La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

08/09/2016 | FRANCE | N°15/15222

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 2 - chambre 1, 08 septembre 2016, 15/15222


Grosses délivréesRÉPUBLIQUE FRANÇAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS







COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 2 - Chambre 1



ARRÊT DU 08 SEPTEMBRE 2016



AUDIENCE SOLENNELLE



(n° 369 , 6 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : 15/15222



Décision déférée à la Cour : Décision du 16 Octobre 2013 -Conseil de discipline des avocats de LYON



DEMANDEUR AU RECOURS



Monsieur [H] [W]

La Tourette

[Localité 1]
<

br>

Comparant en personne





DÉFENDEUR AU RECOURS



LE CONSEIL REGIONAL DE DISCIPLINE DES BARREAUX DU RESSORT DE LA COUR D'APPEL DE LYON

[Adresse 1]

[Localité 2]



Représentée par Maître JUNOT-FANGET, ...

Grosses délivréesRÉPUBLIQUE FRANÇAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 2 - Chambre 1

ARRÊT DU 08 SEPTEMBRE 2016

AUDIENCE SOLENNELLE

(n° 369 , 6 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : 15/15222

Décision déférée à la Cour : Décision du 16 Octobre 2013 -Conseil de discipline des avocats de LYON

DEMANDEUR AU RECOURS

Monsieur [H] [W]

La Tourette

[Localité 1]

Comparant en personne

DÉFENDEUR AU RECOURS

LE CONSEIL REGIONAL DE DISCIPLINE DES BARREAUX DU RESSORT DE LA COUR D'APPEL DE LYON

[Adresse 1]

[Localité 2]

Représentée par Maître JUNOT-FANGET, avocat au barreau de LYON

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 12 Mai 2016, en audience publique, devant la Cour composée de :

- M. Jacques BICHARD, Président de chambre

- Mme Bernadette VAN RUYMBEKE, Présidente de chambre

- Madame Marie-Sophie RICHARD, Conseillère

- Mme Marie-Claude HERVE, Conseillère

- Madame Annick HECQ-CAUQUIL, Conseillère

qui en ont délibéré

Greffier, lors des débats : Mme Lydie SUEUR

MINISTERE PUBLIC :

L'affaire a été communiquée au ministère public, représenté lors des débats par Madame Martine TRAPERO, Substitut Général, qui a fait connaître son avis et qui n'a pas déposé de conclusions écrites antérieures à l'audience.

DÉBATS : à l'audience tenue le 12 Mai 2016, on été entendus :

- Madame RICHARD, en son rapport

- Monsieur [W], en ses observations, s'en rapporte à l'intégralité de ses conclusions n° 5

- Maître JUNOT-FANGET, avocat représentant le [Adresse 2], en ses observations

- Madame TRAPERO, substitut du Procureur Général, en ses observations

- Monsieur [W], en de nouvelles observations, s'en rapporte à nouveau à l'intégralité de ses conclusions n° 5 et a eu la parole en dernier,

ARRÊT :

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par M. Jacques BICHARD, président et par Mme Léa ASPREY, greffier placé.

* * *

Dans le cadre d'une instance pénale pour non représentation d'enfant, M [H] [W], avocat au barreau de Lyon de la grand-mère titulaire du droit de visite sur l'enfant, a déposé le 31 octobre 2012 une requête en récusation du président de la 8ème chambre correctionnelle du tribunal de grande instance de Lyon, M [Y], fondée sur les dispositions de l'article 668-9 du code de procédure pénale selon lequel un juge peut être récusé notamment s'il y a entre lui et une des parties des manifestations assez graves pour faire suspecter son impartialité, à la suite du renvoi de l'affaire au 3 décembre 2012 ordonné le 11 juin 2012 pour justifier la mise en place du point de rencontre prévu par le jugement du 21 janvier 2011 dans l'intérêt de l'enfant. Cette requête, rejetée le 27 novembre 2012 mentionnait au titre des causes de récusation notamment que: 'Il y a lieu de s'en tenir à de simples constatations d'ordre patronymique et prénonymique (si tant est que l'on puisse s'exprimer avec ce néologisme).

Le juge du siège dont la récusation est demandée porte le nom patronymique de '[Y]'.

Le 'papa' de la personne, en l'occurrence mademoiselle [T] [X] [qui] fait l'objet de poursuite pour l'infraction de soustraction de mineure par ascendant, se prénomme [V].

La première page de la notice du mot '[Y]' sur le site 'wikipédia' mentionne que ce mot :'est dans le peuple juif un des noms portés par les descendants des 'lévites', membres de la tribu des lévi,(...'.

La première page de la notice du mot 'Moïse' sur le site 'Wikipédia' mentionne que ce mot: 'est selon la tradition, le fondateur de la religion juive- le judaïsme, qui s'appelle parfois, pour cette raison mosaïsme, c'est à dire la religion de Moïse'.

La matérialité de ces constatations n'est pas contestable.'

Le conseil régional de discipline des barreaux de Lyon a été saisi par le procureur général le 28 novembre 2012 sur le fondement de l'article 3.1.5 du règlement intérieur du barreau de Lyon et par le bâtonnier le 3 décembre 2012 sur le fondement des articles 3.1.3 du même règlement et 1.3 du RIN.

Par arrêté en date du 16 octobre 2013 la sanction de la radiation dont la publicité a été également ordonnée a été prononcée à l'encontre de M [H] [W] qui a interjeté appel de cette décision confirmée par la cour d'appel de Lyon par arrêt du 26 juin 2014.

Cette décision a été cassée au motif que l'arrêt attaqué n'avait pas constaté que l'avocat poursuivi avait eu communication des conclusions écrites du ministère public afin d'être en mesure d'y répondre utilement, par arrêt de la 1ère chambre civile de la Cour de cassation

du 1er juillet 2015 désignant comme juridiction de renvoi la cour d'appel de Paris qui a été saisie le 21 juillet 2015. Après renvoi contradictoire à l'audience du 12 novembre 2015, l'affaire a été plaidée le 12 mai 2016.

Dans ses conclusions n° 5 dites récapitulatives et responsives du 25 avril 2016 soutenues oralement M [W] fait valoir que son recours en récusation était couvert par l'immunité de l'article 41 de la loi du 29 juillet 1881, subsidiairement que la décision du 10 juillet 2013 ordonnant le renvoi est nulle pour non respect des dispositions de l'article 196 du décret de 1991 et celle du 16 octobre 2013 prononçant la sanction de la radiation pour non respect des articles 188 et 195 du même décret ainsi que des articles 62, 452, 454 et 456 du code de procédure civile. Il fait valoir également le défaut d'impartialité du conseil régional de discipline et soutient au fond que les motifs de sa radiation sont erronés; qu'il n'a jamais tenu de propos antisémites caractérisant les manquements à la délicatesse ou à l'honneur qui ont été retenus à son encontre mais a uniquement tenté de démontrer que le renvoi injustifié de l'affaire était lié à une considération de nature communautariste révélée par la similitude entre le nom du président et le prénom du père de la prévenue et que la sanction de la radiation est disproportionnée au regard des faits reprochés. Il sollicite l'infirmation des décisions des 10 juillet et 16 octobre 2013 dont il demande à titre subsidiaire la nullité et la condamnation de l'ordre des avocats au barreau de Lyon à lui verser la somme de 17 480 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.

Dans ses observations du 25 avril 2016 soutenues oralement le bâtonnier de l'ordre des avocats au barreau de Lyon sollicite la confirmation de la décision du 16 octobre 2013 prononçant la radiation de M [W] et fait valoir que les dispositions de l'article 41 de la loi du 29 juillet 1881 ne sont pas applicables dans le cadre d'une instance disciplinaire; qu'il en est de même des articles 62 , 452, 454 et 456 du code de procédure civile qui ne régissent que les instances de l'ordre judiciaire et que la partialité du conseil régional de discipline comme le caractère erroné des motifs de sa décision ne sont pas établis.

Le ministère public qui n'a pas déposé de conclusions écrites sollicite oralement la confirmation de la décision et fait valoir que l'immunité de l'article 41 n'est pas applicable à l'instance disciplinaire; que le conseil de discipline a été également saisi par le bâtonnier de sorte que l'article 188 du décret de 1991 n'est pas applicable et que le délai de huit mois de l'article 195 a été respecté; que M [W] invoque sans le justifier le manque d'impartialité du conseil de discipline et n'a alors pas demandé la récusation de ses membres; que la sanction est justifiée au regard de la gravité des manquements qui sont constitués.

M [W] a eu la parole en dernier.

MOTIFS DE LA DECISION :

- Sur l'immunité de l'article 41 de la loi du 29 juillet 1881 :

M [W] soutient que l'immunité de l'article 41 est applicable aux écrits produits et aux propos tenus devant toute juridiction, ce qui concerne l'instance disciplinaire, et que cette règle ne reçoit exception que dans les cas où les écrits sont étrangers à la cause ce qui n'est pas le cas de sa requête en récusation déposée dans le cadre d'une instance pénale en raison du renvoi prononcé sans fondement par le président [Y].

Le représentant de l'ordre des avocats au barreau de Lyon et le ministère public soutiennent que l'immunité soulevée n'est pas applicable dans le cadre d'une instance disciplinaire et que les écrits litigieux contenus dans la requête en récusation sont étrangers à la procédure pénale en cours et ne relèvent pas de la protection du droit à la liberté d'expression.

Il résulte des dispositions de l'article 41 de la loi du 29 juillet 1881selon lequel ne donneront lieu à aucune action en diffamation, injure ou outrage, ni le compte rendu fidèle fait de bonne foi des débats judiciaires, ni les discours prononcés ou les écrits produits devant les tribunaux, que l'immunité pénale prévue au dit article n'est pas applicable en matière disciplinaire de sorte que M [W] n'est pas fondé à en solliciter l'application au présent litige.

- Sur le non respect des articles 188 et 195 alinéa 2 du décret de 1991 :

En application des dispositions de l'article 188 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 le défaut d'information préalable du bâtonnier avant l'engagement de poursuites disciplinaires par le procureur général entraîne la nullité des poursuites engagées irrégulièrement s'il fait grief à l'avocat en cause.

En l'espèce M [W] ne peut justifier d'un tel grief dès lors que le 3 décembre 2012 le bâtonnier a pris également la décision d'engager des poursuites à son encontre relativement aux mêmes faits.

En application de l'article 195 alinéa 1er du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 le conseil de discipline doit statuer dans les huit mois de sa saisine mais il résulte des dispositions du 2ème alinéa de ce texte que ce délai peut être prorogé dans la limite de quatre mois par l'instance disciplinaire lorsque l'affaire n'est pas en état d'être jugée. En l'espèce par décision du 10 juillet 2013 et pour ce motif le conseil de discipline a fait application de ce texte et a rendu sa décision le 16 octobre 2013 avant l'expiration de la prorogation de quatre mois ainsi ordonnée jusqu'au 27 novembre 2013 sans que M [W] qui est l'auteur de la demande de renvoi présentée à l'audience puisse en invoquer utilement l'irrégularité au regard des dispositions de l'article 196 du décret du 27 novembre 1991.

- Sur l'application des articles 62, 452,454 et 456 du code de procédure civile :

En vertu des dispositions de l'article 62.5 du code de procédure civile dont l'application à l'acte de poursuite de M le Bâtonnier de l'ordre des avocats au barreau de Lyon est à juste titre contestée, les parties n'ont pas qualité pour soulever l'irrecevabilité prévue à l'article 62 du même code en cas de non paiement de la contribution prévue à l'article 1635bisQ du code des impôts de sorte que M [W] est doublement irrecevable en sa demande tendant à voir prononcer l'irrecevabilité de l'acte de poursuite du bâtonnier de l'ordre des avocats au barreau de Lyon.

La décision rendue le 16 octobre 2013 par la section 2 du conseil régional de discipline des barreaux du ressort de la cour d'appel de Lyon dont la composition est mentionnée en en -tête de la décision a été signée par son président le bâtonnier [Z] et M [W] est mal fondé à invoquer le non respect des dispositions générales de l'article 452 du code de procédure civile alors qu'en vertu des dispositions spéciales de l'article 196 du décret de 1991 les décisions disciplinaires sont notifiées par LRAR à l'avocat poursuivi, et étant rappelé qu'à le supposer applicable, l'article 458 du code de procédure civile impose que la nullité prévue à l'article 452 du même code soit invoquée au moment du prononcé du jugement.

Les dispositions générales de l'article 454 du code de procédure civile ne sont pas applicables aux décisions du conseil régional de discipline qui ne rend pas ses décisions au nom du peuple français et dont les délibérations ne sont soumises à aucun formalisme particulier, l'article 196 susvisé prévoyant uniquement leur notification par lettre recommandée avec accusé de réception à l'avocat poursuivi.

Enfin l'absence de mention de la signature du secrétaire de séance qui n'est pas greffier n'est pas davantage soumise à la nullité de l'article 456 du code de procédure civile.

- Sur l'impartialité des membres du conseil régional de discipline:

Pour mettre en cause l'impartialité de ses membres et soutenir que le conseil régional de discipline n'a pas satisfait à l'exigence d'impartialité à laquelle il est soumis M [W] fait valoir que la pression médiatique qui entourait l'affaire a à l'évidence conduit l'instance disciplinaire à rendre à son égard une décision dénuée d'impartialité. Mais la lettre publique d'un avocat et le communiqué du syndicat de la magistrature ou la réaction du bureau national de vigilance contre l'antisémitisme qu'il évoque ne sont pas de nature à démontrer le manque d'impartialité d'un ou de plusieurs des sept membres du conseil de discipline qu'il allègue et dont il n'a alors pas demandé la récusation.

- Sur les manquements :

Il est reproché à M [W] d'avoir manqué aux obligations de délicatesse, de modération, de courtoisie et de dignité qui régissent la profession d'avocat tels que rappelés à l'article 1.3 du RIN ainsi qu'à l'honneur de sa profession en portant par les écrits contenus dans sa requête en récusation de M [Y] une atteinte inacceptable à la dignité et à l'intégralité morale de ce magistrat et d'avoir contrevenu aux dispositions de l'article 3.1.5 du règlement intérieur du barreau de Lyon selon lesquelles l'avocat doit également s'abstenir: 'de toute attaque personnelle superflue ou termes inutilement blessants' dans ses écritures et à l'article 3.1.3 du même règlement qui rappelle que l'avocat 'réserve aux juges, dans l'indépendance et la dignité, le respect dû à leur fonction'.

A l'appui du syndrome de 'l'inversion accusatoire' dont M [W] soutient que sa cliente, partie civile, s'est sentie la victime de la part du président M [Y] dont il a en vain sollicité la récusation sur le fondement de l'article 668-9 du code de procédure pénale, la requête en récusation présentée par l'avocat explique que ce ressenti est notamment lié à des constatations d'ordre patronymique et prénonymique ci dessus reproduites et que la décision attaquée a justement analysées, tout comme l'ordonnance rejetant la requête en récusation, en un rapprochement entre le nom de famille du juge et le prénom du père de la prévenue de nature à mettre en cause l'impartialité du juge en raison de son appartenance supposée au 'peuple juif' tout comme le père de la prévenue.

Un tel raisonnement à l'appui d'une requête en récusation d'un magistrat constitue de la part d'un avocat un manquement grave aux principes essentiels de délicatesse, courtoisie et dignité qui régissent la profession d'avocat à l'honneur de laquelle il porte atteinte puisqu'il laisse entendre que l'appartenance supposée d'un magistrat à la même confession juive que le père d'un prévenu est de nature à mettre en doute son impartialité en raison de la dite appartenance . Il porte ainsi atteinte à la dignité et à l'intégrité morale du magistrat concerné dont la judaïcité supposée est considérée comme ayant des conséquences néfastes sur l'exercice de ses fonctions.

Il constitue également une atteinte personnelle, superflue et blessante à l'égard de ce magistrat alors même que la requête en récusation contenait par ailleurs différents arguments notamment quant à la possibilité pour le magistrat d'ordonner le renvoi de l'affaire et à son attitude lors de l'audience à l'égard de la partie civile et de son avocat.

En conséquence les infractions graves ainsi constituées aux dispositions de l'article 1.3 du RIN et 3.1.5 et 3.1 du règlement intérieur du barreau de Lyon seront sanctionnées par la radiation de M [W] et la sanction accessoire de la publicité et il convient de confirmer la décision déférée du 16 octobre 2013.

M [W] qui succombe en son appel sera débouté de sa demande fondée sur les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et condamné aux dépens.

PAR CES MOTIFS :

- Déboute M [H] [W] de ses demandes tendant à l'annulation des décisions des 10 juillet et 16 octobre 2013;

- Confirme la décision du conseil régional de discipline des barreaux du ressort de la cour d'appel de Lyon du 16 octobre 2013 ;

- Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Condamne M [H] [W] aux dépens.

LE GREFFIER, LE PRESIDENT,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 2 - chambre 1
Numéro d'arrêt : 15/15222
Date de la décision : 08/09/2016

Références :

Cour d'appel de Paris C1, arrêt n°15/15222 : Déboute le ou les demandeurs de l'ensemble de leurs demandes


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2016-09-08;15.15222 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award