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29/09/2016 | FRANCE | N°14/17637

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 5 - chambre 9, 29 septembre 2016, 14/17637


Grosses délivrées RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 5 - Chambre 9



ARRÊT DU 29 SEPTEMBRE2016



(n° , 10 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : 14/17637



Décision déférée à la Cour : Jugement du Tribunal de Commerce de Paris en date du 07 Juillet 2014 - RG n° 2011007001



APPELANTS



1) Monsieur [R] [G]-[D]

né le [Date naissance 1] 1965 à [Localité 1]

de nationalité frança

ise

demeurant [Adresse 1]

[Adresse 2]



Représenté par Me Frédéric INGOLD de la SELARL INGOLD & THOMAS - AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : B1055

ayant pour avocat plaid...

Grosses délivrées RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 5 - Chambre 9

ARRÊT DU 29 SEPTEMBRE2016

(n° , 10 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : 14/17637

Décision déférée à la Cour : Jugement du Tribunal de Commerce de Paris en date du 07 Juillet 2014 - RG n° 2011007001

APPELANTS

1) Monsieur [R] [G]-[D]

né le [Date naissance 1] 1965 à [Localité 1]

de nationalité française

demeurant [Adresse 1]

[Adresse 2]

Représenté par Me Frédéric INGOLD de la SELARL INGOLD & THOMAS - AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : B1055

ayant pour avocat plaidant Me Olivier PARDO et Me Camille PIGNET, cabinet PARDO, SICHEZ et ASSOCIES, avocat au barreau de Paris, toque : K170

2) Madame [H] [N]

née le [Date naissance 2] 1973 à [Localité 2]

de nationalité française

demeurant [Adresse 1]

[Adresse 2]

Représentée par Me Frédéric INGOLD de la SELARL INGOLD & THOMAS - AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : B1055

ayant pour avocat plaidant Me Olivier PARDO et Me Camille PIGNET, cabinet PARDO, SICHEZ et ASSOCIES, avocat au barreau de Paris, toque : K170

3) Monsieur [A] [Z]

né le [Date naissance 3] 1965 à [Localité 3]

de nationalité française

demeurant [Adresse 3]

[Adresse 2]

Représenté par Me Frédéric INGOLD de la SELARL INGOLD & THOMAS - AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : B1055

ayant pour avocat plaidant Me Olivier PARDO et Me Camille PIGNET, cabinet PARDO, SICHEZ et ASSOCIES, avocat au barreau de Paris, toque : K170

4) Monsieur [M] [G]

né le [Date naissance 4] 1973 à [Localité 4]

de nationalité française

demeurant [Adresse 4]

[Adresse 2]

Représenté par Me Frédéric INGOLD de la SELARL INGOLD & THOMAS - AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : B1055

ayant pour avocat plaidant Me Olivier PARDO et Me Camille PIGNET, cabinet PARDO, SICHEZ et ASSOCIES, avocat au barreau de Paris, toque : K170

5) SAS DEGETEL GROUP

immatriculée au RCS de Nanterre sous le n° 493 470 686

ayant son siège social [Adresse 5]

[Adresse 2]

prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège

Représentée par Me Frédéric INGOLD de la SELARL INGOLD & THOMAS - AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : B1055

ayant pour avocat plaidant Me Olivier PARDO et Me Camille PIGNET, cabinet PARDO, SICHEZ et ASSOCIES, avocat au barreau de Paris, toque : K170

6) SA DEGETEL anciennement Degetel.com

immatriculée au RCS de Nanterre sous le n° 423 806 884

ayant son siège social [Adresse 4]

[Adresse 2]

prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège

Représentée par Me Frédéric INGOLD de la SELARL INGOLD & THOMAS - AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : B1055

ayant pour avocat plaidant Me Olivier PARDO et Me Camille PIGNET, cabinet PARDO, SICHEZ et ASSOCIES, avocat au barreau de Paris, toque : K170

INTIMÉE

SA ALTRAN TECHNOLOGIES

immatriculée au RCS de Nanterre sous le n° 702 012 956

ayant son siège social [Adresse 6]

[Adresse 7]

prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège

Représentée par Me Richard ESQUIER de l'ASSOCIATION Laude Esquier Champey, avocat au barreau de PARIS, toque : R144

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 22 Juin 2016, en audience publique, devant la Cour composée de :

M. François FRANCHI, Président de Chambre

Mme Michèle PICARD, Conseillère

Mme Christine ROSSI, Conseillère

qui en ont délibéré,

Un rapport a été présenté à l'audience dans les conditions prévues à l'article 785 du code de procédure civile.

Greffier, lors des débats : Mme Pauline ROBERT

MINISTERE PUBLIC : l'affaire a été communiquée au Ministère Public.

ARRET :

- contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par M. François FRANCHI, président et par Mme Pauline ROBERT, greffier présent lors du prononcé.

*

Monsieur [R] [G]-[D] a été salarié de la société Altran Technologies ' ci-après sa Altran ' du 16 mai 1994 au 5 mai 1999, date à laquelle il a été licencié pour faute lourde.

Le 3 juin 1999 ce dernier aurait verbalement menacé monsieur [O], directeur général de la Sa Altran. La société a alors déposé plainte auprès des services de gendarmerie. Le 8 juillet 1999, le ministère Public informait la Sa Altran du classement sans suite de sa plainte.

Le Conseil des Prud'hommes de Paris a jugé le licenciement de monsieur [G]-[D] sans cause réelle et sérieuse.

Le 23 décembre 1999, la société Altran déposait plainte avec constitution de partie civile auprès du juge d'instruction du tribunal de grande instance de Paris. Le 16 mars 2000, monsieur [G]-[D] était mis en examen des chefs de tentative de chantage, tentative d'extorsion de fonds, vol et abus de confiance. Le 6 juillet 2000, il était renvoyé devant le tribunal correctionnel de Paris qui le relaxait le 13 décembre 2000 de tous les chefs d'accusation. Cette décision était frappée d'appel par la société Altran et le ministère public. Par un arrêt du 28 mai 2002, la cour d'appel de Paris confirmait la décision de relaxe. La Cour de cassation par un arrêt du 14 mai 2003, rejetait le pourvoi formé par la Sa Altran.

Le 4 mars 2004, monsieur [G]-[D] déposait plainte à l'encontre de la Sa Altran pour dénonciation calomnieuse. Par un jugement du 13 septembre 2006, le tribunal correctionnel de Paris relaxait la société Altran. La cour d'appel de Paris par un arrêt du 14 avril 2008 infirmait la décision déférée jugeant que la Sa Altran s'était rendue coupable du délit de dénonciation calomnieuse et la condamnait à la somme de 20.000 euros à titre de dommages et intérêts. La Cour de cassation rejetait le pourvoi formé par la société Altran par un arrêt du 17 mars 2009.

Concomitamment, en juillet 1999 monsieur [G]-[D] fondait avec 4 autres associés la société Degetel.com, devenue Degetel en mai 2002. En 2001, les dirigeants de Degetel envisageaient une introduction en bourse de leur société afin de lever des fonds. Il choisissaient la société EFI, alors n°1 de l'introduction en bourse sur le marché libre. L'introduction en bourse était prévue pour le 5 décembre 2001 à la suite d'une proposition de contrat du 5 septembre 2001 de monsieur [S], président du directoire d'EFI. Ce projet était annulé en octobre 2001.

Le 10 janvier 2011, monsieur [G]-[D] «'en sa qualité de président de Degetel Group'», madame [N] «'en sa qualité d'associé fondateur'», monsieur [Z] «'en sa qualité de directeur général de Degetel Group'» et monsieur [M] [G] «'en sa qualité de directeur général de Degetel Group'» assignaient la société Altran en paiement de dommages et intérêts à hauteur de 23.387.000 euros pour perte de chance.

Par un jugement du 7 juillet 2014, le tribunal de commerce de Paris les déboutait de leurs demandes.

Le tribunal a notamment considéré que chacune des parties avait actionné tous les moyens de droit à sa disposition de sorte que la société Altran n'était pas seule responsable d'un acharnement procédural qui aurait été à l'origine de la décision d'annulation du projet d'introduction en bourse de la société Degetel. Le tribunal a également jugé que les demandeurs n'établissaient pas la réalité d'une perte de chance d'introduire Degetel en bourse. Ainsi, en l'absence de faute, de préjudice et de lien de causalité, le tribunal a rejeté la demande.

Ils interjetaient appel de cette décision le 19 août 2014.

Par une ordonnance du 25 juin 2015, le conseiller de la mise en état rejetait les demandes de la société Altran aux fins d'irrecevabilité de la déclaration d'appel pour défaut d'intérêt à agir des appelants. Cette ordonnance de mise en état a été confirmée par la cour d'appel dans un arrêt du 10 décembre 2015 constatant que les appelants ont toujours agi dans leur intérêt propre.

***

Monsieur [R] [G]-[D], madame [H] [N], monsieur [A] [Z], monsieur [M] [G], la société Degetel et la société Degetel Group ont signifié leurs dernières conclusions par voie électronique le 3 mai 2016. Ils demandent à la cour d'appel de :

- Juger les demandes de Messieurs [R] [G]-[D], [A] [Z], [M] [G] et de madame [H] [N] recevables, non prescrites et bien fondées ;

- Juger les interventions volontaires de Degetel et Degetel Group recevables, non prescrites et bien fondées ;

- Constater que la procédure pénale introduite par Altran Technologies et jugée par la cour d'appel de Paris le 14 avril 2008 comme constituant une dénonciation calomnieuse à l'encontre de Monsieur [G]-[D] a contraint les dirigeants de Degetel à reporter l'introduction en bourse de Degetel initialement prévue le 5 décembre 2001 ;

- Constater que l'impossibilité d'introduire favorablement Degetel en bourse a nécessairement causé un préjudice aux associés fondateurs et anciens actionnaires de la société Degetel ainsi qu'à la société elle-même ;

En conséquence :

1. Sur le préjudice subi par les associés fondateurs et anciens actionnaires, correspondant à la perte de valeur des actions de Degetel qu'ils avaient décidé de céder, du fait de l'abandon de l'introduction en bourse de décembre 2001 :

- Condamner la société Altran Technologies à verser à messieurs [R] [G]-[D], [A] [Z], [M] [G] et à madame [H] [N] la somme de 6,047 millions d'euros, se décomposant ainsi :

- 2,736 millions d'euros pour Monsieur [R] [G]-[D];

- 1,512 million d'euros pour Monsieur [A] [Z];

- 1,152 million d'euros pour Monsieur [M] [G];

- 0,647 million d'euros pour Madame [H] [N] ;

Avec intérêts au taux légal à compter de la saisine du tribunal de commerce de Paris (10 janvier 2011).

2. Sur le préjudice subi par la société Degetel, correspondant à la perte de valeur de la société Degetel découlant de l'annulation de l'augmentation de capital, du fait de l'abandon de l'introduction en bourse de décembre 2001 :

A titre principal :

- Condamner la société Altran Technologies à verser à la société Degetel la somme de 22,200 millions d'euros

Avec intérêts au taux légal à compter de la saisine du Tribunal de Commerce de Paris (10 janvier 2011).

A titre subsidiaire :

- Condamner la société Altran Technologies à verser à messieurs [R] [G]-[D], [A] [Z], [M] [G] et à madame [H] [N] la somme de 15,463 millions d'euros se décomposant ainsi :

- 7,348 millions d'euros pour monsieur [R] [G]-[D];

- 3,866 millions d'euros pour monsieur [A] [Z] ;

- 2,593 millions d'euros pour monsieur [M] [G] ;

- 1,656 million d'euros pour madame [H] [N] ;

Avec intérêts au taux légal à compter de la saisine du Tribunal de Commerce de Paris (10 janvier 2011).

- Débouter la société Altran Technologies de l'intégralité de ses demandes incidentes

- Condamner la société Altran Technologies à verser aux appelants la somme de 70.000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile;

- Condamner la société Altran Technologies aux entiers dépens.

***

Dans ses dernières conclusions signifiées le 30 mai 2016 la société Altran Technologies demande à la cour d'appel de :

1 Sur les fins de non-recevoir :

- Dire que messieurs [G]-[D], [Z] et [G], ès-qualités de mandataires sociaux de Degetel Group, et madame [N], ès-qualités d'associé fondateur de Degetel Group, n'avaient pas qualité à agir à l'encontre de la société Altran Technologies ;

- Infirmer le jugement et les dire irrecevables en leurs demandes ;

- Dire que l'action engagée le 4 novembre 2013 par messieurs [G]-[D], [Z] et [G], et madame [N], agissant ès-qualité d'associés fondateurs et anciens actionnaires de Degetel, est prescrite ;

- Infirmer le jugement et les dire irrecevables en leurs demandes ;

- Dire que l'action engagée le 4 novembre 2013 par la société Degetel est prescrite ;

- Confirmer le jugement en ce qu'il l'a jugée irrecevable en ses demandes ;

- Dire que la société Degetel Group n'a pas intérêt à agir à l'encontre de la société Altran Technologies ;

- Confirmer le jugement en ce qu'il l'a jugée irrecevable en son intervention accessoire ;

2 Subsidiairement sur le fond :

- Dire que les appelants, personnes physiques ou morales, ne démontrent ni la faute, ni le préjudice ni le lien de causalité ;

- Confirmer le jugement en ce qu'il les a déboutés de leurs demandes à l'encontre de la société Altran Technologies ;

- Dire que la demande d'indemnisation formée à titre subsidiaire par messieurs [R] [G]-[D], [A] [Z], [M] [G] et madame [H] [N] est irrecevable car nouvelle et en tout état de cause prescrite, et, subsidiairement, mal fondée;

- Les débouter de ces demandes à l'encontre de la société Altran Technologies ;

3 En tout état de cause :

- Condamner in solidum messieurs [R] [G]-[D], [A] [Z], [M] [G], madame [H] [N], et les sociétés Degetel et Degetel Group, à payer à la société Altran Technologies la somme de 100.000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure et propos abusifs et vexatoires ;

- Condamner in solidum messieurs [R] [G]-[D], [A] [Z], [M] [G], madame [H] [N], et les sociétés Degetel et Degetel Group, à payer à la société Altran Technologies la somme de 100.000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- Les condamner aux entiers dépens à recouvrer par Maître Esquier, conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.

SUR CE

Sur la recevabilité de l'action

La Sa Altran Technologies soutient que seules les personnes agissant en qualité d'associés fondateurs de la société Degetel, ainsi que la société Degetel avaient la qualité pour agir, ce qui n'est pas le cas des appelants. En raison de leur défaut de qualité à agir, les sociétés Degetel et Degetel Group qui agissent en intervention accessoire sont en conséquence irrecevables.

Elle ajoute que l'action intentée par les appelants est prescrite. La prescription a été interrompue par l'intervention volontaire des appelants en date du 4 novembre 2013, or, le délai de prescription, qui a commencé à courir le 9 octobre 2001, date à laquelle les actionnaires de la société Degetel ont pris la décision de renoncer à l'introduction en bourse de la société, expirait le 8 octobre 2011 (délai de 5 ans à compter du 19 juin 2008 ' date d'entrée en vigueur de la réforme de la prescription). En tout état de cause, si on considère que la date de départ de la prescription est le 5 décembre 2001, date prévue d'introduction en bourse, l'action serait prescrite mais cette date ne peut être fixée au 27 février 2009.

Selon elle, l'intervention volontaire de la société Degetel Group est irrecevable en l'absence de lien suffisant et de préjudice. Concernant l'intervention volontaire de la société Degetel, celle-ci est prescrite.

Messieurs [G]-[D], [Z], [G] et madame [N] font valoir qu'ils bénéficient d'un intérêt à agir en leur nom propre, tel que constaté par le conseiller de la mise en état dans son ordonnance du 25 juin 2015 confirmée par un arrêt de la cour d'appel du 10 décembre 2015.

Concernant l'intervention volontaire des sociétés Degetel et Degetel Group, celles-ci relèvent que leur litige repose sur le même fait juridique que les appelants, à savoir les agissements de la société Altran. La société Degetel intervient volontairement à titre principal en présentant une prétention distincte en la forme d'une demande de dommages et intérêts propre visant à indemniser la perte de chance d'avoir été introduite en bourse en 2001 alors que la société Degetel Group intervient volontairement à titre accessoire en appuyant les prétentions des autres demandeurs sans élever aucune prétention particulière à son profit.

Les appelants soutiennent que l'action n'est pas prescrite. Le tribunal a reconnu comme point de départ du délai de prescription le 5 décembre 2001, date à laquelle l'opération de première cotation en bourse était fixée, or, selon les appelants, à cette date le projet d'introduire la société Degetel en bourse n'était pas abandonné. C'est seulement au 27 février 2009 que les associés fondateurs et anciens actionnaires de la société Degetel ont renoncé définitivement à introduire la société en bourse. C'est donc à compter de cette date que la prescription a commencé à courir.

La cour relève que par une ordonnance du conseiller de la mise en état rendue le 25 juin 2015, confirmée par un arrêt de la cour d'appel du 10 décembre 2015, la qualité et l'intérêt à agir des appelants personnes physiques a été définitivement reconnue.

La demande fondée à nouveau sur ce grief sera donc écartée.

Quant à la recevabilité des interventions volontaires des société Degetel et Degetel Group que le tribunal de commerce a rejeté, la cour relève que l'intervention de la société Degetel présente un lien étroit avec l'action intentée par les appelants personnes physiques puisque c'est cette société qui devait être introduite en bourse et dont le défaut d'introduction est à l'origine du préjudice personnel qu'ils allèguent. La société Degetel Group qui intervient à titre accessoire a certes été créée postérieurement aux fautes dont se prévalent les appelants mais elle est l'actionnaire principal de la société Degetel et à ce titre elle a un intérêt à soutenir sa demande. Il convient de constater qu'elle ne présente aucune demande pour son propre compte.

Le jugement sera donc infirmé sur ce point et l'action des sociétés Degetel et Degetel Group sera déclarée recevable.

Pour ce qui concerne la prescription de l'action, la cour relève que Degetel a renoncé à son introduction en bourse en octobre 2001 du fait des procédures pénales diligentées par Altran mais que cette renonciation n'était que provisoire dans l'attente de l'issue de ces procédures comme le précise d'une part le courriel de renonciation du 9 octobre 2001 adressé par monsieur [G]-[D] à monsieur [S], dirigeant d'EFI, qui indique 'un report de notre IPO ne veut pas dire annulation ! En effet la Cour d'Appel doit me juger d'ici 6 mois....' et le communiqué public de Degetel du 22 janvier 2007 qui mentionne que l'introduction en bourse est toujours envisagée.

Ce n'est que le 27 février 2009 que les quatre membres du Comité stratégique de Degetel Group ont définitivement décidé d'abandonner l'hypothèse d'une introduction en bourse à court ou moyen terme ainsi qu'il ressort d'une attestation de monsieur [K], directeur associé de MBO Partenaires, actionnaire de Degetel Group par l'intermédiaire d'un fonds de placement MBO Capital FCPR.

Le préjudice tiré de la perte de chance d'introduire en bourse de Degetel est donc né définitivement à cette date, le 27 février 2009, date de départ de la prescription. La prescription aurait donc été acquise le 26 février 2014. Or l'action a été introduite le 10 janvier 2011 et les interventions volontaires régularisées le 4 novembre 2013.

Il convient en conséquence d'écarter l'exception de prescription soulevée par la société Altran.

Sur l'existence d'une faute

Les appelants font valoir que l'intention de nuire de la société Altran est démontrée par la condamnation de cette dernière pour dénonciation calomnieuse par la cour d'appel de Paris dans son arrêt du 14 avril 2008. Selon eux, la société Altran a fait preuve d'une obstination abusive à l'encontre de monsieur [G]-[D].

De plus, les accusations de détournement de collaborateurs et de manipulation de cours de bourse énoncées par une société ayant une position de force sur les marchés financiers telle que la société Altran a une influence sur les investisseurs qui ne prendront plus le risque d'investir dans une telle société. Les appelants soutiennent que la société Altran a espionné la société Degetel pour être informée du calendrier et des modalités d'introduction en bourse. Selon les appelants, la société Altran s'est comporté ainsi pour s'assurer du silence de son ancien salarié cadre dirigeant, monsieur [G]-[D], quant aux pratiques comptables du groupe Altran.

La société Altran fait valoir que sa condamnation n'est pas suffisante à démonter l'existence d'une faute. Elle a certes porté plainte mais elle n'a eu aucun rôle dans la suite qui a été donnée à cette plainte. Ce n'est pas elle qui a mis en examen monsieur [G]-[D] mais le juge d'instruction. Et c'est lui qui a décidé du renvoi devant le tribunal correctionnel.

La société Altran ajoute que les accusations de dénigrement et d'espionnage formulées par les appelants sont nouvelles. Elles ne sont pas sérieuses et elles sont anachroniques.

La cour relève que la société Altran a déposé plainte une première fois le 10 juin 1999 à l'encontre de monsieur [R] [G]-[D] pour tentative de chantage et abus de confiance puis, après classement sans suite de cette plainte, a déposé plainte une nouvelle fois mais avec constitution de partie civile devant le doyen des juges d'instruction le 23 décembre 1999 pour tentative de chantage et tentative d'extorsion de fonds, vol et abus de confiance.

Monsieur [R] [G]-[D] a été relaxé par le tribunal, jugement confirmé par la cour d'appel le 28 mai 2002, arrêt devenu définitif après rejet du pourvoi en cassation.

Il ressort de l'arrêt définitif rendu par la cour d'appel de Paris le 14 avril 2008 que ces plaintes ont été déposés alors que la société Altran connaissait la fausseté de ses allégations à l'appui de sa plainte et qu'elle a néanmoins persévéré en déposant plainte une nouvelle fois, ces faits constituant le délit de dénonciation calomnieuse.

L'intention de nuire ressort clairement de cette décision et le fait que les parties entretenaient alors des relations difficiles se manifestant par plusieurs procédures pénales initiées par chacune d'elles n'exonèrent pas la société Altran de sa faute.

La cour note que cette intention de nuire est confirmée par les attestations de messieurs [Q], [H] et [B], directeurs au sein d'Altran, qui exposent tous que la direction générale du groupe a demandé aux directeurs de témoigner contre monsieur [G]-[D] et a fait pression sur eux pour obtenir ces témoignages.

La cour considère au vu de ces éléments que la faute d'Altran est caractérisée sans avoir à rechercher si la société Altran s'est rendue coupable de dénigrement et d'espionnage.

Sur le préjudice : la perte de chance d'introduire la société Degetel en bourse

Les appelants font valoir que l'introduction en bourse de la société était un projet certain, abouti et finalisé en septembre 2001 avec une date prévue de première cotation le 5 décembre 2001. Ils relèvent qu'ils se sont mis en relation avec des intermédiaires financiers. L'assemblée générale extraordinaire en date du 28 février 2001 a fixé le nombre d'actions vendu et le prix de vente de ces dernières. Les attestations comptables et financières nécessaires à l'introduction en bourse étaient obtenues du commissaire aux comptes. L'agence de communication était choisie pour accompagner l'introduction en bourse et la valorisation de la société Degetel ainsi que les prévisions de levée de fonds étaient estimées. Désormais les conditions d'introduction en bourse ne sont plus aussi favorables et les investisseurs sont plus exigeants.

Ils soutiennent que l'absence d'introduction en bourse de la société Degetel résulte du comportement de la société Altran, société qui a un certain poids sur le marché financier. Les intermédiaires financiers ont conseillé aux dirigeants de la société Degetel de ne pas procéder à l'introduction en bourse à cause des pressions exercées par la société Altran. Les dirigeants de la société Degetel ont donc décidé de surseoir l'introduction en bourse jusqu'à la date de relaxe de son président monsieur [G]-[D].

La Sa Altran Technologies fait valoir que la mise en examen de monsieur [G]-[D] devant le tribunal correctionnel fait suite à une décision du juge d'instruction. L'intimée a seulement porté plainte, sans qu'elle ait une emprise sur les suites de celle-ci. La poursuite de l'action pénale résulte de la décision du parquet qui a décidé de poursuivre l'action publique. Les accusations nouvelles de dénigrement et d'espionnage ne sont pas sérieuses.

L'intimée rappelle que pour qu'il y ait indemnisation d'un événement futur et favorable, la faute invoquée doit être directement à l'origine de l'absence de réalisation de cet événement et, ce dernier ne doit pas être hypothétique ou éventuel. Or, les appelants ne rapportent pas la preuve du caractère certain de la perte de chance. Selon l'intimée, les appelants n'établissent pas la chance perdue du fait de la certitude de l'intégration de la société Degetel en bourse. L'intimée relève qu'aucun mandat n'a été confié par la société Degetel à EFI et en conséquence, il ne peut être fait état d'un début de projet tangible en vue de l'introduction en bourse de la société Degetel. Un délai de trois mois minimum doit s'écouler entre la signature du contrat de fourniture de conseil et l'introduction en bourse de la société. Les appelants ne rapportent aucune preuve sérieuse.

La Sa Altran Technologies soutient que son comportement n'est pas le déclencheur du préjudice allégué. Les dirigeants de la société Degetel ont décidé de ne pas donner suite à l'introduction en bourse de la société en raison du contexte politique et économique à la suite du 11 septembre 2001 et de l'évolution défavorable du marché des valeurs technologiques.

La cour relève que s'il est indubitable que les appelants envisageaient très sérieusement d'introduire la société Degetel en bourse en 2001, cette volonté se manifestant notamment par nombre d'études et de démarches nécessaires à ce projet, les pièces produites montrent que l'introduction en bourse ne pouvait se faire en décembre 2001 comme le prétendent les appelants. En effet, la proposition de contrat adressée par EFI à Degetel en septembre 2001 n'a jamais été signée par les parties et un mois plus tard monsieur [G]-[D] faisait savoir à EFI qu'il abandonnait le projet. A cette date monsieur [G]-[D] avait déjà été relaxé par le tribunal correctionnel à la suite de la plainte avec constitution de partie civile déposée par la société Altran et aucun événement nouveau n'était intervenu depuis cette décision de relaxe intervenue le 13 décembre 2000. Or, à la suite de la décision du Conseil des marchés financiers du 24 mars 2000, les prestataires habilités à l'introduction des sociétés en bourse doivent suivre une règle de bonne conduite consistant à laisser s'écouler un délai minimum de trois mois entre la signature du contrat et la date d'introduction en bourse.

Il en résulte qu'en l'absence de mandat donné à EFI début septembre 2001, la société Degetel ne pouvait être introduite en bourse début décembre 2001.

La cour note également qu'il n'existe aucune décision des actionnaires de Degetel aux fins d'introduction en bourse de la société. Enfin la cour constate qu'il n'existe aucune étude détaillée sur le schéma d'introduction en bourse de Degetel, le prix des actions, le nombre d'actions mis sur le marché et qu'aucun dossier n'a été déposé auprès de la COB.

La cour considère au vu de ces éléments que l'introduction en bourse de la société Degetel n'était rien de plus qu'un projet et que ce projet n'était et n'est resté qu'hypothétique sans aucune certitude concrète. Dès lors il n'existe aucune perte de chance réparable dont les appelants peuvent se prévaloir.

Il convient en conséquence de confirmer le jugement attaqué et de débouter les appelants de leurs demandes.

Sur la demande de dommages et intérêts

La sa Altran Technologies demande 100.000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive en raison du caractère vexatoire des propos des appelants. En outre, l'action a été engagée dix ans après les faits.

Les appelants relèvent que la demande de dommages et intérêts formulée par la société Altran doit être rejetée, cette dernière étant l'unique responsable des faits reprochés.

La cour relève qu'elle a retenu une faute de la part d'Altran qui justifie à elle seule le rejet de la demande.

Sur l'article 700 du Code de procédure civile

La société Altran sollicite le paiement de la somme de 100.000 euros à ce toitre.

Les appelants sollicitent le paiement de la somme de 70.000 euros à ce titre.

La cour estime eu égard aux faits de l'espèce, qu'il n'y a pas lieu à faire application de cette disposition. Les demandes seront donc rejetées.

PAR CES MOTIFS,

Confirme le jugement rendu le 7 juillet 2014 par le tribunal de commerce de Paris sauf en ce q qu'il a déclaré irrecevable les interventions volontaires des sociétés Degetel et Degetel Group,

Statuant à nouveau les déclare recevables,

Déboute les parties de leurs autres demandes,

Condamne solidairement monsieur [R] [G]-[D], madame [H] [N], monsieur [A] [Z], monsieur [M] [G], la société Degetel et la société Degetel Group aux dépens qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT

Pauline ROBERT François FRANCHI


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 5 - chambre 9
Numéro d'arrêt : 14/17637
Date de la décision : 29/09/2016

Références :

Cour d'appel de Paris I9, arrêt n°14/17637 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2016-09-29;14.17637 ?
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