RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
Au nom du Peuple français
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 4 - Chambre 7
ARRÊT DU 29 SEPTEMBRE 2016
(n° , 8 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : S 14/20183
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 25 Août 2014 par le tribunal de grande instance de PARIS RG n° 14/3
APPELANT
FONDS D'INDEMNISATION DE LA PROFESSION D'AVOUES
DACS
[Adresse 1]
[Adresse 2]
Représenté par Me Colin MAURICE, avocat au barreau de PARIS, toque : C2375
INTIMÉS
Monsieur [J] [D]
né le [Date naissance 1] 1955 à [Localité 1]
[Adresse 3]'
[Adresse 4]
Représenté par Me Louis VERMOT, avocat au barreau de PARIS, toque : P0399
DIRECTION RÉGIONALE DES FINANCES PUBLIQUES D'ILE DE FRANCE ET DU DÉPARTEMENT DE PARIS
Commissariat du gouvernement
[Adresse 5]
[Adresse 2]
Représenté par M. [S] en vertu d'un pouvoir général
PARTIE INTERVENANTE :
L'AGENT JUDICIAIRE DE L'ETAT
[Adresse 6]
[Adresse 7]
[Adresse 8],
Ayant pour avocate, Me Alexandre DE JORNA, avocate au barreau de PARIS, toque : C0744
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 07 Avril 2016, en audience publique, devant la cour composée de :
M. Christian HOURS, Président de chambre, spécialement désigné pour présider cette chambre par ordonnance de Mme le Premier Président de la Cour d'Appel de PARIS,
Mme Maryse LESAULT, Conseillère désignée par Mme le Premier Président de la Cour d'Appel de PARIS
M. [E] [Z], Juge de l'expropriation au Tribunal de Grande Instance de MELUN, désigné conformément aux dispositions de l'article L. 13-1 du Code de l'expropriation pour cause d'utilité publique
Greffier : Mme Isabelle THOMAS, lors des débats
ARRÊT :- contradictoire
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par M. Christian HOURS, président et par Mme Isabelle THOMAS, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
La cour statue sur l'appel formé le 6 octobre 2014 par le Fonds d'indemnisation des avoués (le FIDA) d'une décision du juge de l'expropriation de Paris en date du 25 août 2014 fixant avec exécution provisoire à la somme de 150 000 euros l'indemnisation due à M.[J] [D], au titre de la suppression de la profession des avoués, à la suite de la loi 2011-94 du 25 janvier 2011, portant réforme de la représentation devant la cour d'appel et lui allouant la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
La SCP [T]-[D] ([Z] [S] [T] et [J] [D] étant les seuls associés à parts égales) était titulaire d'un office d'avoué à Paris. La SCP a été mise en liquidation amiable le 15 avril 2011 et M.[D] est devenu avocat, intégrant, le 1er janvier 2013, la Selarl des Deux Palais.
Les associés de la SCP Mira-Bettan ont accepté sans réserve une indemnité de 1 088 408 dont 1 024 068 euros au titre de la perte du droit de présentation.
La commission d'indemnisation a rejeté les demandes en indemnisation présentées à titre individuel concernant des préjudices personnels.
M.[D] a ensuite saisi le juge de l'expropriation qui a rendu la décision précitée.
Pour l'exposé complet des faits, de la procédure des prétentions et moyens des parties, il est expressément renvoyé à la décision déférée et aux écritures :
- déposées au greffe par le FIDA les 3 décembre 2014 et 5 avril 2016, tendant à l'infirmation du jugement en ce qu'il a fixé l'indemnité due à M.[D] à la somme de 150 000 euros, outre 2 000 euros au titre des frais irrépétibles et, statuant à nouveau, de débouter M.[D] de toutes ses demandes en indemnisation et de le condamner à lui payer la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- déposées au greffe par M.[D], les 16 janvier 2015, 31 mars et 5 avril 2016, contenant appel incident, concluant à la réformation du jugement sur la fixation des indemnités et demandant à la cour, statuant à nouveau, de :
- fixer les indemnités à son profit comme suit :
- charges exorbitante résultant de la loi supprimant la profession des avoués : 1 223 306 euros, subsidiairement, 383 032 euros ;
- perte des droits à la retraite : 109 202 euros ;
- trouble professionnel : 10 000 euros ;
Total : 1 342 508 euros ;
- à défaut, confirmer le jugement du 25 août 2014 en ce qu'il a alloué une somme de 150 000 euros au titre de la suppression de la profession des avoués ;
- dire que ces indemnités porteront intérêts au taux légal à compter du jugement de première instance et seront capitalisés par périodes annuelles, conformément à l'article 1154 du code civil ;
- lui allouer la somme de 15 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner le FIDA à supporter les dépens ;
- adressées par le commissaire du gouvernement le 15 janvier 2015, aux termes desquelles il demande à la cour d'écarter dans leur totalité les demandes d'indemnisation de M.[D], au titre des préjudices personnels liés à la suppression de la profession des avoués (pertes de revenus d'activité et futurs, indemnité pour trouble dans les conditions d'existence).
Motifs de l'arrêt :
Considérant que le FIDA fait valoir qu'il résulte de la décision 2010-624 du Conseil constitutionnel, s'imposant au juge judiciaire, que le versement d'indemnités pour des préjudices autres que celui résultant de la perte du droit de présentation et le préjudice subi par les avoués détenant des parts en industrie, était inconstitutionnel ; qu'il a ainsi écarté le préjudice de carrière (considérant 21), les préjudices économiques jugés purement éventuels (considérant 24), les anciens avoués pouvant devenir avocats et jouir d'un monopole de représentation non seulement devant les cours d'appel mais aussi les tribunaux de grande instance ; que le juge de l'expropriation ne pouvait dès lors statuer, sans faire revivre des dispositions légales jugées contraires au principe d'égalité devant les charges publiques, que sur le montant de l'indemnité pour perte du droit de présentation et l'indemnité allouée aux avoués qui exerçaient au sein d'une société dont ils détenaient des parts en industrie ;
Considérant qu'il fait valoir que :
- la situation à prendre en compte est celle d'une profession juridique ayant perdu un monopole sur une partie seulement de son activité et bénéficiant de plusieurs contreparties ;
- des revenus futurs ne constituent pas des biens actuels au sens du protocole n°1 à la Convention européenne des droits de l'homme ;
- si le droit de présentation a une valeur patrimoniale, même s'il n'est pas dans le commerce, il n'est pas une propriété privée ;
- le juge national ne saurait ordonner une indemnisation excédant les limites qui ont été fixées conformément à la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen par le Conseil constitutionnel, qui a également pris en compte le droit de l'Union européenne ;
- l'application du code de l'expropriation ne saurait avoir pour effet de reconnaître un droit à indemnisation de préjudices économiques ou accessoires déclarés contraire à la Constitution au nom du principe de l'égalité des citoyens devant les charges publiques ;
- les revenus antérieurs et actuels des avoués étant aléatoires et temporaires, ne peuvent donner lieu à indemnisation pour une perte de revenus qui n'est qu'éventuelle, observation faite que les avoués exerçaient des activités accessoires qu'ils peuvent valoriser en devenant avocat ; qu'ils ont une compétence en matière de procédure d'appel justifiant que les avocats continuent de recourir à eux ;
- le préjudice lié à la perte des droits à la retraite s'analyse également en un préjudice économique et de carrière dont l'indemnisation a été jugée contraire au bloc de constitutionnalité, plus précisément aux dispositions de l'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen; qu'il repose sur une estimation des revenus futurs soit sur des éléments éventuels ;
- le préjudice moral correspondant au trouble allégué dans les conditions d'existence des avoués est exclu par la loi du 25 janvier 2011 et n'est au demeurant pas directement causé par la suppression de la profession d'avoué ;
- il n'entre pas dans la compétence du juge de l'expropriation de prononcer une condamnation aux intérêts ou au titre de leur capitalisation ;
- l'article L13-5 du code de l'expropriation ne peut fonder une condamnation aux dépens, dès lors qu'il n'y a pas eu d'expropriation ;
Considérant que M.[D] plaide que :
- le Conseil constitutionnel n'est pas juge de la conventionnalité des lois ;
- la Cour de [Localité 2] dans sa jurisprudence rendue au visa de l'article 1er du premier protocole additionnel à la CEDH assimile à une perte de propriété la privation de la possibilité d'exercer une profession ; le droit de présentation a, à tout le moins, une nature patrimoniale ;
- les offices d'avoué constituent des meubles incorporels qui sont des objets de propriété d'un genre particulier, tenant à l'attache particulièrement étroite qu'il présente avec la personne de celui qui l'exploite ;
- la privation de propriété de ce bien se doublant d'une atteinte à ses moyens de production, fonde sa demande d'indemnisation appréciée in concreto ;
- la clientèle des avoués provenant exclusivement des avocats et l'entrée en vigueur de la loi a entraîné une brusque rupture de l'activité des avoués, l'avocat de première instance demeurant de droit le professionnel en charge des intérêts de la partie ; une éventuelle spécialisation en procédure d'appel ne procurera pas à l'avoué devenu avocat des revenus à hauteur des émoluments que lui assurait le décret du 12 mai 2003 rendu inapplicable par la loi ; il faudra plus années, de l'ordre de 10, pour retrouver le niveau de vie qui était le sien ;
- l'avoué peut prétendre à la réparation d'un préjudice spécifique au titre de la perte de son outil de travail ;
- la réforme occasionne un trouble d'exploitation, comparable à celui subi par le commerçant évincé de son fonds, qui doit être indemnisé, puisque l'avoué devra changer sa pratique professionnelle et exercer un autre métier, tout en conquérant une nouvelle clientèle ;
- l'absence de prise en compte de la perte de revenus reviendrait à lui faire supporter une charge exorbitante au motif de l'intérêt général ;
- le jugement est critiquable en ce qu'il limite forfaitairement sa perte de revenus, qui doit être calculée sur la base de 174 758 euros par an sur les 7 ans qui le séparent de sa retraite à 65 ans;
- subsidiairement, afin que l'indemnité soit raisonnablement en rapport avec le préjudice subi et en adéquation avec le but recherché par la loi, il lui sera alloué une indemnité représentative de quatre années de revenus moyens d'un avocat de plus de dix ans d'expérience, soit 4 x 95 758 euros ;
- il s'ensuivra une perte des droits à la retraite, une étude montrant que le déficit de retraite est évalué à 6276 euros par an, sur 17,4 années, durée de l'espérance de vie à 65 ans ;
- le trouble sérieux et profond provoqué par la réforme, à l'origine d'une tension et d'une angoisse forte depuis 2008, justifie une réparation particulière ;
- il a été nécessaire de s'adjoindre les services d'un avocat et d'un expert-comptable, ce qui doit être pris en compte dans l'appréciation des frais irrépétibles ;
Considérant que le commissaire du gouvernement considère que les demandes indemnitaires portant sur d'autres préjudices que ceux résultant de la perte du droit de présentation et la perte
en industrie ne sont pas recevables ; que, subsidiairement, la demande au titre de la perte de revenus s'analyse en une demande d'indemnisation d'un préjudice économique déclaré contraire à la Constitution, qui a estimé qu'il n'était qu'éventuel, l'activité des avoués n'étant pas supprimée ; que le préjudice n'étant pas certain, ne peut être indemnisé ; qu'il en va de même du préjudice tenant à la perte des droits à la retraite reposant également sur une perte d'activité non certaine ; que le préjudice au titre des troubles dans les conditions d'existence, n'étant pas un préjudice matériel, ne peut être pris en considération aux termes de l'article L13-13 du code de l'expropriation ;
Considérant que les avoués ont été institués par les décrets des 29 janvier et 20 mars 1791 pour représenter en justice les parties à un procès, après la suppression des charges des procureurs royaux dont le ministère était obligatoire depuis 1620 ; qu'ils ont été supprimés en même temps que les avocats par le décret du 24 octobre 1793, avant d'être rétablis par la loi du 18 mars 1800 près les juridictions de première instance, d'appel et de cassation, qui leur attribue un monopole de la postulation, tant en matière civile que pénale, l'Etat fixant leur nombre et leur rémunération;
Considérant que la loi du 18 février 1801 a supprimé la spécialité d'avoué près les tribunaux criminels ; qu'après le rétablissement, également en 1800, de la profession d'avocat, celui-ci étant en charge de la plaidoirie, l'avoué a conservé le monopole de la postulation et du dépôt des conclusions ; que la profession d'avoué a été scindée en celle d'avoué au tribunal et d'avoué à la cour d'appel ;
Considérant que la loi du 28 avril 1816 a consacré la patrimonialité des offices, les avoués étant autorisés à présenter un successeur au roi puis au garde des [Localité 3], pourvu qu'il réunisse les qualités ; que ce système a été maintenu, le titulaire de l'office, officier ministériel, jouissant ainsi d'un droit de présentation de son successeur, un traité étant conclu avec celui-ci, fixant un prix de cession, soumis à l'agrément de la Chancellerie ;
Considérant que la patrimonialité des offices d'avoué a été supprimée dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle, après la guerre de 1870, sans avoir été rétablie après 1918, les lois du 20 février 1922 et 29 juillet 1928 définissant seulement un régime de postulation spécifique, où les avocats doivent choisir de postuler devant le tribunal de grande instance ou devant la cour d'appel ;
Considérant que les offices d'avoué au tribunal de grande instance et ceux d'avoués près les cours d'appel dans les départements d'outre-mer ont été supprimés par la loi du 31 décembre 1971, les anciens avoués devenant avocats ;
Considérant que les avoués à la cour d'appel ont conservé le monopole de la postulation devant les cours d'appel dans les procédures où la représentation est obligatoire, soit la majorité du contentieux civil, à l'exclusion notable des affaires portées devant les chambres sociales des cours d'appel ; qu'ils peuvent en outre exercer une activité hors monopole de consultation juridique, de rédaction d'actes sous seing privé, de représentation et de plaidoirie dans des contentieux judiciaires ou administratifs où la représentation n'est pas obligatoire ;
Considérant que les avocats, s'ils avaient la possibilité de plaider partout en France, ne pouvaient postuler que devant le tribunal de grande instance dont dépendait leur barreau d'inscription (les avocats des barreaux de Paris, Nanterre, Bobigny et Créteil pouvant eux postuler devant tous ces tribunaux de grande instance, issus de l'ancien tribunal de la Seine) ;
Considérant que les avoués percevaient pour leur activité monopolistique des émoluments tarifés, selon un tarif fixé par le décret du 30 juillet 1980, modifié en 1984, puis en 2003 ;
Considérant qu'à la suite des rapports au Président de la République présentés par MM.[F] (2008) et [A] (2009), remettant en cause le bien-fondé de la dualité d'intervention de l'avoué et de l'avocat, en cause d'appel et compte tenu de la directive 2006/123 relative aux services dans le marché intérieur (directive « services »), un projet de loi a été élaboré, intégrant les avoués dans la profession d'avocat en les inscrivant au barreau près du tribunal de grande instance dans le ressort duquel leur office est situé, avec possibilité de renoncer à devenir avocat ou de choisir un autre barreau ; que, corrélativement, l'activité des avocats a été étendue à la postulation devant la cour d'appel, le tarif de postulation en cause d'appel étant supprimé ;
Considérant que le projet initial prévoyait seulement une indemnisation du droit de présentation des avoués correspondant aux deux tiers de la valeur de la charge, qui sera portée par l'Assemblée nationale à la totalité de cette valeur, le Sénat ajoutant ensuite l'indemnisation des préjudices de carrière, économique, accessoires et désignant le juge de l'expropriation de [Localité 1] pour fixer cette indemnisation en cas de désaccord des avoués sur les propositions à eux faites par une commission chargée de statuer sur leurs demandes ;
Considérant que sur le recours de 82 sénateurs, contestant notamment, d'une part, les modalités de l'indemnisation des avoués prévues par la loi déférée, en ce qu'elle n'était pas préalable à la suppression de cette profession, d'autre part, le régime fiscal de cette indemnisation, le Conseil constitutionnel a rejeté ces contestations et, se saisissant d'office, a notamment considéré que le préjudice de carrière était inexistant pour un avoué, que le préjudice économique et les préjudices accessoires toutes clauses confondues étaient purement éventuels, compte tenu des activités qu'ils pouvaient continuer d'exercer et qu'en prévoyant l'allocation d'indemnités correspondant à ces préjudices, les dispositions de l'article 13 de la loi déférée avaient méconnu l'exigence de bon emploi des deniers publics et créé une rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques ;
Considérant qu'en conséquence l'article 13 de la loi déférée, ainsi libellé initialement : "les avoués près les cours d'appel en exercice à la date de la publication de la présente loi ont droit à une indemnité au titre du préjudice correspondant à la perte du droit de présentation, du préjudice de carrière, du préjudice économique et des préjudices accessoires toutes causes confondues, fixée par le juge de l'expropriation dans les conditions définies par les articles L13-1 à L13-25 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique. Le juge détermine l'indemnité allouée aux avoués exerçant au sein d'une société dont ils détiennent des parts en industrie afin d'assurer, en tenant compte de leur âge, la réparation du préjudice qu'ils subissent du fait de la présente loi..." a été privé par la décision n°2010-624 DC du 20 janvier 2011 des mots "du préjudice de carrière, du préjudice économique et des préjudices accessoires toutes causes confondues" , de même que des mots " en tenant compte de leur âge" ;
Considérant sur la recevabilité de la demande d'indemnisation présentée par M.[D], que l'article 13 de la loi du 25 janvier 2011dispose que les avoués près les cours d'appel en exercice à la date de la publication de la présente loi ont droit à une indemnité au titre du préjudice correspondant à la perte du droit de présentation, fixée par le juge de l'expropriation dans les conditions définies par les articles L. 13-1 à L. 13-25 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique. Le juge détermine l'indemnité allouée aux avoués exerçant au sein d'une société dont ils détiennent des parts en industrie afin d'assurer la réparation du préjudice qu'ils subissent du fait de la présente loi. L'indemnité est versée par le fonds d'indemnisation prévu à l'article 19. Par dérogation aux règles de compétence territoriale, le juge de l'expropriation compétent est celui du tribunal de grande instance de Paris. Dans un délai de trois mois suivant la cessation de l'activité d'avoué près les cours d'appel et au plus tard le 31 mars 2012, la commission prévue à l'article 16 notifie à l'avoué le montant de son offre d'indemnisation. En cas d'acceptation de l'offre par l'avoué, l'indemnité correspondante est versée à l'avoué dans un délai d'un mois à compter de cette acceptation ;
Considérant que la recevabilité des demandes de M.[D], dont les demandes d'indemnisation à titre personnel ont été rejetées par la commission, n'est pas contestable ;
Considérant que l'indemnisation des préjudices économique et accessoires, toutes causes de préjudices confondues, a été déclarée contraire à la Constitution, de même que la référence à l'âge de l'avoué, au regard du principe de l'égalité des citoyens devant les charges publiques ;
Considérant que cette décision et les motifs qui en constituent le soutien nécessaire ne peuvent être écartés, eu égard aux dispositions impératives de l'article 62 de la Constitution disposant que les décisions du Conseil constitutionnel ne sont susceptibles d'aucun recours et s'imposent aux pouvoirs publics ainsi qu'à toutes les autorités administratives et juridictionnelles ;
Considérant que toute demande d'indemnisation du préjudice de carrière, du préjudice économique et des préjudices accessoires, toutes causes confondues, dont la survenance est imputée à la loi, se heurte à l'autorité attachée à la décision du Conseil constitutionnel ;
Considérant dès lors que le préjudice direct, matériel et certain, devant être intégralement indemnisé en application de l'article L13-13 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique ne peut être constitué par l'un ou l'autre de ces chefs de préjudice ;
Considérant d'autre part que l'article 1er du Protocole n°1 additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales dispose que nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international ;
Considérant qu'il s'ensuit que la mesure d'ingérence emportant privation de propriété doit être justifiée ; qu'elle doit ménager un juste équilibre entre les exigences de l'intérêt général de la communauté et les impératifs de la sauvegarde des droits fondamentaux de l'individu, ce qui suppose un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé par la mesure privant de propriété et l'absence de charge spéciale exorbitante ; qu'une privation de propriété implique le versement d'une somme raisonnablement en rapport avec la valeur du bien, sans qu'une réparation intégrale soit garantie dans tous les cas, des objectifs légitimes d'utilité publique, comme ceux recherchés par des mesures de réforme économique ou de justice sociale pouvant militer pour un remboursement inférieur à la pleine valeur marchande du bien ;
Considérant que le juge de l'expropriation évalue le préjudice au jour du jugement de première instance, selon une date de référence située au jour de l'application de la loi ; qu'à cette date, l'avoué perdant son monopole de postulation devant la cour d'appel, conserve néanmoins son outil de travail puisqu'il peut continuer d'exercer son activité, quand bien-même une très grande partie de sa clientèle était constituée d'avocats, susceptibles de devenir des concurrents ; qu'il doit cependant être observé à cet égard que de nombreuses parties continuent, eu égard à la spécificité et à la complexité de la procédure devant la cour d'appel, de recourir à un ancien avoué pour la procédure, en plus de leur avocat plaidant ; que des partenariats entre avocats et anciens avoués peuvent être mis en place ; que l'ancien avoué peut également postuler devant le tribunal de grande instance dont il dépend et intervenir pour plaider devant toutes les juridictions ; qu'il peut donner des consultations et rédiger des actes sous seing privé ;
Considérant que l'évolution des revenus des avoués dépend pour une grande part de choix professionnels faits postérieurement à la date de référence et de leurs aptitudes personnelles à s'adapter à la nouvelle situation concurrentielle résultant d'une loi s'inscrivant dans une évolution historique en mettant fin à une situation monopolistique ;
Considérant que la suppression du monopole de postulation devant la cour était motivée notamment par un but d'intérêt public de simplification de la procédure et d'abaissement de son coût, c'est à dire par le souci d'une meilleure administration de la justice ; qu'elle constituait ainsi une immixtion justifiée, sinon nécessaire, des pouvoirs publics, proportionnée eu égard à l'intervention prévue du juge de l'expropriation susceptible d'indemniser raisonnablement, dans un contexte de fortes contraintes budgétaires, la perte du droit de présentation ;
Considérant que les avoués ne sont dès lors pas fondés à obtenir, au delà de l'indemnisation de leur droit de créance résultant de la perte de leur droit de présentation, qui constitue le seul bien en cause au sens de l'article 1er du protocole additionnel à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, l'équivalent monétaire de ce qu'ils auraient continué de percevoir, en termes de revenus ou de droit à la retraite, s'il n'avait pas été mis fin à leur monopole ; que le raisonnement de que M.[D] consistant à comparer a posteriori son revenu actuel à celui antérieur à la réforme pour réclamer la différence sur une période de 7 années, ainsi que le préjudice en cascade en découlant pour ses droits à la retraite, ne peut être accueilli ;
Considérant en conséquence que que M.[D] doit être débouté de ses demandes d'indemnisation des préjudices économiques allégués tenant aux pertes de revenus et de droits à la retraite ;
Considérant qu'eu égard aux dispositions applicables de l'article L13-13 du code de l'expropriation, le préjudice moral n'est pas indemnisable, de sorte qu'il ne peut davantage être fait droit à la demande de dommages et intérêts présentée par M.[D] au titre du trouble professionnel allégué généré par une tension et une angoisse forte ;
Considérant en définitive que le jugement doit être infirmé, sauf sur la charge des dépens, conformément aux dispositions de l'article L13-5 du code de l'expropriation ;
Considérant qu'il apparaît équitable de laisser à la charge de chaque partie les frais irrépétibles exposés en cause d'appel ; qu'en revanche, que M.[D] supportera les dépens d'appel ;
PAR CES MOTIFS, la cour statuant publiquement par mise à disposition au greffe, contradictoirement et en dernier ressort,
- infirme le jugement du juge de l'expropriation de Paris du 25 août 2014 en toutes ses dispositions, sauf sur la charge des dépens ;
- statuant à nouveau, déboute que M.[D] de l'ensemble de ses demandes ;
- y ajoutant :
- dit que chaque partie conservera à sa charge les frais irrépétibles exposés en cause d'appel ;
- dit que que M.[D] supportera les dépens d'appel.
LA GREFFIÈRELE PRÉSIDENT