RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 3
ARRÊT DU 18 Octobre 2016
(n° , 6 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : S 13/09171
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 28 Juin 2013 par le Conseil de prud'hommes - Formation de départage de MEAUX RG n° 11/00016
APPELANT
Monsieur [S] [W]
[Adresse 1]
[Localité 1]
né le [Date naissance 1] 1980
représenté par Me Philippe BRUN, avocat au barreau de REIMS
INTIMES
SCP [K]-[H] prise en la personne de Me [K] [O] ès qualités de Mandataire liquidateur de la SA BRODARD GRAPHIQUE
[Adresse 2]
[Localité 2]
représenté par Me Nabil KEROUAZ, avocat au barreau de PARIS, toque : P0148 substitué par Me Iman MARTINEZ, avocat au barreau de PARIS, toque : P0148
AGS CGEA IDF EST
[Adresse 3]
[Localité 3]
représenté par Me Claude-marc BENOIT, avocat au barreau de PARIS, toque : C1953
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 07 Juin 2016, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Monsieur Daniel FONTANAUD, Président de chambre, chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Monsieur Daniel FONTANAUD, Président
Madame Isabelle VENDRYES, Conseillère
Madame Laurence SINQUIN, Conseillère
qui en ont délibéré
Greffier : Madame Claire CHESNEAU, lors des débats
ARRET :
- contradictoire
- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile.
- signé par Monsieur Daniel FONTANAUD, Président et par Madame Claire CHESNEAU, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Exposé du litige
Par jugement du 23 novembre 2009, le tribunal de commerce de MEAUX a prononcé l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire de la société BRODARD GRAPHIQUE, imprimerie située à Coulommiers. La société employait alors 217 salariés. Le tribunal a désigné Maître [I] en qualité d'administrateur judiciaire et la SCP [K] et [H] en qualité de mandataire judiciaire.
Dans le cadre d'une première réorganisation, il avait été envisagé au mois de décembre 2009 la suppression de 93 postes et le maintien de 124 emplois.
La période d'observation étant destinée rechercher à des solutions possibles de redressement, un premier plan de sauvegarde de l'emploi était présenté au comité d'entreprise, dans le courant du 1er trimestre 2010.
Finalement, ce premier PSE prévoyait la suppression de 86 postes, soit le maintien de 131 postes. Dans le cadre de ce plan, le groupe [M], dont faisait partie la société BRODARD GRAPHIQUE a été sollicité et a apporté une contribution consistant essentiellement à verser une enveloppe globale forfaitaire destinée à l'indemnisation des salariés à hauteur de 500.000 €.
Par ordonnance en date du 29 mars 2010, le juge-commissaire a autorisé le licenciement de 86 salariés, mais finalement, compte tenu des mesures prévues par le PSE, 68 salariés ont été licenciés pour motif économique par lettres du 31 mars 2010, tous dans le cadre du volontariat. Les contrats de travail ont pris fin, selon les cas, le 23 ou le 24 avril 2010.
La situation financière de la société s'est cependant gravement détériorée durant la période d'observation avec un impact direct sur la trésorerie de l'entreprise, en raison du départ de plusieurs clients importants et réguliers et de l'absence d'affaire nouvelle soumise à la société BRODARD GRAPHIQUE.
Cela a conduit à envisager une cession de l'entreprise. Ainsi, dans le cadre des opérations de redressement judiciaire, un plan de cession a été présenté par la société Circle Printer France, selon la synthèse contenue dans le rapport établi par Me [I], en vue de l'audience du tribunal de commerce. Le Comité d'entreprise sera consulté sur cette offre le 29 juin 2010 mais, le 5 juillet 2010, le tribunal de commerce de MEAUX a écarté le plan de cession, a prononcé la liquidation judiciaire de la société BRODARD GRAPHIQUE sans poursuite d'activité et désigné la SCP [K] [H] en qualité de liquidateur judiciaire.
Un second plan de sauvegarde de l'emploi (PSE) visant à la suppression des 151 emplois restant était alors communiqué aux représentants du personnel les 13 et 15 juillet 2010 dans le cadre d'une procédure de licenciement économique collectif.
L'ensemble des salariés faisaient l'objet de licenciements pour motif économique le 15 juillet 2010.à l'exception des salariés protégés.
S'agissant des salariés protégés, le liquidateur judiciaire a obtenu l'autorisation de l'inspection du Travail de procéder à leur licenciement selon les cas, les 2 et 9 août 2010 et les licenciements sont intervenus par lettres des 4 et 11 août 2010. Par décisions du 10 février 2011, le Ministre de l'emploi a confirmé les autorisations de l'inspecteur du travail de procéder à ces licenciements. Ces décisions d'autorisation sont aujourd'hui définitives.
Un certain nombre de salariés licenciés dans le cadre de l'un ou l'autre des deux plans de sauvegarde de l'emploi ont contesté le bien-fondé de leur licenciement, en particulier pour non-respect de l'obligation légale et conventionnelle de reclassement ainsi que pour violation de la procédure de licenciement économique.
Par différents jugements du 28 juin 2013, le Conseil de Prud'hommes de MEAUX a constaté que les licenciements reposaient sur une cause réelle et sérieuse et que la procédure de licenciement a été respectée, et a débouté les salariés de l'intégralité de leurs demandes.
M. [S] [W], a été engagé par la société BRODARD GRAPHIQUE le 24/10/2005 en qualité de analyste programmeur moyennant une rémunération brute mensuelle de 3 126,53 euros et, a ainsi été licencié pour motif économique par lettre du 15/7/2010 en application du deuxième plan de sauvegarde de l'emploi.
Par conclusions visées au greffe le 07 juin 2016 au soutien de ses observations orales auxquelles il est expressément fait référence en ce qui concerne ses moyens, M. [S] [W] demande à la cour d'infirmer le jugement, et de fixer sa créance au passif de la société BRODARD GRAPHIQUE aux sommes suivantes :
- 75 036,72 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
- 18 759,18 € à titre de dommages et intérêts pour violation de la procédure de licenciement économique
- 6 253,06 € à titre d'indemnité compensatrice de préavis
- 625,31 € à titre d'indemnité compensatrice de congés payés sur préavis
- 1 098 € au titre du DIF
- 600 € au titre de l'article 700
Il est demandé de déclarer le présent arrêt commun à la SCP [K]-[H] en sa qualité de mandataire liquidateur de la SA BRODARD GRAPHIQUE ainsi qu'à L'AGS-CGEA IDF EST
Par conclusions visées au greffe le 07 juin 2016 au soutien de ses observations orales auxquelles il est expressément fait référence en ce qui concerne ses moyens, la société BRODARD GRAPHIQUE et la SCP [K]-[H], en la personne de Maître [K], liquidateur, concluent au débouté de la partie appelante, demandent de juger que l'arrêt est opposable à l'AGS en cas d'infirmation, et sollicitent 2000 euros à verser à maître [K] au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Par conclusions visées au greffe le 07 juin 2016 au soutien de ses observations orales auxquelles il est expressément fait référence en ce qui concerne ses moyens, l'AGS, partie intervenante forcée en la cause, demande de débouter la partie appelante de ses demandes et, à titre subsidiaire, de réduire le montant des indemnités pour licenciement sans cause réelle ni sérieuse à 6 mois de salaire.
MOTIFS
Sur le licenciement pour motif économique
La parte appelante invoque une violation de la procédure de licenciement économique collectif. Elle fait valoir que le Plan de sauvegarde de l'Emploi est insuffisant et invoque une violation de l'obligation légale de reclassement et qu'il convient d'apprécier la portée du plan social en cause au regard des moyens du groupe [M]. S'agissant du reclassement externe, elle indique notamment qu'il repose principalement sur la convention de reclassement personnalisée (CRP) et le recours à une cellule de reclassement et estime qu'il est insuffisant.
Il est en outre invoqué une violation de l'obligation conventionnelle de reclassement, en particulier sur le fondement de l'article 19 de la Convention collective nationale des imprimeries de labeur.
Sur la demande formulée au titre de la violation de la procédure de licenciement économique collectif :
Il est soutenu, d'une part, que l'information partielle remise à l'expert et au comité d'entreprise en raison du refus du groupe [M] de communiquer toutes les informations économiques et financières concernant le groupe, n'a pas permis aux représentants du personnel de formuler un avis éclairé sur les projets de restructuration et le projet de plan de sauvegarde de l'emploi, d'autre part, que les mandats des élus du comité d'entreprise étaient venus à expiration avant l'engagement de la procédure de licenciement.
Au vu de l'ensemble des éléments versés au débat, c 'est par de justes motifs que la cour adopte que le conseil de prud'hommes, après avoir constaté que le rapport remis le 4 mars 2010 au comité d'entreprise par le cabinet d'expertise comptable Coexo était particulièrement complet, a estimé que les représentants du personnel avaient disposé des éléments leur permettant de donner un avis éclairé et que les représentants du personnels avaient reçu des informations ayant un caractère exhaustif et sérieux sur la situation de la société BRODARD GRAPHIQUE, alors même que le cabinet d'expertise n'avait pas disposé de l'intégralité des documents sollicités auprès du groupe.
Par ailleurs, c'est encore à juste titre que le conseil de prud'hommes a constaté qu'en l'absence d'accord spécifique contraire ou de contestation devant le juge du contentieux électoral, le mandat des élus du comité d'entreprise comme des délégués du personnel, en date du 20 mai 2008, continuait de courir jusqu'au 20 mai 2012.
Il en a conclu à juste titre que les membres du comité d'entreprise ont été valablement consultés le 16 juillet 2010.
Le jugement est confirmé en ce qu'il n'a pas retenu de violation de la procédure de licenciement.
Sur le caractère proportionné du plan au regard des moyens pouvant être mis en oeuvre et sur l'obligation légale de reclassement :
Au vu de l'ensemble des éléments versées au débat, c'est à juste titre que le conseil de prud'hommes, statuant en formation de départage, a estimé que suite au prononcé de la liquidation judiciaire et de la cessation totale d'activité de la société Brodard Graphique par jugement du 05/07/2010, Me [K] n'avait d'autre choix que de procéder au licenciement de l'ensemble des salariés de l'entreprise dans un délai de 15 jours à compter de la décision afin de garantir le paiement de leurs indemnités de rupture par les AGS. Ainsi, par courriers du 15 juillet 2010, les salariés se sont vus notifier leur licenciement pour motif économique.
Par ailleurs, le Conseil de Prud'hommes a considéré avec pertinence que le PSE était proportionné aux moyens financiers dont disposait la société BRODARD GRAPHIQUE : le PSE proposait un ensemble de mesures adéquates destiné à favoriser un repositionnement professionnel sur le marché de l'emploi des salariés dont l'emploi était supprimé et qui n'ont pas bénéficié d'un reclassement interne qui s'avérait impossible. La cellule de reclassement a fonctionné de manière satisfaisante, et cela au delà même de la date d'échéance prévue par le plan.
Il sera rappelé qu'à la date de la liquidation judiciaire de la société, la situation de celle-ci était exsangue et aucune mesure de financement interne ne pouvait être envisagée.
Ainsi, les premiers juges ont estimé avec justesse que la société BRODARD GRAPHIQUE prise en la personne de son mandataire liquidateur a rempli l'obligation dont elle avait la charge en mettant en place un PSE proportionné aux moyens de l'entreprise au regard des contraintes spécifiques découlant de la situation liquidative de la société, ce qui a d'ailleurs été reconnu
S'agissant de l'appréciation de la validité du plan de sauvegarde de l'emploi au regard des moyens du groupe, la SCP [K]-[H] ès qualité justifie avoir fait sommation, par lettres recommandées à chacune des sociétés appartenant au groupe [M] de lui communiquer la liste des postes disponibles avant le 13 juillet, et avoir fait une sommation spécifique, acte d'huissier du 7 juillet 2010, aux mêmes fins à la société holding de tête du groupe [M], en lui demandant en outre de lui faire connaître les propositions d'abondement du groupe aux mesures destinées à faciliter le reclassement de la totalité des salariés de la Sa BRODARD GRAPHIQUE dont le licenciement devait être initié, ce à quoi cette dernière a répondu ne pas donner une suite favorable.
Ainsi, la SCP [K]-[H] a utilisé les moyens à sa disposition, notamment en mettant en oeuvre une action en responsabilité pour insuffisance d'actif à l'encontre de M.[M] et une action en extension de la procédure collective, peu important que ces procédures se soient achevées par des transactions autorisées par le juge commissaire et aient été homologuées par jugements du tribunal de commerce de Meaux le 6 juin 2011.
Le refus de la société holding, à l'encontre duquel il y a lieu de relever que tant le comité d'entreprise que les salariés n'ont pas agi au plan délictuel, de procéder à tout versement autre que la subvention de 500 000 € accordée à la SA BRODARD GRAPHIQUE dans le cadre du plan de sauvegarde de l'emploi n'est pas imputable au mandataire liquidateur compte de l'opposition à laquelle il s'est heurtée de la part du groupe malgré les sommations et actions en justice mises en oeuvre.
Dans ce contexte et au vu des éléments versés au débat, c'est à juste titre que le conseil de prud'hommes a jugé que le financement et les mesures du plan de sauvegarde de l'emploi, optimisés par les aides de l'état et l'aide complémentaire exceptionnelle spécifique à chaque salarié étaient proportionnés aux moyens financiers du groupe et de la société holding nonobstant son refus de consentir tout effort supplémentaire.
Le jugement est confirmé en ce qu'il n'a pas retenu de violation de l'obligation légale de reclassement, a jugé que le plan de sauvegarde de l'emploi était proportionné et a débouté la partie appelante des demandes formulées à cet égard.
Sur l'obligation conventionnelle de reclassement
Aux termes de l'article 19 de la convention collective de l'imprimerie de labeur,
'Lorsque le reclassement dans l'entreprise n'aura pas été possible dans les conditions prévues aux articles 13 et suivants ci-dessus, l'entreprise devra rechercher les possibilités de reclassement susceptibles de convenir aux salariés dont le licenciement aura dû être décidé, de préférence dans une entreprise rattachée aux industries graphiques et située dans la même localité ou dans une localité voisine.
À défaut de solution sur le plan local, le reclassement sera recherché dans les mêmes conditions sur le plan de la région. Le problème sera soumis à la commission régionale de l'emploi s'il en existe une dans la région intéressée.
Les instances régionales ou départementales des organisations professionnelles signataires apporteront à cette recherche leur concours actif.
Leurs instances nationales feront de même s'il apparaît que l'ampleur du problème dépasse le cadre régional. Dans ce cas, le problème sera soumis à l'examen de la commission nationale de l'emploi.
Les entreprises feront connaître les possibilités de reclassement au comité d'entreprise ou d'établissement ou à défaut de comité d'entreprise, aux délégués du personnel ainsi qu'au personnel intéressé'.
L'appelant estime que les dispositions de l'article 19 de la convention collective n'ont pas été respectées.
Il est cependant établi que dans le cadre du 1er plan de sauvegarde de l'emploi, la commission paritaire de branche a été saisie de la question du reclassement des salariés le 10 mars 2010, qu'à cette lettre de saisine a été jointe une liste précisant la catégorie, le groupe ou échelon, les emplois, leur nombre, ainsi que l'ancienneté.
Il a aussi été adressé aux cinq chambres syndicales du secteur de l'imprimerie une lettre recommandée aux fins de reclassement externe des salariés licenciés et un courrier a été adressé à cette fin à vingt cinq entreprises réparties dans toute la France.
C'est à juste titre que le conseil de prud'hommes, statuant en formation de départage, a jugé que le mandataire liquidateur a satisfait à ses obligations en saisissant à deux reprises la commission paritaire de l'emploi, aucun manquement de sa part aux exigences de l'article 19 de la convention collective n'étant caractérisé.
Sur la demande au titre du DIF
Il est formulé en cause d'appel une nouvelle demande à hauteur de 1098 euros au titre du DIF (Droit Individuel la Formation) mais la partie appelante n'indique pas le fondement précis de la demande, ni en quoi les dispositions du code du travail n'auraient pas été respectées sur ce point ou quel préjudice aurait été subi en l'espèce.
En conséquence, il n'y a pas lieu d'accueillir favorablement cette demande sur laquelle il n'est donné aucune explication.
Sur la demande d'indemnité compensatrice de préavis et de congés payés sur préavis
En l'espèce, la lettre de licenciement fait état d'une dispense d'effectuer le préavis et des indemnités de rupture dues notamment à ce titre.
La partie appelante formule une demande d'indemnité compensatrice de préavis chiffrée dans le dispositif de ses écritures mais ne fait état d'aucune observation à cet égard et n'apporte aucun élément sur l'éventualité d'un paiement total ou partiel ou d'un non paiement de préavis ou d'indemnité compensatrice ou encore sur le calcul sur le calcul de celle-ci, de telle sorte qu'il convient de rejeter la demande formulée au titre du préavis (d'indemnité compensatrice de préavis et de congés payés sur préavis).
En conséquence des développements qui précèdent, il n'y a pas lieu d'accueillir favorablement la demande formulée au titre d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
PAR CES MOTIFS
CONFIRME le jugement en toutes ses dispositions
Y ajoutant,
Déboute M. [S] [W] de sa demande au titre du DIF
Vu l'article 700 du code de procédure civile,
Dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile
DEBOUTE les parties du surplus des demandes ,
Condamne M. [S] [W] aux entiers dépens.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT