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13/09/2016 | FRANCE | N°14/05801

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 3, 13 septembre 2016, 14/05801


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 3



ARRÊT DU 13 Septembre 2016



(n° , 5 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : S 14/05801



Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 26 Mai 2014 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS - RG n° 13/3257







APPELANT

Monsieur [C] [O]

[Adresse 1]

[Localité 1]

né le [Date naissance 1] 1955 à [Localité 2]

compara

nt en personne,

assisté de Me Caroline VIOLAS, avocat au barreau de PARIS, toque : D1521





INTIMEE

SARL DET NORSKE VERITAS FRANCE

[Adresse 2]

[Localité 3]

N° SIRET : 309 610 061

repré...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 3

ARRÊT DU 13 Septembre 2016

(n° , 5 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : S 14/05801

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 26 Mai 2014 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS - RG n° 13/3257

APPELANT

Monsieur [C] [O]

[Adresse 1]

[Localité 1]

né le [Date naissance 1] 1955 à [Localité 2]

comparant en personne,

assisté de Me Caroline VIOLAS, avocat au barreau de PARIS, toque : D1521

INTIMEE

SARL DET NORSKE VERITAS FRANCE

[Adresse 2]

[Localité 3]

N° SIRET : 309 610 061

représentée par Me Jérôme GAVAUDAN, avocat au barreau de MARSEILLE

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 01 Juin 2016, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Laurence SINQUIN, Conseillère, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Monsieur Daniel FONTANAUD, Président

Madame Roselyne NEMOZ, Conseillère

Madame Laurence SINQUIN, Conseillère

qui en ont délibéré

Greffier : Monsieur Franck TASSET, lors des débats

ARRET :

- contradictoire

- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile.

- signé par Monsieur Daniel FONTANAUD, Président et par Madame Claire CHESNEAU, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSÉ DU LITIGE

Monsieur [C] [O], engagé par la société SOFRESID, à compter du 5 novembre 1990, a vu son contrat de travail transféré à la société DET NORSKE VERITAS (DNV France) lors du rachat de la société, le 25 novembre 2009. Désigné en qualité de Directeur de l'Aide au Conseil à son dernier poste, il bénéficiait d'un salaire mensuel brut de 11147 euros. Il a été licencié par un courrier du 28 décembre 2012. La lettre de rupture était rédigée dans les termes suivants:

« Vous avez été convoqué à un entretien préalable qui s'est tenu en nos bureaux le 21 décembre 2012 à 10 heures. À cette occasion, nous avons évoqué un certain nombre de faits que nous vous reprochons. Vous avez été reçus par [B] [C], directeur général de DNV France, accompagné de [X] [S], responsable Ressources Humaines.

Vous avez été assisté par [L] [Z].

Nous rappelons que vos fonctions sont de trois ordres :

' développement du business des activités de DNV en France

' support aux consultants sur le risque industriel

' exercice de missions de consultant auprès de nos clients

Nous constatons sur les missions qui vous incombent depuis plusieurs mois une démotivation dans l'accomplissement de vos tâches qui confèrent une insuffisance professionnelle caractérisée.

Au-delà des considérations d'exemplarité que nous aurions souhaité voir prendre en compte auprès de nos jeunes consultants, il est difficile pour notre équipe de travailler correctement alors que vous arrivez systématiquement tous les matins entre 11 heures et 12 heures alors que nos consultants pourraient avoir besoin de vous dès neuf heures du matin. Cela vous a été notifié à de nombreuses reprises par vos différentes hiérarchies sans que vous ne changiez en rien vos habitudes. Cela démotive nos jeunes équipes et démontre que vous ne souhaitez pas exercer vos missions et les responsabilités qui vous sont dévolues.

Sur le développement des activités dont vous avez la charge, Monsieur [B] [C], votre supérieur hiérarchique vous a demandé à plusieurs reprises de fournir des travaux (plan d'action stratégie) mais vous n'avez pas été en capacité de fournir des documents de travail qui émanent des fonctions qui vous sont dévolues.

Concernant les missions en tant que consultants nous constatons les mêmes faits d'insuffisance : à titre d'exemple vous refusez des missions lorsque vous estimez qu'elles ne sont pas prioritaires alors que c'est à votre hiérarchie d'en décider. Il vous est également arrivé de ne pas assurer le suivi des actions entreprises auprès de nos clients.

Au total, nous estimons que nous ne pourrons plus poursuivre notre collaboration' »

Monsieur [O] a contesté son licenciement et a saisi le conseil de prud'hommes.

Par jugement du 26 mai 2014, le conseil de prud'hommes de Paris a débouté Monsieur [O] de ses demandes.

Monsieur [O] a relevé appel de cette décision.

Par conclusions visées au greffe le 1er juin 2016, au soutien de ses observations orales auxquelles il est expressément fait référence en ce qui concerne ses moyens, Monsieur [O] demande à la cour d'infirmer le jugement, de considérer le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse et de condamner la société à lui payer la somme de 401292000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse outre 4000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Par conclusions visées au greffe le 1er juin 2016, au soutien de ses observations orales auxquelles il est expressément fait référence en ce qui concerne les moyens, la société DNV France sollicite la confirmation du jugement le rejet de l'ensemble des demandes de Monsieur [O] et sa condamnation à 4800 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile. Subsidiairement, elle demande la réduction de plus justes proportions des demandes indemnitaires formulées par le salarié.

Pour plus ample exposé des faits de la procédure et des prétentions des parties, la cour se réfère à leurs conclusions visées par le greffier et développées lors de l'audience.

MOTIFS

Sur la rupture du contrat de travail

L'appréciation des aptitudes professionnelles du salarié et de son adaptation à l'emploi relève du pouvoir patronal. Néanmoins, l'insuffisance professionnelle alléguée à son encontre pour fonder un licenciement doit être justifiée par des éléments précis et concrets de nature à perturber la bonne marche de l'entreprise ou le fonctionnement du service. Elle doit être établie par des éléments objectifs, constatée sur une période suffisamment longue pour ne pas apparaître comme passagère.

Lorsque les termes de la lettre de notification de la rupture font apparaître que l'insuffisance professionnelle alléguée est la conséquence d'un comportement jugé fautif par l'employeur, à raison notamment de son caractère volontaire, les règles de la procédure disciplinaire ont vocation à s'appliquer, notamment celles concernant la prescription des faits

La société DNV France indique que Monsieur [O] a été licenciée en raison de l'insuffisance professionnelle dont il a fait preuve tout au long de l'année 2012 se caractérisant notamment par ses arrivées tardives au bureau, son incapacité à fournir dans les délais les plans d'action sollicités par la direction générale ou encore l'inexécution des missions de consultant qu'il n'estimait pas prioritaires.

S'agissant en premier lieu des horaires de travail, le grief formulé à l'encontre du salarié sur ce point résulte d'un mail transmis par Monsieur [C], le 7 octobre 2012. Il y indique : « Suite à notre échange de jeudi dernier, je te confirme les points sur lesquels je souhaiterais une action de ta part :'- Une amélioration sur tes heures d'arrivée au bureau : tu es en support auprès des consultants mais il est difficile pour eux d'attendre tes arrivées tardives et même si tu restes très tard le soir, eux n'y sont plus' »

À cette observation de son supérieur hiérarchique Monsieur [O] lui répond juste après : « Il est vrai que ces derniers temps une dérive a fait que je suis arrivé au bureau tardivement le matin. Je suis d'accord que c'est excessif et je fais en sorte d'arriver depuis ton mail à une heure plus convenable ... »

Ces faits ne sont pas de nature à constituer une insuffisance professionnelle à partir du moment où le salarié en vertu de son statut disposait d'une autonomie dans l'organisation de son temps de travail et n'était pas soumis à des horaires et, où il n'est pas démontré par l'employeur que cette attitude a effectivement eu des conséquences sur la qualité du travail fourni par Monsieur [O] notamment dans le management des consultants. Monsieur [O] préciser d'ailleurs dans sa réponse que son travail en horaires décalés depuis des années ne l'avait jamais empêché de se rendre disponible. Aucun élément adverse ne contredit cette affirmation. Enfin, il dit avoir immédiatement tenu compte des observations de son supérieur et rien dans les pièces communiqués par la société n'indique le contraire.

Le second argument visant à établir l'insuffisance professionnelle du salarié concerne la remise tardive d'un plan d'action. Ce grief ressort du même message électronique précédemment visé en date du 7 octobre 2012. Monsieur [C] indique au salarié : « Tes nouvelles fonctions ont aussi pour objectif d'identifier des projets majeurs et de ramener un chiffre d'affaires. Au niveau auquel nous parlons, nous pouvons envisager au moins deux nouveaux projets d'ici à la fin de l'année générant un chiffre d'affaires supérieures à 150/200 K€ par projet et une marge positive. Je te serais reconnaissant de bien vouloir me faire un retour rapide et de me présenter ton plan d'action au plus tard jeudi 11 octobre au vendredi 12 octobre lorsque je serai sur [Localité 4]».

À ce message le salarié répond qu'il a « rapidement évoqué » avec son supérieur le plan d'action à court terme, lors de la rencontre du 12 octobre. Après son changement de poste en mai 2012, le salarié soutient avoir transmis en juillet 2012 en réponse à une demande du directeur France, une présentation des deux nouveaux projets visés dans le mail et que la réunion du mois d'octobre s'est effectuée dans la poursuite de l'élaboration de ce projet. L'employeur ne démontre pas que les propositions formulées lors de la réunion du mois d'octobre par le salarié aient été insuffisantes, erronées ou inadaptées par rapport à la demande formulée ou à des objectifs posés. Le seul message du 7 octobre ne peut suffire à caractériser une insuffisance du salarié.

L'employeur soutient en outre que l'insuffisance professionnelle serait liée à une démotivation du salarié et s'appuie pour ce faire sur un courrier transmis le 15 janvier 2013 par Monsieur [O]. Si effectivement le salarié utilise ce terme dans cette lettre, aucun élément ne permet d'affirmer que cette démotivation ait eu des conséquences sur la qualité de son travail. La lecture exacte de ce courrier démontre comme l'indique le salarié que depuis la modification du périmètre de ses fonctions, il avait le sentiment « d'être mis au placard ». Au travers de la lecture des organigrammes transmis, il apparaît que l'analyse sur ce point de Monsieur [O] est exacte puisqu'à partir de mai 2012, dans ses nouvelles fonctions de Directeur de l'aide au Conseil (Avdisory support manager), il n'aura plus de fonctions décisionnaires mais n'interviendra plus que sur un rôle de conseil et d'assistance.

Le dernier grief invoqué par l'employeur à trait au refus par Monsieur [O] d'exécuter une directive formulée par son supérieur hiérarchique visant à intervenir sur une mission au Qatar. Les faits sur ce point résultent clairement d'un échange de mail sur la période du 27 août au 6 septembre 2012. Il ressort de ces messages que des difficultés d'organisation n'ont pas permis au service Solution Paris, dirigé par Mme [T], de prévoir la présence d'un Chairman pour une revue organisée pour un client au Qatar. La présence de Monsieur [O] au Koweït durant la semaine précédente sur une autre revue, a conduit Mme [T] et Monsieur [C] à solliciter en urgence le salarié. Même si Monsieur [O] va invoquer plusieurs raisons à son refus, aucune d'entre elles ne permet de légitimer sa position d'opposition, face à l'urgence qu'imposait la situation. Il apparaît bien plus que Monsieur [O] dans une attitude déloyale a voulu laisser le service face à ses propres défaillances d'organisation, notamment sur la planification des interventions clients.

Cette attitude du salarié n'est toutefois pas constitutive d'une insuffisance professionnelle mais d'une faute caractérisée par un refus de répondre à une injonction de son supérieur hiérarchique. Or comme le relève très justement le salarié, les faits sont prescrits et il appartenait à l'employeur confronté au refus de son salarié de prendre les dispositions à caractère disciplinaire qui s'imposaient à ce moment-là.

Au vu de l'ensemble de ces motifs, l'insuffisance professionnelle n'est pas établie et il convient en conséquence de déclarer le licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Sur les dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

Monsieur [O] sollicite la somme de 401292000 euros en réparation du préjudice causé par la rupture. Il fait valoir qu'il dispose de 22 ans d'ancienneté et que licencié à 57 ans il a du faire face à une perte importante de revenus puisque d'avril 2013 à avril 2014, il a bénéficié de la seule allocation de retour à l'emploi ;qu'au-delà, malgré la création de sa société, il a subi une perte de salaire du fait de la faible activité de son entreprise. Il ajoute que la rupture a également eu des conséquences financières sur ses droits à la retraite.

La société DNV France estime que l'ancienneté du salarié doit être rapportée à quatre ans durant lesquels il a été au service de la société. S'agissant du préjudice invoqué, elle précise que Monsieur [O] a organisé un montage de sociétés complexe en créant une holding qui détient une société Cobra Advice détenant elle-même une autre société Colibry ; qu'il a débauché plusieurs salariés et s'est implanté sur un secteur concurrent.

Au regard de l'ensemble des éléments transmis par les parties, compte tenu notamment des 4 années de présence du salarié dans la société, de son âge au moment du licenciement, de son salaire, des circonstances particulières de la rupture, au regard également de l'absence d'élément permettant d'estimer l'exactitude de sa situation financière mais tenant compte toutefois de l'impact financier incontestable du licenciement sur les premiers mois de chômage, il convient d'allouer à Monsieur [O] la somme de 70 000 euros.

PAR CES MOTIFS

INFIRME le jugement ;

Et statuant à nouveau ;

DECLARE le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse ;

CONDAMNE la société DNV France à payer à Monsieur L la somme de 70 000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

DIT que les condamnations au paiement de créances indemnitaires portent intérêts au taux légal à compter de la mise à disposition du présent arrêt ;

VU l'article 700 du code de procédure civile

CONDAMNE la société DNV France à payer à Monsieur [O] en cause d'appel la somme de 2000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

DEBOUTE les parties pour le surplus ;

ORDONNE le remboursement par la société DNV France à Pôle Emploi des indemnités de chômage payées à la suite du licenciement de Monsieur [O] dans la limite de 2 mois ;

CONDAMNE la société DNV France aux dépens de première instance et d'appel.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 3
Numéro d'arrêt : 14/05801
Date de la décision : 13/09/2016

Références :

Cour d'appel de Paris K3, arrêt n°14/05801 : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2016-09-13;14.05801 ?
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