsi la charge de la preuve.
Par conséquent, elle fait valoir qu'étant inscrite sur la liste unique des victimes en tant que personne impliquée présentant un dommage psychologique postérieur aux faits et lié à l'attentat, elle revêt jusqu'à preuve du contraire la qualité de victime des attentats de l'Hypercacher.
En outre, elle appuie sa demande sur des éléments précis établissant sa qualité de victime de l'attentat tels que des témoignages, une attestation de la psychologue de la préfecture de police, des certificats du psychiatre traitant et un rapport du docteur [S].
Enfin, elle ajoute que son état de santé a eu pour conséquence l'arrêt total de son activité d'avocat fiscaliste entraînant une précarité financière extrême ; qu'elle n'encaisse plus le moindre honoraire correspondant à une prestation réalisée au cours de l'année 2015 et que ses seuls revenus sont versés par le courtier AON et la CNBF.
Par ses conclusions transmises le 17 juin 2016, le Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions demande à la cour de :
- constater que Mme [G] ne rapporte pas en l'état et de manière incontestable la preuve qu'elle remplit les conditions légales pour obtenir une indemnisation de la part du fonds de garantie ;
- constater que n'est pas rapportée de manière incontestable la preuve de l'imputabilité de son état dépressif aux faits du 9 janvier 2015 ;
Par conséquent :
- constater qu'il existe des contestations sérieuses interdisant au juge des référés de faire droit aux demandes de provision et les rejeter ;
- confirmer l'ordonnance du 19 février 2016 en toutes ses dispositions.
Il soutient que la demande d'indemnité provisionnelle se heurte à des contestations sérieuses ; que la liste unique des victimes transmise par le procureur de la république lui sert de base de travail et que par conséquent il lui appartient d'apprécier la qualité de victime d'actes de terrorismes ouvrant droit à une indemnisation définitive.
Il indique ainsi que la présomption de qualité de victime fondée sur la liste unique de victimes ne repose sur aucune base juridique et qu'elle est insuffisante pour fonder l'obligation d'indemnisation par le Ffonds. Il ajoute que la présomption est contredite par l'absence de procès-verbal d'audition dans le dossier. Il soutient donc que la victime n'apporte pas la preuve du lien entre le dommage traumatique revendiqué et l'acte terroriste permettant d'apprécier avec certitude sa situation au regard du régime d'indemnisation des victimes d'actes de terrorisme.
Ensuite, il ajoute qu'il ne relève pas de la 'compétence' du juge des référés d'apprécier la qualité de victime de Mme [G] en présence de contestations sérieuses sur ce point ; qu'en outre, Mme [G] n'apporte pas la preuve de l'imputabilité des difficultés financières de son activité d'avocat aux faits de terrorisme.
Il fait donc valoir qu'en présence d'une contestation quant au lien de causalité certain et direct entre les répercussions psychologiques constatées et les faits criminels et quant à l'imputabilité des difficultés financières de son activité d'avocat aux faits de terrorisme, la demande de provision doit être rejetée.
SUR CE, LA COUR
Considérant que les dispositions de la décision qui ne sont pas critiquées en ce qu'elle ordonne une expertise comptable et une expertise médicale seront confirmées ;
Considérant qu'en application de l'article 809 alinéa 2 du code de procédure civile, dans les cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable, le juge des référés peut accorder une provision au créancier, ou ordonner l'exécution de l'obligation même s'il s'agit d'une obligation de faire ;
Considérant que l'article L. 126-1 du code des assurances dispose que 'les victimes d'actes de terrorisme commis sur le territoire national (...) sont indemnisées dans les conditions définies aux articles L. 422-1 à L. 422-3" ; que ces articles prévoient que pour l'application de l'article L. 126-1, la réparation intégrale des dommages est assurée par l'intermédiaire du fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions ; que notamment, l'article L.422-2 précise que le fonds de garantie est tenu, dans un délai d'un mois à compter de la demande qui lui en est faite, de verser une ou plusieurs provisions à la victime qui a subi une atteinte à sa personne, et est tenu de présenter à toute victime une offre d'indemnisation dans un délai de trois mois à compter du jour où il reçoit de celle-ci la justification de ses préjudices ;
Considérant que l'article R. 422-6 du code des assurances prévoit que :
'Dès la survenance d'un acte de terrorisme, le procureur de la République ou l'autorité diplomatique ou consulaire compétente informe sans délai le fonds de garantie de l'événement et de l'identité des victimes. En outre, toute personne qui s'estime victime d'un acte de terrorisme peut saisir directement le fonds de garantie' ;
Considérant que l'instruction interministérielle relative à la prise en charge des victimes d'actes de terrorisme du 6 octobre 2008 précise que :
'Les différentes listes (personnes décédées, blessées et impliquées) sont transmises par le commandant des opérations de police ou de gendarmerie, en coordination avec le commandant des opérations de secours, dans les meilleurs délais, à l'autorité judiciaire (parquet de Paris). Cette dernière établit une synthèse et arrête, en liaison étroite et permanente avec les services de police ou de gendarmerie, chargés de l'enquête, une liste unique des victimes (personnes décédées, blessées ou impliquées). Seule cette liste fait foi et est diffusée aux organismes concernés' ;
Considérant que cette instruction précise que :'est considérée comme impliquée toute personne qui, n'ayant subi aucun dommage physique ou psychique immédiat lié directement à l'acte terroriste, a été témoin de cet acte' ; que l'instruction interministérielle relative à la prise en charge des victimes d'actes de terrorisme du 13 avril 2016, 'tirant les enseignements de l'application de l'instruction interministérielle du 6 octobre 2008" (...) 'afin de répondre au mieux à la singularité de chaque situation', complète cette définition en indiquant que la liste unique des victimes diffusée aux organismes recense '(...) les personnes impliquées qui se trouvaient sur le lieu des faits au moment de l'acte de terrorisme et qui, ayant été exposées au risque, ont présenté ultérieurement aux faits un dommage physique ou psychologique qui y est directement lié' ;
Considérant que les deux instructions indiquent que la liste est transmise par le parquet au FGTI, et, selon l'instruction la plus récente, servira de base de travail à ce dernier, pour l'allocation d'indemnisation, sans préjudice de la possibilité pour toute personne qui s'estime victime d'un acte de terrorisme de le saisir directement ;
Considérant qu'en l'espèce, Mme [G] a saisi le FGTI par lettre de son avocat du 16 février 2015 aux fins d'obtenir une première provision d'urgence, exposant les faits dont elle avait été victime le jour de l'attentat de l'Hypercacher le 9 janvier 2015 ; qu'au cours de l'instance de référés qu'elle a dû initier en raison du refus du FGTI de lui allouer une provision complémentaire, le magistrat a interrogé les services du parquet pour que lui soient communiquées des informations sur l'inscription de Mme [G] sur la liste unique prévue par les textes ci-dessus rappelés ;
Que par soit-transmis du 8 février 2016, le procureur de la République a informé le juge des référés que 'Mme [E] [B] figure sur la liste unique des victimes établie par le parquet de Paris conformément à l'instruction interministérielle relative à la prise en charge des victimes d'actes de terrorisme en date du 6 octobre 2008, à la suite des attentats commis à [Localité 3] les 7,8 et 9 janvier 2015. Elle y est recensée comme impliquée. Je vous précise que cette catégorie n'est pas définie par l'instruction ministérielle précitée et regroupe les témoins choqués, non victimes directes des faits' ;
Considérant que le FGTI indique avoir appris l'inscription de Mme [G] sur la liste unique du parquet seulement au cours de la première instance, ce que réfute Mme [G] qui soutient que le FGTI aurait dissimulé volontaire son inscription qui aurait été portée à sa connaissance depuis le mois de février 2015 ;
Qu'il n'appartient pas au juge des référés, juge de l'évidence, de trancher ce différend qui suppose la caractérisation d'une faute et du lien de causalité avec le préjudice invoqué ; qu'il n'y a pas lieu à référé de ce chef ;
Considérant que le FGTI considère que la qualité de victime d'acte de terrorisme de Mme [G] est contestable dès lors que cette qualité dépend de la qualification qui sera retenue par le ministère public de l'infraction commise au préjudice de l'appelante, qui pour l'heure, n'en a déterminé aucune ;
Considérant toutefois que si le FGTI pourrait contester la qualité de victime d'acte de terrorisme d'une personne qui la saisit directement en estimant relever de son régime d'indemnisation, il en est différemment des victimes, directes ou indirectes, recensées sur la liste unique dressée par le parquet de Paris et qui fait foi, conformément aux prescriptions de l'instruction interministérielle du 6 octobre 2008 ;
Que par ailleurs, la cour relève que le FGTI a, à deux reprises, les 25 février et 20 octobre 2015, versé une provision à Mme [G] ; que si cet organisme invoque l'application des dispositions de l'article L. 422-2 du code des assurances pour justifier ces versements, il n'en demeure pas moins que les provisions prévues par ce texte sont réservées aux 'victimes' d'attentat, et que les courriers du FGTI les accompagnant n'émettent aucune réserve sur cette qualité mais uniquement sur l'étendue des préjudices invoqués par Mme [G], et l' imputabilité directe aux faits de certains d'entre eux ;
Considérant qu'il se déduit de ce qui précède que les contestations émises par le FGTI à l'encontre de la demande d'indemnisation provisionnelle complémentaire sollicitée par Mme [G] ne sont pas sérieuses et que, infirmant l'ordonnance entreprise, il y sera fait droit ;
Considérant qu'il résulte des pièces produites aux débats que, si les répercussions psychologiques sont établies avec l'évidence requise en référé, il n'en est pas de même pour ce qui est du préjudice professionnel invoqué, de sorte qu'il convient d'allouer à l'appelante une provision complémentaire limitée à la somme de 15 000 euros ;
Considérant qu'il n'y a pas lieu de modifier la mission de l'expertise médicale à défaut de motivation de ce chef de demande ;
Considérant que l'équité commande de faire bénéficier l'appelante des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, dans les conditions précisées au dispositif ci-après ;
Considérant que les dépens de première instance resteront à la charge de Mme [G], demanderesse à l'expertise ; que les dépens d'appel devront être supportés par le FGTI qui a résisté indûment à la demande de provision présentée par l'appelante ;
PAR CES MOTIFS
Confirme l'ordonnance entreprise sauf en ce qu'elle a rejeté la demande de provision formulée par Mme [G] ;
Statuant à nouveau de ce chef et y ajoutant
Condamne le FGTI à verser à Mme [E] [G] la somme provisionnelle de 15 000 euros à valoir sur l'indemnisation de son préjudice psychologique ;
Dit n'y avoir lieu à référé sur la demande de Mme [G] en réparation d'un abus de droit ;
Rejette la demande de modification de la mission de l'expertise médicale ;
Condamne le FGTI à verser à Mme [E] [G] la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne le FGTI aux dépens d'appel.
LE GREFFIER LE PRESIDENT