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29/09/2016 | FRANCE | N°14/21861

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 4 - chambre 7, 29 septembre 2016, 14/21861


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

Au nom du Peuple français







COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 4 - Chambre 7



ARRÊT DU 29 Septembre 2016

(n° , 7 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : S 14/21861



Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 25 Août 2014 par le tribunal de grande instance de Paris RG n° 14/05





APPELANT



Monsieur [M] [S]

né le [Date naissance 1] 1962

[Adresse 1]

[Localité 1]

Représenté par Me Bernard DE FROM

ENT, avocat au barreau de PARIS, toque : G0195





INTIMÉS



FONDS D'INDEMNISATION DE LA PROFESSION D'AVOUES

DACS

[Adresse 2]

[Localité 2]

Représenté par Me Colin MAURICE, avocat au barreau de P...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

Au nom du Peuple français

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 4 - Chambre 7

ARRÊT DU 29 Septembre 2016

(n° , 7 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : S 14/21861

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 25 Août 2014 par le tribunal de grande instance de Paris RG n° 14/05

APPELANT

Monsieur [M] [S]

né le [Date naissance 1] 1962

[Adresse 1]

[Localité 1]

Représenté par Me Bernard DE FROMENT, avocat au barreau de PARIS, toque : G0195

INTIMÉS

FONDS D'INDEMNISATION DE LA PROFESSION D'AVOUES

DACS

[Adresse 2]

[Localité 2]

Représenté par Me Colin MAURICE, avocat au barreau de PARIS, toque : C2375

DIRECTION RÉGIONALE DES FINANCES PUBLIQUES D'ILE DE FRANCE ET DU DÉPARTEMENT [Localité 3]

[Adresse 3]

[Adresse 3]

[Localité 2]

Représentée par M. [A] en vertu d'un pouvoir général

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 12 Mai 2016, en audience publique, devant la cour composée de :

M. Christian HOURS, Président de chambre, spécialement désigné pour présider cette chambre par ordonnance de Mme le Premier Président de la Cour d'Appel de PARIS,

M. Claude TERREAUX, Conseiller désigné par Mme le Premier Président de la Cour d'Appel de PARIS

M. Pascal COUVIGNOU, Juge de l'expropriation au Tribunal de Grande Instance de MELUN, désigné conformément aux dispositions de l'article L. 13-1 du Code de l'expropriation pour cause d'utilité publique

Greffier : Mme Isabelle THOMAS, lors des débats

ARRÊT :- contradictoire

- prononcé par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile

- signé par M. Christian HOURS, président et par Mme Isabelle THOMAS, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Exposé :

La cour statue sur l'appel formé, le 28 octobre 2014, par M.[M] [S] d'une décision du juge de l'expropriation de Paris en date du 25 août 2014, ayant dit qu'aucune indemnité ne lui était due par le Fonds d'indemnisation des avoués (FIDA), au titre de la loi 2011-94 du 25 janvier 2011, portant réforme de la représentation devant la cour d'appel.

M.de [S] exerçait la profession d'avoué auprès de la cour d'appel d'Amiens au sein de la SCP Tetelin-Marguet et de Surirey, dont il détenait 49,88 % du capital.

La SCP Tetelin-Marguet et de Surirey a accepté une indemnité de 1 199 792 euros, au titre de son préjudice résultant de la perte du droit de présentation.

M.de [S], devenu magistrat, dont les demandes personnelles ont été rejetées par la commission d'indemnisation, a, le 27 janvier 2014, saisi le juge de l'expropriation qui a rendu la décision précitée.

Pour l'exposé complet des faits, de la procédure des prétentions et moyens des parties, il est expressément renvoyé à la décision déférée et aux écritures :

- déposées au greffe par M.de [S], le 19 décembre 2014, tendant à l'infirmation du jugement et à ce que :

- lui soit allouée, à titre principal, la somme de 1 678 224 euros se décomposant comme suit :

- 1 408 043 euros au titre des préjudices de perte de revenus actuels ;

- 19 032 euros au titre de la cotisation Cavom pour l'année 2012 ;

- 251 149 euros au titre des troubles dans les conditions d'existence des avoués du fait des modalités successives de la réforme ;

- lui soit allouée, à titre subsidiaire, la somme de 420 181 euros, décomposée de la façon suivante:

- 65 616 euros au titre des préjudices de perte de revenus actuels ;

- 19 032 euros au titre de la cotisation Cavom pour l'année 2012 ;

- 251 149 euros au titre des troubles dans les conditions d'existence des avoués du fait des modalités successives de la réforme ;

- lui soit allouée, à titre infiniment subsidiaire, la somme de 335 797 euros décomposée de la façon suivante :

- 1 408 043 euros au titre des préjudices de perte de revenus actuels ;

- 19 032 euros au titre de la cotisation Cavom pour l'année 2012 ;

- 251 149 euros au titre des troubles dans les conditions d'existence des avoués du fait des modalités successives de la réforme

- ces sommes portent intérêts au taux légal à compter de la décision à intervenir avec capitalisation;

- ce qu'il soit ordonné à l'Etat de garantir le Fonds de toute condamnation ;

- le Fonds soit condamné à lui payer la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et à supporter les entiers dépens ;

- déposées au greffe par le FIDA, le 23 janvier 2015, contenant appel incident et concluant à :

- la confirmation du jugement en ce qu'il a dit qu'aucune indemnité n'était due à M.de [S] au titre de la suppression des avoués ;

- l'infirmation du jugement pour le surplus et, statuant à nouveau, au débouté de l'appelant de l'ensemble de ses demandes ;

- en tout état de cause à la condamnation de M.de [S] à lui payer la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et à supporter les dépens de première instance et d'appel ;

- adressées par le commissaire du gouvernement le 26 février 2015, aux termes desquelles il conclut au rejet de l'ensemble des demandes présentées par M.de [S], au titre de ses préjudices personnels liés à la suppression de la profession des avoués.

Motifs de l'arrêt :

Considérant que M.de [S] reproche au juge de l'expropriation d'avoir commis une inégalité de traitement, nullement justifiée par l'intérêt général, en refusant d'indemniser, pour la perte de revenus, l'ancien avoué qu'il était, devenu magistrat, alors qu'il a indemnisé des anciens avoués devenus avocats ; que l'article L13-13 du code de l'expropriation précise pourtant que les indemnités allouées doivent couvrir l'intégralité du préjudice direct, matériel et certain, causé par l'expropriation ; qu'il convient de prendre en compte sa perte réelle de revenus et non pas seulement une perte de chance comme le premier juge l'a fait ; qu'il appuie ses demandes sur l'article 1 du protocole additionnel n°1 et la jurisprudence de la CEDH (arrêt Lallement), selon laquelle, lorsque le bien exproprié est l'outil de travail de l'exproprié, l'indemnité versée n'est pas raisonnablement en rapport avec la valeur du bien si d'une manière ou d'une autre elle ne couvre pas cette perte spécifique ; qu'il se fonde également sur l'interprétation a contrario de l'arrêt Wendenburg contre Allemagne qui a refusé d'indemniser les études d'avocat à la suite de la suppression du monopole de plaidoirie dont ils bénéficiaient devant la cour d'appel car ils n'avaient apporté aucun élément concret prouvant qu'ils étaient tributaires des recommandations d'autres avocats pour trouver l'essentiel de leur clientèle ; qu'il démontre au contraire que la quasi-totalité des dossiers ouverts dans son cabinet provenaient des avocats ; qu'il affirme que la Convention s'applique à la protection des privilèges accordés par la loi, lorsque ces privilèges donnent naissance à un espoir légitime d'acquérir certains biens ; qu'il sollicite une indemnité compensant sa perte de revenus pendant 7 ans, le temps admis pour constituer une clientèle d'avocat (baisse annuelle de revenus de 201 149 euros depuis qu'il est magistrat), subsidiairement une indemnité du montant de 150 000 euros allouée par le tribunal aux avoués devenus avocats, plus subsidiairement une indemnité de 65 616 euros correspondant à la perte de revenus sur une base de 50 000 euros par an au pro rata du temps nécessité par son parcours pour devenir magistrat ; qu'il réclame également l'indemnisation de sa cotisation volontaire à la Cavom en 2012 pour ne pas perdre une année de retraite, ainsi que l'indemnisation du préjudice au titre des troubles dans les conditions d'existence des avoués du fait des modalités successives de la réforme, qui, d'assez favorable initialement, a abouti à la décision du Conseil constitutionnel extrêmement traumatisante, préjudice qu'il chiffre à une année du bénéfice moyen des exercices pris en compte pour le calcul de l'indemnité de présentation ;

Considérant que le FIDA fait valoir qu'il résulte de la décision 2010-624 du Conseil constitutionnel que le versement d'indemnités pour des préjudices autres que celui résultant de la perte du droit de présentation et le préjudice subi par les avoués détenant des parts en industrie, était inconstitutionnel; que le Conseil constitutionnel a ainsi écarté le préjudice de carrière (considérant 21), les préjudices économiques jugés purement éventuels (considérant 24), les anciens avoués pouvant devenir avocats et jouir d'un monopole de représentation non seulement devant les cours d'appel mais aussi devant les tribunaux de grande instance ; que le juge de l'expropriation ne pouvait dès lors statuer que sur le montant de l'indemnité pour perte du droit de présentation et l'indemnité allouée aux avoués qui exerçaient au sein d'une société dont ils détenaient des parts en industrie ;

Considérant qu'il souligne que la situation à prendre en compte est celle d'une profession juridique ayant perdu un monopole sur une partie seulement de son activité et bénéficiant de plusieurs contreparties ; que des revenus futurs ne constituent pas des biens actuels au sens de l'article 1 du protocole additionnel n°1 à la Convention européenne des droits de l'homme ; que le juge national ne saurait ordonner une indemnisation excédant les limites qui ont été fixées par le Conseil constitutionnel conformément à la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ; que l'application du code de l'expropriation ne saurait avoir pour effet de reconnaître un droit à l'indemnisation de préjudices économiques ou accessoires déclarés contraire à la Constitution au nom du principe de l'égalité des citoyens devant les charges publiques ; qu'il n'est pas possible d'indemniser les autres préjudices invoqués qui sont purement éventuels ou d'ordre moral ;

Considérant que le commissaire du gouvernement demande à la cour de rejeter toutes les demandes de M.de [S] ; qu'il soutient que l'indemnisation sollicitée, si tant est qu'elle est recevable, ne peut lui être allouée, s'agissant d'un préjudice économique que le Conseil constitutionnel a refusé d'indemniser sous peine de contrevenir au principe de l'égalité des citoyens devant les charges publiques et à la règle de bonne utilisation des deniers publics ; qu'en outre, au regard des textes du code de l'expropriation, il ne peut être estimé que les avoués perdent leur outil de travail ni qu'il y a dépossession par la puissance publique au sens de l'article 17 de la déclaration de 1789 et transfert au profit de l'Etat ou d'une autre personne avec versement d'une indemnité préalable, puisqu'ils conservent de fait leur activité initiale qui leur confère une spécialisation en procédure d'appel dont ils peuvent se prévaloir et obtiennent le droit d'exercer l'ensemble des attributions réservées aux avocats, notamment le monopole de postulation devant le tribunal de grande instance dans le ressort duquel ils ont établi leur résidence professionnelle ;

Considérant que les avoués ont été institués par les décrets des 29 janvier et 20 mars 1791 pour représenter en justice les parties à un procès, après la suppression des charges des procureurs royaux dont le ministère était obligatoire depuis 1620 ; qu'ils ont été supprimés en même temps que les avocats par le décret du 24 octobre 1793, avant d'être rétablis par la loi du 18 mars 1800 près les juridictions de première instance, d'appel et de cassation, qui leur attribue un monopole de la postulation, tant en matière civile que pénale, l'Etat fixant leur nombre et leur rémunération ;

Considérant que la loi du 18 février 1801 a supprimé la spécialité d'avoué près les tribunaux criminels ; qu'après le rétablissement, également en 1800, de la profession d'avocat, celui-ci étant en charge de la plaidoirie, l'avoué a conservé le monopole de la postulation et du dépôt des conclusions ; que la profession d'avoué a été scindée en celle d'avoué au tribunal et d'avoué à la cour d'appel ;

Considérant que la loi du 28 avril 1816 a consacré la patrimonialité des offices, les avoués étant autorisés à présenter un successeur au roi puis au garde des Sceaux, pourvu qu'il réunisse les

qualités ; que ce système a été maintenu, le titulaire de l'office, officier ministériel, jouissant ainsi d'un droit de présentation de son successeur, un traité étant conclu avec celui-ci, fixant un prix de cession, soumis à l'agrément de la Chancellerie ;

Considérant que la patrimonialité des offices d'avoué a été supprimée dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle, après la guerre de 1870, sans avoir été rétablie après 1918, les lois du 20 février 1922 et 29 juillet 1928 définissant seulement un régime de postulation spécifique, où les avocats doivent choisir de postuler devant le tribunal de grande instance ou devant la cour d'appel ;

Considérant que les offices d'avoué au tribunal de grande instance et ceux d'avoués près les cours d'appel dans les départements d'outre-mer ont été supprimés par la loi du 31 décembre 1971, les anciens avoués devenant avocats ;

Considérant que les avoués à la cour d'appel ont conservé le monopole de la postulation devant les cours d'appel dans les procédures où la représentation est obligatoire, soit la majorité du contentieux civil, à l'exclusion notable des affaires portées devant les chambres sociales des cours d'appel ; qu'ils peuvent en outre exercer une activité hors monopole de consultation juridique, de rédaction d'actes sous seing privé, de représentation et de plaidoirie dans des contentieux judiciaires ou administratifs où la représentation n'est pas obligatoire ;

Considérant que les avocats, s'ils avaient la possibilité de plaider partout en France, ne pouvaient postuler que devant le tribunal de grande instance dont dépendait leur barreau d'inscription (les avocats des barreaux de Paris, Nanterre, Bobigny et Créteil pouvant eux postuler devant tous ces tribunaux de grande instance, issus de l'ancien tribunal de la Seine) ;

Considérant que les avoués percevaient pour leur activité monopolistique des émoluments tarifés, selon un tarif fixé par le décret du 30 juillet 1980, modifié en 1984, puis en 2003 ;

Considérant qu'à la suite des rapports au Président de la République présentés par MM.[C] (2008) et [B] (2009), remettant en cause le bien-fondé de la dualité d'intervention de l'avoué et de l'avocat, en cause d'appel et compte tenu de la directive 2006/123 relative aux services dans le marché intérieur (directive « services »), un projet de loi a été élaboré, intégrant les avoués dans la profession d'avocat en les inscrivant au barreau près du tribunal de grande instance dans le ressort duquel leur office est situé, avec possibilité de renoncer à devenir avocat ou de choisir un autre barreau ; que, corrélativement, l'activité des avocats a été étendue à la postulation devant la cour d'appel, le tarif de postulation en cause d'appel étant supprimé ;

Considérant que le projet initial prévoyait seulement une indemnisation du droit de présentation des avoués correspondant aux deux tiers de la valeur de la charge, qui sera portée par l'Assemblée nationale à la totalité de cette valeur, le Sénat ajoutant ensuite l'indemnisation des préjudices de carrière, économique, accessoires et désignant le juge de l'expropriation de Paris pour fixer cette indemnisation en cas de désaccord des avoués sur les propositions à eux faites par une commission chargée de statuer sur leurs demandes ;

Considérant que sur le recours de 82 sénateurs, contestant notamment, d'une part, les modalités de l'indemnisation des avoués prévues par la loi déférée, en ce qu'elle n'était pas préalable à la suppression de cette profession, d'autre part, le régime fiscal de cette indemnisation, le Conseil constitutionnel a rejeté ces contestations et, se saisissant d'office, a notamment considéré que le préjudice de carrière était inexistant pour un avoué, que le préjudice économique et les préjudices accessoires toutes clauses confondues étaient purement éventuels, compte tenu des activités qu'ils pouvaient continuer d'exercer et qu'en prévoyant l'allocation d'indemnités correspondant à ces préjudices, les dispositions de l'article 13 de la loi déférée avaient méconnu l'exigence de bon emploi des deniers publics et créé une rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques ;

Considérant qu'en conséquence l'article 13 de la loi déférée, ainsi libellé initialement : "les avoués près les cours d'appel en exercice à la date de la publication de la présente loi ont droit à une indemnité au titre du préjudice correspondant à la perte du droit de présentation, du préjudice de carrière, du préjudice économique et des préjudices accessoires toutes causes confondues, fixée par le juge de l'expropriation dans les conditions définies par les articles L13-1 à L13-25 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique. Le juge détermine l'indemnité allouée aux avoués exerçant au sein d'une société dont ils détiennent des parts en industrie afin d'assurer, en tenant compte de leur âge, la réparation du préjudice qu'ils subissent du fait de la présente loi..." a été privé par la décision n°2010-624 DC du 20 janvier 2011 des mots "du préjudice de carrière, du préjudice économique et des préjudices accessoires toutes causes confondues" , de même que des mots " en tenant compte de leur âge" ;

Considérant sur la recevabilité de la demande d'indemnisation présentée par M.de [S], que l'article 13 de la loi du 25 janvier 2011dispose que les avoués près les cours d'appel en exercice à la date de la publication de la présente loi ont droit à une indemnité au titre du préjudice correspondant à la perte du droit de présentation, fixée par le juge de l'expropriation dans les conditions définies par les articles L. 13-1 à L. 13-25 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique. Le juge détermine l'indemnité allouée aux avoués exerçant au sein d'une société dont ils détiennent des parts en industrie afin d'assurer la réparation du préjudice qu'ils subissent du fait de la présente loi. L'indemnité est versée par le fonds d'indemnisation prévu à l'article 19. Par dérogation aux règles de compétence territoriale, le juge de l'expropriation compétent est celui du tribunal de grande instance de Paris. Dans un délai de trois mois suivant la cessation de l'activité d'avoué près les cours d'appel et au plus tard le 31 mars 2012, la commission prévue à l'article 16 notifie à l'avoué le montant de son offre d'indemnisation. En cas d'acceptation de l'offre par l'avoué, l'indemnité correspondante est versée à l'avoué dans un délai d'un mois à compter de cette acceptation ;

Considérant que la recevabilité des demandes de M.de [S], dont les demandes d'indemnisation à titre personnel ont été rejetées par la commission, n'est pas discutée ;

Considérant que l'indemnisation des préjudices économique et accessoires, toutes causes de préjudices confondues, a été déclarée contraire à la Constitution, de même que la référence à l'âge de l'avoué, au regard du principe de l'égalité des citoyens devant les charges publiques ;

Considérant que cette décision et les motifs qui en constituent le soutien nécessaire ne peuvent être écartés, eu égard aux dispositions impératives de l'article 62 de la Constitution disposant que les décisions du Conseil constitutionnel ne sont susceptibles d'aucun recours et s'imposent aux pouvoirs publics ainsi qu'à toutes les autorités administratives et juridictionnelles ;

Considérant que toute demande d'indemnisation du préjudice de carrière, du préjudice économique et des préjudices accessoires, toutes causes confondues, dont la survenance est imputée à la loi, se heurte à l'autorité attachée à la décision du Conseil constitutionnel ;

Considérant dès lors que le préjudice direct, matériel et certain, devant être intégralement indemnisé en application de l'article L13-13 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique ne peut être constitué par l'un ou l'autre de ces chefs de préjudice ;

Considérant d'autre part que l'article 1er du Protocole n°1 additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales dispose que nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international ;

Considérant qu'il s'ensuit que la mesure d'ingérence emportant privation de propriété doit être justifiée ; qu'elle doit ménager un juste équilibre entre les exigences de l'intérêt général de la communauté et les impératifs de la sauvegarde des droits fondamentaux de l'individu, ce qui suppose un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé par la mesure privant de propriété et l'absence de charge spéciale exorbitante ; qu'une privation de propriété implique le versement d'une somme raisonnablement en rapport avec la valeur du bien, sans qu'une réparation intégrale soit garantie dans tous les cas, des objectifs légitimes d'utilité publique, comme ceux recherchés par des mesures de réforme économique ou de justice sociale pouvant militer pour un remboursement inférieur à la pleine valeur marchande du bien ;

Considérant que le juge de l'expropriation évalue le préjudice au jour du jugement de première instance, selon une date de référence située au jour de l'application de la loi ; qu'à cette date, l'avoué perdant son monopole de postulation devant la cour d'appel, conserve néanmoins son outil de travail puisqu'il peut continuer d'exercer son activité, quand bien-même une très grande partie de sa clientèle était constituée d'avocats, susceptibles de devenir des concurrents ; qu'il doit cependant être observé à cet égard que de nombreuses parties continuent, eu égard à la spécificité et à la complexité de la procédure devant la cour d'appel, de recourir à un ancien avoué pour la procédure, en plus de leur avocat plaidant ; que des partenariats entre avocats et anciens avoués peuvent être mis en

place ; que l'ancien avoué peut également postuler devant le tribunal de grande instance dont il dépend et intervenir pour plaider devant toutes les juridictions ; qu'il peut donner des consultations et rédiger des actes sous seing privé ;

Considérant que l'évolution des revenus des avoués dépend pour une grande part de choix professionnels faits postérieurement à la date de référence et de leurs aptitudes personnelles à s'adapter à la nouvelle situation concurrentielle résultant d'une loi s'inscrivant dans une évolution historique en mettant fin à une situation monopolistique ; qu'en l'espèce, M.de [S] a fait le choix de devenir magistrat, profession dont il n'ignorait pas les perspectives financières limitées ;

Considérant que la suppression du monopole de postulation devant la cour était motivée notamment par un but d'intérêt public de simplification de la procédure et d'abaissement de son coût, c'est à dire par le souci d'une meilleure administration de la justice ; qu'elle constituait ainsi une immixtion justifiée, sinon nécessaire, des pouvoirs publics, proportionnée eu égard à l'intervention prévue du juge de l'expropriation susceptible d'indemniser raisonnablement, dans un contexte de fortes contraintes budgétaires, la perte du droit de présentation ;

Considérant que les avoués ne sont dès lors fondés à obtenir aucune somme, au delà de l'indemnisation, pour un montant qui a été accepté, de leur droit de créance résultant de la perte de leur droit de présentation, qui constitue le seul bien en cause au sens de l'article 1er du protocole additionnel à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Considérant en conséquence que M.de [S] doit être débouté de ses demandes d'indemnisation concernant des préjudices accessoires ;

Considérant en définitive que le jugement doit être confirmé en toutes ses dispositions ;

Considérant qu'il apparaît équitable de laisser à la charge de chaque partie les frais irrépétibles exposés en cause d'appel ; qu'en revanche, M.de [S] supportera les dépens

d'appel ;

PAR CES MOTIFS, la cour statuant publiquement par mise à disposition au greffe, contradictoirement et en dernier ressort,

- confirme en toutes ses dispositions la décision du juge de l'expropriation de Paris du 25 août

2014 ;

- y ajoutant :

- dit que chaque partie conservera à sa charge les frais irrépétibles exposés en cause d'appel ;

- dit que M.de [S] supportera les dépens d'appel.

LA GREFFIÈRELE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 4 - chambre 7
Numéro d'arrêt : 14/21861
Date de la décision : 29/09/2016

Références :

Cour d'appel de Paris G7, arrêt n°14/21861 : Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2016-09-29;14.21861 ?
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