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28/09/2016 | FRANCE | N°15/10386

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 10, 28 septembre 2016, 15/10386


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 10



ARRÊT DU 28 Septembre 2016



(n° , 06 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : S 15/10386



Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 09 Juin 2015 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de CRETEIL RG n° 13/00078





APPELANTE

Madame [K] [W]

[Adresse 1]

[Localité 1]

représentée par Me Nathalie MOREAU, avocat au barreau de PARIS, t

oque : P0346







INTIMEE

Madame [J] [C]

[Adresse 2]

[Localité 2]

née le [Date naissance 1] 1971 à [Localité 3] (COTE D'IVOIRE)

comparante en personne,

assistée de Me Isab...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 10

ARRÊT DU 28 Septembre 2016

(n° , 06 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : S 15/10386

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 09 Juin 2015 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de CRETEIL RG n° 13/00078

APPELANTE

Madame [K] [W]

[Adresse 1]

[Localité 1]

représentée par Me Nathalie MOREAU, avocat au barreau de PARIS, toque : P0346

INTIMEE

Madame [J] [C]

[Adresse 2]

[Localité 2]

née le [Date naissance 1] 1971 à [Localité 3] (COTE D'IVOIRE)

comparante en personne,

assistée de Me Isabelle BORDE, avocat au barreau de PARIS, toque : C0280

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 16 Juin 2016, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Mme Marie-Antoinette COLAS, Présidente, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Madame Marie-Antoinette COLAS, président de chambre

Madame Françoise AYMES-BELLADINA, conseiller

Madame Chantal GUICHARD, conseiller

qui en ont délibéré

Greffier : Mademoiselle Marjolaine MAUBERT, lors des débats

ARRET :

- contradictoire.

- prononcé par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Madame Marie-Antoinette COLAS, présidente de chambre et par Madame Valérie LETOURNEUR, greffière auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSÉ DU LITIGE

Madame [C] a été engagée par la SA Coopérative Système U suivant un contrat de travail à durée indéterminée du 23 mai 2003 en qualité d'assistante marketing.

Elle a été promue au poste de coordinatrice animation au sein de la centrale d'achat de la société suivant un avenant à son contrat de travail en date du 4 avril 2006.

Madame [C] a été placée en arrêt de travail du 14 décembre 2007 au 25 janvier 2008 puis consécutivement à un malaise ressenti sur son lieu de travail, elle a été hospitalisée le 18 mars 2008. Elle a été placée de nouveau en arrêt le 30 mai 2008.

Le 2 juillet 2008, la SA Coopérative Système U a convoqué Madame [C] pour le 23 juillet 2008 à un entretien préalable à un éventuel licenciement lequel lui a été notifié pour une cause réelle et sérieuse, suivant une lettre du 30 juillet 2008.

Estimant avoir été victime d'un harcèlement de la part d'une collègue, considérant que l'employeur avait failli à son obligation de sécurité de résultat et contestant le bien fondé de son licenciement, Madame [C] a saisi le conseil de prud'hommes de Créteil, qui par un jugement du 16 février 2010 a retenu l'existence d'un harcèlement, a déclaré le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse et a condamné la société au paiement de diverses sommes.

Par un arrêt du 7 mars 2012 la cour d'appel de Paris a porté à 23 000 € le montant de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et à 5000 € le montant des dommages-intérêts pour manquement de l'employeur à son obligation de sécurité.

Madame [C] a saisi le conseil de prud'hommes de Créteil aux fins de voir condamner Madame [W] au paiement de dommages-intérêts pour le harcèlement subi.

Par jugement du 9 juin 2015, le conseil de prud'hommes de Créteil a condamné Madame [W] à verser 15 000 € à Madame [C] à titre de dommages-intérêts pour le préjudice moral subi outre 1000 € en application des dispositions de l'article 700 du code de civile.

Madame [W] a relevé appel du jugement déféré et demande à la cour de le réformer, soulève la prescription des faits, l'unicité de l'instance et en tout état de cause, s'oppose aux réclamations formulées. Elle réclame à son tour 7000 € à titre de dommages-intérêts outre 4000 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Madame [C] conclut à la confirmation du jugement déféré et réclame 3000 € en application des dispositions de l'article 700 pour les frais engagés devant la cour d'appel.

Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie pour un plus ample exposé des faits, des prétentions et des moyens développés, aux conclusions respectives des parties, visées par le greffier et soutenues oralement lors de l'audience.

MOTIFS

Sur le moyen tiré de la prescription

Après avoir rappelé les dispositions de l'article 2224 du code de procédure civile selon lesquelles les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit connu aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer, Madame [W] fait valoir que la salariée se plaint d'agissements de harcèlement de sa part à compter de son l'affectation auprès d'elle soit à compter d'avril 2006 étant précisé que la hiérarchie en a été informée dès septembre 2006.

Compte tenu du fait que le conseil de prud'hommes a été saisi le 18 décembre 2013, Madame [W] soutient que Madame [C] est forclose en sa demande.

Madame [C] confirme qu'à compter du 19 juin 2008, la prescription de droit commun en matière de harcèlement qui était auparavant de 30 ans a été réduite à cinq ans.

Elle explique néanmoins que les faits se sont produits sur la période d'avril 2006 à juillet 2008, Mme [W] ayant continué à colporter des rumeurs dégradantes à son sujet jusqu'à son licenciement, qu'elle a saisi le conseil de prud'hommes le 18 décembre 2012 et non pas 2013, qu'elle n'était donc pas prescrite en ses demandes.

Compte tenu de la chronologie justement relevée par Madame [C], le moyen tiré de la prescription est inopérant.

Sur le moyen tiré de l'unicité de l'instance

L'article R. 1452-6 du code du travail dispose que toutes les demandes liées au contrat de travail entre les mêmes parties font, qu'elles émanent du demandeur ou du défendeur, l'objet d'une même instance.

Il s'en déduit que la règle de l'unicité de l'instance s'oppose à ce que des demandes dérivant du même contrat de travail fassent l'objet, entre les mêmes parties, d'instances distinctes successivement introduites devant la juridiction prud'homale

Toutefois, dans le cas d'espèce, le litige n'oppose pas les mêmes parties puisque la salariée a attrait dans cette instance, non pas son employeur mais une collègue.

Il y a lieu de rappeler que le conseil de prud'hommes est aussi compétent pour connaître de litiges entre des salariés dès lors que le contentieux les opposant a pour origine les relations de travail.

Sur le fond 

sur le harcèlement allégué

Aux termes des articles L.1152-1 et L.1152-2 du Code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

Selon l'article L.1154-1 du même code, en cas de litige, le salarié concerné établit des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement.

L'article L. 4122-1 du code du travail ajoute qu'il incombe à chaque travailleur de prendre soin fonction de sa formation et de ses possibilités, de sa santé de sa sécurité ainsi que de celle des autres personnes concernées par ces actes ou ces omissions au travail.

Dans le cas d'espèce, Madame [C] fait état de ce qu'elle a subi de la part de Madame [W] :

- des insultes et des brimades,

- des appels téléphonique personnels et bruyants dans le bureau commun,

- la prise de repas dans le bureau commun, parfois avec d'autres salariés, en tenant des conversations bruyantes.

Il est exact que l'arrêt rendu par la cour d'appel de Paris dans un litige opposant Madame [C] à son employeur n'a aucune autorité de chose jugée dans le présent litige opposant Madame [C] à Madame [W], que les éléments dont il est fait état aux termes de cet arrêt ne sont pas opposables aux parties dans le présent débat.

Pour établir la réalité des faits qu'elle invoque dans le présent débat, Madame [C] communique :

- la lettre qu'elle a adressée à la direction le 10 janvier 2008 aux termes de laquelle elle fait état du harcèlement moral qu'elle subit de la part de sa collègue en relatant divers comportements,

- la lettre adressée à son employeur le 10 septembre 2008 aux termes de laquelle elle rapporte divers propos et agissements de sa collègue et dénonce que celle-ci continue à colporter des rumeurs dégradantes à son sujet,

- le témoignage de Mme [J] qui expose que le 21 avril 2008, en prenant sa pause avec [J], [Y] [B], responsable des services généraux l'a interpellée pour lui demander de « ne plus traîner avec [J], qu'elle va bientôt se faire bientôt allumer »,

- l'attestation rédigée par Madame [A] qui expose avoir vu une affiche sur la vitre côté [K] [W] à hauteur du visage d'[J] [C] et ce, courant août 2007. Ce témoin ajoute « De plus, j'ai de nombreuses fois constaté que [K] [W] parlait très fort lors des conversations téléphoniques »,

- l'attestation de Mme [O] [H], chargée de production qui explique avoir été le témoin d'une « dispute entre [K] [W] et [T] D. entre novembre et décembre 2007, dans l'open space qu'[J] [C] partageait avec [K], durée de la dispute environ 20 minutes, »

- le témoignage de Madame [Q] [V], assistante de direction qui expose que début 2006, lors d'une réunion de dialogue social, ont été mises en avant les relations conflictuelles récurrentes de [K] [W] avec plusieurs collaborateurs du service,

- l'attestation de Mme [Z] qui expose que « lors du déménagement début 2008, elle a eu la surprise de voir que Madame [C] était installée dans un bureau cloisonné, seule, alors que la majorité des collaborateurs étaient en open space. »

- le témoignage de M. [B] [U] son compagnon pendant les faits qui explique, que « dans les semaines qui ont suivi l'installation de Madame [C] dans le bureau partagé avec Madame [W], Madame [C] décrivait des scènes d'humiliation, de persécution, qu'elle a sombré dans la dépression entraînant des changements d'humeur, des crises de larmes et un repli sur soi-même, que tout cela a conduit à leur séparation ».

- un certificat médical aux termes duquel le psychiatre consulté précise avoir suivi Madame [C] du 25 février 2009 au 27 mai 2010 pour « un déséquilibre psychique qu'elle attribue à un problème de harcèlement professionnel, »

- des arrêts de travail concomitants à la période au cours de laquelle elle explique avoir subi un harcèlement.

Il convient de rappeler que nul ne peut se constituer de preuves à soi-même, que par voie de conséquence les lettres que la salariée a adressée à son employeur, en décrivant divers comportements de sa collègue ne présentent pas de valeur probante dans le présent débat pour établir la matérialité et la réalité des comportements qu'elles a dénoncés.

L'apposition d'une affiche à hauteur du visage de Madame [C] est un fait matériellement établi.

Madame [W] conteste tout fait de harcèlement moral à l'encontre de sa collègue estimant avoir en réalité été elle-même victime des agissements de Madame [C].

Elle soutient que les témoignages produits ne rapportent aucun fait de harcèlement qui lui soit imputable.

Elle renvoie aux conclusions du rapport établi par le CHSCT révélant que 32 salariés ont été entendus, que 30 d'entre eux répondent par la négative à la question de savoir s'il existait des tensions entre elle-même et Madame [C], que seules Mesdames [S] et [A] évoquent une tension alors qu'elles n'ont jamais assisté à la moindre discussion.

Elle communique au surplus plusieurs attestations convergentes révélant qu'elle était calme, posée, discrète, souriante, professionnelle, disponible.

Mme [G] rapporte plus spécialement avoir, lors d'une pause déjeuner, ouvert la fenêtre du bureau partagé par Madame [C] et Madame [W] et avoir constaté l'agressivité de Madame [C] à l'encontre de Madame [W] à son retour dans le bureau. Ce témoin évoque sa propre surprise et relève que [K] [W] est « restée terrorisée sur place ».

M. [H] [O] explique n'avoir jamais remarqué une quelconque animosité entre ces deux personnes présentes le bureau. Il précise que Madame [C] lui a demandé une attestation qu'il a refusée de faire puisque les faits auraient été contraires et faux par rapport à ce qu'il a vu et vécu pendant toutes ces années.

Madame [M] [K] explique avoir accompagné Madame [K] [W] en tant que déléguée du personnel, le mardi 11 décembre 2007, et avoir relevé que Madame [W] était en état de stress total. Elle ajoute que « ne sachant plus comment résoudre le problème rencontré au quotidien, [K] [W] a sollicité deux délégués du personnel. Elle pensait que c'était le dernier recours pour pouvoir solutionner cette mésentente [...] éviter qu'il y ait des conséquences et incidences sur leurs postes respectifs. »

Madame [E], déléguée du personnel rapporte « n'avoir jamais vu une personne dans une telle détresse émotionnelle » en parlant de Mme [W].

Mme [D] précise que Mme [W] lui est apparue fragile mais avec la volonté d'aplanir les tensions en faisant appel à des médiateurs.

Si la souffrance psychique de Madame [C] a été médicalement relevée et est indéniable, les éléments communiqués de part et d'autre ne permettent pas de l'imputer à Madame [W], étant observé que certains des comportements dénoncés à savoir la décision prise d'installer Madame [C] dans un bureau isolé et la réflexion faite à Madame [J] par Mme [B], ne sont en aucun cas imputables à Madame [W].

La cour relève que la cohabitation de deux salariés dans un même bureau implique de la part de chacun tout à la fois une attention soutenue pour éviter de déranger l'autre et une certaine tolérance de la part de chacun pour accepter les menus mais récurrents dérangements en lien avec le partage d'un espace.

Il ressort des divers témoignages communiqués notamment par Mme [C] qu'elle a manifestement été dérangée par les échanges que sa collègue a pu avoir avec des tiers directement ou par voie téléphonique, par les repas pris dans le bureau lors de la pause déjeuner. Toutefois, ces comportements ne peuvent caractériser un harcèlement au sens des dispositions légales et ce d'autant moins qu'il est établi que Mme [W] a été consciente que la situation pouvait avoir des incidences néfastes pour chacune d'elles et a cherché à s'ouvrir à des médiateurs pour y remédier.

Le seul fait de l'apposition d'une affiche à la hauteur de Mme [C] n'est pas suffisant à établir la réalité d'un harcèlement.

Le jugement déféré sera réformé et Mme [C] sera déboutée de toute demande en lien avec un harcèlement de la part de sa collègue.

Sur les demandes reconventionnelles

Madame [W] soutient avoir été elle-même victime de harcèlement de la part de sa collègue tant avant son départ, que postérieurement à celui-ci. Elle en veut pour preuve tout à la fois le témoignage de son compagnon M. [I] qui rapporte qu'elle avait peur de sa collègue et la présente instance judiciaire.

Dans le contexte propre au cas d'espèce et au regard de la difficulté médicalement relevée, aucun comportement fautif de la part de Mme [C] n'est caractérisé.

La demande de dommages-intérêts ne pourra donc prospérer.

Sur les demandes d'indemnités en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile

Des raisons tenant à l'équité commandent de condamner Madame [C] à verser à Madame [W] une indemnité de 1500 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais que cette dernière a dû engager dans le cadre de ces instances.

PAR CES MOTIFS

LA COUR,

Statuant par un arrêt contradictoire, mis à disposition au greffe,

Infirme le jugement déféré,

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Déboute Mme [C] de l'ensemble de ses demandes,

Condamne Madame [C] à verser à Madame [W] une indemnité de 1500 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne Madame [C] aux entiers dépens.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 10
Numéro d'arrêt : 15/10386
Date de la décision : 28/09/2016

Références :

Cour d'appel de Paris L1, arrêt n°15/10386 : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2016-09-28;15.10386 ?
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