RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 3
ARRÊT DU 18 Octobre 2016
(n° , 9 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : S 15/12404 et 15/12632
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 05 Novembre 2015 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BOBIGNY RG n° 13/01964
APPELANTE à titre principal (15/12404)
INTIMÉE à titre incident (15/12632)
SA ALSTOM POWER SERVICE
[Adresse 1]
[Adresse 1]
[Adresse 1]
représentée par Me Philippe ROZEC, avocat au barreau de PARIS, toque : R045 substitué par Me Louise THIEBAUT, avocat au barreau de PARIS, toque : R045
INTIME à titre principal (15/12404)
APPELANT à titre incident (15/12632)
Monsieur [I] [A]
[Adresse 2]
[Adresse 2]
né le [Date naissance 1] 1967 à [Localité 1]
représenté par Me Philippe GOMAR, avocat au barreau de PARIS, toque : B1122
PARTIE INTERVENANTE :
POLE EMPLOI
[Adresse 3]
[Adresse 3]
[Adresse 3]
représenté par Me Véronique DAGONET, avocat au barreau de VAL-DE-MARNE, toque : PC 3 substitué par Me Ingrid LEROY, avocat au barreau de VAL-DE-MARNE, toque : 387
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 05 Septembre 2016, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Monsieur Daniel FONTANAUD, Président de chambre, chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Monsieur Daniel FONTANAUD, Président
Madame Isabelle VENDRYES, Conseillère
Madame Laurence SINQUIN, Conseillère
qui en ont délibéré
Greffier : Madame Véronique BESSERMAN-FRADIN, lors des débats
ARRET :
- contradictoire
- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile.
- signé par Monsieur Daniel FONTANAUD, Président et par Madame Valérie LETOURNEUR, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Exposé du litige
Monsieur [I] [A], engagé par la société ALSTOM POWER SERVICE à compter du 1er juillet 2011, en qualité de chargé d'exploitation transport, au dernier salaire mensuel brut de 2.720 euros, a été licencié pour cause réelle et sérieuse par lettre du 24 avril 2013 énonçant le motif suivant :
'... * Manquements répétés et délibérés au respect des procédures en vigueur
Nous déplorons de votre part des refus répétés de vous conformer aux directives données s'agissant des procédures à respecter dans l'exécution de vos fonctions.
- Refus d'appliquer la procédure relative aux modèles de documents d'expédition
Le 26 février 2013, votre management a été contraint de vous rappeler à l'ordre par courrier remis en main propre sur le respect des procédures attendu de votre part quant aux modèles de documents d'expédition à utiliser dans votre service d'appartenance.
Ce rappel à l'ordre formel faisait suite à de nombreux rappels préalables, demeurés sans effet. Cette situation a imposé l'intervention de votre responsable hiérarchique directe, Madame [Q] et de son supérieur Monsieur [M], en présence de votre Responsable RH, Madame [B] et, à votre demande, d'un représentant du personnel, Monsieur [D].
En dépit de ce rappel à l'ordre, vous avez refusé une nouvelle fois de vous conformer à la consigne très claire qui vous avait été donnée, Ainsi, dès le lendemain, vous avez de nouveau transmis des documents d'expédition personnalisés. Cette fois-ci, il s'agissait d'un bordereau d'expédition via DHL référencé PKL 86242 que vous avez sciemment personnalisé et accompagné d'un ordre de transport rédigé de façon totalement inutile puisqu'aucun transporteur ne vient prendre possession du colis pour le compte de DHL,. Une telle attitude traduit une volonté délibérée de ne pas respecter les procédures en place et de défier l'autorité de votre management.
- Non-respect de la procédure applicable en matière de pointage :
Le 10 mars 2013, Monsieur [M], Responsable de la Plateforme Logistique, a découvert que vous aviez pointé des heures de travail pour un dossier d'expédition de pièces pour le site de [Localité 2] (référencé par la livraison sortante 80076075), et ce bien que vous n'ayez pas encore commencé à traiter ce dossier, Monsieur [M] vous a alors rappelé les procédures applicables en matière de pointage de votre activité, tant sur la forme (après avoir effectué le travail) que sur le fond (nombre d'heures à pointer par nature d'expédition). Ces éléments vous ont également été confìrmés par courriel le jour même.
Vous avez alors réagi très vivement, tentant d'adopter une position de victime en réaction à cette remarque pourtant légitime.
* Refus de remise en cause et comportement inacceptable
Nous constatons que, confronté aux demandes de votre management de respecter les procédures en vigueur, vous refusez systématiquement de vous remettre en cause et n'avez de cesse de formuler des reproches à l'égard de vos collègues de service et votre management.
A contrario, vous n'avez de cesse de vous appuyer sur les appréciations de vos clients internes pour justifier de votre bon droit.
Nous vous avions pourtant rappelé à de nombreuses reprises que seules les directives de votre hiérarchie devaient être respectée.
Par ailleurs, nous déplorons que vous remettiez systématiquement et régulièrement en cause auprès d'un certain nombre de vos collègues et de représentants de la Direction des Ressources Humaines, les éléments émanant de votre environnement de travail.
Cette attitude s'est traduite tant dans vos nombreux courriels que dans des reproches formulés de façon récurrente à l'encontre de vos collègues et de votre hiérarchie, et ce sans jamais appliquer les recommandations découlant des différents entretiens que vous avez eus avec votre management, les Responsables Ressources Humaines, les représentants du personnel et le médecin du travail.
Pour mémoire, cette attitude nous avait pourtant conduit à vous rencontrer le 21 novembre 2012 et à établir un compte rendu détaillé de nos échanges et de vos engagements, en vue de vous faire prendre conscience de la nécessité impérative de changer votre comportement. Depuis lors, nous n'avons constaté aucun changement notable dans votre attitude vis à vis de votre management et de vos collègues.
Pourtant, nous avons été à l'écoute de vos remarques et avons systématiquement mis en 'uvre des mesures pour répondre à vos demandes :
- Nous avons ainsi organisé plusieurs entretiens auxquels un représentant du personnel a été associé, pour tenter de rétablir un climat de travail serein tant pour vous que pour vos collègues, 0utre l'entretien du 2t novembre 2012, d'autres entretiens ont eu lieu depuis, et notamment le 31 janvier 2013, Pour mémoìre, ledit entretien a de nouveau abouti à des engagements réciproques consignés dans un compte rendu détaillé.
- Nous avons par ailleurs à de nombreuses reprises sollicité l'intervention du médecin du travail, que vous avez ainsi rencontré les 24 / 07/12, 05/10/12, 20/11/12 et 01/03/13.
En dépit de ces efforts conjugués, vous avez persisté dans votre attitude d'opposition et avez continué à retranscrire les événements dans lesquels vous étiez impliqué en vue de vous attribuer un rôle de victime.
Nous ne pouvons que regretter votre volonté manifeste de maintenir une attitude de défiance et de persécution nuisible aux relations que vous entretenez tant avec votre hiérarchie que vos collègues.
Ainsi, le 10 mars 2013, à la suite du rappel à l'ordre de Monsieur [M] sur le pointage, vous avez adressé un courriel depuis votre adresse personnelle à plusieurs salariés de notre entreprise, en 'copie cachée', dont le contenu visait une nouvelle fois à dénaturer la réalité en la présentant exclusivement sous l'angle de votre propre perception. Surtout, ce courriel traduisait, compte tenu des mesures mises en oeuvre depuis l'automne 2012 pour tenter de résoudre les difficultés que vous prétendiez rencontrer, une attitude irrespectueuse et diffamatoire visant à culpabiliser et déstabiliser vos collègues et votre hiérarchie, et en particulier le Responsable de la Plateforme Logistique.
Ce courriel n'est qu'une illustration de l'attitude d'opposition et de provocation dont vous faites preuve depuis plusieurs mois.
Ceci est confirmé par le courrier que vous nous avez adressé le 12 mars 2013, dans lequel vous vous livrez une nouvelle fois à une présentation tronquée de la réalité dans le but d'obtenir une mobilité interne.
Votre attitude est inacceptable compte tenu des différentes actions mises en place par volre hiérarchie et la Direction des Ressources Humaines pour prendre en compte vos demandes et ainsi restaurer la sérénité au sein de votre service. Les différents comptes rendus de nos entretiens et procédures clarifiées dans votre service attestent pourtant de l'attention que nous avons portée à votre situation.
Un tel comportement, conjugué à votre refus d'appliquer les procédures, ne saurait être toléré...'
Par jugement du 5 novembre 2015, le Conseil de prud'hommes de BOBIGNY a dit que le licenciement était sans cause réelle et sérieuse et condamné la société ALTSOM POWER SERVICE à verser Monsieur [A] les sommes suivantes, avec intérêts au taux légal à compter du prononcé du jugement :
- 2720,00 € à titre d'indemnité pour licenciement irrégulier
- 3.000,00 € à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
- 10.000,00,00 € à titre d'indemnité en réparation du préjudice subi du fait du harcèlement moral
- 2000,00 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile
Il a ordonné l'exécution provisoire du jugement à hauteur de 20.000 euros.
La société ALSTOM, suivie de Monsieur [A] en ont relevé appel.
Par conclusions visées au greffe le 5 septembre 2016 au soutien de ses observations orales auxquelles il est expressément fait référence en ce qui concerne ses moyens, la société ALSTOM demande à la cour d'infirmer le jugement, de débouter Monsieur [A] de ses demandes, d'ordonner le remboursement de la somme de 20 000 euros versées au titre de
l'exécution provisoire et de condamner Monsieur [A] à verser 4.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Par conclusions visées au greffe le 5 septembre 2016 au soutien de ses observations orales auxquelles il est expressément fait référence en ce qui concerne ses moyens, Monsieur [A] demande à la cour d'infirmer le jugement, mais uniquement en ce qu'il l'a débouté de sa demande tendant à voir ordonner la nullité de son licenciement et de ses demandes subséquentes tendant à voit ordonner sa réintégration. Il demande de condamner la société ALSTOM au paiement des salaires ayant couru entre la date de son licenciement et celle de sa réintégration effective au sein de l'entreprise, outre les congés payés afférents. Il demande à la cour de juger que son licenciement est nul, d'ordonner sa réintégration au sein de la société ALSTOM ou du groupe GENERAL ELECTRIC dans un autre service, dans un emploi de qualification équivalente et sous astreinte de 500 euros par jour de retard à compter de la notification de l'arrêt. Il sollicite la condamnation de la société ALSTOM au versement des sommes suivantes, avec intérêts au taux légal à compter de la date de saisine du conseil de prud'hommes:
- 106.883,30'€ au titre des salaires correspondant à la période du 25 avril 2013 au 5 septembre 2016
-'10.688,33€ au titre des congés payés afférents.
'
Il demande la condamnation de la société ALSTOM au paiement de la somme de 4.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Par conclusions visées au greffe le 5 septembre 2016 au soutien de ses observations orales auxquelles il est expressément fait référence en ce qui concerne ses moyens, POLE EMPLOI demande à la cour de confirmer le jugement et de condamner la société ALSTOM à lui verser la somme de 10.810,80 euros au remboursement des allocations chômage versées au salarié ainsi que la somme de 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Pour plus ample exposé des faits, de la procédure et des prétentions des parties, la cour se réfère à leurs conclusions visées par le greffier et développées lors de l'audience des débats.
****
MOTIFS
Il convient d'ordonner la jonction entre les instances enrôlées sous les n°15/12404 et 15/12632 compte tenu du lien existant entre elles.
Sur la régularité de la procédure de licenciement
Monsieur [A] fait valoir que le 26'mars 2013, date fixée pour l'entretien préalable au licenciement, il était en arrêt maladie depuis le'1er mars'2013 et a avisé son employeur de son impossibilité de venir par lettre du 18'mars 2013 et que l'employeur ne l'a pas convoqué à une date ultérieure.
Au vu des pièces produites, Monsieur [A] a effectivement adressé un courrier à son employeur indiquant qu'il avait reçu la convocation à l'entretien préalable. Il y indique que son médecin a jugé nécessaire de prolonger son arrêt de travail initial du 15 mars 2013 au 31 mars 2013 inclus et il informe son employeur qu'il ne pourra se rendre à la convocation du 26 mars.
Il est observé que Monsieur [A] ne demande pas de reporter cet entretien et que l'arrêt de travail mentionne que les sorties sont libres et dès lors, ce dont il résulte que l'intéressé pouvait se déplacer.
Enfin, l'employeur n'était pas tenu de convoquer à nouveau le salarié à une date ultérieure et aucun élément ne permet en l'espèce de caractériser un abus de sa part ou une intention de mettre le salarié dans l'impossibilité de se présenter à la convocation.
Il s'ensuit que le licenciement n'est pas irrégulier. L' attestation du médecin traitant datée du 26 avril 2013, soit un mois après la date prévue pour l'entretien et surtout postérieur au licenciement, indiquant que l'état de santé de l'intéressé ne lui a pas permis de se rendre à cet entretien est en l'espèce inopérante, ce document n'ayant d'ailleurs pas été transmis à l'employeur avant l'instance prud'homale.
Sur la demande au titre du harcèlement moral
Principe de droit applicable
Il appartient au salarié qui se prétend victime de harcèlement moral d'établir la matérialité de faits précis et concordants faisant présumer l'existence de ce harcèlement ; celui-ci se définit, selon l'article L 1152-1 du code du travail, par des actes répétés qui ont pour objet ou pour effet, indépendamment de l'intention de leur auteur, une dégradation des conditions de travail du salarié, susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ;
Lorsque les faits sont établis, l'employeur doit démontrer qu'ils s'expliquent par des éléments objectifs, étrangers à tout harcèlement ;
Application du droit à l'espèce
Monsieur [A] invoque un harcèlement moral mais ne s'appuie pas sur des faits précis et n'étaye pas ses accusations, ni ne produit des pièces de nature à prouver un comportement harcelant dont il aurait pu être victime. Il invoque simplement le fait qu'une salariée d'origine algérienne se serait montrée agressive à son encontre en le traitant de 'mysogine' et de 'raciste' ainsi que la passivité du chef de service. Le fait qu'il ait sollicité une enquête et demandé une mobilité ne permet pas de conclure qu'il ait été victime d'agissements de harcèlement.
Monsieur [A] relate cependant un élément dont il indique la date : le 12 mars 2013, l'intéressé a adressé un courrier à la directrice des ressources humaines pour dénoncer un comportement qu'il qualifie de harcèlement de la part du responsable de la plate-forme logistique-service transport de [Localité 3]. Il y indique que le 1er mars, il a été 'durement réprimandé devant ses collègues de service' et il lui a été demandé 'en criant' de se justifier sur l'avancement de ses dossiers en lui coupant la parole. Il précise avoir eu alors un arrêt de travail pendant deux semaines. Cet élément isolé et relaté de façon imprécise repose exclusivement sur les allégations de l'intéressé. Il ne permet pas de présumer l'existence d'un comportement harcelant.
Par ailleurs, les avis d'arrêt de travail produits font état d'une anxiété sans la lier à des agissements de harcèlement, tandis que les autres documents émanant de médecins invoquent une souffrance au travail mais ne relatent pas d'incidents précis qui auraient été rapportés.
Les attestations versées aux débats par Monsieur [A] (de Messieurs [T], [G], [S] et [P] font notamment valoir que Monsieur [A] n'est pas raciste, mais n'apportent pas d'élément sur des faits de harcèlement dont le salarié aurait été victime ou dont ils auraient pu être témoins.
De son côté, la société ALSTOM POWER SERVICE fait valoir qu'aucune situation de harcèlement n'est avérée en l'espèce mais qu'au contraire, Monsieur [A] montrait un comportement très négatif envers ses collègues de travail. L'employeur ajoute que la société a pris, dans un contexte de dégradation de l'ambiance de travail imputable à Monsieur [A] les mesures de nature à préserver la santé et la sécurité des collaborateurs (y compris celle de Monsieur [A]).
S'agissant du comportement de Monsieur [A], plusieurs attestations sont versées au débat :
Selon le témoignage de Monsieur [C], Chargé d'exploitation Transport qui travaillait en open-space avec Monsieur [A] : '... je tiens à témoigner du véritable calvaire que m'a fait subir Monsieur [I] [A] durant sa dernière année de présence au sein de mon lieu de travail. Que diriez vous de venir travailler la boule au ventre, non pas par le stress du métier en soi ni par la présence de responsables, O combien professionnels de par leur écoute et leur management, mais la simple peur de recevoir lors d'un simple échange purement professionnel avec Monsieur [I] [A] une réaction inappropriée tant par le geste que par la parole...[']
Néanmoins, nous restons professionnels à son égard et faisons preuve d'une grande patience, comme le prouve certains changements mis en place dans l'organisation du service afin de nous adapter à son confort de travail'.
Monsieur [C] fait également référence aux excès de colère, aux réactions imprévisibles et à la violence verbale de Monsieur [A].
Selon Monsieur [F], qui travaillait aussi en open-space avec Monsieur [A] : «... Monsieur [A] a ensuite commencé à s'en prendre directement à ses collègues ... M. [A] se permettait de faire des commentaires sur l'origine et la façon de vivre de 2 de ses collègues (Maghreb').
Je peux témoigner que malgré son comportement désagréable envers ses chefs et ses collègues, nous avions tout tenté pour le raisonner mais M. [A] semblait pris dans une sorte de délire paranoïaque, même si ce terme paraît fort, je peux dire qu'il avait complètement « pourri » l'ambiance du service...'.
Madame [Y], chargée d'exploitation Transport atteste aussi du comportement particulièrement négatif de Monsieur [A].
Madame [Q], responsable hiérarchique de Monsieur [A], indique : 'Je me sentais harcelée par sa façon de communiquer, ses menaces... ses mails désobligeants à ses collègues et moi-même... Ses messages dénigrants sur ses collègues et sa hiérarchie envoyés à d'autres services, se représentant en victime et les autres en « bourreaux » ont fait beaucoup de mal...'.
Monsieur [M], responsable de la plate-forme logistique, fait aussi état du comportement négatif de Monsieur [A] et indique : « En conclusion, car je pourrai écrire plusieurs pages, depuis le départ de Monsieur [A], l'atmosphère de travail est sereine et équilibrée...'.
Par ailleurs, la société ALSTOM POWER SERVICE justifie avoir pris des mesures pour remédier à la situation : ainsi des réunions avec Monsieur [A] en présence de sa hiérarchie, des ressources humaines et d'un représentant du personnel ont été organisées. Un médecin du travail a été associé et celui-ci a reçu Monsieur [A] à plusieurs reprises : 24 juillet 2012, 5 octobre 2012, 20 novembre 2012, le 1er mars 2013.
Ainsi, la preuve de faits laissant supposer l'existence d'une situation de harcèlement moral dont aurait été victime Monsieur [A] n'est pas rapportée.
En conséquence, le jugement du Conseil de prud'hommes sera infirmé sur ce point et il n'y a pas lieu de prononcer la nullité du licenciement, ni d'ordonner sa réintégration au sein de la société et l'intéressé est débouté de ses demandes à titre de salaires.
Sur les motifs du licenciement
S'agissant des griefs relatifs au non respect des procédures en vigueur qui sont formulés de façon suffisamment précise dans la lettre de licenciement, les éléments versés au débat établissent que, malgré des demandes de sa hiérarchie et en particulier un rappel écrit clair et motivé adressé au moyen d'un courriel le 7 novembre 2012, Monsieur [A] persistait à personnaliser les modèles d'expédition contrairement aux consignes qui lui étaient données : le message adressé par Madame [D] [Q], la responsable du service transport, le 7 novembre 2012 était libellé ainsi : 'Merci d'utiliser les modèles en cours,
pour avoir un visage unique à l'extérieur... Si nous rencontrons des difficultés, nous changerons nos modèles ensemble'. Le 15 novembre 2012, Madame [Q] rappelait une nouvelle fois à l'intéressé qu'il ne devait pas personnaliser les documents standards. Cette règle lui était encore rappelée lors d'un entretien organisé le 21 novembre 2012 à la suite des échanges du 15 novembre. Le 25 février 2013, Monsieur [A] procédait à nouveau à des modifications des modèles mis à dispositions par la société ALSTOM POWER SERVICE pour une expédition vers le Qatar. Un nouveau rappel à l'ordre était adressé à l'intéressé par courrier remis en main propre le 26 février 2013. A cette occasion, il était encore rappelé au salarié la nécessité d'utiliser les modèles de documents de transport mis à disposition sur le répertoire partagé et les conséquences préjudiciables de la personnalisation. Le lendemain de ce rappel à l'ordre Monsieur [A] transmettait à nouveau des documents d'expédition personnalisés. Il établissait le 27 février 2013 un bordereau d'expédition via DHL référencé PKL 86242 modifié et accompagné d'un ordre de transport lui aussi personnalisé. Le grief consistant dans le refus d'appliquer la procédure relative aux modèles de documents d'expédition est ainsi établi, n'est pas prescrit, et caractérise une insubordination et une perturbation au sein de l'entreprise qui constitue à lui seul un motif sérieux de licenciement.
S'agissant du grief relatif au non-respect de la procédure applicable en matière de pointage, les éléments versés au débat établissent que le 1er mars 2013, Monsieur [M], Responsable de la Plateforme Logistique, découvrait que Monsieur [A] avait pointé des heures de travail pour un dossier d'expédition de pièces pour le site de [Localité 2] alors même qu'il n'avait pas commencé à traiter le dossier. Les procédures applicables à cet égard étaient rappelées par courriel le jour même à l'intéressé. par courriel du 1er mars 2013. le pointage des heures ne devant être effctué qu' après avoir traité le dossier.
Enfin, il est reproché à Monsieur [A] un comportement perturbant le fonctionnement du service.
Monsieur [A] réfute ce grief et fait valoir que ses dossiers n'étaient pas traités en son absence et qu'il souhaitait améliorer les conditions de travail car le bruit dans l'Open space empêchait une concentration sereine sur des dossiers compliqués. Il remet en cause les attestations produites par l'employeur et produit une attestation d'une personne qui a travaillé avec lui en 2005 selon laquelle il était très apprécié et d'un ancien responsable qui avait recruté Monsieur [A] en 2009 et qui le considère comme travailleur et résistant au stress. Deux autres attestations d'anciens collègues notes que Monsieur [A] n'est pas raciste et qu'il est compétent et apprécié. Les éléments produits par Monsieur [A] ne permettent cependant pas d'illustrer l'attitude de l'intéressé pendant la période concernée.
Au vu des pièces versées au débat, le comportement de Monsieur [A] se manifestait notamment dans des messages (courriels) inappropriés de défiance vis à vis de la hiérarchie et de reproches à l'encontre de ses collègues. Le comportement de l'intéressé vis à vis de son entourage professionnel était tel que la hiérarchie a organisé plusieurs réunions et tenu des entretiens pour améliorer la situation. Ainsi, un entretien du 21 novembre 2012 a donné lieu à un compte rendu détaillé et reprend quatre axes d'amélioration qui avaient déjà fait l'objet d'un précédent entretien le 24 octobre 2012 sur lesquels Monsieur [A] s'était engagé à :
- respecter ses collègues de travail ;
- prendre en compte les attentes de sa hiérarchie tant en termes opérationnel que de comportement (Monsieur [A] avait en particulier indiqué à sa supérieure hiérarchique qu'il estimait qu'elle était « pityful », ce qu'il a d'ailleurs reconnu dans courrier du 10 janvier 2013;
- exprimer ses demandes particulières auprès de sa hiérarchie et non directement
auprès de ses collègues afin d'éviter les crispations
- faire remonter à sa hiérarchie toute difficulté éventuelle avec ses collègues, tant en termes relationnels qu'en termes organisationnels.
Il lui était notamment rappelé, à l'occasion de cet entretien, que dans le souci de revenir à un climat apaisé au sein du service, le management avait rappelé et fixé les règles d'organisation élémentaires au cours d'une réunion de service le 5 novembre 2012. La Direction rappelait ensuite dans une note de service du 4 mars 2013 l'organisation du travail au sein de la cellule transport.
De nombreuses attestations versées aux débats, dont une émane d'un représentant du personnel, montrent le comportement de l'intéressé avec ses collègues et sa hiérarchie.
Sa supérieure hiérarchique, Madame [Q], atteste en particulier de la manière suivante : ' Il n'obéissait à aucune règle de procédure, malgré les rappels à l'ordre. Il me répondait du bout des lèvres concernant ses dossiers et son travail. Ci-joints quelques mails en exemple. Tout en m'ignorant, il a su m'insulter un midi lors de l'absence de nos collègues de bureau. Il m'envoyait en permanence, même pendant mes congés, des messages par sms de plainte contre ses collègues, les procédures. Il me demandait d'intervenir dans ses disputes, sur la façon que travaillaient ses collègues, sur leur méchanceté. Il se positionnait toujours en victime, or il faisait souffrir tout le service. J'essayais toujours de répondre, en tant que responsable, avec une solution à ses problèmes et essayait de rétablir la paix sociale dans le service ».
Monsieur [F], collègue de travail de Monsieur [A] indique que « ... pratiquement du jour au lendemain, M. [A] a commencé à critiquer toute l'organisation du service ; il refusait de se soumettre à nos procédures d'exploitation de la plateforme transport. Le travail nécessitait en effet un partage équitable des dossiers à traiter. M. [A] se permettait de ne pas accepter notre gestion des dossiers et commentait systématiquement le travail de ses collègues »...'.
De plus, les pièces produites établissent que Monsieur [A] discréditait sa hiérarchie auprès d'un collègue récemment arrivé dans le service en indiquant : « moi je te dis juste [M] méfiance, méfiance avec [O] [M] (et aussi [D] [Q] à mon avis' qui va tous lui rapporter) et l'attitude qu'il pourrait avoir à ton égard ou encore sur ta possible extension de période de formation ici dans ce service transport'moi je te dis je ne les sens pas ces gens, car c'est hypocrisie et compagnie ! 'donc voilà [M] c'était pour te prévenir juste être sur tes gardes'avec [O] [M] et [D] [Q] (')'.
Madame [Y] atteste aussi notamment que Monsieur [A] faisait des « remarques sur les Algériens en disant qu'ils sont faignants et sales ou des remarques religieuses à m'envoyer des emails sur la bourka des plages, invitation au forum des musulmans ou sur ma façon de cuisiner en m'envoyant une mega marmite en photo par mail ».
Monsieur [M] atteste par ailleurs que : « ... Monsieur [A] a commencé à avoir un comportement proche du harcèlement psychologique sur ses collègues et ses hiérarchiques, se positionnant systématiquement en victime, en ayant un comportement que l'on pourrait juger de « sournois » avec des envois de mails se rapportant à la religion musulmane d'une de ses collègues et/ou en appelant son collègue [G] [F] en « Rosemblum...'.
L'ensemble des éléments versés au débat établit ainsi que, quelques mois après son embauche, Monsieur [A] a modifié son comportement en adoptant une attitude d'opposition vis de vis de sa hiérarchie et de dénigrement de ses collègues, tout en se présentant comme victime. Ce comportement s'est traduit d'une part par le fait que l'intéressé ne respectait pas certaines procédures en vigueur au sein de l'entreprise malgré les rappels à l'ordre émanant de ses supérieurs mais, surtout, il a été perturbateur au sein du service malgré les tentatives de l'employeur pour renouer le dialogue à l'occasion de réunions et d'entretiens. Cette situation a conduit l'employeur à procéder à juste titre au licenciement du salarié environ 20 mois après son embauche.
Il s'ensuit que les griefs sont établis et sont suffisamment sérieux pour justifier le licenciement de l'intéressé.
Le jugement du Conseil de prud'hommes sera donc infirmé en ce qu'il a condamné la société ALSTOM POWER SERVICE au paiement d'une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Compte tenu des développements qui précèdent, il y a lieu d'ordonner le remboursement par Monsieur [I] [A] à la société ALSTOM POWER SERVICE de la somme versée au titre de l'exécution provisoire ordonnée par le jugement du conseil de prud'hommes.
Sur le remboursement des indemnités de chômage
S'agissant en l'espèce d'un licenciement pour cause réelle et sérieuse, il n' a pas lieu d'ordonner le remboursement des allocations de chômage.
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant publiquement et contradictoirement,
ORDONNE la jonction entre les instances enrôlées sous les n°15/12404 et 15/12632 compte tenu du lien existant entre elles.
INFIRME le jugement en toutes ses dispositions, et statuant à nouveau,
DEBOUTE Monsieur [A] de l'ensemble de ses demandes
ORDONNE le remboursement par Monsieur [I] [A] à la société ALSTOM POWER SERVICE de la somme de 20 000 euros versés au titre de l'exécution provisoire ordonnée par le jugement du conseil de prud'hommes
Vu l'article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNE Monsieur [A] à payer à la société ALSTOM POWER SERVICE la somme de 1500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
DEBOUTE les parties du surplus des demandes ,
LAISSE les dépens de première instance et d'appel à la charge de Monsieur [A].
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT