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29/09/2016 | FRANCE | N°15/00536

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 4 - chambre 7, 29 septembre 2016, 15/00536


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

Au nom du Peuple français







COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 4 - Chambre 7



ARRÊT DU 29 SEPTEMBRE 2016

(n° , 8 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : S 15/00536



Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 25 Août 2014 par le tribunal de grande instance de PARIS RG n° 14/008







APPELANTE



FONDS D'INDEMNISATION DE LA PROFESSION D'AVOUES

DACS

[Adresse 1]

[Adresse 2]

Représentée par Me C

olin MAURICE, avocat au barreau de PARIS, toque : C2375



INTIMÉS



Monsieur [M] [F]

né le [Date naissance 1] 1953 à [Localité 1]

[Adresse 3]

[Adresse 4]

Représenté par Me Bernard DE FROMENT, avocat...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

Au nom du Peuple français

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 4 - Chambre 7

ARRÊT DU 29 SEPTEMBRE 2016

(n° , 8 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : S 15/00536

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 25 Août 2014 par le tribunal de grande instance de PARIS RG n° 14/008

APPELANTE

FONDS D'INDEMNISATION DE LA PROFESSION D'AVOUES

DACS

[Adresse 1]

[Adresse 2]

Représentée par Me Colin MAURICE, avocat au barreau de PARIS, toque : C2375

INTIMÉS

Monsieur [M] [F]

né le [Date naissance 1] 1953 à [Localité 1]

[Adresse 3]

[Adresse 4]

Représenté par Me Bernard DE FROMENT, avocat au barreau de PARIS, toque : G0195

DIRECTION RÉGIONALE DES FINANCES PUBLIQUES D'ILE DE FRANCE ET DU DÉPARTEMENT DE PARIS

Commissariat du gouvernement

[Adresse 5]

[Adresse 2]

Représentée par M. [P] en vertu d'un pouvoir général

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 14 Avril 2016, en audience publique, devant la cour composée de :

M. Christian HOURS, Président de chambre, spécialement désigné pour présider cette chambre par ordonnance de Mme le Premier Président de la Cour d'Appel de PARIS,

M. Claude TERREAUX, Conseiller désigné par Mme le Premier Président de la Cour d'Appel de PARIS

Mme Lucie REYNAUD, Juge de l'expropriation au Tribunal de Grande Instance de Créteil, désignée conformément aux dispositions de l'article L. 13-1 du Code de l'expropriation pour cause d'utilité publique

Greffier : Mme Isabelle THOMAS, lors des débats

ARRÊT :- contradictoire

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par M. Christian HOURS, président et par Mme Isabelle THOMAS, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

La cour statue sur l'appel formé le 26 décembre 2014 par le Fonds d'indemnisation des avoués (le FIDA) d'une décision du juge de l'expropriation de Paris en date du 25 août 2014 fixant avec exécution provisoire à la somme de 150 000 euros l'indemnisation due à M.[M] [F], ancien avoué associé au sein de la SCP [G], alors titulaire d'un office d'avoué, au titre de la suppression de la profession des avoués par la loi 2011-94 du 25 janvier 2011 portant réforme de la représentation devant la cour d'appel et lui ayant alloué en outre la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, le FIDA étant condamné à supporter les dépens.

La SCP [G], qui était titulaire d'un office d'avoué près la cour d'appel de Rennes, a accepté sans réserve une indemnité de 2 057 525 euros pour la perte de son droit de présentation.

M.[F] a accepté la proposition d'indemnisation de la commission d'indemnisation d'un montant de 41 850 euros au titre du préjudice d'industrie.

Il a ensuite saisi, le 31 janvier 2014, le juge de l'expropriation qui a rendu la décision précitée.

Pour l'exposé complet des faits, de la procédure, des prétentions et moyens des parties, il est expressément renvoyé à la décision déférée, ainsi qu'aux écritures et pièces :

- déposées au greffe par le FIDA les 23 janvier 2015 et 12 avril 2016, tendant à l'infirmation du jugement et à ce que la cour, statuant à nouveau, déclare irrecevables le recours et les demandes de M.[F], subsidiairement, le déboute de toutes ses demandes en indemnisation et le condamne à lui payer la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et à supporter les dépens de première instance et d'appel ;

- déposées au greffe par M.[F], le 27 février 2015, contenant appel incident et concluant :

- à ce que lui soit octroyé, la somme supplémentaire de 777 043 euros décomposée comme suit :

- 468 100 euros au titre du préjudice du perte de revenus ;

- 138 616 euros au titre du préjudice de perte de droits à la retraite ;

- 170 327 euros au titre des troubles dans les conditions d'existence des avoués du fait des modalités successives de la réforme ;

- à ce que les condamnations portent intérêts au taux légal à compter de la décision à intervenir avec capitalisation ;

- à ce qu'il soit ordonné à l'Etat de garantir le Fonds de toute condamnation ;

- à la condamnation du Fonds à lui payer la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- à la condamnation du Fonds aux dépens de première instance et d'appel ;

- adressées par le commissaire du gouvernement le 26 février 2015, aux termes desquelles il conclut au rejet des demandes d'indemnisation au titre des préjudices personnels (pertes de revenus liés à la perte de revenus actuels d'activité et futurs, troubles dans les conditions d'existence des avoués).

Motifs de l'arrêt :

Considérant que le FIDA fait valoir qu'il résulte de la décision 2010-624 du Conseil constitutionnel que la suppression du privilège professionnel dont jouissaient les avoués ne constitue pas une privation de propriété au sens de l'article 17 de la Déclaration de 1789 ; que cette suppression présentait un motif d'intérêt général tenant à la modernisation et à la simplification de la justice ; que le versement d'indemnités pour des préjudices autres que celui résultant de la perte du droit de présentation et le préjudice subi par les avoués détenant des parts en industrie, méconnaissait le principe de bon emploi des deniers publics et était inconstitutionnel ; qu'il a ainsi écarté le préjudice de carrière (considérant 21), les préjudices économiques jugés purement éventuels (considérant 24), les anciens avoués pouvant devenir avocats et jouir d'un monopole de représentation non seulement devant les cours d'appel mais aussi les tribunaux de grande instance ; que le juge de l'expropriation ne pouvait dès lors statuer que sur le montant de l'indemnité pour perte du droit de présentation et l'indemnité allouée aux avoués qui exerçaient au sein d'une société dont ils détenaient des parts en industrie ;

Considérant qu'il souligne que la situation à prendre en compte est celle d'une profession juridique ayant perdu un monopole sur une partie seulement de son activité et bénéficiant de plusieurs contreparties ; que des revenus futurs ou un manque à gagner ne constituent pas des biens actuels au sens du protocole n°1 à la Convention européenne des droits de l'homme ; qu'il en va de même des droits à la retraite, reposant sur une estimation des revenus futurs ; que le juge national ne saurait ordonner une indemnisation excédant les limites qui ont été fixées par le Conseil constitutionnel, conformément à la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ; que la référence aux articles L13-1 à L13-25 du code de l'expropriation, ne saurait aller à l'encontre de l'esprit et du texte de la loi et avoir pour effet de reconnaître un droit à indemnisation de préjudices économiques ou accessoires déclarés contraire à la Constitution au nom du principe de l'égalité des citoyens devant les charges publiques ; qu'il n'est pas possible d'indemniser les autres préjudices invoqués qui sont purement éventuels (revenus et retraite) ou d'ordre moral (troubles allégués) ; qu'il n'entre pas dans la compétence du juge de l'expropriation de prononcer une condamnation à payer des intérêts capitalisés ; que l'article L13-5 du code de l'expropriation n'est pas applicable ;

Considérant que M.[F] soutient que la seule censure opérée par le Conseil constitutionnel concerne la réparation de préjudices éventuels ou indirects, tout en maintenant les dispositions relatives à la réparation intégrale par le juge de l'expropriation du préjudice subi ; qu'il s'appuie, pour réclamer une indemnisation complémentaire à celle accordée par le premier juge, sur l'article 1 du protocole additionnel n°1 et la jurisprudence de la CEDH (arrêt Lallement), qu'il appartient à la cour d'appel d'appliquer, dont il résulte que, lorsque le bien exproprié est l'outil de travail de l'exproprié, l'indemnité versée n'est pas raisonnablement en rapport avec la valeur du bien si d'une manière ou d'une autre elle ne couvre pas cette perte spécifique ; qu'il se fonde également sur l'interprétation a contrario de l'arrêt Wendenburg contre Allemagne qui a refusé d'indemniser les études d'avocat à la suite de la suppression du monopole de plaidoirie dont ils bénéficiaient devant la cour d'appel car les avocats concernés n'avaient apporté aucun élément concret prouvant qu'ils étaient tributaires des recommandations d'autres avocats pour trouver l'essentiel de leur clientèle ; qu'il expose être devenu avocat après avoir perdu la qualité d'avoué ; qu'il enregistre une baisse moyenne de revenus de 88 300 euros pour une année, l'indemnité allouée par le premier juge représentant trois années du revenu médian d'avocat ; qu'il fait valoir que plus de 95 % des dossiers ouverts par les avoués provenaient des avocats ; qu'il affirme que la Convention s'applique à la protection des privilèges accordés par la loi, lorsque ces privilèges donnent naissance à un espoir légitime d'acquérir certains biens ; qu'il sollicite la confirmation de son préjudice économique fixé à la somme de 150 000 euros, mais sollicite une indemnité complémentaire fondée sur sa perte de revenus pendant 7 ans, le temps admis pour constituer une clientèle d'avocat ; qu'il réclame également l'indemnisation du préjudice en découlant pour ses droits à la retraite et l'indemnisation du préjudice au titre des troubles dans les conditions d'existence des avoués du fait des modalités successives de la réforme, qui, d'assez favorables initialement, ont abouti à la décision du Conseil constitutionnel extrêmement traumatisante, ce préjudice ne pouvant être inférieur à une année de revenu moyen ;

Considérant que le commissaire du gouvernement demande à la cour d'infirmer le jugement et, statuant à nouveau, de débouter M.[F] de l'ensemble de ses demandes ; qu'il soutient que l'indemnisation sollicitée ne pourra lui être allouée, s'agissant d'un préjudice économique que le Conseil constitutionnel, dont les décisions s'imposent à toutes les autorités publiques, a refusé d'indemniser, sous peine de contrevenir au principe de l'égalité des citoyens devant les charges publiques et à la règle de bonne utilisation des deniers publics ; qu'en outre, au regard des textes du code de l'expropriation, il ne peut être estimé que les avoués perdent leur outil de travail ni qu'il y a eu dépossession par la puissance publique au sens de l'article 17 de la déclaration de 1789 et transfert au profit de l'Etat ou d'une autre personne avec versement d'une indemnité préalable ;

Considérant que les avoués ont été institués par les décrets des 29 janvier et 20 mars 1791 pour représenter en justice les parties à un procès, après la suppression des charges des procureurs royaux dont le ministère était obligatoire depuis 1620 ; qu'ils ont été supprimés en même temps que les avocats par le décret du 24 octobre 1793, avant d'être rétablis par la loi du 18 mars 1800 près les juridictions de première instance, d'appel et de cassation, qui leur attribue un monopole de la postulation, tant en matière civile que pénale, l'Etat fixant leur nombre et leur rémunération ;

Considérant que la loi du 18 février 1801 a supprimé la spécialité d'avoué près les tribunaux criminels ; qu'après le rétablissement, également en 1800, de la profession d'avocat, celui-ci étant en charge de la plaidoirie, l'avoué a conservé le monopole de la postulation et du dépôt des conclusions ; que la profession d'avoué a été scindée en celle d'avoué au tribunal et d'avoué à la cour d'appel ;

Considérant que la loi du 28 avril 1816 a consacré la patrimonialité des offices, les avoués étant autorisés à présenter un successeur au roi puis au garde des Sceaux, pourvu qu'il réunisse les qualités requises ; que ce système a été maintenu, le titulaire de l'office, officier ministériel, jouissant ainsi d'un droit de présentation de son successeur, un traité étant conclu avec celui-ci, fixant un prix de cession, soumis à l'agrément de la Chancellerie ;

Considérant que la patrimonialité des offices d'avoué a été supprimée dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle, après la guerre de 1870, sans avoir été rétablie après 1918, les lois du 20 février 1922 et 29 juillet 1928 définissant seulement un régime de postulation spécifique, où les avocats doivent choisir de postuler devant le tribunal de grande instance ou devant la cour d'appel ;

Considérant que les offices d'avoué au tribunal de grande instance et ceux d'avoués près les cours d'appel dans les départements d'outre-mer ont été supprimés par la loi du 31 décembre 1971, les anciens avoués devenant avocats ;

Considérant que les avoués à la cour d'appel ont conservé le monopole de la postulation devant les cours d'appel dans les procédures où la représentation est obligatoire, soit la majorité du contentieux civil, à l'exclusion notable des affaires portées devant les chambres sociales des cours d'appel ; qu'ils peuvent en outre exercer une activité hors monopole de consultation juridique, de rédaction d'actes sous seing privé, de représentation et de plaidoirie dans des contentieux judiciaires ou administratifs où la représentation n'est pas obligatoire ;

Considérant que les avocats, s'ils avaient la possibilité de plaider partout en France, ne pouvaient postuler que devant le tribunal de grande instance dont dépendait leur barreau d'inscription (les avocats des barreaux de Paris, Nanterre, Bobigny et Créteil pouvant eux postuler devant tous ces tribunaux de grande instance, issus de l'ancien tribunal de la Seine) ;

Considérant que les avoués percevaient pour leur activité monopolistique des émoluments tarifés, selon un tarif fixé par le décret du 30 juillet 1980, modifié en 1984, puis en 2003 ;

Considérant qu'à la suite des rapports au Président de la République présentés par MM.Attali (2008) et Darrois (2009), remettant en cause le bien-fondé de la dualité d'intervention de l'avoué et de l'avocat, en cause d'appel et compte tenu de la directive 2006/123 relative aux services dans le marché intérieur (directive « services »), un projet de loi a été élaboré, intégrant les avoués dans la profession d'avocat en les inscrivant au barreau près du tribunal de grande instance dans le ressort duquel leur office est situé, avec possibilité de renoncer à devenir avocat ou de choisir un autre barreau ; que, corrélativement, l'activité des avocats a été étendue à la postulation devant la cour d'appel, le tarif de postulation en cause d'appel étant supprimé;

Considérant que le projet initial prévoyait seulement une indemnisation du droit de présentation des avoués correspondant aux deux tiers de la valeur de la charge, qui sera portée par l'Assemblée nationale à la totalité de cette valeur, le Sénat ajoutant ensuite l'indemnisation des préjudices de carrière, économique, accessoires et désignant le juge de l'expropriation de Paris pour fixer cette indemnisation en cas de désaccord des avoués sur les propositions à eux faites par une commission chargée de statuer sur leurs demandes ;

Considérant que sur le recours de 82 sénateurs, contestant notamment, d'une part, les modalités de l'indemnisation des avoués prévues par la loi déférée, en ce qu'elle n'était pas préalable à la suppression de cette profession, d'autre part, le régime fiscal de cette indemnisation, le Conseil constitutionnel a rejeté ces contestations et, se saisissant d'office, a notamment considéré que le préjudice de carrière était inexistant pour un avoué, que le préjudice économique et les préjudices accessoires toutes clauses confondues étaient purement éventuels, compte tenu des activités qu'ils pouvaient continuer d'exercer et qu'en prévoyant l'allocation d'indemnités correspondant à ces préjudices, les dispositions de l'article 13 de la loi déférée avaient méconnu l'exigence de bon emploi des deniers publics et créé une rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques ;

Considérant qu'en conséquence l'article 13 de la loi déférée, ainsi libellé initialement : "les avoués près les cours d'appel en exercice à la date de la publication de la présente loi ont droit à une indemnité au titre du préjudice correspondant à la perte du droit de présentation, du préjudice de carrière, du préjudice économique et des préjudices accessoires toutes causes confondues, fixée par le juge de l'expropriation dans les conditions définies par les articles L13-1 à L13-25 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique. Le juge détermine l'indemnité allouée aux avoués exerçant au sein d'une société dont ils détiennent des parts en industrie afin d'assurer, en tenant compte de leur âge, la réparation du préjudice qu'ils subissent du fait de la présente loi..." a été privé par la décision n°2010-624 DC du 20 janvier 2011 des mots "du préjudice de carrière, du préjudice économique et des préjudices accessoires toutes causes confondues" , de même que des mots " en tenant compte de leur âge" ;

Considérant sur la recevabilité des demandes d'indemnisation présentées par M.[F], que l'article 13 de la loi du 25 janvier 2011 dispose que ' les avoués près les cours d'appel en exercice à la date de la publication de la présente loi ont droit à une indemnité au titre du préjudice correspondant à la perte du droit de présentation, fixée par le juge de l'expropriation dans les conditions définies par les articles L. 13-1 à L. 13-25 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique. Le juge détermine l'indemnité allouée aux avoués exerçant au sein d'une société dont ils détiennent des parts en industrie afin d'assurer la réparation du préjudice qu'ils subissent du fait de la présente loi. L'indemnité est versée par le fonds d'indemnisation prévu à l'article 19. Par dérogation aux règles de compétence territoriale, le juge de l'expropriation compétent est celui du tribunal de grande instance de Paris. Dans un délai de trois mois suivant la cessation de l'activité d'avoué près les cours d'appel et au plus tard le 31 mars 2012, la commission prévue à l'article 16 notifie à l'avoué le montant de son offre d'indemnisation. En cas d'acceptation de l'offre par l'avoué, l'indemnité correspondante est versée à l'avoué dans un délai d'un mois à compter de cette acceptation' ;

Considérant que l'article 6 du décret précise qu'à défaut d'avoir été acceptée dans le délai de six mois, l'offre de la commission est réputée avoir été refusée par l'avoué, auquel il appartient de saisir le juge de l'expropriation ; qu'il résulte de ce texte que la saisine du juge est ouverte à l'avoué qui a refusé l'offre de la commission ou n'y a pas répondu dans le délai indiqué ;

Considérant que M.[F] a détaillé à l'intention de la commission d'indemnisation les postes d'indemnisation auxquels il prétendait ; que, le 29 février 2012, la commission d'indemnisation lui a adressé une offre correspondant à ce qu'elle estimait être le montant de l'entière indemnisation lui revenant ; qu'il était expressément précisé que la commission avait considéré qu'il n'y avait pas matière à offre pour les autres préjudices invoqués, ce dont il résultait nécessairement qu'un refus était opposé à leur indemnisation ; qu'il était également indiqué qu'à qu'à défaut d'avoir été acceptée expressément et sans réserve dans le délai de 6 mois de sa notification, l'offre de la commission était réputée avoir été refusée et il appartenait alors à M.[F] de saisir la juridiction compétente ;

Considérant que, le 29 juin 2012, M.[F] a déclaré accepter expressément et sans réserve l'offre d'indemnisation formulée à son endroit, ce qui révèle qu'il entendait renoncer à la contester ;

Considérant toutefois qu'en admettant qu'il existât un doute sur l'étendue de son acceptation et que la présente demande d'indemnisation soit recevable, elle se heurterait aux objections suivantes ;

Considérant en effet que l'indemnisation des préjudices économiques et accessoires, toutes causes de préjudices confondues, a été déclarée contraire à la Constitution, de même que la référence à l'âge de l'avoué, au regard du principe de l'égalité des citoyens devant les charges publiques ;

Considérant que cette décision et les motifs qui en constituent le soutien nécessaire ne peuvent être écartés, eu égard aux dispositions impératives de l'article 62 de la Constitution disposant que les décisions du Conseil constitutionnel ne sont susceptibles d'aucun recours et s'imposent aux pouvoirs publics ainsi qu'à toutes les autorités administratives et juridictionnelles ;

Considérant que toute demande d'indemnisation du préjudice de carrière, du préjudice économique et des préjudices accessoires, toutes causes confondues, dont la survenance est imputée à la loi, se heurte à l'autorité attachée à la décision du Conseil constitutionnel ;

Considérant dès lors que le préjudice direct, matériel et certain, devant être intégralement indemnisé en application de l'article L13-13 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique ne peut être constitué par l'un ou l'autre de ces chefs de préjudice ;

Considérant d'autre part que l'article 1er du Protocole n°1 additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales dispose que nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international ;

Considérant qu'il s'ensuit que la mesure d'ingérence emportant privation de propriété doit être justifiée ; qu'elle doit ménager un juste équilibre entre les exigences de l'intérêt général de la communauté et les impératifs de la sauvegarde des droits fondamentaux de l'individu, ce qui suppose un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé par la mesure privant de propriété et l'absence de charge spéciale exorbitante ; qu'une privation de propriété implique le versement d'une somme raisonnablement en rapport avec la valeur du bien, sans qu'une réparation intégrale soit garantie dans tous les cas, des objectifs légitimes d'utilité publique, comme ceux recherchés par des mesures de réforme économique ou de justice sociale pouvant militer pour un remboursement inférieur à la pleine valeur marchande du bien ;

Considérant que le juge de l'expropriation évalue le préjudice au jour du jugement de première instance, selon une date de référence située au jour de l'application de la loi ; qu'à cette date, l'avoué perdant son monopole de postulation devant la cour d'appel, conserve néanmoins son outil de travail puisqu'il peut continuer d'exercer son activité, quand bien-même une très grande partie de sa clientèle était constituée d'avocats, susceptibles de devenir des concurrents ; qu'il doit cependant être observé à cet égard que de nombreuses parties continuent, eu égard à la spécificité et à la complexité de la procédure devant la cour d'appel, de recourir à un ancien avoué pour la procédure, en plus de leur avocat plaidant ; que des partenariats entre avocats et anciens avoués peuvent être mis en place ; que l'ancien avoué peut également postuler devant le tribunal de grande instance dont il dépend et intervenir pour plaider devant toutes les juridictions ; qu'il peut donner des consultations et rédiger des actes sous seing privé ;

Considérant que l'évolution des revenus des avoués dépend pour une grande part de choix professionnels faits postérieurement à la date de référence et de leurs aptitudes personnelles à s'adapter à la nouvelle situation concurrentielle résultant d'une loi s'inscrivant dans une évolution historique en mettant fin à une situation monopolistique ;

Considérant que la suppression du monopole de postulation devant la cour était motivée notamment par un but d'intérêt public de simplification de la procédure et d'abaissement de son coût, c'est à dire par le souci d'une meilleure administration de la justice ; qu'elle constituait ainsi une immixtion justifiée, sinon nécessaire, des pouvoirs publics, proportionnée eu égard à l'intervention prévue du juge de l'expropriation susceptible d'indemniser raisonnablement, dans un contexte de fortes contraintes budgétaires, la perte du droit de présentation ;

Considérant que les avoués ne sont dès lors fondés à obtenir aucune somme, au delà de l'indemnisation, pour un montant qui a été accepté, de leur droit de créance résultant de la perte de leur droit de présentation, qui constitue le seul bien en cause au sens de l'article 1er du protocole additionnel à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Considérant en outre qu'eu égard aux dispositions applicables de l'article L13-13 du code de l'expropriation, le préjudice moral n'est pas indemnisable, de sorte qu'il ne peut davantage être fait droit à la demande de dommages et intérêts présentée par M.[F] au titre des troubles allégués dans ses conditions d'existence résultant des modalités successives de la réforme en cause ;

Considérant en conséquence que M.[F] doit être débouté de ses demandes d'indemnisation concernant des préjudices accessoires ;

Considérant en définitive que le jugement doit être infirmé, sauf sur la charge des dépens, conformément aux dispositions de l'article L13-5 du code de l'expropriation ;

Considérant qu'il apparaît équitable de laisser à la charge de chaque partie les frais irrépétibles exposés en cause d'appel ; qu'en revanche, M.[F] supportera les dépens d'appel ;

PAR CES MOTIFS, la cour statuant publiquement par mise à disposition au greffe, contradictoirement et en dernier ressort,

- infirme le jugement du juge de l'expropriation de Paris du 25 août 2014 en toutes ses dispositions, sauf sur la charge des dépens ;

- statuant à nouveau, déboute M.[F] de l'ensemble de ses demandes ;

- y ajoutant :

- dit que chaque partie conservera à sa charge les frais irrépétibles exposés en cause d'appel ;

- dit que M.[F] supportera les dépens d'appel.

LA GREFFIÈRELE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 4 - chambre 7
Numéro d'arrêt : 15/00536
Date de la décision : 29/09/2016

Références :

Cour d'appel de Paris G7, arrêt n°15/00536 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2016-09-29;15.00536 ?
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