Grosses délivréesRÉPUBLIQUE FRANÇAISE
aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 5 - Chambre 11
ARRET DU 30 SEPTEMBRE 2016
(n° , 5 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : 14/04908
Décision déférée à la Cour : Jugement du 27 Janvier 2014 -Tribunal de Commerce de PARIS - RG n° 12/0030343
APPELANTE
Société TASLA société de droit espagnol agissant en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
[Adresse 1]
[Localité 1]
ESPAGNE
Représentée par Me Nathalie LESENECHAL, avocat au barreau de PARIS, toque : D2090 Représentée par Me Hélène DINICHERT-POILVERT, avocat au barreau de VERSAILLES
INTIMEE
SA SPBI, agissant par la personne de ses représentants légaux en exercice domiciliés en cette qualité audit siège
[Adresse 2]
[Localité 2]
N° SIRET : 491 372 702 (La Roche-sur-Yon
Représentée par Me Anne-Sophie SABATIER de l'ASSOCIATION CABINET D'AVOCATS LELOUP, avocat au barreau de PARIS, toque : K0159
Représentée par Me Philippe MISSEREY, avocat au barreau de
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 786 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 16 Juin 2016, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant M. Patrick BIROLLEAU, Président de la chambre, et Mme Michèle LIS SCHAAL, Présidente de chambre.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
M. Patrick BIROLLEAU, Président de la chambre
Mme Michèle LIS SCHAAL, Présidente de chambre, chargée du rapport
M. Philippe FUSARO, Conseiller, désignée par Ordonnance du Premier Président pour compléter la Cour
Greffier, lors des débats : Mme Patricia DARDAS
ARRÊT :
- contradictorie
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Monsieur Patrick BIROLLEAU, président et par Madame Patricia DARDAS, greffière à laquelle la minute du présent arrêt a été remise par le magistrat signataire.
La société TALSA (exerçant sous la dénomination commerciale BRICOMAR), société de droit espagnol, a été le distributeur en Espagne de la société JEANNEAU, fabricant de bateaux pendant environ 28 ans. Leurs relations, restées informelles pendant plus de 23 ans, ont été formalisées en 2008 par trois contrats en date du 17 janvier 2008, un pour les bateaux de luxe, un pour les voiliers et un pour les bateaux à moteur plus populaires.
En 2009, JEANNEAU a été absorbée par la société SPBI, JEANNEAU demeurant la marque commerciale.
Le 4 mai 2011, SPBI a adressé trois lettres de résiliation mettant fin aux relations commerciales avec un préavis de quatre mois. Les relations ont cessé le 31 août 2011. Les parties n'ont pas trouvé d'accord pour l'indemnisation de la rupture des contrats.
La société Tasla a assigné la société SPBI devant le tribunal de commerce de Paris au principal en paiement d' un montant de 2.523.187,56 euros en réparation des conséquences financières directes subies du fait de la rupture contractuelle abusive des trois contrats de concession et du fait du non-paiement des factures de service après vente.
Par jugement du 27 janvier 2014, le tribunal de commerce de Paris a débouté la société Tasla de sa demande de dommages et intérêts du fait de la rupture contractuelle abusive des contrats, condamné SBPI à lui payer la somme de 8.004,73 euros ainsi qu'un montant de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Le tribunal a estimé que la loi applicable au litige était la loi française. Il n' a retenu que le fondement contractuel, Tasla n'ayant visé que les articles 1116, 1134, 1146 et 1147 du code civil. Il a estimé que SBPI avait respecté les termes du contrat en respectant un préavis de 6 mois et demi alors que le contrat prévoyait un préavis de 4 mois sans justifications des motifs.
La société Tasla a régulièrement interjeté appel de cette décision par déclaration du 6 mars 2014.
Prétentions des parties
La société Tasla, par conclusions signifiées le 23 juillet 2014, auxquelles il est fait référence pour plus ample exposé des motifs, de leur argumentation et de leurs moyens, demande à la Cour de :
A titre principal,
- confirmer le jugement entrepris sur l'applicabilité de la loi française ;
- le confirmer sur le montant de 8.004,73 euros eu titre de factures non réglées ;
- pour le surplus, l' infirmer ;
- dire que la rupture des relations commerciales est une rupture brutale ;
- condamner SBPI à lui payer au titre du préjudice la somme de 2.515.182,83 euros en réparation des conséquence financières directes subies du fait des ruptures contractuelles abusives des trois contrats de concession et du fait du non paiement abusif des factures après vente ;
A titre subsidiaire,
- confirmer sur le deux premiers points sus-visés ;
- l'infirmer pour le surplus ;
- dire que les contrats sont léonins et contradictoires et que leur rupture lui crée nécessairement un préjudice ;
- condamner SPBI à lui payer un montant de 1.515.182, 83 euros ;
A titre infiniment subsidiaire,
- si la loi espagnole devait être appliquée, faire application du contrat d'agent, par analogie conformément à la jurisprudence espagnole ;
- condamner SPBI à lui payer au titre du préjudice la somme de 1.505.603,48 euros, soit un an de facturation sur 2009/2010 ;
En tout état de cause :
- débouter SPBI de ses demandes ;
- la condamner à lui payer un montant de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.
Elle estime que c'est le droit français qui est applicable, le contrat comportant une clause d'attribution au tribunal de commerce de Paris et en raison des liens de rattachement avec la France.
Elle précise que le fondement de la demande est bien la rupture brutale des relations commerciales après 28 ans sur la base de l' article L 442-6 I 5è du code de commerce. Elle fait valoir que le préavis aurait dû être de 18 mois en raison de la saisonnalité de l' activité, que les lettres de rupture du 4 mai 2011 ne font état d' aucun motif et qu'aucun des griefs évoqués par SPBI n'est pas établi.
La société SPBI, par conclusions signifiées le 4 juin 2014, demande à la Cour de :
A titre principal :
- réformer le jugement entrepris ;
- dire que la loi espagnole régit les relations entre les parties et les conditions de séparation de celles-ci ;
- débouter Tasla de toutes ses demandes ;
A titre subsidiaire ,
- confirmer le jugement entrepris ;
- dire que la résiliation des contrats de concession n' est ni brutale ni abusive et débouter Tasla de toutes ses demandes ;
En toutes hypothèses,
- condamner Tasla à lui payer la somme de 8.004,73 euros avec les intérêts au taux légal à compter de la signification des conclusions ;
- débouter la société Tasla de toutes ses demandes et la condamner à lui payer la somme de
10.000 euros au titre de l' article 700 du code de procédure civile ainsi que les dépens.
Elle soutient que le contrat s'exécute en Espagne et qu' en matière de responsabilité délictuelle, qui est en l'espèce recherchée, la loi applicable est celle du lieu de réalisation du dommage, les parties n' ayant pas expressément fait choix de la loi applicable à leurs relations dans les trois contrats et qu'il ne résulte pas de l'ensemble des circonstances du dossier que le fait dommageable présente des liens manifestement plus étroits avec la France plutôt qu'avec l'Espagne (article 4 du règlement 864/2007 dit ROME II). Le droit espagnol ne donne droit à aucune indemnité, la loi espagnole ne prévoyant aucun équivalent à l' article L.442-6 I 5° du code de commerce. Il n'est, par ailleurs, justifié d'aucune analogie avec le contrat d' agent pour une indemnisation en cas de résiliation sans faute grave du concédant.
Elle ajoute que, dans l'hypothèse où serait retenue l' application de la loi française , il n' y a pas eu de rupture brutale ou abusive. SPBI a mis fin aux trois contrats en respectant les dispositions contractuelles. Elle ajoute qu'elle disposait en outre de motifs de résiliation : l' absence de performance de Tasla, son incapacité de lui présenter un plan de dynamisation de son activité sur le territoire de Barcelone et le fait que Tasla est devenu volontairement importateur des bateaux DUFOUR.
SUR CE
Sur la loi applicable au litige
Considérant que les parties aux contrats du 17 janvier 2008 n'ont pas expressément fait le choix de la loi applicable en cas de litige ;
Considérant que l'article 4 du règlement CE 864/2007 du 11 juillet 2007, dit Rome II, dispose, en ses paragraphes :
'1. Sauf dispositions contraires du présent règlement, la loi applicable à une obligation non contractuelle résultant d'un fait dommageable est celle du pays où le dommage survient, quel que soit le pays où le fait générateur du dommage se produit et quels que soient le ou les pays dans lesquels des conséquences indirectes de ce fait surviennent.'
' (...) 3. S'il résulte de l'ensemble des circonstances que le fait dommageable présente des liens manifestement plus étroits avec un pays autre que celui visé aux paragraphes 1 ou 2, la loi de cet autre pays s'applique. Un lien manifestement plus étroit avec un autre pays pourrait se fonder, notamment, sur une relation préexistante entre les parties, telle qu'un contrat, présentant un lien étroit avec le fait dommageable en question' ;
Considérant qu'en cas de délit complexe, en application du paragraphe 3 précité, il appartient au juge, pour déterminer la loi applicable, de rechercher le pays avec lequel la relation commerciale présente les liens les plus étroits ;
Considérant qu'en l'espèce, les contrats du 17 janvier 2008 sont rédigés en langue française ; que les parties ont formalisé des contrats conclus en France ; que la prestation objet de ces conventions réside en une vente de bateaux fabriqués en France ; qu'il n'est pas contesté que la livraison des bateaux et le transfert de propriété intervenaient en France ; qu'au surplus, les trois contrats attribuent compétence au tribunal de commerce de Paris ;
Que, les contrats présentant des liens plus étroits avec la loi française, celle-ci est applicable ; que le jugement entrepris sera confirmé sur ce point ;
Sur la rupture de la relation commerciale
Considérant que Tasla fonde ses demandes, à titre principal, sur l'article L.442-6 I, 5° du code de commerce ;
Considérant que l'article L.442-6 I, 5° du code de commerce dispose qu''engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers, de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte, notamment, de la durée de la relation commerciale. Les dispositions qui précèdent ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution, par l'autre partie, de ses obligations ou en cas de force majeure.' ;
Considérant que la lettre du 10 février 2011 de Jeanneau ('Nous avons décidé d'arrêter nos relations commerciales contractuelles avec la société Tasla à partir du 1er septembre 2011" - pièce n° 6 communiquée par SBPI) constitue la notification écrite, à Tasla, de la cessation de la relation commerciale ; qu'il n'est pas contesté que le préavis notifié a été appliqué jusqu'au 31 août 2011 ;
Considérant que le préavis mis en oeuvre, de six mois et demi, était adapté à la durée de la relation commerciale, à la nature de l'activité du concessionnaire et aux perspectives d'obtention, par ce dernier, de nouveaux clients ; que le jugement entrepris sera en conséquence confirmé en ce qu'il a débouté Tasla de sa demande fondée sur la rupture brutale de la relation commerciale ;
Sur le paiement des factures
Considérant que la société Tasla réclame le paiement de certaines factures de service après vente d'un montant de 8.004,73 euros, et produit, au soutien de cette demande, un extrait comptable du compte client JEANNEAU par la société Tasla ;
Considérant que, conformément à l'article 1315 du code civil, il incombe à celui qui réclame l'exécution d'une obligation d'en rapporter la preuve ;
Considérant que Tasla se borne à produire, au soutien de sa prétention, un relevé de compte établi par ses soins qui ne saurait constituer la preuve d'une quelconque créance ; que SPBI reconnaît néanmoins un solde dû de 903,89 euros ; qu'en conséquence, la Cour condamnera SPBI à payer ce montant à Tasla et de réformera en ce sens le jugement entrepris ;
Considérant que l' équité n'impose pas de faire application de l'article 700 du code de procédure civile ;
PAR CES MOTIFS
La Cour statuant publiquement et contradictoirement,
CONFIRME le jugement entrepris, sauf sur la condamnation de la société SPBI à hauteur de 8.004,73 euros et sur l'application de l'article 700 du code de procédure civile,
STATUANT A NOUVEAU des chefs infirmés,
CONDAMNE la société Tasla à payer à la société SPBI la somme de 903,89 euros,
DIT n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNE la société SPBI aux dépens d'appel qui seront recouvrés conformément à l'article 699 du code de procédure civile.
Le greffier Le président