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14/09/2016 | FRANCE | N°12/03615

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 10, 14 septembre 2016, 12/03615


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS







COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 10



ARRÊT DU 14 Septembre 2016



(n° , 09 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : S 12/03615



Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 08 Mars 2012 par le Conseil de prud'hommes - Formation de départage de PARIS RG n° 09/12484





APPELANTE

Madame [F] [P]

née le [Date naissance 1] 1957 à [Localité 1] (MAROC)

[Adresse 1]

[Adres

se 4]

représentée par Me Alina PARAGYIOS, avocat au barreau de PARIS, toque : A0374





INTIMEE

S.A.R.L. F C A C

[Adresse 3]

[Adresse 2]

représentée par Me Eve DREYFUS, avocat au barreau ...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 10

ARRÊT DU 14 Septembre 2016

(n° , 09 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : S 12/03615

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 08 Mars 2012 par le Conseil de prud'hommes - Formation de départage de PARIS RG n° 09/12484

APPELANTE

Madame [F] [P]

née le [Date naissance 1] 1957 à [Localité 1] (MAROC)

[Adresse 1]

[Adresse 4]

représentée par Me Alina PARAGYIOS, avocat au barreau de PARIS, toque : A0374

INTIMEE

S.A.R.L. F C A C

[Adresse 3]

[Adresse 2]

représentée par Me Eve DREYFUS, avocat au barreau de PARIS, toque : E1814

en présence de M. [A] [B], gérant, dûment mandaté

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 24 Mai 2016, en audience publique, devant la Cour composée de :

Madame Marie-Antoinette COLAS, président de chambre

Madame Françoise AYMES-BELLADINA, conseiller

Madame Chantal GUICHARD, conseiller

qui en ont délibéré

Greffier : Mme Caroline CHAKELIAN, lors des débats

ARRET :

- contradictoire

- prononcé par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Madame Marie-Antoinette COLAS, président de chambre et par Madame Caroline CHAKELIAN, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Exposé du litige ;

Madame [P] a été engagée par le cabinet [R] [G], suivant un contrat de travail à durée indéterminée du 27 novembre 2003, en qualité d'assistante principale, avec une reprise d'ancienneté au 10 janvier 1983.

Le 1er janvier 2004, le cabinet a été racheté par la S.A.R.L. fiduciaire Cardinet Audit et conseils (par abréviation la S.A.R.L. FCAC) dont l'un des deux gérants était lui-même un ancien salarié du cabinet [G].

Elle a connu une évolution professionnelle et en dernier lieu occupait le poste d'assistante principale.

Les relations contractuelles relevaient de la convention collective nationale des cabinets d'experts-comptables.

Alléguant avoir été victime d'un harcèlement et ne pas avoir été remplie de ses droits, Madame [P] a saisi le conseil de prud'hommes pour voir condamner l'employeur au paiement de diverses sommes.

Par jugement du 8 mars 2012, le conseil de prud'hommes de Paris, statuant en départage,

* a condamné la S.A.R.L. FCAC à verser à Madame [P] les sommes suivantes :

- 5418,57 euros au titre du solde des heures supplémentaires, des congés payés et du prorata du 13ème mois afférent,

- 54,08 euros au titre du solde des jours de RTT, des congés payés et du prorata du 13ème mois afférent,

* a ordonné à la S.A.R.L. FCAC de remettre à la salariée dans un délai d'un mois suivant la signification du jugement des bulletins de paie rectifiés conformes aux termes du jugement,

* a débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires,

* a laissé à chacune des parties la charge des dépens exposés.

Appelante de ce jugement, Mme [P] conclut à sa confirmation s'agissant des condamnations prononcées aux titres des heures supplémentaires et des RTT, mais son infirmation pour le surplus. Elle demande à la cour, statuant à nouveau, de prononcer la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts exclusifs de la société, de juger que cette résiliation judiciaire aura les effets d'un licenciement, de condamner la société à lui verser les sommes suivantes :

- 81 491,52 euros à titre de dommages-intérêts pour la nullité du licenciement ou à tout le moins son caractère dépourvu de cause réelle et sérieuse,

- 3448,66 euros au titre de l'indemnité de licenciement,

- 6923,40 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis outre 692,34 euros au titre des congés payés afférents,

- 6000 € à titre de dommages-intérêts en raison de l'absence d'institutions représentatives du personnel,

- 8051 € à titre de dommages et intérêts pour le rappel de la somme de 83 euros due depuis le 1er mai 2007 jusqu'au mois de mai 2015,

- 20 770,20 euros au titre de l'indemnité forfaitaire pour travail dissimulé,

- 6500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Madame [P] demande encore la condamnation de la société à régulariser, par année concernée auprès des organismes sociaux, la déclaration de la somme mensuelle de 83 € et des congés payés afférents, à régulariser la déclaration des sommes relatives aux heures supplémentaires et aux RTT, à régulariser auprès des organismes sociaux du groupe de prévoyance, la déclaration des coûts des financements des mutuelles en tenant compte de la revalorisation de sa pension.

Elle sollicite la remise des bulletins de salaire conformes depuis le mois de septembre 2004.

La S.A.R.L. FCAC a relevé appel du jugement déféré en ce qu'il l'a condamnée à verser des sommes au titre des heures supplémentaires. Elle sollicite la condamnation de Madame [P] au remboursement le trop-perçu à hauteur de 5768,90 euros, ainsi qu'une somme de 5000 € à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive et diffamatoire et une indemnité de 3000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie pour un plus ample exposé des faits, des prétentions et des moyens développés, aux conclusions respectives des parties, visées par le greffier et soutenues oralement lors de l'audience.

MOTIFS

Sur les heures supplémentaires ;

Selon l'article L. 3171-4 du code du travail en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, l'employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Il incombe au salarié qui demande le paiement d'heures supplémentaires de fournir préalablement au juge des éléments de nature à étayer sa demande.

Pour étayer sa demande d'heures supplémentaires, Madame [P] communique aux débats :

- les fiches hebdomadaires de suivi de gestion des dossiers et sur lesquelles sont mentionnés les temps de travail effectués et sont portées les initiales de M. [B],

- des tableaux récapitulant le décompte précis des heures supplémentaires réalisées.

Mme [P] communique ainsi des éléments suffisamment précis pour étayer sa demande de rappel de salaire pour des heures supplémentaires et permettre à l'employeur de répondre.

La S.A.R.L. FCAC précise qu'elle avait reconnu devoir 43 h 25 réglées bien avant l'audience de jugement.

Elle soutient que le cabinet [G] comme elle-même ont opté pour la récupération intégrale des heures supplémentaires effectuées, que Madame [P] a versé aux débats des tableaux différents des fiches de cumul d'heures supplémentaires qu'elle remettait chaque semaine à la direction.

Elle précise qu'elle valide le cumul d'heures supplémentaires mentionnées sur la fiche de temps au 31 décembre 2006 à hauteur de 47 heures ainsi que les 36 h 25 figurant à la fin de la semaine 12 de l'année 2007 sous réserve des erreurs en sa défaveur ce qui l'a amenée à admettre devoir 43h25.

L'employeur fait observer que Madame [P] n'avait pas transmis ses feuilles de temps des semaines 14 à 18, qu'elles n'ont été communiquées que trois mois plus tard, qu'elles comportaient de nombreuses incohérences dénoncées sans aucune explication en retour. Il fait également observer que ces feuilles ne sont pas paraphées par le cabinet alors que toutes les autres fiches de temps le sont.

Il relève que sur les fiches éditées au cabinet :

- pour la semaine 16, sont mentionnées 23 heures, alors que sur la fiche envoyée trois mois plus tard sont mentionnées 41,75 heures

- pour la semaine 17, sont mentionnées 36h50 heures, alors que sur la fiche envoyée trois mois plus tard sont mentionnées 44h25 heures

- pour la semaine 18, sont mentionnées 32h50 heures, alors que sur la fiche envoyée trois mois plus tard sont mentionnées 45,50 heures.

Il fait valoir qu'il n'a jamais autorisé que la salariée travaille le dimanche.

En tout état de cause, il soutient que Madame [P] a perçu à tort l'équivalent de 164h 57 pour un montant de 5768,90 euros dont il demande le remboursement.

Au regard de l'ensemble des éléments et des explications fournies de part et d'autre, la cour relève que si l'employeur soutient avoir opté pour la récupération des heures supplémentaires, il admet néanmoins qu'il était redevable d'au moins 43h25, que celui-ci a été amené à régler des heures supplémentaires à d'autres salariées ainsi à Mme [S], que les fiches éditées en l'absence de la salariée ne sont paraphées ni par celle-ci ni par la société. C'est donc par une juste appréciation des éléments qui lui ont été fournis que le conseil de prud'hommes a reconnu l'existence d'heures supplémentaires et condamné la S.A.R.L. FCAC à verser la somme de 5418,57 euros outre les congés payés afférents ainsi que le prorata du 13e mois, après déduction des sommes déjà réglées.

Le jugement sera donc confirmé sur ce point.

L'employeur sera condamné en tant que de besoin à régulariser le paiement de cotisations afférentes à ces heures supplémentaires.

Sur le travail dissimulé ;

En application de l'article L. 8221 '5 du code du travail est réputé travail dissimulé, par dissimulation d'emploi salarié, le fait pour tout employeur de se soustraire intentionnellement à l'accomplissement de la formalité de déclaration préalable à l'embauche, de se soustraire à la délivrance de bulletins de paie ou de mentionner sur ce dernier un nombreux d'heures de travail inférieur à celui réellement accompli.

Encore faut il que soit établi le caractère intentionnel de l'abstention en cause.

Or, dans le cas d'espèce, l'intention frauduleuse n'est pas établie.

Le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté la salariée de cette demande.

Sur la soustraction de la somme de 83 € chaque mois ;

Devant le conseil de prud'hommes, Madame [P] a soutenu que l'employeur lui avait accordé une augmentation de salaire de 83 € par mois à compter de janvier 2007, figurant sur les bulletins de salaire sous une rubrique intitulée « acompte frais réels ». Elle explique que lui étaient réglés par ailleurs, diverses sommes au titre de tickets restaurant ainsi que des titres de transport, que l'employeur est malvenu à soutenir que cette somme devait lui permettre de faire face à des frais exposés pour se rendre chez un client donné.

L'employeur dénie avoir jamais accepté d'augmenter la rémunération de la salariée eu égard aux nombreuses erreurs commises par elle et aux retards récurrents pris dans le traitement des dossiers qui lui étaient confiés mais précise avoir accepté de prendre en charge, bien qu'elle ait bénéficié de tickets restaurant, des frais spécifiques de restaurant qu'elle engageait au moins une fois par semaine lorsqu'elle se rendait le client D&LP, et ce, en lui versant un acompte de 250 € par trimestre, soit 83 € par mois à charge pour la salariée de justifier de ses frais réels afin qu'une régularisation intervienne ce qui explique d'ailleurs les relances faites à cette fin, les 22 juin 2007 et 18 juillet 2007.

En présence d'explications contradictoires confirmant en cela les positions différentes que les parties avaient déjà exprimées sur ce point dans leurs échanges épistolaires des 22 juin, 11 juillet et 18 juillet 2007, la preuve n'est aucunement rapportée qu'elles étaient convenues d'une augmentation de salaire en faveur de la salariée.

Le jugement du conseil de prud'hommes sera donc confirmé en ce qu'il a débouté la salariée de toute demande à ce titre.

Sur le harcèlement ;

Aux termes des articles L.1152-1 et L.1152-2 du Code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

Selon l'article L.1154-1 du même code, en cas de litige, le salarié concerné établit des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement et il incombe à l'employeur, au vu de ces éléments, de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Comme faits laissant présumer l'existence d'un harcèlement, Madame [P] fait état :

- de conditions de travail dévalorisantes passant par une mise à l'écart, par l'attribution de dossiers moins importants, par des critiques sur son travail faites quand elle est absente, par l'absence d'évolution de sa carrière depuis le rachat du cabinet contrairement à celle qui a été réservée aux deux autres collègues de niveaux inférieurs, devenus cadres, depuis le 1er janvier 2007,

- de propos humiliants,

- d'un entretien difficile en date du 1er mars 2007 à l'origine d'un choc émotionnel ayant imposé une hospitalisation,

- d'une proposition de pré-reclassement chez un client formulée le 19 juin 2007 alors qu'elle était en arrêt maladie, in fine refusée par elle,

- d'une proposition d'éloignement au sein de la SAS Itac, dans le 13 ème arrondissement lui imposant 50 minutes supplémentaires de trajet pour s'y rendre,

- du mauvais accueil qui lui a été réservé dès lors qu'elle n'a disposé que d'une table sans téléphone, sans ordinateur, et qu'elle a dû traiter le seul dossier qui lui a été attribué, sur support papier,

- de l'offre concomitante d'un poste de collaborateur comptable dans le cabinet FCAC.

Pour en justifier, Mme [P] communique aux débats ;

* des témoignages :

M. [Y] expose qu'en mars 1999, Madame [P] est revenue au cabinet après une intervention chirurgicale pour son genou, qu'à sa reprise elle devait se déplacer avec des béquilles, qu'il a entendu M. [A] se moquer d'elle...] en disant que c'était du cinéma.. Ils avaient pour habitude de dénigrer Madame [P][...]

Madame [O] atteste que lors des réunions de collaborateurs, Madame [P] est mise à l'écart, seuls Madame [S] et M. [E] participent aux réunions des collaborateurs avec M. [L], que M. [L] lui a dit qu'il payait des heures supplémentaires à M. [E] mais pas à Madame [P] car elle n'était pas rentable,

Mme [M] indique avoir été spectatrice d'une relation tendue entre Madame [P] et le dirigeant par rapport aux autres collaborateurs,

* le rapport établi par l'agent assermenté de la caisse primaire d'assurance-maladie, mettant en exergue les éléments suivants :

- M. [G], l'ancien employeur de Madame [P] a précisé n'avoir rencontré aucun problème avec Madame [P] qui était très sérieuse, avoir constaté que les relations entre M. [L] et Madame [P] n'étaient pas au beau fixe sans qu'il y ait eu de conflits majeurs,

- M. [L] a indiqué que l'activité de Madame [P] est inférieure à celles de ses deux autres collègues, que de façon générale sa rentabilité est largement inférieure à celle de ses collègues, ce qui explique l'absence d'augmentation de rémunération notamment,

- plusieurs personnes ont accepté de s'exprimer à condition que leurs témoignages restent anonymes. De façon convergente, celles-ci ont indiqué que les convocations de M. [L] étaient fréquentes, que Madame [P] faisait l'objet de remontrances répétées, que M. [L] la critique ouvertement auprès des autres salariés en son absence,

* les témoignages de Mme [S] et de Mme [T] relatifs au malaise subi par Madame [P] après l'entretien qu'elle a eu avec M. [L] le 1er mars 2007,

* un courriel de Madame [T] en date du 5 mars 2007 ainsi rédigé : « d'accord j'ai un sale caractère mais j'aime pas les injustices. Je n'aime pas le comportement de jcr envers toi »,

* trois organigrammes de la société,

- l'un antérieur à la cession du cabinet, M. [L] étant expert-comptable, salarié en deuxième position, Madame [P] venant au troisième niveau de la hiérarchie, Madame [K] [S] et M. [I] [E] étant des assistants confirmés en position inférieure,

- un autre postérieur à la cession, maintenant Madame [P] au troisième niveau,

- un troisième organigramme postérieur à la création d'une S.A.R.L. JCR Consultants, montrant que Mme [S] et M [E] sont passés cadres et immédiatement sous la subordination hiérarchique de M. [A] [L], dans cette structure.

* Les documents relatifs à l'intervention à titre provisoire de la salariée dans le cabinet Itac [Adresse 5] et spécialement la lettre que lui a adressée M. [W] le 19 septembre 2008 expliquant cette affectation par les difficultés relationnelles rencontrées avec son supérieur hiérarchique M. [L],

* Une offre d'emploi émanant du cabinet d'expertise comptable FCAC pour un poste de collaborateur comptable sein d'une équipe dynamique en date du 31 juillet 2008,

* de nombreux documents médicaux faisant état de troubles anxio-dépressifs, d'un syndrome de stress post-traumatique avec des crises de panique et d'angoisse.

Les faits matériellement établis sont de nature à laisser présumer l'existence d'un harcèlement.

La S.A.R.L. FCAC conteste l'existence d'un harcèlement moral et d'un traitement inégalitaire de la part de l'employeur et en particulier de M. [L] à l'égard de la salariée.

Elle précise que M. [L] avait été, avant de devenir l' employeur de Mme [P] en 2004, expert comptable au sein du cabinet [G], que Mme [P] avait toujours contesté sa qualité et ses compétences.

La société expose par ailleurs que Madame [P] qui n'avait jamais été responsable du service social sous la direction de M. [G] a conservé l'intégralité des dossiers qu'elle gérait alors, des conditions matérielles de travail identiques voire meilleures puisqu'elle a bénéficié d'une amélioration de son matériel informatique, qu'elle a conservé le même niveau de responsabilité, une assistante, Mme [C] lui ayant même été attribuée, ce dont elle justifie par le versement d'un organigramme du 1er janvier 2004.

Elle soutient que l'analyse du portefeuille clients de la salariée montre qu'elle avait un nombre de dossiers sensiblement identique à ceux de ses collègues, que les clients perdus pour divers motifs ont été remplacés, que le montant global du chiffre d'affaires généré a augmenté, précisant même que sur la période 2004 à 2007, Madame [P] a perdu environ 70 % du volume de son chiffre d'affaires, que les dossiers ont tous étés remplacés et justifie que pour une part, la perte des dossiers résulte du mécontentement de clients dont elle avait la charge ( cf plusieurs lettres, courriels et attestation de M. [H], lettre de Mme [D] en date du 20 juin 2007, lettre de Mme [X], attestations de M. [Q], de Mme [J], de M. [V], de M. [U], de M. [N], et de M. [Z]). La S.A.R.L. FCAC soutient que les deux autres collègues n'ont perdu aucun client pour ce motif.

Poussant l'analyse comparative, et spécialement l'évolution entre les chiffres d'affaires gérés par chaque salarié sous la direction de M. [G] en 2003 et gérés par les mêmes salariés sous la direction de M. [L] en 2007, la S.A.R.L. FCAC relève que la moyenne annuelle d'honoraires des budgets nouveaux attribués apparaît à l'avantage de Madame [P], que la moyenne d'honoraires des budgets gérés au 7 mai 2007 est sensiblement égale entre les trois collaborateurs. Elle fait d'ailleurs observer que sous la direction de M. [G], Madame [P] gérait un chiffre d'affaires globalement déjà moins important que ceux de ses deux collègues.

M. [G] a d'ailleurs attesté qu' « avant de céder sa clientèle, » il « avait constaté depuis plusieurs années que le travail de Madame [P] se dégradait, qu'elle passait de plus en plus de temps sur ses dossiers, qu'elle était régulièrement en retard dans la sortie de ses bilans, que les collègues étaient parfois obligés de compenser ses retards, qu'il avait en conséquence adapté son portefeuille de clients en lui retirant certains dossiers et en faisant traiter les dossiers délicats par ses collègues, qu'en contrepartie, [il] a essayé de l'impliquer dans le domaine social, secteur qui lui plaisait, dans lequel elle était plus à l'aise. » Il affirme également qu'il « n'a jamais considéré que Madame [P] avait un niveau supérieur aux deux autres collaborateurs, la différence de coefficient étant uniquement liée à l'ancienneté ».

La société fait encore état de ce que M. [G] avait, à plusieurs reprises, sur les feuilles de temps de l'année 2004 relevé des étourderies, des erreurs commises par la salariée, étant observé qu'il n'avait annoté l'une des feuilles de temps de Mme [S] pour une étourderie qu'à une seule reprise.

La S.A.R.L. FCAC expose que compte-tenu des difficultés, des limites rencontrées par Madame [P], un accompagnement patient lui a été accordé, M. [L] comme M. [W] faisant régulièrement le point des dossiers avec elle, l'aidant dans l'organisation de son travail, dans la gestion de ses relations avec les clients. Est à cet égard communiqué un soit-transmis qui lui a été adressé et ainsi libellé « étant donné que le planning de décembre est complet, je pense qu'il est préférable que je gère le dossier[...] tu conserves le dossier social ».

La S.A.R.L. FCAC invoque également les difficultés économiques rencontrées entre le 1er janvier 2004 et le 31 décembre 2006 ayant amené l'entreprise a décidé du gel des rémunérations, accepté par les deux autres collègues de Madame [P].

De façon générale, la S.A.R.L. FCAC soutient avoir assuré à la salariée un accompagnement le plus constructif possible et fait observer à titre anecdotique qu'il a accédé à sa demande de financement partiel de séances d'hypnose pour l'arrêt du tabac, ce dont il justifie par la production de la facture et lui avoir accordé un prêt de 1000 euros en 2005.

La S.A.R.L. FCAC revendique qu'il relevait de l'exercice de son pouvoir de direction de rappeler la salariée à l'ordre pour qu'elle se conforme aux horaires du cabinet, qu'elle rende ses fiches de temps à bonne date, qu'elle évite de commettre des erreurs à l'origine du mécontentement des clients.

Plusieurs salariés dont Mme [S] et M. [E] attestent que « Madame [P] a mal vécu le changement de direction, lors de la reprise du cabinet par M. [L] « qu'elle n'apprécie pas », qu'elle donnait l'impression de vouloir l'échec de M. [L] dans sa mission de direction du cabinet, que, pour elle, tout était motif à la recherche du conflit avec M. [L] qui lui ne cherche pas à entrer en conflit préférant tenter de maintenir une ambiance agréable dans le cabinet ». M. [E] précise que « son bureau est situé à côté de celui de M. [L], qu'à aucun moment, il n'a vu ni entendu des faits caractérisant un quelconque harcèlement de la part de celui-ci envers Madame [P], qu'au contraire celui-ci faisait preuve d'une grande patience au regard du comportement de Madame [P]. »

L'examen de l'ensemble des documents communiqués par les deux parties confirme la réalité d'une souffrance éprouvée par Madame [P] mais ne permet pas de retenir l'existence d'un harcèlement au sens des dispositions précédemment relatées, les comportements et décisions de l'employeur ayant reposé sur des éléments objectifs en lien avec la difficulté ancienne de Mme [P] à assumer d'être la salariée d'un ancien collègue, avec le constat déjà opéré avant la cession du cabinet des retards pris dans la sortie des bilans, de la nécessaire adaptation de son portefeuille, du mécontentement de certains clients.

C'est donc par une parfaite analyse des éléments qui lui étaient communiqués et par de justes motifs que la cour adopte que le conseil de prud'hommes n'a pas retenu l'existence d'un harcèlement et a par suite rejeté les demandes de Madame [P] à ce titre.

Le jugement déféré sera confirmé.

Sur la résiliation judiciaire du contrat de travail ;

C'est par une analyse pertinente de l'ensemble des éléments qui lui étaient communiqués que le conseil de prud'hommes a retenu que le défaut partiel de paiement des heures supplémentaires, seul manquement avéré de l'employeur dans l'exécution de ses obligations ne constitue pas, eu égard à l'importance de la somme allouée, une faute d'une gravité telle qu'elle justifie la résiliation judiciaire du contrat de travail et a, par voie de conséquence, débouté la salariée de sa demande.

Le jugement déféré sera donc confirmé.

Sur l'absence d'institutions représentatives du personnel ;

Mme [P] soutient que la société FCAC fait partie d'une UES composée de huit sociétés dont JCR Consultants et la S.A.R.L. CFEC, dès lors que les critères constitutifs, à savoir une concentration de pouvoirs, la similitude ou la complémentarité des activités et l'identification d'éléments de nature à caractériser une communauté de travailleurs et à révéler une unité de gestion des personnels sont réunis, qu'en application des dispositions de l'article L. 2322-4 du code du travail, lorsque l'UES regroupe au moins 50 salariés, la mise en place d'un comité d'entreprise commun est obligatoire.

Elle fait plus spécialement valoir que les sociétés sont dirigées par Messieurs [B] et [W], ont toutes des activités comptables similaires, que le personnel est géré de manière uniforme, étant relevé que les sociétés FCAC et JCR partagent les mêmes locaux et les mêmes clients.

Or, outre qu'une UES entre plusieurs entreprises juridiquement distinctes doit être reconnue par convention ou par décision de justice, ce qui n'est pas établi dans le cas d'espèce, le tribunal d'instance compétent en premier ressort pour en connaître n'ayant pas été saisi à cette fin, la cour relève qu'en tout état de cause, la salariée ne caractérise ni ne justifie le préjudice dont elle se prévaut.

C'est donc à bon droit que les premiers juges ont débouté Mme [P] de toute demande à ce titre.

Le jugement sera confirmé.

Sur le préjudice résultant du changement de Mutuelle ;

Madame [P] soutient qu'en 1998, l'ancien employeur avait proposé à ses assistants principaux d'adhérer à une seconde mutuelle pour améliorer leur couverture et la prise en charge de leurs ayants droit à condition qu'ils la financent eux-mêmes, ce qu'elle a accepté de faire mais ce qui a correspondu à une diminution de salaire de 49,55 euros par mois ainsi qu'à un abandon d'augmentation à hauteur de 47,26 euros par mois.

Elle fait valoir qu'à compter du 1er janvier 2009, l'employeur a choisi un nouveau contrat de mutuelle et qu'elle perçoit un complément de salaire versé par la prévoyance calculé sur une base de salaire amputée. Elle réclame en conséquence que son salaire et par suite, son complément de salaire soient calculés de nouveau en tenant compte des augmentations et des salaires qu'elle aurait dû normalement recevoir si elle n'avait pas financé ses mutuelles dont elle ne bénéficie plus aujourd'hui. Elle sollicite également la régularisation par année concernée pour la période de septembre 2000 4 décembre 2008, des déclarations et cotisations auprès des organismes sociaux et du groupe de prévoyance.

Or, outre que l'employeur justifie que deux régimes de frais de santé au sein d'un même collège avec des garanties différentes ne pouvaient continuer à coexister sous réserve d'une rupture d'égalité de prestations entre les salariés, la cour relève d'une part que le contrat de mutuelle spécifique dont la salariée a bénéficié n'est prévu ni dans son contrat de travail, ni dans aucune autre disposition contractuelle postérieure à la reprise du cabinet [G], d'autre part que la société FCAC a régulièrement dénoncé l'usage et informé la salariée de cette dénonciation par lettre recommandée du 16 octobre 2008.

C'est donc à bon droit que les premiers juges n'ont pas accueilli la demande formulée par la salariée.

Le jugement sera confirmé.

Sur la demande reconventionnelle de dommages-intérêts pour procédure abusive ;

L'exercice d'une voie de droit, en l'occurrence d'une voie de recours contre une décision judiciaire ne caractérise pas un abus de droit justifiant l'octroi de dommages-intérêts demandés.

Sur les demandes d'indemnités en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

L'équité commande de débouter les parties de leurs demandes d'indemnités en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et de laisser à la charge de chacune les dépens qu'elles ont engagés.

PAR CES MOTIFS

LA COUR,

Statuant par un arrêt contradictoire, mis à disposition au greffe

Confirme le jugement déféré

Y ajoutant,

Condamne la S.A.R.L. FCAC à régulariser les cotisations afférentes au rappel de salaire pour les heures supplémentaires,

Déboute les parties du surplus de leurs demandes respectives

Laisse à chacune des parties les dépens qu'elles ont engagés.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 10
Numéro d'arrêt : 12/03615
Date de la décision : 14/09/2016

Références :

Cour d'appel de Paris L1, arrêt n°12/03615 : Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2016-09-14;12.03615 ?
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